Recueil des lettres missives de Henri IV/1581/10 août ― Au vicomte de Bourdeilles

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1581. — 10 août.

Imprimé. — Œuvres du seigneur de Brantome, t. XIV, contenant les lettres d’André de Bourdeilles, etc. lettre LXXIII, p. 361, édition de La Haye, 1740 ; in-12. — Et Vie militaire et privée de Henri IV, Paris, an XII ; in-8o, p. 27.


[AU VICOMTE DE BOURDEILLES.]

Mon Cousin, J’ay esté fort ayse d’entendre de la bonne affection et diligence que vous avez monstrée despuis la prinse de Perigueux pour empescher ou moderer les mauvais effects des preneurs contre ceulx qui estoient dedans ; dont je vous remercie. Mais je suis fort marry d’avoir sceu que vostre bonne intention n’a pu estre effective selon vostre dessein, d’autant que la pluspart des maisons de ceulx de la Religion ont esté pillées et sacagées, et plusieurs faicts prisonniers : et y en a encore auxquels on veut faire payer rançon, comme on a desjà faict faire aux aultres. Entre lesquels est le sieur Sauliere qu’on ne veut eslargir sans cela, quelque grande perte qu’il ait faicte de ses meubles et tiltres ; qui seroit son entiere et totale ruine et celle de ses enfans. Je ne puis croire que le Roy mon seigneur ne reprouve grandement la prinse de la dicte ville, comme estant advenue par trop grand attentat, faict au prejudice de son service et de la paix et tranquillité publique. Je ne puis aussy pour mon debvoir et pour mon honneur (m’ayant la dicte ville esté donnée en garde comme une des principalles seuretez de ceulx de la Religion de Guyenne, qui desja m’en ont faict de grandes plainctes), que je n’en poursuive la raison et reparation envers Sa Majesté. Puisque ce faict concerne tout un general duquel j’ay la charge, il me seroit fort mal convenable si j’en voulois faire mon propre particulier, comme vous desirez que je fasse, en me priant de pardonner, et oubliant telle faulte. C’est au Roy mon dict seigneur, comme celuy qui pour le bien et repos de son Royaulme y a le principal interest, de pourveoir sur ce point. Je vous prie donc, mon Cousin, considerer que je ne puis aultre chose là dessus que d’attendre la volonté et intention de Sa Majesté, pour me ranger et conformer selon ycelle. Cependant puisqu’il y a encores dedans la ville des prisonniers et plusieurs meubles pillés appartenant à ceulx de la dicte Religion, je vous prie derechef faire le tout rendre, et mettre en liberté tous les dicts prisonniers, principalement le dict Sauliere ; de sorte qu’il n’en puisse estre faict aulcune plus grande plaincte. Je m’asseure que comme vous avez faict delivrer La Fourcade et Charon, vous pouvez en faire le semblable du dict Sauliere et aultres prisonniers et leur faire restituer ce que pris leur a esté. C’est chose qui deppend de vostre pouvoir et authorité, et dont vous vous devez faire croire. En ce faisant, vous ferez beaucoup pour les preneurs et detenteurs, en ce que par ce moyen leur faulte sera estimée moins griefve ; et je m’asseure que ce sera chose fort agreable à Sa dicte Majesté, et j’en recevray un tel plaisir et contentement que je ne fauldray de m’en souvenir pour m’en revancher en vostre endroict, s’offrant l’occasion. En esperant qu’ainsi le ferez, je prierai le Createur vous avoir, mon Cousin, en sa tres saincte et digne garde.

Escript à Nerac, le xe d’aoust 1581.

Vostre bon cousin et affectionné amy,


HENRY.


Despuis la presente escripte, j’ay receu une lettre du Roy sur la dicte prinse, laquelle il reprouve, comme vous verrez qu’il vouldroit d’autant plus exciter à moyenner la delivrance du dict Sauliere et restitution de ce qui a esté pris et pillé. Je vous envoye copie de la dicte lettre, afin que vous soyez aussy instruict des aultres particularités y contenues.