Redgauntlet/Chapitre 05

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Redgauntlet. Histoire du XVIIIe siècle
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume XXp. 220-228).


CHAPITRE V.

CONTINUATION DU JOURNAL DE DARSIE LATIMER.

LA PRISON.


J’avais passé, dans mon lit, deux ou trois jours, peut-être plus, peut-être moins ; j’étais attentivement soigné, et traité, je crois, avec autant de précaution que le cas l’exigeait ; j’obtins la permission de me lever, sinon de quitter la chambre. Je fus alors plus à même de faire mes observations sur le lieu de ma captivité.

La pièce que j’occupais ressemblait, pour l’aspect et l’ameublement, au meilleur appartement de la maison d’un fermier ; il était au second étage, et la fenêtre avait vue sur une basse-cour remplie de volailles. Alentour on voyait tous les bâtiments nécessaires à un ménage. Ainsi je pus distinguer la brasserie et la grange, et j’entendis, mais dans le lointain, le mugissement des bestiaux ; tout cela annonçait une ferme considérable et bien montée. Tout ce que je voyais et j’entendais était propre à bannir de mon esprit toute idée de violence. Néanmoins les bâtiments paraissaient anciens et solides, une partie du toit était crénelée, et les murailles avaient une grande épaisseur ; enfin j’observai, avec quelques sensations désagréables, que les fenêtres de mon appartement avaient été depuis peu munies de barres de fer, et que les domestiques qui m’apportaient à manger, ou qui venaient dans ma chambre pour remplir toute autre fonction, fermaient toujours la porte à double tour en se retirant.

Les agréments et la propreté de ma chambre étaient d’un genre véritablement anglais, et tels que je n’en avais jamais vu de l’autre côté de la Tweed ; la très-antique boiserie qui recouvrait les murs et même le plancher était frottée avec un soin que la ménagère écossaise accorde rarement même aux meubles les plus coûteux.

L’appartement approprié à mon usage se composait de la chambre à coucher et d’un petit salon adjacent, sur lequel ouvrait un cabinet encore plus petit ayant une étroite fenêtre qui semblait avoir servi autrefois de meurtrière ; cette embrasure laissait passer très-peu de jour et d’air, puisqu’on ne pouvait apercevoir autre chose à travers que la voûte azurée des cieux, encore fallait-il grimper sur une chaise. Il devait y avoir eu une porte particulière dans ce cabinet outre celle qui communiquait avec le salon, mais elle avait été récemment murée, comme je m’en aperçus en relevant une pièce de tapisserie qui couvrait la maçonnerie encore fraîche. Je trouvai là mes habits, mon linge et différents autres objets, aussi bien que mon nécessaire renfermant plumes, encre et papier, ce qui m’a mis à même, durant mes loisirs, et, Dieu le sait, on ne les trouble pas souvent, de faire cette relation de ma captivité. On doit bien penser néanmoins que je ne me fie guère à la sûreté que semble me promettre mon petit pupitre, mais que je porte sur moi les feuilles écrites, de sorte qu’on ne pourrait me les enlever que par violence. J’ai aussi la précaution de n’écrire que dans le petit cabinet, afin de pouvoir entendre les personnes qui passeraient par les deux autres pièces pour m’approcher, et d’avoir le temps de faire disparaître mon journal avant qu’on arrive près de moi.

Les domestiques, — un vigoureux paysan et une fort jolie fille qui m’a l’air d’une laitière, — par lesquels je suis servi, semblent appartenir à la vieille école de Jeanne et de Hodge[1], pensant peu, ne désirant rien au delà de la sphère très-limitée de leurs devoirs et de leurs jouissances, et exempts de toute curiosité sur les affaires des autres. Leur conduite envers moi en particulier est en même temps très-honnête et très-ennuyeuse, — ma table est abondamment servie, et on semble empressé à satisfaire mes goûts sous ce rapport. Mais aussitôt que je leur adresse une question autre que celle-ci : « Qu’ai-je pour dîner ? » la brute de paysan me jette au nez son « que me voulez-vous ? ou un : je ne sais pas ; » et si je le presse un peu trop, il me tourne le dos avec calme et sort de la chambre. La jeune fille voudrait paraître simple comme lui ; mais un rire espiègle qu’elle ne peut pas toujours réprimer semble prouver qu’elle comprend on ne peut mieux le rôle qu’elle joue, et qu’elle est décidée à me laisser dans l’ignorance. Tous deux, et la fillette en particulier, me traitent comme un enfant gâté ; ils ne me refusent jamais directement quand je leur demande une chose, mais ils se donnent bien garde de faire ensuite honneur à leur parole en satisfaisant ma demande. Ainsi quand je désire sortir, Dorcas me promet que je pourrai me promener dans le parc à la nuit et voir traire les vaches, tout comme elle proposerait un tel amusement à un enfant ; mais elle a soin de ne jamais tenir sa promesse, si toutefois la chose dépend d’elle.

