Revue de métaphysique et de morale/1927/juillet-septembre

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SUPPLÉMENT DE LA REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE

Ce supplément ne doit pas être détaché pour la reliure.
No DE JUILLET-SEPTEMBRE 1927

LIVRES NOUVEAUX

Le progrès de la conscience dans la philosophie occidentale, par Léon Brunschvicg. 2 vol. in-8o de xxiii-364 et 441 p. Paris, Alcan, 1927. — Comme dans ses précédents ouvrages sur l’évolution de la pensée mathématique et de la pensée physique, M. Léon Brunschvicg adopte encore ici la méthode historico-critique, qui combine heureusement l’enchaînement des faits et des découvertes avec une interprétation critique montrant, dans cet enchaînement même, le déroulement dramatique de l’éternel conflit entre le dogmatisme de la science faite et l’esprit de liberté de la science qui se fait. « La philosophie contemporaine est une philosophie de la réflexion qui trouve sa matière naturelle dans l’histoire de la pensée humaine. » L’histoire proprement dite n’est donc qu’une « matière ». Pour l’informer, pour qu’elle soit à la fois une réflexion et une source de progrès, il faut en saisir les alternatives et en pénétrer le sens dialectique, en quelque sorte : « les systèmes du xixe siècle, même ceux qui ont fait la plus grande part à la considération du passé, comme l’hégélianisme ou le comtisme, n’en ont pas moins conservé l’ambition de se placer et à l’origine et au terme de tout ce que les hommes comprennent ou comprendront jamais, expérimentent ou expérimenteront jamais. Nous avons appris aujourd’hui à chercher la vitalité du savoir, fût-ce du savoir positif, dans les alternatives du mouvement de l’intelligence » (p. xviii). Ce renoncement à l’ambition des constructions définitives semble bien être, suivant M. Brunschvicg, le résultat capital de la science moderne dans l’ordre philosophique, et non un produit de la philosophie elle-même. Le progrès de la science moderne a essentiellement « un caractère réflexif », et la philosophie a pour tâche d’en prendre conscience. De là, dans le domaine spéculatif, une sorte de décalage entre les méthodes fécondes et la conscience de ces méthodes ; de là, dans le domaine pratique, de violentes ruptures d’équilibre, entraînant des réactions non moins violentes, qui sont comme la rançon du progrès moral ; de là, enfin, la nécessité de tenir compte, pour l’intelligence du progrès de la conscience dans son ensemble, de la « diversité des plans » que cette conscience est appelée à parcourir.

Au cinquième siècle avant J.-C., un grand fait s’est produit, préparé par une merveilleuse floraison de poètes, de physiologues, de techniciens et de sophistes, « un appel à la conscience de soi, qui devait marquer d’une empreinte désormais indélébile le cours de notre civilisation ». Avec Socrate apparaît le discernement rationnel, et la raison pratique se découvre elle même. À cet humanisme rationnel Platon s’efforcera de fournir les points d’appui que lui manquent, en passant du « dialogue » à la « dialectique », de la loi positive à la justice idéale. Mais la décadence commence aussitôt après ce triomphe ; les platoniciens altèrent la pensée du maître ; l’hellénisme est « brusquement détruit », l’Asie prend sa revanche, et la régression vers le Moyen Âge commence immédiatement après la prise d’Athènes (p. 44, 45). De ce point de vue, le Lycée et le Portique cessent de jalonner la route du progrès. Si Aristote revient à l’humanisme, ce n’est pas à l’humanisme de la raison ; sa doctrine marque un retour au réalisme antésocratique. Quant aux stoïciens, leur morale à base de naturalisme physique est avant tout un optimisme religieux. Bien que leur imagination toute matérialiste fût au service d’intentions visiblement spiritualistes, ils n’ont pas su dégager le sens profond de l’autonomie, et leur théologie a versé finalement dans les extravagances de l’allégorisme. Malgré les apparences contraires, les Épicuriens ont en réalité mieux défendu que l’école rivale la pureté du sentiment religieux (p. 68).

Après des chapitres pleins de saveur sur le mysticisme alexandrin et la transition médiévale, l’auteur aborde les temps modernes et situe dans les Essais le moment historique de la crise d’où est sorti, avec Descartes, « et avec Descartes seul », le véritable humanisme de la sagesse, un instant apparu, pour disparaître aussitôt, à l’époque de Socrate. Pourquoi « Descartes seul » ? Parce qu’avec lui l’intelligence scientifique prend sa valeur positive et essentielle. « Il n’y a pas, chez Descartes, de révolution philosophique à part de la révolution mathématique… Sa méthodologie mathématique fournit à l’idéalisme ce que Platon avait cherché vainement, et faute de quoi l’intelligence des μαθήματα devait se perdre dans le verbalisme des λόγοι » (p. 142). Et voici déclenchée l’impulsion donnée aux esprits par le cartésianisme. Le christianisme tout intellectualiste de Spinoza ramène la pensée religieuse d’Orient en Occident, du Dieu d’Abraham vers le Dieu en esprit et en vérité (p. 188). Le rationalisme catholique trouve en Malebranche un éclatant interprète ; la religion de Leibniz s’achève sur le plan esthétique. Malgré leur génie, ces deux grands représentants de la raison du xviie siècle sont impuissants à restaurer le rêve de l’unité chrétienne, brisé par la Réforme (p. 259). Le xviiie siècle est un siècle d’incertitudes.

La seconde partie de l’ouvrage se subdivise en quatre livres, dont les titres sont assez significatifs pour qu’il soit superflu d’en analyser longuement le contenu : le premier traité de l’évolution de la métaphysique allemande (idéalisme critique et réaction romantique) ; le second, des systèmes inspirés plus ou moins consciemment du déterminisme psychologique (économistes du xviiie siècle, Adam Smith, Helvétius, Bentham, James Mill et Stuart Mill, Taine, Ribot) ; le troisième, des synthèses sociologiques et des philosophies du progrès, de Montesquieu à Durkheim et Lévy-Bruhl ; le quatrième, de la philosophie de la conscience (de Condillac à Bergson, en passant par Maine de Biran, Cousin, Ravaisson, Renouvier, Lachelier, Hamelin, Lagneau, Cournot, Boutroux, Amiel). Enfin, les deux derniers chapitres, relatifs aux conditions du progrès spirituel et à la conscience religieuse, exposent les conclusions de cette vaste enquête.

Aux yeux de M. Brunschvicg, le progrès de la conscience ne s’est accompli, semble-t-il, qu’au prix de luttes incessamment renouvelées contre le dogmatisme de la transcendance et la tyrannie des idoles du verbalisme de la Raison. Au xviiie et au xixe siècles, malgré de vigoureuses poussées vers l’affranchissement, l’idéalisme vrai a été continuellement compromis par des retours au réalisme desséchant. Mais, au xxe siècle, la science positive a enfin trouvé — ou retrouvé — la pleine conscience de la liberté de ses démarches ; le rapport de la science à la conscience s’est trouvé comme retourné par la transformation de l’idée fondamentale que les savants s’étaient faite jusqu’alors de la connexion entre la mathématique et la physique. C’est dans cette révolution des sciences exactes — et ici, c’est surtout à la théorie de la relativité que l’auteur fait allusion — qu’il faut chercher le modèle et le principe de la notion adéquate du progrès spirituel. « La spiritualité de la civilisation moderne repose sur le nouveau type, sinon d’intelligence, du moins de pensée, que la science a mis en œuvre et dont on peut dire qu’il est au réalisme conceptuel d’un Zénon d’Élée ou d’un Aristote ce que la sympathie intellectuelle est à la sympathie instinctive » (p. 688). C’est au moment où éclatent les vieux cadres, « où disparaît le mirage de la certitude synthétique qu’apparaît la vérité progressive de l’analyse » (p. 781). Faisons profit de l’exemple donné par la réflexion scientifique pour nous éclairer au sujet du progrès moral et du progrès religieux. Pour le pragmatisme d’un William James, encore apparenté à la mentalité primitive, le Dieu immanent de la conscience contemporaine n’est qu’un « idéal abstrait ». Il en sera toujours de même tant qu’on rêvera d’une religion transcendante à la vérité de la philosophie, en même temps que d’une philosophie transcendante à la vérité de la science. Le sort futur de l’homo sapiens dépendra de l’énergie avec laquelle il saura surmonter les contradictions entre transcendance et vérité, entre « participation à l’être » et « participation à l’un ».

