Recueil général des anciennes lois françaises/Testament de Louis XIII

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No 363. — Edit [1] pour la régence du royaume après la mort du roi, si le dauphin n’avait pas encore atteint sa majorité.

Saint-Germain-en-Laye, avril 1643 ; reg. au parl. le 21. (Vol. GGG, fo 458. — Rec. des traités de paix, III, 862. — Du Puy, Traité de la majorité des rois, p. 506.)


Louis, etc. Depuis notre avénement à cette couronne, la bonté divine a donné à ce royaume des marques si visibles de sa protection, que nous ne pouvons réfléchir sans étonnement sur les événemens passez de notre règne, qui sont autant d’effets miraculeux de cette même bonté. Dès notre avénement à la couronne, quelques esprits inquiets et portez au mal, se servirent de l’occasion de notre minorité pour troubler le repos de l’état ; mais cette divine main a si puissamment protégé notre innocence et la justice de notre cause, que le commencement et la fin de leurs pernicieux desseins n’a été qu’une même chose, et leurs entreprises injustes, bien loin d’affoiblir notre puissance, n’ont servi qu’à l’affermir davantage. La faction de l’hérésie s’étant soulevée pour former un parti dans l’état, et partager avec nous l’autorité royale, Dieu s’est servi de nous pour abaisser son orgueil, et employant notre bras comme un instrument de sa puissance, il nous a donné les moyens de rétablir l’exercice de la véritable religion, et de redresser ses aulels que l’hérésie avoit abattus dans tous les lieux, d’où elle avoit banni le vrai culte de la divinité. Lorsque nous avons entrepris de protéger nos alliez, le ciel a favorisé nos armes de tant d’heureux succès, qu’à la vue de toute l’Europe, et contre l’attente de tout le monde, nous les avons maintenus dans la possession de leurs états. Lorsque toutes les forces des ennemis communs de cette couronne se sont unies contre nous, Dieu a confondu leurs projets ambitieux. Enfin pour faire éclater davantage sa bonté envers nous, il a répandu ses bénédictions sur notre mariage par la naissance de deux fils, lorsque nous nous y attendions le moins.

Mais si d’un côté la majesté divine nous a rendu le plus grand et le plus glorieux prince de l’Europe, elle nous a fait connoître en même temps, que les plus grands princes ne sont pas exempts de la condition commune de tous les hommes, et elle a permis que, parmi tant de prospéritez, nous ressentissions les effets de la foiblesse de la nature humaine. Et bien que la maladie dont nous avons été attaqué, et qui continue encore, ne nous donne pas lieu de désespérer de notre guérison, et qu’au contraire nous puissions, selon toutes les apparences, nous promettre l’entier rétablissement de notre santé, cependant comme les événemens des maladies sont incertains, et que bien souvent les jugemens des personnes les plus expérimentées sont sujets à être trompez, nous avons cru être obligez de donner ordre à tout ce qui est nécessaire pour la conservation du repos et de la tranquillité de notre royaume, au cas que Dieu disposât de nous. Nous croyons que comme Dieu s’est servi de nous, pour combler de tant de faveurs cette monarchie, il demande encore de nous cette dernière action de prévoyance qui mettra la dernière main à toutes les autres, en donnant des ordres si judicieux pour le gouvernement de cet état, que, lorsqu’il plaira à Dieu de nous appeler à lui, rien ne sera capable d’affoiblir la puissance de cette monarchie, et que durant la minorité de notre successeur, le gouvernement de l’état sera soutenu avec toute la vigueur nécessaire pour le maintien de l’autorité royale. Nous jugeons que c’est là l’unique moyen de faire évanouir toutes les espérances que nos ennemis pourroient concevoir de notre décès, et de les empêcher d’en tirer les avantages qu’ils pourroient s’en promettre ; et nous ne pouvons leur opposer des forces plus considérables pour les réduire à la nécessité de faire la paix qu’en donnant pendant notre vie un si bon ordre au gouvernement de l’état, que toute la maison royale se réunisse pour concourir également et dans un même esprit à maintenir cette couronne dans l’état où elle est présentement. La France a bien fait connoître qu’elle est invincible lorsque ses forces sont bien unies, et que comme sa ruine ne peut naître que de sa division, sa grandeur et sa puissance dépendent absolument de son union, et de sa concorde. Par ce moyen les esprits factieux qui sont en France se tiendront dans les bornes du devoir, et n’oseront former aucune entreprise contre le repos de l’état, et ils craindront avec justice que leurs mauvais desseins ne tournent à leur confusion, lorsqu’ils verront l’autorité royale appuyée sur des fondemens si solides et si inébranlables. Enfin nous renouvellerons avec nos confédérez les alliances que nous avons contractées avec eux, et qui font une des principales parties de la puissance de cette monarchie ; ce qui est une des plus importantes maximes qui ayent été observées jusqu’ici pour le maintien de sa puissance. Les choses que nous avons faites pendant notre règne n’ont que trop bien fait connoître l’amour que nous avons eu pour la conservation de nos peuples, et le soin que nous avons pris de leur assurer par nos travaux une félicité parfaite : mais nous pouvons dire avec justice que les précautions que nous prenons pour assurer leur repos à l’avenir en vue de notre mortalité, sont les preuves les plus certaines de notre tendresse envers eux, puisque l’exécution de notre dernière volonté produira ces effets lorsque nous ne serons plus au monde, et que nous ne pouvons prendre maintenant d’autre part à la félicité du règne futur, que le plaisir que nous goûtons par avance en prenant des mesures qui doivent assurer le bonheur de cet état.

