Recueil général des anciennes lois françaises/12/130. Édit portant que le dauphin prendra la qualité de roi, et sera oint et couronné

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No 130. — Édit portant que le dauphin prendra la qualité de roi, et sera oint et couronné  [1].

Madrid, novembre 1525. (Ordonn. I, 91.)


François, etc. Comme le roi éternel, régnant par puissance invincible sur le ciel et la terre, nostre sauveur et rédempteur Jésus-Christ, chef de toutes les puissances célestes et terrestres, et au nom duquel chacun doit baisser et incliner la tête et fléchir le genou, ait donné forme et exemple d’humilité à tous les rois, et princes chrétiens en soi humiliant devant Dieu son père, soumettant sa volonté à celle de Dieu, et par zèle et amour inextimable qu’il a porté à ses membres et sujets ait fait oblation et sacrifice tant de son corps que de sadite volonté, et par lequel tous rois règnent et les conditeurs des loix font et décernent actes de justice… désirant de tout nostre pouvoir, en toutes choses, suivre nostre chef, seul guide, protecteur et patron de Nous et de nostre royaume de France très-chrétien et reconnoissant les grandes graces qu’il nous a généralement et particulièrement faites, en nous mettant en ce monde et appellant au titre de roi très-chrétien, pour conduire, régir et gouverner le très-noble et en toutes vertus l’excellent peuple français, pour la paix et tranquillité duquel avons voué et dédié à Dieu nostre personne, vie, force et volonté, et tout ainsi que nous avons reçu de lui, à nostre avènement à la couronne, les victoires et conquestes qu’il lui a plu nous donner et faire par nos mains ses ministres, étant tout à faict résolu, moyennant sa grâce et vertu, prendre en gré sa discipline paternelle, puisqu’il lui a plu la nous envoyer, après avoir perdu une bataille où nous avons mis nostre personne en grand danger de mort, plus pour vouloir chasser nos ennemis de nostre royaume, qui l’avoient iniquement envahi, et rejeter la guerre hors, pour après pouvoir parvenir à une bonne paix, au repos de la chrétienté, que pour intention seule de reconquérir les terres qui de droit nous appartiennent et desquelles nous avons naguère esté injustement déchassés et dépossédés ; et après avoir été en icelle bataille, nostre cheval tué sous nous, et avoir plusieurs de nos ennemis en grand nombre convertis leurs armes sur nostre personne, les uns pour nous tuer et occire, les autres pour en faire proie et butin, et qu’il lui a plu, par sa bonté et clémence, en tel et si extrême danger, nous sauver la vie et honneur, que nous estimons bénéfice commun à Nous et à nos subjects, encore avons-nous depuis nostre prison et captivité, après avoir esté mené et conduit en divers lieux, par mer et par terre, esté mis et réduit es mains de l’élu empereur, roi de Castille, duquel comme de prince chrétien et catholique nous avions jusqu’à présent espéré humanité, clémence et honnesteté, attendu mesmement que sommes à lui prochain en consanguinité et lignage, et d’autant plus ladite humanité attendions-nous et espérions de lui, que nous avons porté dans la prison une griefve maladie, et telle que nostre santé et guérison étant à tout désespérée, Dieu, en continuant envers nous ses bénéfices, nous a remis sus et comme ressuscité de mort à vie, en laquelle extrémité de maladie n’avons toutefois en rien connu le cœur de l’empereur estre aucunement ému à notre délivrance et conséquemment au bien de paix et repos de la chrestienté qui s’en pouvoit ensuir, encore que par les ambassadeurs à lui envoyés par nostre très chère et très amée dame et mère régente en France : Après lui avoir suffisamment montré les querelles qu’il prétend avoir contre Nous et la couronne et maison de France, n’estre en aucune manière raisonnables ni fondées en justice, lui ayant esté faites plusieurs grandes offres pour parvenir à nostredite délivrance et au bien de la paix, et depuis nostre très chère et très amée sœur unique la duchesse d’Alençon et de Berry ayant pris la peine et travail de venir par mer et par terre vers ledit empereur, et lui avoir fait les plus honnestes et gracieuses remontrances dont elle s’est sçu adviser pour l’engager à faire acte d’honneur et d’humanité, requérant amitié et à lui alliance par mariage de Nous et de nostre très cher et très amé fils le dauphin avec ses sœur et nièce, et néanmoins, outre et par dessus les autres offres faites par les princes, ambassadeurs de nostredite dame et mère, a offert de rechef plusieurs grandes choses, et plus que ne doit porter et mériter la rançon du plus grand prince du monde, avec alliance, paix et amitié.