Cette conception de l’idéal humain, M. Brunschvicg l’avait déjà indiquée et même largement esquissée dans ses travaux antérieurs. Cette fois, il la développe dans toute son ampleur avec une autorité impressionnante, en l’appuyant à l’histoire de la pensée occidentale envisagée sous tous ses aspects et dans ses divers, plans de conscience. Certaines condamnations du passé, peut-être trop sévère, certaines appréciations de doctrines, un peu troublantes par leur allure paradoxale, appelleraient des réserves. Mais, ceci dit, il nous plaît de constater qu’on n’a jamais dénoncé et combattu l’esprit de système avec plus de vigueur, de largeur d’esprit et de pénétration critique, tout en opposant au scepticisme la vertu d’un optimisme puisé aux sources profondes de la réflexion, optimisme qui est le trait marquant de ce rare tempérament philosophique.

La Nature et l’Esprit, par Émile Boutroux. Un vol. in-8o de 273 pages. Paris, Vrin, 1926. — Les onze conférences réunies sous ce titre, qui est celui de la première du recueil, donnent un aperçu d’ensemble, compréhensif et exact, de la philosophie d’Émile Boutroux. Cette philosophie peut se résumer : un éloquent plaidoyer en faveur du primat de la vie spirituelle. L’esprit, sans doute, ne peut être et agir qu’en harmonie avec la nature ; mais il est faux de prétendre qu’il n’a d’autre occupation possible et légitime que de prendre conscience des lois de la nature et de s’y conformer. La réalité de la vie spirituelle ne peut être infirmée par aucun progrès des sciences et de la vie positive. La valeur supérieure de la science consiste en ce qu’elle est d’abord une renonciation de l’homme à son moi sensible. La première méthode de connaissance avait été de juger les choses d’après soi, de les apprécier ex unalogia hominis ; le point de vue scientifique a consisté à les regarder de leur point de vue à elles, à expliquer l’univers par l’univers, ex analogia universi. Mais, à la réflexion, on finit par s’apercevoir que cette conception tout objective des choses pose des problèmes qu’elle ne peut résoudre, et l’homme se prend à regarder en arrière et à se demander s’il n’y avait rien de raisonnable et de légitime dans sa première manière de considérer les choses. C’est ainsi qu’une méditation impartiale et approfondie nous invite à reconnaître une valeur irréductible à l’art, à la morale et à la religion. Ce travail de restitution des valeurs est la tâche de la philosophie proprement dite. La science n’est pas notre seul organe de connaissance ; la vie humaine, à tout instant, en met en jeu un autre, qui est ce qu’on appelle la raison, racine commune de la science et de l’action, principe plus profond que toute synthèse des sciences particulières, « unité foncière du sens du réel et du sens de l’intelligible ». Mais la conception de la philosophie comme développement contingent et autonome de la raison, réfléchissant sur la science et la vie, n’a rien que de parfaitement compatible avec l’existence et l’autorité de la science.

Un tel point de vue, pour rationaliste qu’il soit, permet cependant de rajeunir le problème des rapports de la religion et de la raison en ne se contentant plus de l’expédient trop commode de la cloison étanche. La religion n’est pas la contemplation pure et simple d’une perfection transcendante et inaccessible, comme le supposait Épicure ; c’est le royaume de Dieu se réalisant sur la terre. Elle satisfera la raison si elle est orientée vers les problèmes mêmes que notre science et notre vie posent à notre réflexion. Remontant à la source même de l’être, la religion intéresse l’homme tout entier. Il est vain de se demander si elle est plutôt affaire de sentiment, ou d’intelligence, ou de volonté. Elle a son siège dans ce fonds de l’âme où l’un et le multiple se pénètrent, caractère qui déjà parait dans ce que nous appelons la vie.

De ce point de vue il est possible aussi de lever l’antinomie, qui pèse sur les consciences contemporaines, entre la conscience individuelle et la loi. Si habilement que soit faite la délimitation des deux domaines, elle restera toujours artificielle. L’homme est un, comme le monde où il vit. Conscience et loi sont deux créations de l’esprit, non deux choses préexistantes et impénétrables, et leur pénétration doit être maintenue, favorisée et réalisée le mieux possible dans les sociétés existantes.

Cet enseignement, qui remonte à vingt-cinq ans environ, n’a rien perdu de sa force et de sa vérité. Il demeurera à l’ordre du jour de la philosophie contemporaine dans la mesure où celle-ci, ne se bornait pas au rôle d’unificatrice du savoir, prétendra en outre assumer celui de régulatrice et de directrice de la réflexion sur l’homme et la vie.

Analyse de l’esprit, par Bertrand Russell, traduit de l’anglais par M. Lefebvre. Un vol. in-8o de 309 pages. Paris, Payot, 1926. – Comme l’indique le titre, c’est surtout de psychologie qu’il est question dans ce livre. L’auteur y expose ses vues personnelles, en se référant de préférence à William James, au behaviourisme et au néo-réalisme américains. Ses conceptions et sa manière d’envisager les problèmes sont toujours originales et primesautières. La distinction fondamentale entre esprit et matière, l’opposition du mental et du physique lui apparaissent comme étant du ressort de la « philosophie populaire ». La conscience n’est pas une donnée, ni un fait premier c’est un « phénomène complexe », qui est loin de constituer le trait caractéristique universel des phénomènes mentaux. Quant à la matière, elle n’est finalement qu’une « fiction logique », qui a été inventée parce qu’elle fournit un moyen commode de formuler des lois causales. En dernière analyse, ce qui caractérise le plus essentiellement le psychique, ce sont les lois causales qui lui sont propres, et où interviennent l’habitude et la mémoire ; de là un déterminisme spécial, le déterminisme mnémique, expression empruntée aux travaux de R. Sémon. Ceux qui considèrent la conscience comme fondamentale voient en elle une propriété s’étendant à toute notre vie mentale, une propriété distincte des images, des sensations, des souvenirs et des croyances, mais présente dans toutes ces manifestations. On est cependant obligé d’admettre l’existence de croyances inconscientes et de désirs inconscients. De plus, la conscience doit être conscience de quelque chose. On peut définir la conscience comme un rapport existant entre une image et un mot, par exemple, c’est-à-dire en fonction de ce qu’on nomme une signification. Lorsqu’une sensation est suivie d’une image qui en est une copie, on peut dire que l’existence de l’image constitue la conscience de la sensation, à la condition qu’elle soit accompagnée d’une croyance faisant sentir que l’image est un signe de quelque chose d’autre qu’elle-même (p. 289). Cette définition de la conscience par la signification, qui, à son tour, se définira par l’association des images, nous semble assez décevante, sinon sophistique.

La psychologie de Bertrand Russell laisse entrevoir une métaphysique s’inspirant du néo-réalisme : la « substance du monde », ou la réalité ultime ne serait ni mentale, ni matérielle, mais neutre, et c’est de cette substance neutre que seraient faits aussi bien le monde mental que le monde matériel. À cette substance fondamentale correspondra probablement un jour une « science fondamentale et unificatrice », qui nous révélera les lois de corrélation « des détails constituant une unité matérielle », envisagée dans l’un quelconque de ses états momentanés, et qui formulera les lois causales du monde dans les termes de ces détails et non dans les termes de la matière, qui est une construction logique et un système fictif imaginé pour les besoins de la pratique (p. 307). De cette science future, véritable métaphysique, nous sommes encore loin. Il ne s’ensuit pas qu’il soit erroné de la prévoir.

De telles vues, certes, ne manquent ni de séduction ni de hardiesse. Toutefois, on peut se demander si des spéculations aboutissant au contre-pied des notions du sens commun, alors qu’à tout moment ces mêmes notions, avec leur acception vulgaire, interviennent pour étayer les raisonnements, sont vraiment profitables à la philosophie générale. Au demeurant, livre obscur, de lecture malaisée ; mais à tout le moins représentatif de l’état actuel de la réflexion philosophique dans les pays de langue anglaise.

