Recueil des lettres missives de Henri IV/1580/Janvier ― À messieurs des esglises

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ANNÉE 1580


[1580. — janvier.] — Ire

Cop. – Biblioth. de Tours, ancien manuscrit des Carmes, coté M, no 50, Lettres historiques, p. 89. Communiqué par M. le préfet.


À MESSRS[1] [DES ESGLISES.]

Messrs, Sy je suis recogneu pour la charge à laquelle il a pleu à Dieu m’appeler, il ne faut point de long discours pour vous faire gouster et comprendre l’utilité des choses resolues en ceste derniere paix, afin de vous disposer à l’obeissance d’icelles. Je croy qu’estes tous asseurez que je n’ay rien oublié de ce qui estoit de mon debvoir ou en mon pouvoir. Et comme je l’ay employé à vostre conservation, c’est maintenant à vous de me le rendre par l’obeissance et mutuel consentement que les membres doibvent au chef. Ainsi doncques, depuis qu’il a pleu à Dieu nous envoyer ceste paix, pour donner moyen à nos eglises de respirer de tant de maulx, miseres et calamitez, à laquelle j’ai apporté toute la fidelité et sincere affection qui m’a esté possible, ayant debattu et traicté les choses comme si vous-mesmes y eussiez esté presens, selon que vous pourront tesmoigner mon cousin monsr de Turenne et beaucoup de gens de bien, c’est la raison que chascun se dispose aussi d’obtemperer aux conditions d’icelle ; aultrement c’est me faire tort, desdaigner ma vocation et mon auctorité. Ce que j’ay bien voulu vous representer, ayant entendu les difficultez qui se font sur la reddition de Mende[2], pour vous advertir, Messrs, qu’il n’y a poinct en ce faict de dissimulation[3] et que je requiers de vous et du capitaine Merle[4], ou aultres qui ont pouvoir, une prompte obeissance à ce qui s’est resolu. Aultrement je puis protester que ceste desunion ne me sera point imputée, et que, du mal qui en pourroit advenir, je ne seray poinct coulpable, ainsi que j’ay prié ledict sieur de Turenne vous faire particulierement entendre, vous priant de le croire, et à Dieu, Messrs, vous avoir en sa trez saincte et digne garde. Escript à ............


[HENRY.]


  1. Nous n’avons point l’adresse de cette lettre ; mais le contenu montre qu’elle accréditait Turenne auprès des personnages du parti protestant qui n’avaient pu assister à la conférence de Mazères. La suscription portait probablement : « À Messieurs des églises. »
  2. Cette ville avait été prise par le capitaine Merle, le 25 décembre précédent, pendant la messe de minuit de Noël, au moment où l’énorme cloche appelée la Nompareille était sonnée à toute volée. « Le son étoit renvoyé avec tant d’éclat par les échos des montagnes voisines, dit M. de Thou, qu’on n’entendit point les troupes qui surprenoient la ville. » Ce fut un des coups de main les plus célèbres du capitaine Merle.
  3. Le soupçon auquel répond ici le roi de Navarre est assez clairement indiqué dans ce passage du journal intitulé : Exploits de M. Merle, baron de Salavas. « En 1579, un des principaux chefs de la Religion ordonna à Merle de faire quelques desseins. »
  4. La requête avait peu de chances d’être bien accueillie, comme on ne tarda pas à le voir. Un grand nombre de gentilshommes des provinces voisines s’étant rassemblés pour délivrer la capitale du Gévaudan, et arrivant à Chanac, près de cette ville, « ils mandent un trompette à Merle, s’il ne vouloit point se rendre auxdits seigneurs ; que en cas qu’il ne le fairoit, qu’on le forceroit et tailleroit en pièces. Merle, après avoir bien fait boire le trompette, lui dit qu’il notât bien sa réponse, qu’étoit que lesdits seigneurs l’avoient fort souvent menacé de ce siége et de cette belle armée, et qu’il lui tardoit fort de les voir, mais que s’ils ne tenoient parole de le venir voir, qu’il les iroit voir eux. » (Exploits de M. Merle, baron de Salavas, ann. 1580.) Il tint parole : la nuit même qui suivit le retour du trompette, il pénétra dans Chanac, et, avant qu’on eût pu lui opposer une sérieuse résistance, il enleva et transporta à Mende deux cents beaux chevaux et un grand butin.