Et pour parvenir à l’exécution de notre dessein nous avons crû ne pouvoir choisir un chemin plus sûr que celui que les rois nos prédécesseurs ont suivi en pareille occasion. Ces princes éclairez ont jugé avec beaucoup de raison, qu’ils ne pouvoient faire un choix plus judicieux pour la régence du royaume, et pour l’instruction et l’éducation des rois qui sont en âge de minorité, que dans la personne des reines leurs mères, lesquelles sont sans doute plus intéressées à la conservation de leur enfans, et de leur couronne que quelqu’autre personne que ce puisse être. À ces causes de notre science certaine, pleine puissance et autorité royale, nous avons ordonné et ordonnons, voulons et nous plaît,

(1) Qu’au cas que nous venions à décéder avant que le dauphin, notre fils aîné, soit entré dans la quatorzième année de son âge, ou en cas que notre fils le dauphin vînt à mourir, avant la majorité de notre second fils le duc d’Anjou, notre chère et bien-aimée épouse et compagne, la reine mère de nosdits enfans, soit régente du royaume de France, et qu’elle dispose de l’éducation et de l’instruction de nos enfans, comme aussi du gouvernement du royaume pendant tout le temps de la minorité de celui qui sera roi, avec l’avis du conseil, et en la forme et manière que nous prescrivons ci-après :

(2) Et s’il arrivoit que ladite dame reine après notre décès, et durant sa régence se trouvât tellement indisposée, qu’elle eût de justes appréhensions de mourir avant la majorité de notre fils, nous voulons et ordonnons qu’elle dispose de la régence, du gouvernement et de l’administration de nos fils et du royaume, avec l’avis du conseil, que nous ordonnerons dans la suite de ce testament ; déclarant par ces présentes que nous approuvons et confirmons la disposition qu’elle fera à ce sujet, et que nous voulons qu’elle soit suivie de son plein et entier effet, comme si nous l’avions nous-même ordonnée.