Les courants de la pensée philosophique française, par A. Cresson, 2 vol. in-16 de 210 et 212 p. Paris, Armand Colin, 1927. Résumé de l’histoire des idées philosophiques en France, de Montaigne à Bergson, ce livre de M. Cresson n’est pas un simple manuel de vulgarisation. Frappé de l’apparence confuse qu’offre aujourd’hui, la diversité des doctrines et des points de vue philosophiques, l’auteur essaie de l’expliquer en une certaine mesure, en ce qui concerne en particulier notre pays, par le conflit qui, à partir de la Renaissance, n’a pas cessé de mettre aux prises l’esprit de libre réflexion théorique et les besoins du conservatisme éthique et social. De là des ressauts, des scissions et des tourbillons dans le grand courant de l’affranchissement intellectuel que représente la pensée française dans son ensemble. Malgré les réactions et les divergences, elle manifeste une incontestable unité de direction. Les philosophes français les plus récents, même les plus originaux, suivent à leur manière les voies où leurs prédécesseurs s’étaient engagés. Les uns continuent plus ou moins fidèlement le mouvement positiviste ; les autres « ne cherchent qu’un moyen ingénieux d’échapper aux suggestions déterministes des sciences parce qu’ils les estiment contraires aux besoins moraux de l’âme humaine », mais leurs réactions mêmes attestent la force de la poussée à laquelle ils essaient de résister. Au xixe siècle, notamment, on voit la pensée française « terrifiée de ses propres destructions », comme l’apprenti sorcier de la légende, et « acharnée à redorer, tout en abandonnant le moins possible des conquêtes théoriques de la science, les préjugés d’ordre pratique dont la société humaine a besoin ».

Il y a sans doute beaucoup de vrai dans ce tableau. Cependant une telle conception paraît un peu trop simple. Les métaphysiciens français, et il y en a plus d’un, même de nos jours, n’obéissent pas à un simple souci de conservatisme social. Voir les choses de cette façon, n’est-ce pas, semble-t-il, faire litière des besoins propres de la réflexion philosophique, que l’insuffisance des généralisations basées sur la seule science positive ne saurait satisfaire, même et surtout sur le terrain strictement théorique, et qui demeurent inassouvis, quels que soient, d’ailleurs, les progrès des disciplines spéciales de la connaissance exacte ? Le sentiment de cette insuffisance radicale et le besoin métaphysique ne font qu’un. Les grands philosophes modernes se sont préoccupés, il est vrai, d’accorder leurs doctrines à la morale. Mais il est sûrement faux de prétendre que c’est le besoin de cet accord qui est l’unique source de leur méditation. L’affirmer, c’est se ranger soi-même dans le camp positiviste et non dominer le champ de bataille.

Ceci n’empêche pas qu’il y ait d’excellents chapitres dans cet ouvrage, fort bien composé et clairement écrit. Ceux consacrés à Pascal et à Malebranche sont remarquables. En ce qui concerne Descartes, il semble que M. Cresson ait donné plus d’attention au Descartes physicien qu’à l’auteur des Méditations et des Principes. Pour ce qui est de la philosophie contemporaine, le lecteur s’étonnera peut-être de ne trouver que quelques lignes sur Lachelier et sur Hamelin, de voir Bergson exposé et exécuté en trois pages, alors que plus de quinze pages sont absorbées par les divagations du Système de politique positive.

Les problèmes de l’induction, par M. Dorolle, avec préface d’André Lalande, 1 vol. in-16 de xii-146 p. Paris, Alcan, 1926. — L’induction n’est pas un processus logique simple, comme on l’enseignait naguère, qui se définirait aisément par opposition à son contraire, la déduction. Elle comporte plusieurs problèmes distincts, qui veulent être examinés séparément et en détail. Elle n’est, essentiellement, ni recherche des « causes », ni extension à tous les individus, dans une classe préalablement définie, de ce qu’on a observé sur quelques-uns d’entre eux. Ce qui la caractériserait le mieux, ce serait peut-être la vieille formule baconienne : interpretatio naturae.

Dans un premier chapitre, M. Dorolle étudie le mécanisme de la généralisation ; dans le second, celui de la détermination expérimentale ; le troisième et dernier chapitre dégage les problèmes logiques et les problèmes philosophiques que pose l’induction. Le travail de pensée commence à partir de la donnée, qui implique déjà toute une élaboration, et l’induction est proprement l’ensemble des opérations par lesquelles on passe des données à la loi. Mais la loi scientifique revêt deux aspects principaux. Elle est d’abord une expression de régularité et de fréquence des phénomènes ; ensuite, par le progrès de la réflexion, elle tend à exprimer les rapports constitutifs ou mécanismes élémentaires des phénomènes, et à restaurer ainsi l’idée d’essence, que l’antiquité avait mise en lumière, mais de façon abstraite et ontologique. Quant au problème de la valeur de l’induction, qui n’est plus d’ordre logique, il semble qu’il se ramène finalement à une confiance dans la pensée scientifique qui se nourrit et se consolide par le travail même de la science, fabriquant en quelque sorte un tissu de plus en plus serré et étendu de corrélations. Ni l’empirisme, ni le pur rationalisme ne sauraient ici donner satisfaction.

Ces idées ne sont pas entièrement nouvelles. Elles s’inspirent, et l’auteur ne le dissimule pas, de divers travaux, notamment des précieuses analyses d’Hamelin et des précisions apportées par M. Darbon. Le principal mérite de ce livre nous paraît être de bien montrer la complexité de ce vaste sujet, et de mettre de l’ordre dans la foule des questions qu’il soulève, grâce à une méthode rigoureuse et scrupuleuse, ne se contentant pas d’à peu près.

Le retour éternel et la philosophie de la physique, par Abel Rey, 1 vol. in-18 de 320 p. Paris, E. Flammarion, 1927. — Les progrès de la théorie cinétique des gaz et le triomphe de l’atomistique ont eu, comme l’on sait, une influence considérable sur la signification qu’il convient d’attribuer au second principe de la thermodynamique et à ses corollaires : irréversibilité des systèmes physico-chimiques réels, dégradation de l’énergie, accroissement fatal de l’entropie. Sans que l’exactitude de ces conséquences soit entamée, on ne leur accorde plus toutefois, aujourd’hui, une portée théorique universelle et une valeur absolue. Elles expriment les faits à notre échelle, dans la limite des grandeurs et des durées au milieu desquelles se meut notre action sur les phénomènes. Mais, à l’échelle des grandeurs moléculaires et pour qui dispose du temps sans compter, les certitudes déduites du second principe perdent leur caractère absolu ; ce ne sont plus que des probabilités, dont les contraires, dès lors, sont aussi des probabilités, à la vérité très petites, mais ne sont nullement des impossibilités. On n’a jamais vu, à la roulette, une même couleur sortir cinquante fois de suite ; mais si la roulette tournait pendant des siècles, le fait finirait par se produire.

De ce chapitre d’histoire de la physique, M. Rey fait un exposé clair et attachant. Il montre comment le point de vue de l’énergétique pure s’est modifié nécessairement à la lumière de la théorie cinétique, grâce, notamment, aux travaux de Boltzmann, et sous l’influence des découvertes du mouvement brownien et des fluctuations. Le principe de Carnot est inapplicable aux éléments microscopiques de la matière ; dans sa véritable signification, il est une « loi d’improbabilité » (p. 241). Dans l’évolution des systèmes vers « le plus probable », il y a toujours sursaut vers « l’un peu moins probable », et, dans des limites restreintes, dans l’ordre de grandeur des « fluctuations », le principe de Carnot est continuellement violé (p. 269).

De là à conclure que l’idée de retour éternel, c’est-à-dire d’une évolution cyclique de l’univers, au lieu d’une évolution toujours dans le même sens, qui paraissait triompher au siècle dernier, s’impose de nouveau avec une force irrésistible et une rigueur accrue par les récentes découvertes de l’atomistique, il y a sans doute un grand pas. M. Rey n’hésite pas à le franchir. Extrapolation gigantesque, soit, mais inévitable. Il ne s’agit pas de contester les droits de la thermodynamique classique, qui reste pratiquement vraie ; mais, après en avoir limité le domaine, on peut conclure que l’idée de retour éternel est « une exigence expérimentale de l’objet, en même temps qu’une exigence rationnelle du sujet relativement à la connaissance » (p. 303). Elle apparaît finalement « comme une des idées directrices fondamentales de notre science » (p. 309).

Que l’aspect cyclique des phénomènes soit intimement lié à une conception purement mécanistique de l’Univers, nous n’en disconvenons pas. Toutefois, même sur le plan mécanique, l’idée d’évolution cyclique soulève des difficultés. En admettant qu’elle s’impose pour des systèmes atomiques finis, ne voit-on pas qu’elle perd toute signification précise pour l’Univers envisagé dans sa totalité, car on ignore si le nombre de ses éléments composants est fini, et à quelle espèce d’unité élémentaire s’applique finalement la question de la répétition indéfinie de configurations identiques, comportant le même état cinématique et dynamique. Est-ce à la molécule physique, à l’atome chimique, à l’électron, ou à quelque élément plus ultime encore que l’électron, que la physique de demain inventera ? Avant de songer à résoudre le problème, il faudrait essayer de le poser en termes bien définis ; or cette précision nous échappe.