Cependant j’observe que je me laisse aller à une espèce d’insensibilité et d’indifférence pour ma liberté, — à une insouciance sur ma situation, que je ne pourrais expliquer qu’en l’attribuant à l’état de ma faiblesse et à une grande perte de sang. J’ai vu dans les livres que des hommes, enfermés comme moi entre quatre murs, ont surpris le monde par leur adresse en parvenant à surmonter les plus formidables obstacles qui s’opposaient à leur évasion ; et quand j’ai entendu conter de semblables anecdotes, je me suis toujours dit qu’un homme, ne fût-il muni que d’un fragment de pierre ou d’un clou rouillé pour limer ses fers ou briser les serrures, lorsqu’il avait tout loisir désirable pour s’occuper de cette tâche, ne devait jamais rester en prison. Pourtant j’y reste, moi, et les jours se succèdent, sans que je fasse le moindre effort pour reconquérir ma liberté.

Néanmoins mon inactivité n’est point le résultat du désespoir, mais elle naît, en partie au moins, des sentiments d’une nature bien différente. Mon histoire, long-temps mystérieuse, semble être sur le point de recevoir quelque développement bizarre ; et une impression solennelle me dit que je dois attendre le cours des événements, et que lutter contre eux, c’est opposer ma faible résistance à la volonté du destin. Vous, mon Alan, vous traiterez de timidité cette résignation passive qui s’est emparée de moi comme une torpeur engourdissante ; mais si vous n’avez pas oublié les visions que j’ai eues pendant mes rêves, si vous songez seulement qu’il est probable que je sois dans le voisinage, et peut-être sous le même toit que M. V., vous reconnaîtrez que d’autres sentiments que la pusillanimité ont un peu contribué à me réconcilier avec mon destin.

J’avoue pourtant qu’il est indigne d’un homme de se soumettre à cette détention oppressive : mon cœur se révolte à cette idée, surtout quand je commence à raconter mes souffrances dans ce journal ; et je suis décidé, pour faire le premier pas vers ma délivrance, d’envoyer mes lettres à la poste.




Me voilà désappointé. Lorsque Dorcas, la jeune fille à qui j’avais résolu de confier ce message, m’entendit parler de porter une lettre, elle m’offrit de grand cœur ses services, et, avec un sourire qui me montra toute la rangée de ses blanches dents, elle accepta la couronne que je lui donnai, — car ma bourse ne s’est pas envolée avec les valeurs plus considérables de mon porte-feuille.

Mais lorsque, dans l’intention d’obtenir quelques renseignements sur le lieu où j’étais détenu, je lui demandai à la poste de quelle ville elle mettrait ou ferait mettre la lettre, un « que me voulez-vous ? » me montra qu’elle ignorait l’usage d’une poste aux lettres, ou que pour le moment elle voulait paraître l’ignorer. «  Sotte ! » dis-je avec un peu d’aigreur.

« Seigneur mon Dieu ! » répliqua la jeune fille en pâlissant, ce qu’ils font toujours quand je témoigne quelques signes de mécontentement ; « monsieur, ne vous mettez pas en colère, — je mettrai la lettre à la poste.

— Comment ! si vous ne connaissez pas le nom de la ville où est la poste ? » repartis-je avec autant d’impatience. « Par quel moyen voulez-vous y parvenir ?

