Recueil des lettres missives de Henri IV/1579/29 juillet ― À la royne, mère du roy mon seigneur

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1579. — 29 juillet.

Orig. – B. R. Fonds Béthune, Ms. 8888, fol. 185 recto.


À LA ROYNE, MERE DU ROY MON SEIGNEUR.

Madame, Il y a deux ou trois jours que j’ay depesché le baron de Salignac[1] vers vous afin de parler au sr Desdiguieres[2] de ceulx des Esglises de Daulphiné, suivant ce qu’il vous a pleu me mander. Dedans ung jour je feray partir le sr de Lesignan pour vous rendre compte de ce qui s’est passé en ceste assemblée[3] et de toutes aultres particularitez. Presentement je renvoye la Roche, present porteur, devers vous pour cependant vous asseurer de plus en plus, Madame, que je n’ay rien en si grande affection que le service du Roy mon seigneur, et le vostre, le bien de son Estat et l’union et repos de ses subjects, et que tant s’en fault que je veuille adherer à toute premiere nouveauté, ne me joindre ou avoir intelligence avec ceulx qui veulent troubler ce Royaulme et, soubz nouveaux pretextes et desseings couverts du nom et lustre de protection de la religion ou de restauration de l’Estat, rompre la paix publicque, se saisir des places de Sa Majesté, soublever les peuples, que au contraire je suis resolu d’employer mes moyens et ma vie propre pour la conservation de l’Estat et entretenement de la tranquilité publique, suivant mon debvoir et l’obligation et interest que j’y ay. Le soin que j’ay eu d’advertir ceulx de la Religion par toutes les provinces, de ne s’adjoindre aux ligues qui, soubz couleur d’estatz, entreprennent contre l’auctorité du Roy mondict seigneur, faict assez de foy de ma sincérité et de ma droicte intention, entierement esloignée de telles nouveautez et remuemens. L’assemblée qui a esté faicte en ce lieu, et de laquelle mon cousin le vicomte de Turenne vous avoit parlé, ne tend qu’au bien de la paix. Les depputez de ceulx de la Religion de chascune generalité y ont esté envoyez pour descharger ceulx qui avoient esté surchargez au departement qui fut faict, il y a ung an, de partie de la somme de six cens soixante [et] tant mil livres accordez par le Roy mon seigneur, estre levez sur ceulx de la Religion ; à quoy il estoit necessaire de pourveoir, parce que aultrement, en quelques generalitez, lesdicts de la Religion ne vouloient proceder à aulcune cotisation ou levée de la somme qui leur estoit imposée. Par mesme moyen ils ont apporté des memoires des contraventions à l’edict de pacification, afin d’en requerir du Roy, avec toute humilité, justice et reparation. Ce que je me suis chargé de faire par ledict sr de Lezignan ; à ce que par là lesdictz de la Religion ayent contentement, et qu’en donnant ordre à leurs plainctes et reparant lesdictz actentatz, l’opinion qu’ilz ont conceue de la continuation et de l’infraction de l’edict et impunitez soit chassée de leurs cueurs et entendementz, et la paix de plus en plus asseurée. Calignon[4], deputé de la province du Daulphiné, est venu en ladicte assemblée, avec charge d’adviser aux dictes surcharges, et faire quelques plainctes pour la dicte province, qui sont insérées au cahier general qui vous sera porté par le dict sieur de Lezignan ; ensemble pour se justifier de ce qu’on l’avoit accusé d’avoir traicté et capitulé contre le service du Roy mon seigneur avec le mareschal de Bellegarde[5], vers lequel il a protesté et asseure avoir esté pour luy parler de l’execution de l’edict et de l’estat des affaires de Daulphiné, comme estant ladicte province de son despartement. Et sur ce que je luy ay objecté les forces dudict pays, qui sont allées trouver ledict mareschal pour l’execution de ses entreprises[6], il respond qu’ils pensent n’avoir offensé, ne debvoir estre blasmez, d’avoir obey à ung mareschal de France, lequel a mandé lesdictes forces et commandé à ladicte province. Quant au sr de Montberault[7], je ne l’ay veu ; mais m’estant enquis de luy, j’ay appris qu’il estoit passé en Gascogne ; et parce, Madame, que par ledict sr de Lesignan vous entendrez choses plus particulierement, je ne vous escriray de plus longue lettre, si ce n’est pour vous supplier trez humblement de ne vouloir adjouster foy aiseement aux bruicts et faux rapports dont on remplit vos oreilles pour vous mectre en soubçon et deffiance de moy. Et ce faisant, la lumiere de la verité dissipera bientost et à vostre contentement les brouillards de telles calompnies, entre lesquelles l’une des plus grandes est de vous avoir faict entendre que j’aye envoyé audict sr mareschal vostre lettre-patente, signée et scelée de ma main et de mon sceau, en blanc, pour pouvoir escrire tout ce qu’il veult et desire[8]. Ce qui est tellement faulx et controuvé que je n’y ay pas encores seulement pensé.

Madame, je supplie Nostre Seigneur vous vouloir conserver longuement et trez heureusement en trez parfaicte santé. De Montaulban, ce xxixe juillet 1579.

Vostre trez humble et trez obéissant subject, serviteur et fils,
HENRY.


Madame, je vous asseure que je n’ay jamais envoyé les lettres-patentes au mareschal de Bellegarde, dont on vous a parlé ; et vous supplie ne croire telles calomnies, qui sont esloignées de ma volonté et de la verité[9].