Au surplus, l’idée de retour éternel, telle que l’exprime Nietzsche, en un langage poétique, débordant de lyrisme, telle qu’on la rencontre déjà dans la philosophie antique, ou encore telle qu’elle est reprise par des auteurs contemporains, cités par M. Rey (Auguste Blanqui, Gustave Lebon), est loin d’être une conception strictement cosmologique, une vérité de pure physique cosmique. Ceux qui l’ont formulée l’ont fait en termes psychologiques, tout chargés d’une sorte d’émotion religieuse, qui s’empare d’eux devant le mystère enfin révélé des destinées du monde. Pourquoi cette émotion, pourquoi ce vertige, s’il ne s’agissait pour eux, avant tout, de la destinée humaine ? « Cette vie, telle que tu la vis actuellement, telle que tu l’as vécue, écrit Nietzsche, il faudra que tu la revives encore une fois, et une quantité innombrable de fois… L’éternel sablier de l’existence sera retourné toujours à nouveau, et toi avec lui, poussière des poussières. » « Ce que j’écris en ce moment dans un cachot du fort du Taureau, dit Blanqui, je l’ai écrit et je l’écrirai pendant l’éternité sur une table, avec une plume, sous des habits, dans des circonstances toutes semblables… L’univers se répète sans fin et piaffe sur place. L’éternité joue imperturbablement dans l’infini les mêmes représentations. » L’idée de retour éternel implique visiblement alors un parallélisme psycho-physique aussi rigoureux que celui qu’a pu rêver l’épiphénoménisme le plus extravagant. Nous voici loin de la physique mathématique, en pleine métaphysique, et une métaphysique des plus suspectes. En quoi d’ailleurs, cette vision est-elle si impressionnante, à moins que la mémoire ne s’y mêle, et que l’on ne suppose implicitement que les atomes, gardant en quelque sorte le souvenir des systèmes qu’ils ont formés, recréent, en les reformant, des consciences qui se rappelleraient leurs états passés ? Condition sine qua non, faute de laquelle le retour éternel n’a rien qui nous puisse émouvoir, car étant alors pour nous comme s’il n’était pas, il nous laisse indifférents. Que m’importe d’avoir vécu des millions d’existences pareilles, si ma conscience n’en garde aucune trace ! Je ne m’en soucierai pas plus que de la fameuse loi de Karma des théosophes. La prestigieuse découverte, qui saisit d’abord d’horreur l’inventeur de l’Uebermensch, puis le transporte de joie dyonisiaque, quand on l’analyse, se résout en une généralisation téméraire et pseudo-scientifique d’une vérité physique, d’ailleurs problématique à la limite, et d’une conception psychologique dénuée de sens. Au fond, l’idée du retour éternel, qui s’apparente à celle de la « grande année » des stoïciens et à de vieux mythes cosmogoniques, est un exemple de ce qui reste en nous de la mentalité primitive. Laissons-la aux poètes et aux littérateurs qui trouvent encore du charme aux modes de penser périmés. La réflexion philosophique d’aujourd’hui est orientée vers d’autres horizons.

Les formes inférieures de l’explication, par Daniel Essertier, 1 vol. in-8o de iii-355 p. Paris, Alcan, 1927. — Le progrès intellectuel humain ne livre pas son secret à qui n’étudie que les « fragments de l’évolué », en essayant vainement, par eux, de reconstituer l’évolution elle-même, ni à qui s’applique à l’évolution des catégories, au lieu de considérer l’évolution des problèmes. « Nous ne pensons qu’en face d’une difficulté, et le problème est l’aiguillon de l’intelligence » (p. 6). D’abord se sont posés les problèmes exclusivement pratiques, qui ne sont pas d’un niveau sensiblement plus élevé que ceux que l’intelligence animale est capable d’aborder sous la pression du besoin, mais avec cette différence essentielle cependant que, chez l’homme, le souvenir des difficultés vaincues et des dangers évités survit à la satisfaction obtenue. La mémoire enregistre les recettes, et l’homo faber, en possession d’une technique, si rudimentaire soit-elle, est en marche sur une voie où l’animal ne s’est jamais engagé. Mais, bornée à la satisfaction des besoins courants, la technique matérielle se figerait vite dans la routine, si d’autres facteurs n’intervenaient. L’artisan n’est qu’un mécanicien qui s’ignore. Il fabrique et façonne, mais il n’explique pas. Le problème proprement dit, le problème en soi et pour soi, se pose lorsque l’étonnement entre en jeu, et, avec lui, la création des causes : une émotion et une imagination trouvant des dérivatifs à l’émotion sont à l’origine de la tendance explicative. L’esprit a soif d’affirmation ; le doute lui est intolérable. Il ne s’agit plus ici seulement du besoin de vivre et d’agir, mais de la nécessité de l’équilibre mental. En créant des causes, « la conscience primitive mettait fin au trouble singulier et violent qui s’emparait d’elle en face de certains phénomènes » (p. 113), notamment en face des météores terrifiants. Un état d’anxiété originelle, en même temps qu’une fécondité imaginative, dont les sujets eidétiques fournissent encore aujourd’hui des exemples, tel serait le point de départ de l’explication. S’inspirant à la fois de l’ethnographie, de la psychologie infantile et de la psycho-pathologie, l’auteur reprend le vieux thème de la crainte mère des dieux, en insistant sur ce point qu’il y a là une émotion sui generis, mêlée d’étonnement et d’inquiétude, en un mot une peur mystique. Avec la causalité mystique, constituant le premier principe d’explication des phénomènes, apparaît la magie, qui n’est pas seulement une technique illusoire, mais aussi une discipline d’actions à base affective et émotive. L’opération magique a un caractère « dramatique ». De même source que la religion, dont elle ne se distingue pas dans les sociétés inférieures, la magie établit entre les phénomènes des liaisons nécessaires. De là, la croyance si répandue qu’elle est la mère de la science. M. Essertier estime qu’elle n’est pas fondée. En réalité, la magie tourne le dos à la science, quoiqu’elle donne parfois l’illusion d’une discipline rationnelle. Sans la révolution cartésienne, l’alchimie aurait pu durer indéfiniment et la chimie scientifique n’en serait jamais sortie. « La technique du merveilleux, loin de préparer les voies de la science positive, est à ses antipodes » (p. 213.).

Selon une théorie en vogue, la conscience primitive aurait une logique à elle ; elle serait « prélogique ». Théorie inacceptable, déclare M. Essertier, de même que la doctrine sociologique pure, qui attribue à la collectivité l’invention de la logique d’où procéderait la raison moderne. La prétendue indifférence des « primitifs » à la contradiction repose sur une erreur d’interprétation. D’autre part, nos catégories ne sont pas issues des catégories primitives. « Les distinctions tranchées, la rigueur et le formalisme de la réglementation religieuse et sociale, la répartition en classes des objets et des êtres de l’univers ne décèlent nullement dans la conscience primitive le pressentiment de la légalité scientifique » (p. 237). Quant à la pensée collective, son rôle a été plutôt de s’opposer au progrès intellectuel ; en consolidant le système d’explications mystiques, elle a érigé sur sa route des obstacles qui semblaient infranchissables.

Le « redressement de l’explication » a exigé « une véritable conversion de l’esprit humain ». L’auteur la rattache directement à la formation de la personnalité. L’unanimité primitive s’est lentement désagrégée, en même temps que le plan mystique s’est rétréci. Mais ces circonstances favorables ne suffisaient pas. Il a fallu en outre des personnalités exceptionnelles et des races exceptionnellement douées. C’est en Grèce, et avec la révolution socratique qu’ont été jetés les fondements de la vraie science. Mais il s’est encore écoulé des siècles avant l’avènement des disciplines positives.

L’auteur analyse les causes, plus d’une fois signalées avant lui, de l’avortement partiel de la science grecque. Au Moyen Âge s’est même reconstituée l’unanimité mystique originelle. Une nouvelle révolution a été nécessaire, et c’est avec Descartes qu’elle s’est accomplie. L’ère de l’investigation scientifique est-elle maintenant définitive ? On n’en sait rien. Les régressions sont toujours à craindre. Le dogmatisme tend invariablement à restaurer les formes inférieures de l’explication, et à remplacer l’état problématique par l’état théorématique.

Seul, le doute né du libre examen est générateur de progrès.