— Là, mon bon maître, là ! Quel besoin avez-vous d’épouvanter une pauvre fille qui ne sait rien, hormis ce qu’elle a appris à l’école de charité de Saint-Bees ?

— Saint Bees est-il éloigné d’ici, Dorcas ? Est-ce là que vous envoyez vos lettres ? » repris-je d’une manière insinuante, mais d’un air aussi indifférent que possible, néanmoins.

« Saint-Bees ! — Là ! qui pourrait, sans être fou… — Excusez-moi, Votre Honneur ! — Il faut vous le dire, il y a vingt ans mon père demeurait à Saint-Bees qui est à vingt, à quarante, à je ne sais combien de milles de cet endroit, vers l’est, — dans le Northumberland : et je n’aurais jamais quitté Saint-Bees, mais mon père…

— Ah ! le diable emporte votre père ! m’écriai-je.

— Voyons ! quoique Votre Honneur soit un peu… je ne sais comment dire, il ne faut pas envoyer au diable les pères des autres ; et quant à moi, je ne le souffrirai jamais.

— Oh ! je vous demande mille pardons, — je ne souhaite aucun mal à votre père en ce monde, ni dans l’autre ; — c’était sans doute un très-honnête homme à sa manière.

— C’était un honnête homme ! » s’écria-t-elle, car les habitants du Cumberland sont chatouilleux sur l’honneur de leur famille comme leurs voisins les Écossais ; « il est bien aussi honnête que tous ceux qui ont jamais mené un bidet avec la bride sur le cou à la foire de Staneshaw-Bank.

— Eh oui, oui, répliquai-je, je le sais bien. — J’ai entendu parler de votre père, — aussi honnête homme que tous ses confrères les maquignons, parbleu ! et même, Dorcas, j’ai l’intention de lui acheter un cheval.

— Ah ! Votre Honneur, » dit Dorcas en soupirant, « il est homme à bien servir Votre Honneur, — si jamais vous redevenez ce que vous étiez ; et même quoique vous ayez eu la tête un peu étourdie, il ne vous tromperait pas plus que…

— Bien, bien, nous ferons affaire ensemble, ma belle, vous pouvez y compter. Mais dites-moi maintenant, si je vous donnais une lettre, que feriez-vous pour qu’elle parvînt à sa destination ?

— Ma foi, je la mettrais dans le sac aux lettres du squire qui est pendu dans le vestibule ; que pourrais-je faire autre chose ? Le squire envoie à Brampton, à Carlisle, et ailleurs s’il lui plaît, une fois par semaine, — et voilà.

— Ah ! dis-je, et je suppose que c’est votre amoureux Jean qui porte le sac aux lettres ?

— Non, — ce n’est pas lui : — et d’ailleurs Jean n’est pas mon amoureux depuis qu’il a dansé à la fête de sa mère avec Kitty Rutlege, et m’a laissée tout le temps sur ma chaise ; oui, il l’a fait.

— C’est vraiment abominable de la part de Jean, et je ne l’en croyais pas capable, répliquai-je.

— Mais il l’a fait pourtant, — il m’a laissée tout le temps assise sur ma chaise ; il l’a fait.

— Bien, bien, ma jolie fleur de mai, vous choisirez un plus beau garçon que Jean : — Jean n’est pas un garçon qui vous convienne, je vois cela.

— Non, non, répliqua Dorcas ; il était assez bien pourtant, monsieur. Mais, malgré tout, je me soucie aussi peu de lui que d’une tête d’épingle — car il y a le fils du meunier qui m’a fait la cour aux foires dernières d’Appleby où j’ai été avec mon oncle ; c’est un garçon bien tourné, comme vous le verrez, quand le soleil luira pour vous.

— Oui, un beau gaillard bien vigoureux. — Croyez-vous qu’il porterait ma lettre à Carlisle ?

— À Carlisle ! il n’irait pas pour sa vie ; il faut qu’il soit à la meule et au moulin, comme on dit. Dieu ! son père lui romprait les os s’il allait à Carlisle, quand il ne s’agit pas de lutter pour avoir le prix, ou en pareille occasion. Mais j’ai d’autres amoureux que lui. Le maître d’école entre autres, qui écrit presque aussi bien que vous, monsieur.

