Reflets d’antan/Stadaconé

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Reflets d’antanGrander Frères, Limitée (p. 93-95).


XIII

STADACONÉ


 
Cependant, sur les bords, la chaloupe amarrée
Se cabrait au retour de la haute marée.
La brise fraîchissait. Le grand fleuve, gonflé,
Se berçant comme au vent se berce un champ de blé,
Paraissait de nouveau remonter vers sa source.
Il fallut s’embarquer. Les vaisseaux, dans leur course,
Rasèrent bien longtemps, avec rapidité,
Un rivage dont rien n’égalait la beauté.

Les sauvages debout sur le pont du navire,
Jetaient sur cette terre un regard en délire.
Que de pensers touchants leur rappelaient ces bois !
Ils avaient libres, gais, passé là maintes fois,
Poursuivant l’orignal sur les profondes neiges,
Ou forçant l’ours grognard à tomber dans leurs pièges.
Et Cartier, l’oeil fixé sur l’horizon lointain,
Espérait, tout ému, voir paraître soudain,

Comme un géant tombe sur les flots diaphanes,
Cet énorme rocher recouvert de cabanes
Dont les deux Indiens lui parlèrent souvent.
Des matelots chantaient, réunis à l’avant.

Les marins, vers le soir, longent encore une île,
Une île riante, une île plus fertile
Que celles qui d’abord enchantèrent leurs yeux.
C’est un brillant joyau que le fleuve orgueilleux
Sertit avec amour dans son onde sereine ;
C’est le plus bel anneau de cette longue chaîne
Que forment sur le fleuve, et jusque dans les mers,
Cent îles au front ceint d’épais feuillages verts.
De ses sauvages fleurs un doux parfum s’échappe ;
La vigne la couronne, et sa brillante grappe
Semble rire au soleil à travers les rameaux.

Un grand cri tout à coup s’élève des vaisseaux,
Monte jusques au ciel, et fait trembler les ondes.
Cent clameurs aussitôt, formidables, profondes,
Du milieu des forêts répondent à ce cri.
Devant les bâtiments, formant un vaste abri,
S’avançait dans le fleuve un rocher âpre et sombre :
Son flanc se hérissait de cabanes sans nombre ;
Son sommet couronné d’arbres majestueux,
Semblait, dans son orgueil, aux vents impétueux

Jeter un fier défi. Cet étonnant village
Sur les cimes perché comme un aigle sauvage,
Ce roc où dès longtemps la haine avait trôné,
C’était le grand hameau ; c’était Stadaconé.

À l’abri des antans, à l’abri des orages,
Reposez-vous ici, près de ces fiers rivages,
Ici reposez-vous, ô glorieux vaisseaux !
Dans les airs parfumés déroulez vos drapeaux !
N’êtes-vous donc point las de vos étranges courses ?
En vain vous tenteriez de voguer jusqu’aux sources
De ce fleuve profond, dont le merveilleux cours,
Comme un autre océan, se déroule toujours !