Dans son ensemble, la conception de M. Essertier est visiblement d’accord avec la tradition philosophique et l’histoire. Sa critique pénétrante et souvent décisive écarte les théories trop simples, imprégnées d’un déterminisme préconçu, de même que la métaphysique nébuleuse des purs sociologues. On pourrait toutefois lui reprocher certaines affirmations trop tranchées, lui demander à quel critère exactement il reconnaît ce qu’il dénomme forme supérieure de l’explication. Nous ne pensons pas qu’il y en ait finalement d’autre que le succès, ce qui n’est pas un critère rationnel. Il est vraiment trop facile de répéter : Qui jugera la Raison, si ce n’est elle-même ? On ne voit pas bien non plus pourquoi il tient tant à opposer la science à la technique, alors qu’il reconnaît lui-même que « l’attitude du savant est celle de l’homo faber » (p. 268). Enfin, c’est peut-être aller trop loin que d’attribuer à un génie individuel, fût-il Descartes, l’impulsion qui a déclenché le formidable mouvement de la science moderne. Mais n’insistons pas sur ces objections de détail et contentons-nous d’acquiescer sans réserve à la conclusion : « L’humanité, pas plus que l’individu, n’a de sens en dehors de son histoire. Elle est devenue ce qu’elle est. L’étude des origines et des transformations n’est pas un simple chapitre des sciences psychologiques et sociales : elle en est une partie essentielle » (p. 348). L’importance du point de vue historique n’a jamais été mieux mise en lumière, ce qui est déjà assez dire en faveur de ce livre fort remarquable.

Le Relief de la Terre ; ses origines, ses lois, son évolution, par Paul Soulier, 1 vol. in-8o de x-432 p. avec figures et planches hors texte. Paris, Alcan, 1925. — Bien que ce travail ne rentre pas dans le cadre des ouvrages habituellement analysés dans le Supplément, nous croyons utile de le signaler ici parce qu’il constitue un intéressant essai d’application du calcul des probabilités et de la méthode statistique à l’étude du relief du sol. Au point de vue épistémologique, c’est une tentative qui mérite à tout le moins de retenir l’attention.

Si l’on appelle points du sol terrestre des éléments de la surface de la lithosphère ayant même superficie en projection horizontale et suffisamment petits pour que chacun ait sensiblement la même altitude sur toute son étendue, la courbe hypsographique est formée par tous ces points, rangés dans un même plan vertical par ordre d’altitude décroissante. On peut considérer le globe comme suffisamment connu pour que l’allure générale de cette courbe ne subisse pas de modifications notables par le progrès des mesures topographiques. M. Soulier propose une interprétation nouvelle de cette courbe en partant de l’idée que le relief terrestre résulte à tout moment des processus orogéniques créant les inégalités du sol, et de l’action des fluides superficiels, qui tendent à niveler ces inégalités. Il appelle relief structural le relief terrestre tel qu’il se présenterait en l’absence de toute érosion, et courbe hypsographique structurale la courbe représentant ce relief dans les mêmes conditions que le relief actuel. Pour tracer la courbe hypsographique structurale, il l’assimile à la courbe des écarts, telle que la définit le calcul des probabilités, mais en tenant compte du sens des écarts par le moyen d’ordonnées positives et négatives. Il obtient ainsi une courbe à point d’inflexion, au lieu de la classique courbe en cloche, concave dans la partie des ordonnées positives et convexe dans la partie des ordonnées négatives, l’axe des abscisses correspondant à l’altitude zéro, c’est-à-dire au niveau d’équidéformation, antérieurement considéré par A. Romieux, qui représente une surface de niveau idéale, telle que les terres situées au-dessus ont exactement le même volume que celui des eaux situées au-dessous, de sorte que, si la Terre était parfaitement nivelée, suivant une surface géodésique, elle serait exactement limitée à la surface d’équidéformation. L’Océan recouvrirait alors la Terre entière sur une épaisseur de 2 600 mètres environ. Si, ensuite, sur la même épure, on affectue le tracé de la courbe hypsographique réelle, ou courbe hypsographique empirique, résultant des observations géodésiques, on est conduit, par la comparaison des deux courbes, à diverses constatations instructives, que la figuration adoptée met nettement en lumière. L’allure de la courbe déduite des observations se trouve expliquée rationnellement. Notamment, l’influence des mouvements orogéniques sur l’ensemble du modelé apparaît bien moindre qu’on ne l’imagine communément, au regard des effets de l’érosion et de l’accumulation des sédiments. Il convient, d’ailleurs, de rappeler que l’interprétation de la courbe hypsographique a déjà tenté les géodésiens et les géographes. Romieux y a consacré un mémoire marquant ; Wegener a pris comme point de départ de sa théorie les inflexions de la courbe ne répondant pas à la loi des écarts ; Baulig a récemment appliqué une méthode statistique analogue à l’analyse du relief de la Bretagne. Le livre de M. Soulier, qui renferme un grand nombre de déterminations numériques, fournit un bon exemple de la pénétration des méthodes statistiques en géologie, domaine où les hypothèses tectoniques, souvent conjecturales, ne sauraient intervenir seules pour rendre compte du relief terrestre.

Étude sur le Parménide de Platon, par Jean Wahl, 1 vol. in-8o, 277 p. Paris, Reider et Cie, 1926). — Cette étude, qui paraît dans la Collection de philosophie et de mystique, dirigée par Pierre Morhange, avait, si nous ne nous trompons, été présentée à l’Académie des Sciences morales et politiques, qui lui avait décerné le prix Victor Cousin. M. Wahl a seulement complété son texte, « tel qu’il était en 1923 », par des références à l’introduction de M. Diès pour une excellente traduction du Parménide dans la collection Budé, par un Appendice où le scrupule de M. Wahl le porte à enrichir de quelques nuances complémentaires un ouvrage déjà si riche en nuances profondes et précieuses. M. Wahl, en effet, a utilisé, pour interpréter Platon, trois procédés qui, à chaque instant, se rencontrent et finissent par converger : suivre dans chacune de ses sinuosités, si subtil, si inextricablement subtil qu’il paraisse, le cours éristique du dialogue ; ne négliger aucun des commentaires, si divergents qu’ils soient entre eux, dont l’antiquité ou la critique moderne l’ont accompagné ; enfin, se souvenir et, au besoin, s’inspirer des philosophes, postérieurs à Platon, si éloignés qu’ils aient été ou qu’ils se soient crus du platonisme. Aucun résumé ne saurait être tenté qui donne une idée de la maîtrise avec laquelle M. Wahl s’est acquitté de la tâche triplement formidable qu’il s’était proposée. Il a su ramener tous les détails d’une argumentation qui égale en virtuosité dialectique la difficulté du texte vers le thème central du retour à Platon. Mais nous pouvons emprunter à la conclusion de M. Wahl la page où il a lui-même condensé le résultat de son effort : « Comprendre le Parménide, c’est donc suivre un mouvement ou, plutôt, plusieurs mouvements de la pensée, tourbillonnant en quelque sorte sur elle-même, prouvant à la fois la transcendance et l’immanence de l’un, l’ɛ̀πέχεινα, faîte étincelant dont nous aspirons en vain à redescendre, et la χοτνωνίχ, le caractère absolu et le caractère relatif de la négation comme de l’affirmation, poursuivant le chemin des hypothèses diverses pour se débarrasser de toutes les hypothèses et pour les rassembler toutes, et au bout de cette πλάνη voulant condenser dans un instant, dans cette chose absurde qui n’a pas de place dans le temps, le développement même du temps. L’effort de la dialectique serait de s’achever et de s’annihiler dans l’instant, comme dans le τρίτον, de façon qu’on ne passât plus du blâme à la louange, d’une thèse à une autre, de l’affirmation à la négation, mais que la pensée les contînt en soi en même temps. Et ce tourbillonnement n’est pas vain : l’idée d’un monde ordonné se constitue dans le désordre ; au néant de la première hypothèse, au chaos de la seconde, à l’éclair de la troisième succède l’ordre. L’absolu reste, impensable et présent. Mais relativité et spiritualité ont été en même temps affirmées » (p. 219).

