Recueil des lettres missives de Henri IV/1580/Fin de janvier ― Au roy, mon souverain seigneur

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[1580. — fin de janvier.]

Cop. – Biblioth. de Tours, ancien manuscrit des Carmes, coté M, no 50, Lettres historiques, p. 46. Communiqué par M. le préfet.


[AU ROY, MON SOUVERAIN SEIGNEUR.]

Monseigneur, Je vous escrivy par le sr de Rambouillet comme ayant entendu la prise de Mende j’aurois envoyé l’ung des miens devers monsr de Chastillon[1], pour savoir comme les choses estoient passées ; afin qu’au retour de monsr de Montmorency, nous advisassions les moyens d’y pourveoir ensemble, dont je luy escrivis, ne pouvant qu’estre trez desplaisant de ce qui estoit advenu, comme je suis encores. Ma resolution estoit de m’approcher jusqu’à Castres, afin d’estre plus à main pour appliquer le remede au mal, et faciliter l’execution de ce que le dict sr de Montmorency requerroit de nous, attendant aussi la response qu’il vous plairoit nous faire sur la despesche de Boucharel. Mais comme je vis la rumeur de ceste prise de Mende servir d’occasion à ceulx qui n’ont l’esprit tendu qu’à la guerre, et donner crainte et soubçon à ceulx qui desirent la paix, j’escrivis de tous costez aux villes qui sont de la Religion en Languedoc et Daulphiné, qu’ils eussent à se contenir et se donnassent bien garde, pour quelque vent qu’il courust, d’allumer aulcun feu de guerre. J’entendois de plusieurs endroicts qu’il commençoit fort en Guyenne. Je voyois que le dict sieur de Montmorency ne faisoit plus aulcun estat de s’aboucher avecques moy ; luy mesme m’avoit mandé qu’il avoit desfendu à ceulx de Lautrec[2] et Castelnau de Montmiral[3], qui sont à moy, de m’ouvrir et recevoir. Lorsque je m’en suis revenu en ce mien gouvernement, pour empescher que ce feu ne s’embrasast davantaige, j’ay escript aux villes et aux principaulx gentilshommes du pays qui eussent peu s’alarmer, les exhortant tous à la paix, et les asseurant que mon intention ne tendoit à aultre but ; mais j’ay trouvé que le mareschal de Biron avoit bien faict d’aultres depesches, et disposé tout au contraire ; qu’il avoit mis nombre de soldats dans certaines villes, et jettoit de tous costez une semence de guerre, demonstrant evidemment par ses preparatifs, qu’il a faict de longue main, combien il la desiroit. J’ay d’aultre part depuis entendu que sur le chemin de Castres on m’avoit dressé partie de quelques deux cens chevaulx lestes et bien armez[4]. Toutes ces choses, Monseigneur, que je trouve bien estranges, j’ay pensé de vous les representer, et vous envoyer ceste plaincte par Jouye, l’un de mes secretaires, exprez pour vous supplier trez humblement de considerer que la prise de Mende, qui n’a esté faicte de mon sceu ni de mon consentement, est ung faict particulier[5], dont ceulx de la Religion en general portent beaucoup de desplaisir ; que lors de la prise de Langon, de la Reole, de Figeac, de Montignac, de l’entreprise sur Pamiers et de tant d’autres occasions qui se sont presentées, ceulx de la Religion se sont toujours contenuz. Ils n’ont rien excité qui peust divertir le bien commun de la paix. Nous en avons requis la restitution par les plus faciles moyens, et avons patienté autant qu’il nous a esté possible, pour crainte de retourner aux miseres de la guerre. Et maintenant nous voyons que sur le malheur d’un pareil cas en l’une de ces choses, on s’alarme de tous costez par l’artifice et les desseings de ceulx qui ne demandent que guerre, en rejettant la haine et l’envie sur nous. Et pour ce qu’ils ont (comme je me doubte) assez tasché de vous imprimer ceste opinion, que nous en sommes les aucteurs ou instigans, que nous la voulons, que nous l’attirons, je vous supplie trez humblement, Monseigneur, me faire cest honneur de croire que pour mon particulier je n’ay rien que j’abhorre tant. Toutes nos eglises en general ne desirent que la paix, comme estant leur bien et leur conservation. Que si d’une part et d’aultre se font aulcunes entreprises, comme il n’y en a que trop, c’est à nostre trez grand regret. Nous vous avons faict entendre nos plainctes, presenté noz supplications, esperé les remedes de vostre clemence et bonté, et recouru à vostre justice. Et cependant si j’ay pensé pouvoir avancer le fruict de la paix par quelque moyen ou expedient, je n’ay refusé aulcune peine ou travail pour y parvenir. Cela seul avec l’instante priere des Estats du Languedoc m’avoit faict acheminer en Foix, m’aboucher avec le dict sr de Montmorency. Et si le bien n’en est reussy tel que l’on s’estoit promis, la faulte n’en est pas mienne, mais provenue par l’artifice de ceulx qui y ont apporté plus de jalousie que d’advancement, destournant la commune intelligence que nous eussions pu prendre, le dict sr de Montmorency et moy, à l’effect d’un si grand bien. Je vous supplye trez humblement, Monseigneur, pourveoir à toutes ces choses par vostre grande prudence, nous conserver la paix, de laquelle nous sommes desireux, et à laquelle je tiendray tousjours la main, comme j’ay faict, tant qu’il me sera possible. Et pour le regard de Mende, n’ayant receu la response par Constant, que j’envoyay aussi tost que j’en sceus la nouvelle, je seray tousjours prest et disposé d’apporter à la reparation et restablissement du faict, toute la creance et faveur que j’y pourray employer, et selon les commandemens qu’il vous plaira m’en faire ; attendant lesquels je mectray peine de retenir toutes choses et d’esteindre ce feu par tous moyens. À quoy j’ay trouvé que la Royne ma femme avoit jà prudemment pourveu, et donné si bon commencement, auparavant mon retour, que n’ay faict que suivre le chemin qu’elle avoit pris…


[HENRY.]


  1. François de Coligny, seigneur de Chastillon-sur-Loing, etc. quatrième fils du célèbre amiral Gaspard de Coligny, et de Charlotte de Laval, fut colonel de l’infanterie française, nommé en 1586, par le roi de Navarre, gouverneur du Rouergue et de Montpellier, et, en 1589, amiral de Guienne. Il mourut en 1591.
  2. Ancienne vicomté de l’Albigeois, aujourd’hui chef-lieu de canton dans le département du Tarn.
  3. Autre ville de l’Albigeois, aujourd’hui aussi chef-lieu de canton du département du Tarn.
  4. Voyez ci-après la lettre au Roi, datée de février 1580.
  5. « Le capitaine le Merle, grand voleur, prit Mende : mais ce fust plustost pour son compte que pour celuy de son party, car il en eut tout le butin, et son party n’eut que la hayne de ses horribles brigandages. » (Mezeray, Abrégé chronolog.)