— Alors c’est l’homme par excellence pour porter une lettre, il connaît la peine qu’on a pour en écrire une.

— Oh ! oui vraiment ! si vous chantez sur cet air-là, monsieur ; seulement il lui faut quatre heures pour écrire quatre lignes. Puis, c’est une grande écriture ronde qu’on peut lire aisément, et qui ne ressemble pas à celle de Votre Honneur, qu’on prendrait pour des pattes de mouche. Mais pour aller à Carliste, il ne faut pas y songer, monsieur ; il boite comme la jument d’Eckie.

— Au nom du ciel, dis-je, comment vous proposez-vous de faire parvenir ma lettre à la poste ?

— Ma foi, en la mettant dans le sac du squire ; il l’envoie par Cristal Nixon à la poste, comme vous appelez cela, quand tel est son plaisir. »

J’étais peu édifié de la liste des amants de Dorcas, et sous le rapport des informations que je désirais, je me trouvais précisément au même point d’où j’étais parti. Il était important pour moi, néanmoins, d’accoutumer la jeune fille à causer familièrement. Si elle causait ainsi, elle ne pouvait pas se tenir toujours sur ses gardes, et peut-être, pensais-je, lui échapperait-il quelques mots dont il serait possible de tirer parti.

« Le squire ne regarde-t-il pas ordinairement dans le sac aux lettres, Dorcas ? » dis-je avec le ton le plus indifférent que je pus prendre.

— Il n’y manque jamais, et même il en a retiré une lettre que j’envoyais à Raff Miller, parce que, disait-il…

— Bien, bien ! il ne se donnera point cette peine-là pour la mienne, Dorcas. Mais j’ai besoin de lui écrire à lui-même, Dorcas. Quelle adresse mettrai-je sur ma lettre ?

— Que voulez-vous dire ? » fut encore la ressource de Dorcas. « Je vous demande comment il s’appelle ? — quel est son nom ?

— Certainement Votre Honneur le sait mieux que moi.

— Je le sais, moi ! — du diable ! — vous me faites perdre patience.

— Non, non ; que Votre Honneur ne s’impatiente pas. Quant à son nom, on dit qu’il en porte plus d’un dans le Westmoreland de l’autre côté de la frontière, en Écosse ; mais il n’est que rarement parmi nous, hormis dans la saison de la chasse ; et alors nous l’appelons simplement le squire, et mon maître et ma maîtresse l’appellent de même.

— Et, est-il ici pour le moment ?

— Non, il n’y est pas. Il est à chasser le daim, dit-on, un peu au-delà de Patterdale ; mais il va et vient comme un tourbillon de vent. »

Je rompis alors la conversation, après avoir forcé Dorcas à accepter encore une pièce d’argent pour acheter des rubans ; ce dont elle fut si charmée, qu’elle s’écria : « Dieu ! Cristal Nixon peut dire de vous tout le mal qu’il voudra ; mais vous êtes vraiment un monsieur bien poli, et un homme bien tranquille avec les femmes. »

Il n’est pas raisonnable d’être trop tranquille avec les femmes : aussi ajoutai-je un baiser à mon offrande ; et je ne puis m’empêcher de croire que je me suis fait une amie de Dorcas. Du moins elle rougit en recevant d’une main mon petit compliment, tandis que de l’autre elle rajustait les rubans couleur de cerise un peu dérangés dans la lutte qu’il m’en coûta pour obtenir l’honneur d’une embrassade.

Comme elle ouvrait la porte de la chambre pour sortir, elle se retourna, et me regardant avec un air de tendre compassion, elle ajouta ces mots : « Là ! — fou ou non, c’est un brave jeune homme malgré tout. »

Il y avait quelque chose de frappant dans ces paroles d’adieu, et qui semblait me fournir l’explication du prétexte sous lequel j’étais détenu. Ma conduite était probablement assez folle, lorsque j’étais agité en même temps par le délire qu’occasionne la fièvre, et par l’inquiétude que produisait en moi ma situation extraordinaire ; mais est-il possible que maintenant on trouve dans l’état de mon esprit un prétexte pour me détenir encore ?…