  1. Jean de Gontaut, baron de Salignac ou Salagnac, fils aîné d’Armand de Gontaut, seigneur de Salagnac, et de Jeanne de Salagnac, était chambellan du roi de Navarre, membre de son conseil, gouverneur du comté de Périgord et de la vicomté de Limoges. En 1590 Henri IV l’envoya en Angleterre, en Flandre et en Allemagne. Il se convertit à la religion catholique en 1596, fut nommé, en 1603, ambassadeur près la Porte Ottomane, fait chevalier des ordres en 1604, et mourut la même année à Constantinople.
  2. François de Bonne, seigneur de Lesdiguières, fils de Jean de Bonne et de Françoise de Castellane, né à Saint-Bonnet-de-Champsaur, en Dauphiné, le 1er avril 1543, se distingue par beaucoup de faits d’armes dans sa province, où il devint le chef des protestants en 1577, avec des pouvoirs qui lui furent conférés par le maréchal de Damville, le roi de Navarre et le prince de Condé. Le roi de Navarre, devenu roi de France, le fit lieutenant-général de ses armées en Piémont, Savoie et Dauphiné, maréchal de France en 1608. Sa terre de Lesdiguières fut érigée en duché-pairie l’an 1611. Il devint, en 1621, maréchal général des camps et armées du Roi, et, le 24 juillet de l’année suivante, fut fait connétable de France. Il mourut, le 28 septembre 1626, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.
  3. Ceci est naturellement expliqué par le passage suivant des Œconomies royales : « Peu après le Roy de Navarre s’en alla avec la Reine sa femme à Montauban, où il fut tenu une assemblée, pour prendre resolution sur ce qui estoit de faire, puisque la Reine s’en estoit allée sans pourveoir aux plaintes de ceux de la Religion. » (Ire partie, chap. x.)
  4. Geoffroy, Sofroi ou Soffrey de Calignon était né à Saint-Jean, près de Voiron, en Dauphiné, au milieu du xvie siècle. Les esprits les plus distingués de son temps, d’Aubigné, de Thou, Casaubon, s’accordent pour faire de lui un pompeux éloge. Sa vie a été écrite par Guy Alard. Il se montra constamment l’un des partisans les plus zélés de la nouvelle religion. Il fut successivement secrétaire du roi de Navarre, puis conseiller et ensuite président en la chambre de l’édit de Grenoble ; enfin chancelier de Navarre. « Le roi Henri IV n’étant que roi de Navarre, dit Chorier, avoit employé Calignon dans les plus difficiles affaires ; il n’en avoit pas alors d’autres. Étant devenu roi de France, il n’eut pas de ministre qu’il estimât plus. Il le fit chancelier de Navarre. L’édit de Nantes est son ouvrage ; il y travailla plus que nul autre. » (Abrégé de l’histoire du Dauphiné, l. X.) De Thou confirme cette dernière assertion : « J’ai, dit-il, travaillé avec lui durant trois ans entiers à procurer l’édit de Nantes. » (Hist. univ. liv. CXXXVI, ann. 1606.) Calignon était le confident de Lesdiguières, gouverneur du Dauphiné et zélé huguenot, qui l’avait envoyé auprés du roi de Navarre, tant pour la réunion des religionnaires de leurs deux gouvernements que pour les affaires du maréchal de Bellegarde, très-favorisé par Lesdiguières.
  5. Roger de Saint-Lary, seigneur de Bellegarde, fils de Péroton de Saint-Lary et de Marguerite d’Orbessan, fut successivement lieutenant de la compagnie de gendarmes du duc de Retz, commandeur de Calatrava, colonel de l’infanterie du duc d’Anjou, enfin, à l’avénement de ce prince à la couronne, maréchal de France, le 6 septembre 1574. « Nous ne l’appelions à la cour, dit Brantôme, que le torrent de la faveur. » Il finit pourtant ses jours dans la révolte et la disgrâce, et mourut empoisonné à Saluces, le 20 décembre 1579.
  6. De Thou a raconté fort en détail toute cette entreprise de Bellegarde. Il en tenait les circonstances de la bouche même du secrétaire Mathurin Charretier, dans un voyage qu’il fit avec lui à Lyon. Le résumé est que Bellegarde ayant échoué dans les intrigues qu’il avait préparées pour enlever à Damville le gouvernement du Languedoc, par l’appât du marquisat de Saluces, s’empara pour lui-même de ce marquisat, à la suite de son entrevue avec la reine mère, au mois d’avril précédent. Il fut aidé dans cette entreprise par Lesdiguières, gouverneur du Dauphiné. Le roi de Navarre fut même soupçonné d’y avoir prêté la main.
  7. Lesdiguières et Bellegarde avaient chargé Montberaut d’une mission auprès du roi de Navarre pour obtenir son concours. Cette lettre-ci est en désaccord avec ce que rapporte de Thou, que « Montberant fut très-bien reçu du roi de Navarre, à qui Calignon avoit ordre de Lesdiguieres de conseiller d’en user ainsi ; et ce prince, ajouta-t-il, lui accorda le pouvoir qu’on demandoit. » (Histoire univ. l. LXVIII, année 1579.)
  8. On voit, d’après cette apologie, que les soupçons de la complicité du roi de Navarre dans l’affaire Bellegarde étaient allés jusqu’à une accusation formelle et circonstanciée, dont il réfute ici la calomnie.
  9. Ce post-scriptum est de la main du roi.