Retour (Jean Polonius)

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Poésies (p. 24-28).
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C’est assez, loin de ta présence
M’exiler, sans pouvoir te fuir ;
Je suis las d’une indifférence
Que j’affecte ; sans la sentir.
Comme à son nid l’oiseau sauvage,
Comme la vague à son rivage,
Comme le cerf au bord des eaux,
À tes pieds ramené sans cesse,
J’y viens encor, dans ma faiblesse,
Chercher l’amour au prix des maux.


J’ai voulu te cacher ma peine ;
Mais tu lis trop bien dans mon cœur ;
Tu sais trop que ma gaieté vaine
N’est qu’une flamme sans chaleur.
Le désespoir a beau sourire,
Sa gaieté ressemble au délire,
Son calme au calme du tombeau ;
Dans ses fers il s’agite, il chante ;
Mais les sons que sa bouche enfante
En son âme n’ont pas d’écho.

J’ai cherché le bruit, la poussière,
Les jeux, l’air brûlant du plaisir ;
Mais cette fièvre passagère
M’a fatigué, sans me guérir.
L’éclat du jour, le bruit du monde,
Peut de mon âme vagabonde
Eloigner un moment tes traits ;
Mais sitôt que le jour s’achève,
Comme une étoile qui se lève,
Avec la nuit tu reparais.


Planant dans l’ombra sur ma couche,
Un rêve à moi t’offre soudain ;
Ma bouche en feu presse ta bouche,
Mon sein brûlant bat sur ton sein ;
Nos vœux, nos soupirs se répondent,
Nos doux haleines se confondent,
Je suis, je presse le bonheur,
J’y touche enfin ! — Trompeuse image !
C’est l’air, le vide, un froid nuage
Que j’ai serre contre mon cœur !

Las du bruit de la multitude,
J’ai fui les hommes et le jour ;
Mais il n’est point de solitude
Pour celui qu’a blessé l’amour.
Dans le désert, dans le silence,
Il est pour lui, malgré l’absence,
Un son de voix persécuteur,
Un œil brillant, que rien n’efface,
Une ombre, qui toujours se place
Entre la nature et son cœur.


Hélas ! plus digne de l’entendre,
Jadis j’avais su l’adorer ;
J’avais un cœur pour la comprendre,
J’avais des yeux pour l’admirer.
Seule, elle était toute mon âme ;
Nul autre objet, nulle autre femme
N’allumait encor mes fureurs ;
J’aimais des sons et des images,
Le vent, les rochers, les nuages,
Les eaux, la lumière, et les fleurs.

Aujourd’hui, sourde à la nature,
Mon âme est comme un luth brisé :
Arbres, soleil, rochers, verdure,
Tout à mes yeux s’est effacé.
Que l’air soit sombre, ou sans nuage,
Pour moi, prive de son langage,
Le ciel n’est plus qu’un livre obscur,
Tout est vide et monotonie,
Les vents n’ont plus de mélodie,
Les flots ne roulent plus d’azur.


J’ai vu des femmes, dont ma lyre
Avait su captiver le cœur ;
J’ai vu des yeux, dont le sourire
Semblait m’inviter au bonheur.
Mais, dédaigneux de sa conquête,
J’ai passé, sans lever la tête
Vers l’étoile qui m’avait lui ;
Astre éphémère, de sa flamme
Il n’a fait qu’effleurer mon âme,
Et n’a laissé qu’ombre après lui.

Enfant volontaire et bizarre,
Au bien présent fermant les yeux,
C’est quand l’abîme nous sépare,
Que je l’appelle de mes vœux.
Des fleurs qui croissent dans la plaine
Vainement l’amoureuse haleine
M’invite à les venir chercher ;
Je fuis, je cours, dans mes caprices,
Poursuivre au bord des précipices
La fleur sauvage du rocher.