Recueil des lettres missives de Henri IV/1581/29 novembre ― À monsieur de Bellievre

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1581. — 29 novembre. — Ire.

Copie. — B. R. Fonds Saint-Germain-Harlay, nos 1175 ancien, 329-5 nouveau, fol. 202 recto.


[À MONSR DE BELLIEVRE].

Monsr de Bellievre, J’ay esté extremement marry d’entendre le refus qu’ont faict ceulx du lieu de la Planque à quicter et rendre le dict lieu, pour la mauvaise consequence qui s’en peut ensuivre au prejudice du service du Roy mon seigneur, bien et repos de ses subjects, et de ma creance et autres. Qui est cause que, suivant l’advis que m’a donné le sr de Clervant, j’escris à celluy qui commande au dict lieu une lettre bien expresse, et aux srs de Peyrat et de Marion freres, qui ont creance et puissance sur les detempteurs, de moyenner la reddition d’icelluy, comme vous verrez par la lettre que je vous envoye. Aultrement, s’ils n’obeissent, je seray bien ayse que monsr de Joyeuse tire le canon de Tholouze pour les aller forcer, et commanderay à tous ceux de la Religion de s’aller joindre à luy pour cest effeet, comme je l’escrips aux srs de Clervant et du Pin et aux depputez des Eglises, en l’assemblée qui se fera en Languedoc. Qui est tout ce que j’ay peu faire pour le present sur ceste occurrence. Et vous asseure que je me rendray plus tost sur les lieux pour en faire ung chastiment qui servira d’exemple à tous aultres detempteurs. Mais je desirerois bien que ceulx de la ville de Thoulouze feussent aussy affectionnez à poursuivre et à faire chastier ceux qui nagueres sortirent d’icelle pour aller surprendre la ville de Mazeres et Montesquieu[1], comme ilz se monstrent contre ceulx du dict lieu de la Planque, qui s’excusent là-dessus et sur les injustices que la court de parlement de Thoulouze faict à ceulx de la Religion. Car les presidens et juges se laissent hanter et frequenter par les plus scelerats, et leur font plaisir ; refusent les declinatoires à ceux de la Religion, tant en matieres civiles que criminelles ; mesme ces jours passez, que la cour a declairé prevostable le cappitaine Palassy de Valdaries, qui a esté delivré es mains de Pesou, contre les promesses qui ont esté faictes au comte. Tellement que ceulx du dict lieu de la Planque craignent que, se contenant suyvant l’edict, on face, soubz couleur de justice, mourir plus d’hommes qui font profession des armes pour la defense de la Religion qu’en guerre ; disent aussi qu’il n’a esté faict aulcune justice des Catholiques, ni semblant de les reprimer, encores qu’ilz pillent, ravagent et attemptent tous les jours sur ceulx de la Religion. Ce sont les plainctes que ceulx du dict lieu ont faict et envoyé au dict sr de Clervant, contenus en la lettre qu’il m’a escripte. Et ores que je les croye veritables, si n’entends-je pourtant qu’elles empeschent et retardent aulcunement la reddition du dict lieu. Si est-il-necessaire pourtant, qu’avant que vous partiez du dict Thoulouze, vous en faciez remonstrance à ceulx de la dicte court, comme je vous en prie bien fort, pour ne donner occasion ne pretexte à ceulx qui ne sont de soy que trop mal affectionnez à la paix, de l’estre encore pis, et prendre plus grande licence et occasion de mal faire. Je vous prie donc de faire employer et valoir les lettres que j’escrips pour la dicte reddition et continuer vostre voyage pour vous transporter en l’assemblée des Estatz de Languedoc ; et ayant mis et laissé toutes choses bien acheminées et preparées à la paix au dict pays, vous en reveniez au plus tost pour parachever, avecques monsr le mareschal de Matignon, ce que vous avez commencé pour l’execution du dict eedict en ce pays ; vous priant de croire que j’y apporteray tousjours une telle et si entiere affection qu’il ne se presentera occasion quelconque, soit en ce dict pays ou ailleurs, que je ne mecte peine d’y appliquer tous les remedes qui dependront de moy, qui, en ceste bonne volunté, prie Dieu vous avoir, Monsr de Bellievre, en sa saincte et digne garde. Escript à Nerac, le xxixe jour de novembre 1581.


[HENRY.]


  1. Montesquieu de Volvestre, petite ville du Languedoc, aujourd’hui du département de la Haute-Garonne. Ce ne fut point contre ceux qui venaient alors de s’en emparer, mais contre la ville elle-même, que s’exercèrent plus tard les rigueurs du maréchal de Joyeuse, par qui elle fut prise et brûlée en 1586.