La Philosophie de saint Anselme. Ses principes, sa nature, son influence, par Charles Filliatre. 1 vol. in-8o de xv-473 pages. (Collection historique des Grands Philosophes.) Paris, F. Alcan, 1920. — L’exposé de la philosophie de saint Anselme est une entreprise que l’histoire de la philosophie médiévale tente périodiquement, et que, malgré son apparente simplicité, il est malaisé de mener à bien. L’auteur de ce nouvel essai s’y est du moins employé sans ménager sa peine et apporte d’intéressants résultats. Après avoir tenté de définir les rapports de la raison et de la foi chez saint Anselme, il divise la doctrine en deux grandes parties : la théorie de la connaissance et la théorie de l’action. La théorie de la connaissance nous élève par degrés de la connaissance sensible à la connaissance rationnelle, puis à la connaissance intuitive ; c’est à propos de cette dernière que l’auteur rencontre et étudie soigneusement le fameux argument qui devait jouer un rôle si fécond sous le nom d’argument ontologique. Quant à la doctrine de l’action, elle part de l’étude préalable de la volonté divine pour redescendre vers ce qu’eût été une volonté humaine idéale, telle qu’elle était dans l’état de pure nature, et atteindre enfin l’état actuel de notre volonté déchue par le péché. Toute cette étude s’achève par une détermination de l’idée de Béatitude, avec le caractère mystique dont Anselme l’a revêtu, et l’esquisse d’une histoire de l’influence anselmienne depuis le xiie siècle jusqu’à Kant. L’ouvrage abonde en remarques intéressantes et en aperçus ingénieux ; il est malheureusement surchargé de détails mal ordonnés et d’une érudition parfois indigeste qui en rend l’utilisation moins aisée qu’on eût été en droit de le souhaiter. Ajoutons que, malgré l’intention louable exprimée par l’auteur de nous donner pour la première fois un exposé complet de la philosophie de saint Anselme, la séparation qu’il a dû introduire entre la philosophie et la théologie dans une doctrine où elles sont pratiquement inséparables, l’a gêné considérablement dans la réalisation de son projet.

Fichte et son Temps, II. Fichte à Berlin (1799-1813. Deuxième partie. La lutte pour l’affranchissement national, 1806-1813), par Xavier Léon. 1 vol. in-8o de x-329 p. Paris, librairie Armand Colin, 1927. — Voici le troisième et dernier volume du grand ouvrage à l’élaboration duquel M. Xavier Léon a consacré son existence. Ajoutez-y le volume intitulé : La Philosophie de Fichte, et paru en 1902, cela fait quatre volumes, hors ligne par la pénétration de l’analyse et la richesse de l’information. Quel autre philosophe, dans l’Occident moderne, a eu la fortune de trouver un pareil biographe ? Ce dernier volume est sans doute le plus dramatique des quatre, celui qui offre l’intérêt le plus vivant.

Non que la philosophie pure en soit absente. L’analyse des Cours de 1812-1813 sur la Théorie de la Science, le Droit, la Morale, la Logique transcendantale, les Données de la Conscience, permet, à M. Xavier Léon d’appliquer la même méthode que dans le volume antérieur, et avec le même bonheur, à élucider le problème de ce qu’il est convenu d’appeler la « deuxième philosophie » de Fichte. Sa philosophie paraissait dépassée, sa gloire était obscurcis, par l’avènement de l’Ontologie schellingienne, de la « Philosophie de la Nature » ; et les romantiques schellingiens l’accusaient de s’être fabriqué un nouveau système, plagié du leur, pour leur ravir quelque chose du succès qu’ils obtenaient auprès de la jeunesse allemande. Rien de pareil. Fichte ne parle le langage de la « Philosophie de la Nature » que pour la réfuter et l’assimiler, en le transformant, à cette Philosophie critique, à ce Moralisme, qui reste immuablement sa doctrine, M. Xavier Léon se rend compte de ce qu’il y a de difficile, de « tragiquement » difficile (p. 233) dans l’accomplissement de ce tour de force, et combien de capitulations Fichte est obligé de faire à l’ontologisme de son adversaire. Mais c’est inconsciemment, involontairement. Ce qu’on observe en lui, c’est un effort constant, fût-il désespéré, pour rester fidèle à l’inspiration première de sa pensée.

Il en va de même des accusations de nationalisme et de pangermanisme qui ont été si souvent dirigées contre Fichte, et surtout depuis la dernière guerre : à lire ceux qui l’accusent, on dirait parfois qu’ils le tiennent, en dernière instance, pour le principal responsable de cette guerre. Sur ce point encore, la méthode de M. Xavier Léon lui permet de rectifier de faciles et grossières erreurs. Le présent volume, le plus historique de tous, constitue une contribution des plus importantes à la connaissance des années décisives de l’histoire de la Prusse, depuis l’invasion napoléonienne jusqu’à la guerre de délivrance. Voici Fichte, le francophile obstiné, brusquement éveillé de son rêve par la guerre, en fuite vers Königsberg, vers Copenhague, revenant à Berlin pour y vivre sous la domination française, prononçant à l’Université ses Discours la Nation Allemande sans que personne y prenne même garde ; les Discours ensuite publiés, et obtenant un succès foudroyant ; Fichte, redevenu un grand homme pour ses compatriotes, nommé par le gouvernement recteur de cette jeune Université de Berlin pour laquelle il venait de faire, avant qu’elle vît le jour, les plans les plus utopiques, en butte bientôt aux persécutions des étudiants réactionnaires, et démissionnaire forcé. Le voici, enfin, spectateur de la guerre de 1813, pour être emporté par un mal foudroyant, à l’âge de cinquante-deux ans, au moment même où les armées allemandes passaient le Rhin. Or, ces persécutions des étudiants réactionnaires, auxquelles nous venons de faire allusion, nous éclairent sur le véritable rôle de Fichte à travers cette crise. Les Discours ne sont pas l’explosion spontanée d’un nationalisme invétéré. Ils constituent une tentative pour capter, au profit de ses convictions égalitaires et humanitaires, quelque chose de cet enthousiasme aveugle pour l’affranchissement de la nation qui soulevait la jeunesse allemande. La guerre éclate : il interrompt son cours pour faire à ses auditeurs une leçon de circonstance. Et rien de guerrier dans cette leçon, véritable leçon de casuistique morale, pour mettre en garde ceux qui l’écoutent contre l’excès possible de leur patriotisme : « Quiconque introduisait dans l’humanité une seule idée féconde en lumières ou en actes faisait plus de mal à l’ennemi que s’il avait tué cent mille hommes, car il empêchait des millions d’hommes de devenir, en un certain sens, des ennemis : pour être invisible aux yeux du vulgaire, cette victoire-là n’en était pas moins profonde et pas moins efficace » (p. 247). Le voici, quelques mois plus tard, rédigeant, sur la question de la guerre nationale, un écrit qui ne peut être interprété que comme une âpre critique de l’appel du roi de Prusse à son peuple (p. 250-251), et puis, exaspéré par l’égoïsme de ces princes qui, après avoir trahi l’Allemagne dans la défaite, vont la trahir dans la victoire, exprimer l’idée (p. 259) que « mieux vaudrait peut-être la domination sur une partie de l’Allemagne d’un ancien maréchal de France, d’un Bernadotte, imbu, dès sa jeunesse, des principes de la Révolution, de l’esprit de la liberté, que celle d’un de ces princes allemands bouffis d’orgueil, sans mœurs, sans politesse, sans intelligence ». On voudrait que la mort l’eût épargné, et qu’il nous eût été donné de le voir en face d’une Sainte-Alliance qu’il aurait détestée après l’effondrement du Napoléonisme qu’il maudissait. Il serait probablement resté celui que M. Xavier Léon nous montre, aux dernières pages de son livre, « le lutteur héroïque, né pour combattre, pour flétrir, pour protester toujours,… justement révolté, mécontent (p. 285).

Proceedings of the international Congress of Philosophy. — Harvard University Cambridge, Massachusetts, United States of America. September 13-14-15-16-17, 1926. Editor Edgar Sheffield Brightmann (Boston University), New-York, 1 vol. in-8 de lxxxii-711 p. Longmans, Green and Co, 1927. — Notre collaborateur E. Gilson a déjà rendu compte dans cette Revue de ce sixième Congrès qui, grâce à l’esprit d’organisation et au zèle du Comité américain, fut, parmi les Congrès de philosophie, l’un des plus réussis, l’un de ceux dont le succès fut le plus éclatant. Le présent volume, magnifiquement édité, est le recueil des Actes de ces Assises philosophiques. Il contient d’abord tous les préliminaires du Congrès : Annonces, questionnaires circulaires, invitations, listes du Comité international, du Comité d’organisation, du Comité exécutif, des membres actifs ou associés, de la Commission internationale permanent, fixation du VIIe Congrès, programme du VIIe Congrès, séances d’ouverture et adresses.

Il contient ensuite l’ensemble des communications publiées in extenso dans les quatres langues admises. Il contient, enfin, le compte-rendu du banquet de clôture avec les discours qui y furent prononcés.