Néanmoins ledit empereur n’a voulu entendre nostre délivrance jusqu’à ce qu’il eust en ses mains la possession du duché de Bourgogne, comté de Macon et d’Auxerre et Bar-sur-Seine, avec plusieurs autres aussi grandes et déraisonnables demandes, desquelles, après estre en possession, estoit content de nous délivrer et de ce bailler ôtage et remettre la querelle qu’il prétend à ladite duché, à la connoissance et jugement des arbitres élus par le consentement des parties, lequel parti comme déraisonnable et grandement dommageable à nostre royaume et bons et loyaux subjects, n’avons voulu accepter, ains plutost délibéré et résolu porter et endurer telle et si longue prison qu’il plaira à Dieu que nous portions, et jusques à ce que sa divine justice aura disposé et donné les moyens plus honnestes et faisables pour parvenir à nostre dicte liberté, ensemble la vie corporelle, pour le bien, union, paix et concorde et conservation denosdicts subjectz et royaume pour lesquels voudrions employer non seulement nostre vie, ains celle de nos très chers et très amez enfans qui son nais non pour nous, mais pour le bien et conservation de nostredict royaume, vrais enfans de la chose publicque de France laquelle a esté par plusieurs fois bien régie et gouvernée par jeunes roys et tous encore en âge d’innocence avec le bon conseil des personnages estans en iceluy royaume, estimant la gloire devoir estre plus grande à Dieu rendue quand il régit les royaumes par sa bonté et puissance, principalement quand l’espérance et expectation des subjects est en la prudence d’un prince, tant soit-il sage et prudent.

Pour ces causes et autres bonnes et grandes considérations que Dieu le créateur fait et cognoist, le tout à son honneur, louange et gloire, à ce nous mouvans ; voyans pour cette heure ne nous estre permis par honneste composition, sortir hors du lieu où nous sommes et retourner en nostredict royaume, où nous désirons touttefois l’administration de la justice estre cependant faicte et continuée à nos subjectz comme la raison veut et requiert, et que nous pourrions faire si nous y estions en personne, sçavoir faisons à tous présens et advenir que par bonne et meure délibération de conseil, nous avons voulu, ordonné et consenty et par édict perpétuel et irrévocable, voulons, ordonnons et consentons et tel est nostre plaisir, que nostre très cher et très amé fils, François, dauphin, duc de Viennois, nostre vray et indubitable successeur par la grace divine, nai et appelé aprez nous à la couronne de France, soit dès à présent déclaré, réclamé, tenu et réputé roy très chrestien de France, et comme roy, couronné, oingt, sacré avec et en gardant toutes les solennités requises et accoustumées et à luy seul, comme à vray roy et indubitable, tous nos autres très chers et bien amez enfans masles femelles, ses frères et sœurs, nos très chers et très amés parens princes de nostre sang, les archevêques, évêques, chapitres, abbayes, prélats, nobles et peuple de France, ayent recours comme à leur roy et vray seigneur et prince, et comme roy, le tiennent, reçoivent et traictent, en luy obéissant entièrement et à ses commis, officiers et députés, comme ils ont faict par cy devant à nostre personne estant à nostredict royaume.

Et pource que nostredict fils aine est soubs l’âge de puberté, moindre d’ans et en estat d’innocence et encores comme table raze, blanche, capable de recevoir telles mœurs, doctrine, savoir et prudence, qu’il plaira à Dieu le créateur lui mettre en son ame et inscrire et înspirer en son cœur, et que pour y parvenir a besouing de conduicte gouvernement et nourriture de grans, bons et notables personnages, et des principaux de nostredict royaume, ayant l’amour et honneur de Dieu devant les yeux, et zélez au bien commun dudict royaume et envers les personnes de nosdits enfans, considérant les grandes graces que Dieu le créateur a mis en la personne de nostredicte très chère et très amée dame et mère la duchesse d’Angoulmois et d’Anjou, à présent régente en France, de laquelle nous et nos subjectz par la longue expérience avons connu la grande prudence honnestete et bonté qui sont en elle et le bon et grand zèle qu’elle a à l’augmentation de la religion chrestienne, amour, pitié et compassion envers nosdits subjects qui sont les vrays fondemens de toute justice, accompagnée de l’amour tendre et inestimable qu’elle a toujours eue et montrée manifestement avoir envers nous et nosdits enfans qui sommes sa chair et son sang.

