Recueil des lettres missives de Henri IV/1583/6 mars ― À mon cousin monsieur de Matignon

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1583. — 6 mars. — IIme.

Orig. — B. R. Fonds Béthune, Ms. 8854, fol. 73 recto.


À MON COUSIN MONSR DE MATIGNON,

MARESCHAL DE FRANCE.

Mon Cousin, Le sr de Terrides m’a faict une grande plaincte et remonstrance de ce qu’il est vexé et travaillé pour la poursuite de ses parties contre les eedictz du Roy mon seigneur ; alleguant qu’en l’année mil cinq cent soixante dix huict, la Royne, mere du Roy mon seigneur, estant par deçà pour l’execution de l’eedict, ordonna que le different de l’heredité et succession de Terride seroit decidé et jugé dans trois mois par la chambre mi-partie ordonnée, pour le ressort du parlement de Thoulouse ; suivant laquelle ordonnance, tant ledict sr de Terride que la dame de Mirepoix[1], partie contraire, auroient approuvé la dicte chambre, et en ycelle fondé respectivement procureurs ; et, sans les derniers troubles qui survindrent, le dict different eust esté incontinent vuidé à la diligence du dict sieur de Terride ; et que par les eedictz lxxvi, lxxvii[2], conferences de Nerac et de Fleix, tous les procés, esquelz ceulx de la religion refformée auront interest, seront jugez ez chambres aux ressortz desquelles les biens contentieux seront situez. Et partant, puisque la dicte heredité et les parties sont du ressort du dict parlement de Tholose et de la dicte chambre en laquelle le proces est pendant, ainsy que dict est, le dict sr de Terride ne doibt estre poursuivy ailleurs qu’en la dicte chambre, pour raison du dict different, ny ses circonstances, ny deppendances. Et par ainsy le sr de Monbrun[3], comme personne tierce et qui ne pretend aulcun droict en la dicte heredité, ne peut, soubz pretexte des lettres qu’il a obtenues du Roy mon seigneur, distraire le dict sr de Terride du dict ressort, ne par devant vous, pour eviter contrarieté et diversité de jugemens par divers juges et d’une mesme cause. La quelle estant jugée par la dicte chambre, le dict sr de Monbrun pourra obtenir ce que de droict luy est deu, joinct que le dict sr de Mirepoix[4], pour d’aultre part et doublement vexer le dict sr de Terride, poursuict le dict different en la chambre d’Agen, nonobstant la declinatoire[5] proposée par le dict sr de Terride par devant ceulx de la chambre de l’eedict au ressort du parlement de Thoulouse, qui sont ses vrais juges. Ce qui m’a faict vous escrire la presente, pour vous prier bien affectueusement, mon Cousin, de vouloir tenir la main là ce que le cours de la justice ne soit interrompu, et que le sr de Terride ne soit distraict, par le moyen des poursuites de ses parties, qui auroient peu obtenir quelques expeditions et provisions, contre ce qui est porté et ordonné par l’eedict de paciffication, par lequel la congnoissance de ce different est attribuée à la chambre de l’eedict au ressort du parlement de Thoulouze, auquel sont assis les biens, et [où] toutes les parties font leur demeure : et vous ferez chose qui sera juste, et qui appartient à l’execution d’iceluy eedict. À quoy vous avez telle affection, suivant le debvoir de vostre charge, que, m’asseurant que vous y voudrez faire ce qui se doibt, dont je vous prye de rechef bien affectueusement, je ne vous en diray davantage, si ce n’est pour prier Dieu vous tenir,

Mon Cousin, en sa tres saincte garde et protection. De Nerac, ce vje mars 1583.

Vostre plus affectionné cousin et assuré amy,


HENRY.


  1. Catherine-Ursule de Lomagne, mariée le 1er février 1563, fille d’Antoine de Lomagne, vicomte de Gimoez, baron de Terrides, chevalier de l’ordre, et de Jeanne de Cardaillac de Saint-Cirq. Elle porta en dot à son mari la baronnie de Terrides, à condition que leur postérité joindrait le nom de Lomagne à celui de Lévis.
  2. C’est-à-dire, par les édits des années 1576 et 1577. Les articles invoqués ici sont le XVIIIe de l’édit de mai 1576 et le XXIe de l’édit de septembre 1577. Les princes protestants rappelaient volontiersces deux edits, dont le premier était le plus avantageux de tous ceux qu’ils avaient obtenus ; et le second avait été rendu à point pour sauver le parti protestant d’une ruine imminente. La Popelinière nous a conservé en entier, dans les livres XL et XLV de son histoire, les textes de ces deux edits.
  3. Francois d’Apchier, baron de Montbrun, seigneur de Challier, Verrière, etc. chevalier de l’ordre en 1571, fils de Jean d’Apchier et de Jeanne de Mauriac.
  4. Jean de Lévis, seigneur de Mirepoix, baron de la Garde et de Montségur, maréchal de la Foy, sénéchal de Carcassonne et de Béziers, fils aîné de Philippe de Lévis et de Louise de la Trémoille.
  5. Au lieu de le déclinatoire. On sous-entendait probablement le mot exception, en employant le féminin.