(3) Et pour témoigner à notre très cher et bien-amé frère le duc d’Orléans que rien n’est capable de diminuer l’amour que nous avons toujours eu pour lui, nous voulons et ordonnons qu’après notre décès il soit lieutenant général du roi mineur dans toutes les provinces du royaume, pour exercer durant la minorité ladite charge sous l’autorité de la reine régente et du conseil que nous ordonnerons ci-après, et cela nonobstant la déclaration enregistrée dans noire cour de parlement, qui le rend incapable de toute sorte d’administration dans notre état, à laquelle nous avons dérogé et dérogeons par ces présentes à cet égard. Nous nous promettons de son bon naturel, qu’il exécutera nos ordres avec une entière obéissance, et qu’il servira l’état et nos enfans avec la fidélité et affection à laquelle il est obligé par le devoir de sa naissance, et par les grâces qu’il a reçues de nous, déclarant que s’il arrive qu’il contrevienne en quelque manière que ce soit à ce que nous ordonnons par la présente déclaration, nous voulons qu’il soit privé de ladite charge de lieutenant général, faisant en ce cas là des défenses expresses à tous nos sujets de le reconnoître et lui obéir en cette qualité.

(4) Nous avons tout sujet d’espérer de la vertu, de la piété et de la sage conduite de nostre très chère et bien-aimée épouse et compagne, la reine mère de nos enfans, que son gouvernement sera heureux et avantageux à l’état : mais comme le fardeau de la régence est si pesant, que l’état se repose entièrement de son salut, et de sa conservation sur celle qui est revêtue de cette charge, et qu’il est impossible qu’elle ait toutes les lumières nécessaires pour s’acquitter d’un emploi si difficile, et cette connoissance parfaite des affaires d’état que l’on ne peut acquérir que par une longue expérience ; nous avons jugé à propos d’établir un conseil auprès d’elle pour la régence, par l’avis et autorité duquel les affaires importantes de l’état seront examinées et résolues à la pluralité des voix, et afin que ce conseil soit composé de personnes qui soient dignes de le remplir, nous avons cru que nous ne pouvions faire un meilleur choix pour ministres de nostre état, que de nos très chers et bien-aimez cousins le prince de Condé, et le cardinal Mazarin, de nostre très cher et féal le sieur Séguier, chancelier de France, garde des sceaux et commandeur de nos ordres, et de nos très chers et bien-aimez les sieurs Boutillier, surintendant de nos finances et grand trésorier de nos ordres, et de Chavigni, secrétaire d’état et de nos commandemens. Nous voulons et ordonnons que nostre très cher et bien-aimé frère le duc d’Orléans, et en son absence, nos très chers et bien aimez cousins le prince de Condé et le cardinal Mazarin soient chefs dudit conseil, selon l’ordre qui sera marqué ci-après, sous l’autorité de la reine régente.

(5) Comme nous sommes persuadez que nous ne pouvions faire un plus digne choix, nous défendons très expressément à qui que ce soit d’apporter aucun changement dans ledit conseil, suit en l’augmentant ou en le diminuant pour quelque cause que ce puisse être ; voulant néanmoins que lorsqu’il viendra à vaquer quelque place dans le conseil, soit par mort, ou par quelque crime, elle soit remplie par les personnes que la reine régente en jugera capables avec l’avis du conseil, et à la pluralité des voix ; déclarant que nostre intention est, que toutes les affaires de paix et de guerre et autres qui concernent l’état, comme aussi celles qui regardent la disposition de nos finances, soient décidées dans ledit conseil à la pluralité des suffrages.

(6) Nous voulons aussi qu’au cas que les charges de la couronne, celles de surintendant des finances, de premier président de nostre cour de parlement de Paris, de secrétaire d’état, celles de la guerre et des armées, et les gouvernemens des places fortes et frontières viennent à vaquer, elles soient remplies par la reine régente, avec l’avis du conseil, sans lequel elle ne pourra disposer d’aucune desdites charges. Pour ce qui regarde les archevéchez, évêchez et abbayes qui sont de nostre nomination, comme nous avons toujours eu un soin particulier, que ces bénéfices fussent conférez à des personnes d’un rare mérite et d’une piété singulière, et qui eussent fait profession de l’état ecclésiastique pendant trois ans ; après avoir receu tant d’insignes faveurs de la bonté divine, nous croyons être obligé de faire en sorte que le même ordre soit observé à l’avenir.