Pour ces causes et autres bonnes et grandes considérations que Dieu sçait et cognoist,

Avons voulu et ordonné, et par mesme édit irrévocable comme dessus, voulons et ordonnons qu’icelle nostredicte dame et mère soit et demeure seule gouvernante et régente de nostre très cher et très amé fils aine le dauphin de Viennois, et mesmement après qu’il sera couronné, sacré et reçu roy, qu’il n’y ait prince ne personne de ce monde qui ait tistre de gouverneur, ne auctorité autour de la personne de nostredict fils qu’elle verra estre à faire et que bon luy semblera, espérans et désirans que les gentilshommes et autres officiers en tous estatz de nostre chambre, de nostre bouche et maison, seront et demeureront autour de nostredict fils ainé, le serviront en la forme et manière que par cy-devant nous ont servy estant en nostredict royaume, s’il ne sembloit à nostredite dame et mère que aucuns pour bonne cause et considérations deussent estre cassez et retranchez, laquelle cause nous remettons en sa prudence et discrétion pour en user comme bon luy semblera, et semblable égard, gouvernement et authorité avons nous donné à nostredite dame sur les personnes de nos autres très chers et très amez enfans, c’est à sçavoir Henri, duc d’Orléans ; Magdelaine ; Charles, duc d’Angoulesme et Marguerite de France, lesquelles elle tiendra et voulons et entendons qu’elle tienne avec nostredit fils ainé ensemble, en un ou deux lieux, ou plusieurs pour le mieux si bon luy semble, pour les entretenir tousjours en charité et amour fraternelle, les faire instruire, et principalement aimer et honorer Dieu et son église, révérer et chérir leurs parens charnels et spirituels, porte aussy singulière amour aux princes de nostre sang, avec amour, pitié et compassion à nosdits sujectz en tout estatz, en soulageant tousjours les pauvres et simple peuple comme chose que nous avons tousjours grandement et principalement désiré et désirons faire.

Voulons et ordonnons que ledit gouvernement et authorité de nostredite dame et mère, tel que dessus sur nostredit fils aisné, encores qu’il soit roy couronné, et sur chacun de nosdits enfans, dure et continue jusqu’à ce qu’ils soient en aage de pleine puberté et de discrétion, selon l’advis de nostredite dame et mère et du conseil estroit qui sera autour d’elle pour le temps, et que toutes choses soient faites au nom de nostredit fils aisné comme roy, et sous ses séels, lesquels pour ce faire seront de nouvel faicts sans user aucunement des nostres.

Entendons et voulons toutefois que les bénéfices et offices soient donnez et conférez par la nomination de nostredite dame et mère, et les lettres expédiées, sous le nom et le séel de nostre fils aisné.

Prions et exhortons nostredite dame et mère de chose luy estre certainement agréable, c’est à sçavoir qu’il luy plaise avoir à tenir tousjours autour d’elle et de nostredit fils aisné, aprez qui’il sera couronné roy, le conseil des princes, prélats, chancellier ; présidens et autres nos officiers, telle qu’elle sçait et dont l’avons advertie, lesquels elle pourra toutefois démettre et oster quand bon luy semblera, et y mettre d’autres, et s’il advenoit que nostredite dame et mère, par maladie, indisposition de sa personne ou autre empeschement, ou par mort, à quoy Dieu par sa grace et bonté veuille obvier, ne peut exercer ledit gouvernement, autour de nostredit fils aisné roy et autres nos enfans,

Nous, en ce cas, voulons et ordonnons, et tel est nostre plaisir, que nostre très-chère et très-amée sœur unique Marguerite duchesse d’Alençon et de Berry, en toutes choses concernans ledit gouvernement, succède au lieu de nostredite dame et mère, et face et accomplisse tout ce que dessus est dit, et ait semblable pouvoir, gouvernement et authorité que nostredite dame et mère ;

Voulons en outre, et expressément ordonnons par le même édit que nostredit fils aisné, après son couronnement, par un seul édit, confirme tous les officiers et offices de nostredit royaume, sans ce que nosdits officiers soient tenus de prendre nouvelles lettres d’offices, ne payer aucune chose ; et le semblable soit faict des privilèges de nos bonnes citez, villes, chapitres, monastères, et communautez, pourveu qu’ils en soient possesseurs et qu’ils ayent joui desdicts privilèges justement et raisonnablement, sans leur attribuer aucune chose de nouveau ausdits offices et privilèges, oultre et par dessus le tiltre ancien ;

