Recueil des lettres missives de Henri IV/1581/1 février ― À monsieur de Besze

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1581. — 1er février. — Ire.

Cop. – Biblioth. de Tours, ancien manuscrit des Carmes, coté M, n° 50, Lettres historiques, p. 81. Communiqué par M. le préfet.

À MONSR DE BESZE.

Monsr de Besze, L’incommodité du temps et des chemins n’a point permis de vous escrire sy souvent comme j’eusse faict, pour le desir que j’ay tousjours eu de vous communiquer de nos affaires, et sur iceulx avoir vostre advis et conseil. Si vous ay-je quelquefois mandé de mes nouvelles ; et encore dernierement de Bazas, je vous escrivis bien amplement de ce que je pensois qui peust servir à rendre mes actions de la guerre et de la paix plus claires qu’elle ne paroissent en la bouche de beaucoup de personnes, et en rendois raison. Depuis, est arrivé le sr de Quitry, qui m’a rendu vostre lettre du vije du passé, de laquelle et de tout ce dont vous avez conferé, j’ay receu beaucoup de consolation et de contentement. Je vous prie m’advertir à toutes occasions et parler franchement et librement avecques moy. Que si je ne fais mon profit, comme je debvroys, des sainctes admonitions qu’on me donne, pour le moings vous cognoistrez que je ne les rejecte pas. Je sçay que ceste paix qu’il a pleu à Dieu nous donner consiste plus en l’execution qu’en l’escriture, et que la volonté de nos adversaires est plus tost de la nous rendre imaginaire qu’essentielle et veritable. Mais cognoissant les miseres que les Eglises souffroient par la continuation des troubles, voire la dissipation, j’ay pensé qu’il valoit mieulx se remectre ez mains de Dieu qui peut convertir les cœurs, et combattre par bonne voye, que de voir les confusions et les desobeissances qui traversoient toutes limites de crainte de Dieu et d’honneur ; et davantaige qu’il estoit necessaire regaigner sur nous en temps de paix ce qu'avons perdu par la guerre : qui est le restablissement de l’ordre et de l’harmonie requise entre les Eglises, qui par faulte d’intelligence s’en vont en grand’ division. Pour cest effect j’ay convoqué à la fin de ce mois une assemblée generale, où j’espere que Dieu nous fera la grace de pourveoir à nostre conservation, et de regler nos affaires avec un meilleur compas. Nous y avons besoing de personnaiges entendus et versez en affaires, et y desirerois grandement vostre presence, si faire se pouvoit ; si non, je vous prie, Monsr de Besze, nous y subvenir de bons memoires et advis. Au surplus je recognois la charge que Dieu m’a commise, et ne souhaite rien plus, si non qu’il me fasse la grace de m’en pouvoir acquicter dignement ; à quoy j’ay desliberé de m’employer à bon escient et de regler ma maison ; confessant à la verité que toutes choses se sentent de la perversité du temps[1]. C’est pourquoy je desire avec plus d’affection de voir la paix bien establie, et n’espargneray rien qui soit en mon pouvoir pour l’affermir et l’asseurer. Mais il semble que le retardement duquel usent les nostres mesmes apporte beaucoup de mal, par ce que nos adversaires, qui veulent juger par là quelles sont nos intentions, ne se peuvent persuader qu’il n’y ait de la feintise, nous blasment et nous accusent. De là se dressent entreprinses. De leur costé les affaires y marchent plus lentement ; ils entrent en des pensées et ne peuvent se fier en nos paroles ni promesses. Ce que je ne dis pas pour faire precipiter inconsiderement les nostres aux dangers, desquels neantmoings, en quelque part que ce soit, nous sommes environnez, sans la providence de Dieu ; mais pour le jugement que plusieurs font, qui ne savent l’estat des choses, et les veulent conduire selon leur sens particulier, ce qu’il est besoin que les mieulx advisez divertissent ; et, comme je vous ay dict, en cela et toutes aultres choses, je recevray tousjours et embrasseray vos bons advis et conseils. Lesquels je vous prie me despartir encore sur les praticques et menées qui se font par ceulx qui veulent bastir leur grandeur par la ruine des aultres, mesmement sur les derniers degres desquels ils semblent tascher à me dejecter et gaigner les devans, pour plus facilement me repoulser et renverser en bas. Cette trame se cognoist si manifestement, que peu de gens en doubtent. Et neantmoings pour ce que mon faict est conjoinct à une cause meilleure, je m’en remets à Dieu, esperant en sa bonté ; ne voulant toutesfois mespriser les moyens humains et les advis que j’attends de ceulx-là qui le craignent. Tenez-moy tousjours en vostre bonne souvenance, et vous asseurez de mon amitié. Ce gentilhomme, present porteur, vous rendra plus particulierement compte de ce que je l’ay chargé de vous dire. Je vous prie luy adjouster foy, et à Dieu, Monsr de Besze, vous avoir en sa trez saincte et digne garde. De Coutras, ce premier de febvrier 1581.

Vostre bien affectionné amy,


HENRY.


[2] Je vous prie m’aimer tousjours, vous asseurant que ne sçauriez despartir de vostre amitié à prince qui en soit moings ingrat, et continuer vos bonnes admonitions comme si vous estiés mon pere.


  1. Les austères docteurs du parti protestant blâmaient assez haut le relâchement des mœurs du roi de Navarre et de sa cour. Par plusieurs passages de cette lettre on peut supposer que Theodore de Bèze lui avait adressé des remontrances de ce genre. « Il faut, Sire, lui dit d’Aubigné dans une circonstance bien importante, que vous vous envisagiez sous quatre points de vue differens... mais le payement qu’il faut donner à ceux qui vous regardent comme le deffenseur de leur religion est plus difficile à faire ; car il est besoin contenter ces derniers par un grand zele pour leur cause, par une vie integre, par de bonnes actions et par de beaux exemples, puisque si vous estes leur superieur dans certains points, ils ne laissent pas aussi, à d’autres esgards, d’estre vos compagnons. » (Mémoires de la vie de Théodore-Agrippa d’Aubigné.)
  2. Dans la copie de cette lettre, telle que la donne le manuscrit de Tours, pour indiquer que cette dernière phrase est de la main du roi, on a imité son écriture avec une adresse qui fait illusion. C’est une preuve que la copie n’a pas eu d’intermédiaire. Toutefois il ne paraît pas que le copiste ait bien lu le nom du lieu d’où la lettre est écrite ; car les comptes originaux de la dépense du roi de Navarre constatent sa présence à Cadillac le 1er février, aussi bien que la lettre suivante, du même jour.