Recueil éminemment intéressant qui complète de la manière la plus heureuse les publications des Actes des Congrès de Paris, de Genève, de Heidelberg et de Bologne, et qui a sa place marquée dans toutes les Bibliothèques philosophiques ; recueil qui fait honneur à ceux qui l’ont rédigé et qui montrera, une fois de plus, l’intérêt que présentent, pour la philosophie et pour la constitution d’un esprit international, ces réunions périodiques où se rencontrent les penseurs des différentes nations et où se nouent ces relations personnelles qui contribuent d’une manière si efficace à la compréhension et à une estime mutuelles des peuples.

Un seul regret à exprimer : on eût aimé avoir la physionomie des discussions qui ont suivi les communications, comme cela avait été le cas pour plusieurs des Congrès précédents.

Principia mathematica, par A.-N. Whitehead et B. Russell, tome I. Seconde édition, 1 vol. in-8o de 674 p. Cambridge, University Press, 1925. — Le Supplément de la Revue a analysé (mars 1911) la première édition de ce célèbre ouvrage. La deuxième édition reproduit la première ; mais les auteurs ont ajouté une introduction d’une quarantaine de pages dans laquelle ils résument les principaux progrès réalisés depuis quinze ans dans le domaine de la logique mathématique. Les sujets étudiés dans cette introduction sont les suivants : les propositions moléculaires, les fonctions élémentaires d’individus, les propositions générales à champ limité, les fonctions considérées comme variables, les fonctions autres que les matrices, les classes, l’induction mathématique. Les contributions les plus importantes apportées à la logique mathématique dans ces quinze dernières années sont, selon nos auteurs, l’œuvre de MM. Hilbert, Bernays, Chwistek, H. Weyl, Brouwer, König, Lewis, H.-M. Scheffer, J. Nicod, Schönwinckel.

Pour examiner avec fruit les nombreuses et difficiles questions étudiées, il faudrait leur consacrer un travail étendu ; espérons que la Revue le donnera un jour. Bornons-nous, dans cette note bibliographique, maintenant que le temps écoulé (vingt ans ont passé depuis les discussions de Poincaré et de Couturat) nous permet de formuler un jugement impartial, d’indiquer en quelques mots l’importance du présent ouvrage.

Sans doute, Poincaré avait raison contre Couturat quand il niait que la logique symbolique pût jamais avoir un rôle analogue à celui du calcul infinitésimal, mais il avait tort d’en conclure qu’elle n’avait à cause de cela aucune importance. Dans le développement de l’axiomatique dû à Hilbert et à ses élèves, dans les travaux de l’école polonaise dont l’organe principal est la Fundamenta mathematica, dans les problèmes qui relèvent de la General Analysis au sens de Moore, la logique symbolique a été d’un puissant secours. Il ne suffit pas, comme l’ont fait quelques philosophes, d’essayer, pour rabaisser la portée de la logique symbolique, de la rattacher à quelque vieille thèse de l’École, à l’aristotélisme, par exemple. Les questions se sont considérablement modifiées depuis vingt-cinq siècles et doivent être examinées par des méthodes intrinsèques. Le rôle fondamental de la logique symbolique dans les recherches axiomatiques a été, du reste, mis en évidence avec force par Hilbert lui-même. Les résultats que lui et ses élèves, l’école polonaise, Moore et d’autres ont obtenus établissent l’importance de l’œuvre de MM. Whitehead et Russell. Nous ne pouvons que regretter que, depuis la disparition prématurée de Couturat et Nicod, personne en France n’ait poursuivi les études de logique symbolique. Espérons que ces savants logiciens retrouveront un jour ici des continuateurs.

Grundlegung der Ethik als Wissenschaft, par Johannes Rehmke. 1 vol. in-8o, 150 p. Leipzig, Guelle und Meyer, 1925. — Si la morale est une science, elle doit avoir un objet bien déterminé. Quel sera cet objet ? Il ne peut être que la moralité. C’est donc une définition du moral, de la moralité, que cherche l’auteur ambitieux de donner, après quelques autres, un fondement à la morale. Son effort principal tend à préciser la signification de ce terme et de quelques autres, ce qui lui permettra, par la suite, d’écarter comme ne s’accordant pas avec les définitions qu’il a posées, les doctrines qui lui déplaisent. On voit ce que cette méthode, chère à l’auteur, car il l’emploie dans tous ses ouvrages, et dont le choix peut se justifier par d’illustres exemples, a d’un peu surprenant à notre époque. À l’inconvénient qu’elle a d’être purement dialectique, s’en joint un autre pour l’étranger : l’auteur est conduit assez naturellement à attribuer à des distinctions verbales une grande portée philosophique. L’opposition, devenue, depuis Tönnies, classique en Allemagne, des sociétés et des communautés, se trouvera, par exemple, justifiée par l’emploi qu’on fait du mot Mitglieder, quand on parle des membres d’une société, et du mot Glieder, quand il s’agit des membres d’une communauté. Les premiers sont des associés, dirions-nous, des co-partageants ; les seconds sont les parties constituantes du tout auquel ils appartiennent. Le vocabulaire allemand et le français ne se correspondent pas assez exactement pour que la présence ou l’absence d’un préfixe puisse avoir à nos yeux tant d’importance.

Nous nous bornerons donc à indiquer la position que prend M. Rehmke dans son dernier chapitre. Une volonté morale est une volonté inspirée par l’amour no 2, qu’il faut bien se garder de confondre avec l’amour no 1. L’amour no 1 est la connaissance du plaisir que nous pouvons tirer de l’objet aimé. L’amour no 2 est la connaissance de l’union qui existe entre nous-mêmes en tant qu’êtres conscients, et d’autres êtres conscients. Quel but une volonté inspirée par l’amour no 2 se propose-t-elle ? Elle tend à hausser à plus de clarté la conscience de l’être aimé. Il n’est pas douteux que l’on ne puisse tirer de ces propositions de beaux préceptes de conduite, et c’est à quoi ne manque pas l’auteur. A-t-il donné à la morale un caractère bien rigoureusement scientifique ? Nous n’oserions l’affirmer.

Die Erkenntnis der Wirklichkeiten, par Hans Beggerow. 1 vol. in-8o, xlii-558 p., trois tableaux. (Halle a. d. Saalle), Max Niemeyer, 1927. — Ce gros ouvrage porte un sous-titre qui renseigne sur les intentions de l’auteur. Son point de départ est l’idéalisme transcendantal, mais il veut suivre, plus avant qu’on ne l’a fait avant lui, la voie ouverte par Kant et croit que, par la critique de ce qu’il appelle le « donné », il est possible de parvenir à un « réalisme transcendant », c’est-à dire à la « connaissance des réalités ». M. Beggerow distingue trois ordres de réalité, lesquels soutiennent entre eux, bien entendu, des rapports qu’il cherche à déterminer. En premier lieu, une réalité « morphique » qui correspond au monde tel qu’il est connu empiriquement par l’usage que nous faisons de nos sens ; en second lieu une réalité « hylique » correspondant au monde tel que le conçoit la physique mathématique, et, enfin, une réalité « psychique », la vie de l’esprit sous ses différents aspects. La première réalité et la troisième sont, non dans leur être, sans doute, mais dans leur paraître, objets d’expérience directe (Schlichte Erfahrung), la deuxième, objet d’expérience réfléchie. Il y a bien, comme on le croyait, une limite à la connaissance proprement dite, mais cette limite n’est pas infranchissable. La raison avec ses catégories et ses principes ne se contente pas d’intervenir activement dans la connaissance du monde de l’expérience possible. Elle peut, s’appuyant sur le « postulat de la totalité », qui lui est essentiel, s’élever, à l’aide du sentiment pur (esthétique, moral, religieux), jusqu’à la réalité absolue, en acquérir une expérience « acosmistique ».

On voit par ces trop brèves indications que M. Beggerow a de hautes ambitions. Nous devons ajouter qu’il a beaucoup de savoir, que son livre, avec ses « intermèdes » et les nombreuses citations de Gœthe, de Hölderlin, où se complaît l’auteur, est d’une lecture assez facile et agréable, qu’enfin la façon dont il présente ses idées a quelque chose d’attrayant dans son audace un peu ingénue.