Voulons aussi que tous ceux qui nous doivent foy et hommage, tant princes de nostre sang, prélats et autres capitaines, gardes des places, justiciers et officiers, nobles et non nobles, soyent quittes de la foy, hommage et serment qu’ils nous ont et doivent faire, en faisant seulement par eux foy et hommage à nostredit fils aisné, après son couronnement à luy et à sa personne ;

N’entendons autrement les absoudre ne quitter de leur foy et hommage, pendant lesquelles choses et jusqu’à ce qu’elles soient entièrement parfaictes, consommées et accomplies, nous voulons et tel est nostre plaisir que nostredite dame et mère soit et demeure tousjours régente en France, avec les faculté et puissance qu’elle a par cy-devant de nous, et lesquelles, en tant que besoing est, avons de rechef confirmées et approuvées, confirmons et approuvons par cesdites présentes ;

Et pour parvenir à ce que dessus est dict,

Voulons et ordonnons que nostredite dame et mère assemble et puisse faire assembler aucun nombre de bons et notables personnages des trois états de tous les pays, contrées et bonnes villes de France, en tel lieu et tels et en tel nombre qu’elle advisera et que bon luy semblera, ausquels ensemble ou à part ou séparément les uns des autres elle communique nostredit vouloir et intention tel que dessus, pour avoir d’eux leur advis, conseil et consentement, retenant toutefois et réservant que s’il plaisoit à Dieu permettre que la délivrance de nostre personne fust faicte et s’en suivist par cy après pour s’en aller à son service, au gouvernement et conduite de nostredit royaume, pour lequel nous avons dédié nostre personne et vie, comme dit est lors et en ce cas nous entendons et réservons à nous de retourner à nostredite couronne et royaume, par vraye continuation d’iceluy, tout ainsi que si n’eussions jamais esté pris ni mis en captivité, ainsi que droits posliminii le veulent et permettent ; et en ce cas, nostredit très-cher et très-amé fils nous cédera et laissera le nom et place de roy, et ne se fera plus expédition ni acte quelconque au nom de nostredit fils. Ains le tout sera par nous faict et expédié, comme il se faisoit auparavant nostredite prise et captivité et du temps que nous estions en nostredit royaume, et sera et demeurera la couronnation de nostredit fils, l’effect d’icelle et règne suspendue et différée jusques après nostre trépas, ou à nostre longue absence de nostre royaume, pays, terres et seigneuries, s’il nous plaist ainsy l’ordonner ;

Voulons aussy et ordonnons de nostre certaine science, propre mouvement, pleine-puissance et authorité royale que toutes et chacunes les choses dessusdites soient entièrement et parfaitement accomplies, selon nostredite ordonnance, vouloir et intention, et en cas qu’il y auroit ou surviendroit par cy-après aucun empeschement, soit de droict ou de faict, par lequel les choses dessusdites ou aucunes d’icelles ne peussent ou sçeussent sortir effect, lors et en ce cas et non autrement, nous avons cassé, irrité et annulé, cassons et annullons ce présent édict et ordonnance, et voulons que les choses demeurent en l’estat qu’elles sont et ont esté par cy-devant ;

Ne voulons et entendons par ce présent édict desroger aux articles contenus au testament dernièrement faict par nous estans dans nostredit royaume, en tant qu’elles ne seroient contraires au présent édict, car tel est nostre plaisir, et ainsi voulons, ordonnons et décernons estre faict, entretenu, gardé et observé de poinct en poinct. Si donnons, etc. Par le roy, les archevesques d’Embrun, évesque de Lisieux ; sire de Montmorency, maréchal de France ; les seigneurs Descouvrières, premier président, et Desvertus, bailli de Paris, et autres présens.

  1. Cet acte est resté secret jusqu’en 1527, qu’il fut communiqué aux notables dans un lit de justice. Ces lettres furent adressées au parlement de Paris par le roi, lors de sa captivité. Fait prisonnier à Pavie le 24 février, après Pâques, il fut conduit à Madrid, où il resta jusqu’en mars 1526. Ce fut dans cet intervalle que, découragé des mauvais traitemens de Charles-Quint, et ne voulant pas se soumettre aux conditions à lui imposées pour obtenir sa liberté, il envoya lesdites lettres au parlement. Elles furent repoussées aux états de 1527. V. le narré de ce qui se passa à ces états, à sa date.