(7) Pour cet effet nous désirons que la reine régente mère de nos fils imite dans le choix des personnes qui doivent remplir les dignitez ecclésiastiques, l’exemple que nous lui avons donné, et qu’elle se serve en cela de l’avis de nostredit conseiller le cardinal Mazarin, à qui nous avons souvent fait connaître combien nous désirons que Dieu soit honoré dans ces sortes d’élections ; et comme l’éminente dignité à laquelle l’église l’a élevé l’oblige d’en maintenir l’honneur ; ce qu’on ne peut mieux faire qu’en nommant des personnes pieuses aux dignitéz ecclésiastiques, nous nous assurons qu’il ne donnera en cela que des conseils fidèles et conformes à nos intentions, lui qui a donné tant de marques de sa fidélité et de sa capacité au maniement de nos plus grandes et de nos plus importantes affaires, tant dedans que hors de nostre royaume, que c’est avec justice que nous sommes persuadé qu’après nostre décez nous ne pouvons confier l’exécution de cet ordre à qui que ce soit qui puisse s’en acquitter plus dignement : et d’autant que nous avons été obligé par de puissans motifs et par des raisons très importantes au bien de nostre service, d’ôter au sieur de Château-Neuf la charge de garde des sceaux, et de le faire conduire au château d’Angoulême, où il est encore détenu présentement par nostre ordre, nous voulons et entendons que ledit sieur de Château-Neuf demeure dans le même état où il se trouve maintenant dans le château d’Angoulême, jusqu’à conclusion et l’exécution de la paix, à condition néanmoins qu’il ne sera alors mis en liberté que par ordre de ladite reine régente et de l’avis du conseil, qui le reléguera dans quelque lieu, soit dedans ou hors du royaume, selon qu’il sera jugé à propos.

(8) Et comme nostre intention est de prévenir toutes les occasions qui pourroient en quelque manière empêcher l’exécution des ordres que nous donnons pour le repos et la tranquillité de nostre état, la connoissance que nous avons de la mauvaise conduite de la duchesse de Chevreuse, des artifices dont elle s’est servie jusqu’ici pour semer de la division dans nostre royaume, et les intelligences qu’elle a au-dehors avec nos ennemis, nous oblige de lui défendre, comme en effet nous lui défendons, l’entrée de nostre royaume, tant que la guerre durera, voulant en outre qu’après la conclusion et exécution de la paix, il ne lui soit permis de revenir dans nostre royaume que par ordre de la reine régente, avec l’avis du conseil, à condition néanmoins qu’elle fera sa demeure dans un lieu éloigné de la cour et de la personne de la reine. Et à l’égard de nos autres sujets, de quelque qualité et condition qu’ils puissent être, que nous avons obligez de sortir de nostre royaume par condamnation ou autrement, nous voulons que la reine régente ne puisse prendre aucune résolution sur leur retour que du consentement dudit conseil. Nous voulons et ordonnons que nostre très chère et bien-aimée épouse et compagne la reine mère de nos fils, et nostre tres cher et bien-aimé frère le duc d’Orléans prêtent serment en nostre présence, et en présence des princes de nostre sang et des autres princes, ducs, pairs, et maréchaux de France et officiers de nostre couronne, de garder et observer le contenu en nostre présente déclaration, sans y contrevenir en aucune manière.

Si donnons, etc.

  1. C’est ce qu’on appelle le testament de Louis XIII. Ce prince mourut quelques jours après (14 mai}. Nous donnons le texte de cet édit, parce que tout ce qui touche à la régence est important.