Si telle est réellement la raison qui m’a fait ravir la liberté, il n’y a plus alors que la paisible uniformité de mes actions qui puisse détruire les préjugés que ces circonstances peuvent avoir excités dans les esprits de tous ceux qui m’approchaient pendant ma maladie. — J’ai entendu… souvenir terrible ! parler de gens qui, enfermés pour différentes raisons autres que la folie, dans des maisons particulières de fous, se sont trouvés, après des années de misère, avoir eux-mêmes la tête dérangée, par suite d’une irrésistible sympathie avec les êtres misérables parmi lesquels ils étaient classés. Tel ne sera point mon destin, si une ferme résolution peut garantir un homme d’une fatale influence.

Cependant, je m’assis pour recueillir mes idées, afin de composer la lettre que j’avais l’intention d’écrire à mon geôlier, — car c’est le nom qu’il mérite. Elle contenait en substance ce que je vais vous dire, après que j’eus déchiré plusieurs brouillons, et fini par trouver un langage propre à exprimer le ressentiment qui éclatait avec trop de violence dans les premières lignes de mes autres lettres, quoique je m’efforçasse de prendre un ton conciliant. Je rappelai les deux occasions où il m’avait certainement sauvé la vie au milieu des plus grands périls, et j’ajoutai que, quel que fût le motif de la détention à laquelle j’étais soumis par ses ordres, ce ne pouvait être assurément avec l’intention d’employer ensuite la violence contre moi. Il pouvait, disais-je, m’avoir pris pour une autre personne ; et j’ajoutai tous les détails que je savais moi-même sur ma position dans le monde, et sur la manière dont j’avais été élevé, pour dissiper son erreur. Je supposai ensuite qu’il était possible qu’il me crût trop faible pour voyager, et incapable de prendre moi-même soin de moi ; je le suppliai de croire que j’étais parfaitement rétabli, et de force à supporter les fatigues d’un voyage ; enfin, je lui rappelai, d’un ton ferme mais mesuré, que la détention que je souffrais était illégale et de nature à être sévèrement punie par les lois qui protègent la liberté des citoyens. Je finis en demandant à être conduit devant un magistrat, ou du moins à être honoré d’une entrevue particulière avec lui, où il m’expliquerait sa conduite à mon égard.

Peut-être cette lettre était-elle conçue en termes trop humbles pour un homme victime de l’injustice, et je suis disposé à le croire, lorsque maintenant je la repasse dans ma mémoire ; mais que pouvais-je faire ? J’étais au pouvoir d’un homme dont les passions semblent être aussi violentes que ses moyens de les satisfaire paraissent illimités. J’avais aussi raison de penser (faites attention à ceci, Alan) que toute sa famille n’approuvait pas l’arbitraire de sa conduite à mon égard ; mon but enfin était la liberté, eh ! que ne sacrifierait-on pas pour la reconquérir ?

Je ne pus mettre une autre adresse que celle-ci : « Au Squire, en mains propres. » Il ne pouvait être fort éloigné, car je reçus une réponse dans l’espace de vingt-quatre heures ; elle était adressée à Darsie Latimer, et contenait ces mots : « Vous m’avez demandé une entrevue. Votre premier désir sera satisfait, peut-être le second aussi ; en attendant, soyez certain que vous êtes prisonnier pour l’instant de par une autorité suffisante, et que cette autorité est appuyée par un pouvoir nécessaire. Gardez-vous donc de lutter contre une force capable de vous écraser, mais abandonnez-vous au cours des événements par qui nous sommes tous deux ballotés, et auxquels il est impossible que nous résistions ni l’un ni l’autre. »

Ces mots mystérieux étaient sans signature d’aucune espèce, et ne me laissaient rien de mieux à faire qu’à me préparer à l’entrevue qu’elles promettaient. En conséquence, je dois quitter ici la plume et mettre mon manuscrit en sûreté, — autant que je puis, dans ma situation présente, être sûr de quelque chose, — en le cachant dans la doublure de mon habit, de façon qu’on ne le trouve pas à moins d’une stricte recherche.



  1. Interlocuteurs d’une pastorale anglaise. a. m.