Begriff und Beziehung, par Wilhelm Burkamp. 1 vol. in-8o, xvi-306 p., Leipzig, F. Meiner, 1927, — Le problème que l’auteur de cet ouvrage cherche à résoudre pourrait, ce nous semble, se poser à peu près en ces termes : une fois reconnue l’insuffisance de la vieille logique de l’école et la nécessité d’introduire, aussi bien dans l’étude du concept que dans celle des relations, une précision et une rigueur plus grandes, ce qui justifie la création de la logistique, il reste à déterminer les limites de cette science nouvelle. Il y a lieu, surtout, d’étudier à fond les rapports qu’elle soutient avec la mathématique. Les logiciens allemands ne l’ont pas fait parce qu’ils n’ont pas su reconnaître à l’origine l’importance de la logistique. Les auteurs français, italiens, anglais (M. Burkamp nomme Couturat, Peano et Bertrand Russell) ne l’ont fait que d’une façon insuffisante. M. Burkamp corrige sur certains points et complète leurs travaux et, si contestables que nous paraissent quelques-unes de ses idées, son ouvrage est certainement une importante et utile contribution au développement de la logique.

Der Begriff der Intuition, par König Josef. 1 vol. in-8o, vii-420 p. Halle, Niemeyer, 1926. — L’auteur de cet ouvrage se propose de donner de l’intuition une définition philosophique. Or, pour qu’une définition ait ce caractère, il faut, ne manque-t-il pas d’ajouter, qu’on ait au préalable de la philosophie elle-même, de son objet, de sa méthode une idée bien déterminée. Ce n’est donc pas un problème spécial que prétend résoudre M. König. Il nous donne une théorie de la connaissance tant discursive qu’intuitive et cherche à faire de cette théorie une application à l’objet de la métaphysique. Il traite en réalité des rapports de l’être et de la pensée ou, comme il le dit dans la troisième partie de son livre, de l’existence et de l’idée.

Auparavant il a, dans une première partie, analysé la théorie kantienne ou criticiste de la connaissance, puis, dans une deuxième, les théories qu’il appelle spéculatives : celles qui admettent l’immanence dans la pensée individuelle d’un objet qui la dépasse infiniment.

Il faut louer l’ardeur avec laquelle M. König s’attaque aux plus hauts problèmes, admirer l’étendue de son information, reconnaître enfin sa vigueur d’esprit. Que ne joint-il à ces qualités le don de la clarté ! Nous ne connaissons guère d’ouvrage plus obscur et d’une lecture plus difficile que le sien.

Handbuch der Logik, par N.-O. Losskij. 1 vol. in-8o, viii-447 p. Leipzig. Teubner, 1927. — Ce manuel de logique, écrit en russe par l’auteur, qui appartenait à l’Université de Petrograd avant la révolution, a été traduit en allemand par M. Sesemann. L’originalité de l’ouvrage consiste en ce qu’il repose sur une théorie de la connaissance que l’auteur qualifie lui-même d’intuitiviste, et sur une sorte d’empirisme idéaliste. Ces objets de connaissance, quels qu’ils soient, sont toujours objets d’expérience et perçus immédiatement. Mais l’expérience telle que la conçoit l’auteur, est constamment active : c’est en raisonnant que l’on perçoit ou, plus exactement, c’est ce qu’il y a de rationnel dans les opérations les plus simples de l’esprit qui est proprement perçu. À la lumière de ces principes, qu’il expose dans son Introduction et dont il fait diverses applications (nous signalerons en particulier une théorie de la perception extérieure qu’il serait intéressant de rapprocher de celle de M. Bergson dont M. Losskij s’inspire visiblement), l’auteur traite du concept et du jugement, puis du raisonnement et de la démonstration. La logique étant pour lui non seulement la science de la preuve mais aussi celle de la découverte, un chapitre est réservé dans cette partie à l’hypothèse.

Ce livre est écrit avec une clarté remarquable, autant que nous en pouvons juger ; la traduction est excellente et la lecture mérite d’en être recommandée aux étudiants français en philosophie.

Des méthodes et des procédés modernes d’enseignement appliqués spécialement aux langues vivantes, par Alceo Ferret, professeur de français dans les Écoles techniques de l’État, 1 vol. in-8o de ix-270 p., Torino-Milano, G.-B. Paravia, éd. (s. d.). – C’est une apologie de la méthode directe dont les procédés sont exposés et commentés en détails dans le chapitre V : La Technique du système. Cette étude centrale est précédée de considérations un peu trop générales sur l’art pédagogique, la nécessité d’un appel constant à l’activité de l’élève, sur les mouvements de la méthode d’enseignement magistral, etc., etc. Elle est suivie de réponses aux diverses critiques adressées à la méthode directe et d’observations générales sur l’organisation de l’enseignement des langues vivantes. Les vérités n’y manquent pas ni les bonnes intentions, mais on y souhaiterait plus de concision et plus de nouveauté que n’en peuvent comporter tant de citations empruntées des pédagogues plus ou moins autorisés.

La morale positive et le bonheur, par G. Grimanelli. Un vol. in-8o de 529 p. Paris, Librairie universitaire d’Arthez, 1924. — Le problème que M. Grimanelli s’était proposé de traiter en cet énorme volume était le problème classique des rapports de la vertu et du bonheur : si le devoir n’est pas de travailler à son intérêt propre, s’ensuit-il que la soumission aux règles morales implique le renoncement au bonheur personnel ? — En fait, l’auteur traite sans retour de la morale, telle qu’un positiviste peut et doit la concevoir, et du bonheur tel qu’il peut être désiré par un homme raisonnable ; il laisse, en général, au lecteur le soin de voir qu’il n’y a pas, en principe, d’opposition entre la vertu et le bonheur ou même que beaucoup de devoirs apportent à l’homme, par leur nature même, les plus hautes satisfactions qu’il puisse et doive souhaiter. — Les idées de l’auteur prendraient bien plus de relief si elles étaient plus condensées. Les plus intéressantes sont celles qui concernent l’origine et le développement de la moralité. M. Grimanelli la fait naître à la fois du dehors (la société pour se maintenir imposant nécessairement à ses membres des restrictions et des obligations) et du dedans (à savoir, d’une part, du besoin d’ordre et de règle qui est inhérent à la nature raisonnable de l’homme et, d’autre part, du développement des sentiments altruistes). La philosophie positive confirme les nécessités morales ainsi engendrées au cœur de l’homme en révélant de la façon la plus certaine la solidarité qui lie tous les hommes entre eux et qui les subordonne tous à l’Humanité. — Ce n’est peut-être pas là ce qu’enseignait littéralement A. Comte ; mais M. Grimanelli se persuade qu’il reste du moins fidèle à l’esprit du Maître.

Estérica general, par A.-O. Deustua, 1 vol, in-8o de 667 p. Lima, 1925. — Dans la conclusion d’un ouvrage antérieur sur les idées d’ordre et de liberté, M. le Doyen Deustua déclarait que dans l’Art seul, on trouve la solution naturelle de l’antinomie du devenir créateur et de l’immobilité conservatrice. Sa philosophie générale aboutit ainsi à cette esthétique qu’il publie maintenant. Comme essai pour découvrir dans la finalité artistique la synthèse des oppositions de la raison et la nature, ce travail se rattache à la tradition kantienne de la Critique du Jugement. Mais M. Deustua cherche à compléter l’explication téléologique pure par la sociologie et en adoptant les conclusions bergsoniennes sur la liberté. Effort de synthèse, consciencieux et original, sur une double assise, expérimentale et métaphysique. Depuis l’analyse de l’activité de jeu, au début du livre, jusqu’à la conclusion, où la valeur esthétique est érigée en valeur des valeurs, toutes les doctrines esthétiques des cinquante dernières années sont étudiées, commentées et rapprochées dans un syncrétisme, peut-être un peu artificiel.

PÉRIODIQUES

Revue d’histoire de la Philosophie (directeur Emile Bréhier ; secrétaire de la Rédaction, Henry Margueritte), paraissant tous les trois mois. Paris, Librairie Universitaire Gamber, 1927. — Les deux premiers numéros de cette Revue, qui comble de la façon la plus heureuse une lacune dans les publications françaises, portent en sommaire :

A. Diès, Le Problème de l’Un et du Multiple avant Platon.

A. Rivaud, Platon auteur dramatique.

A. Lacaze, Les théories musicales des philosophes grecs.

A. Gouhier, La première polémique de Malebranche (avec le chanoine Simon Foucher).

L. Lévy-Bruhl, Les tendances générales de Bayle et de Fontenelle.

R. Lenoir, Le mesmérisme et le système du monde.

Ch. Andler, Quelques sources de la philosophie intellectualiste de Nietzsche (1876-1881).

Une bibliographie, méthodique et précise, ajoute encore au prix de la publication, sur lequel les noms des collaborateurs rassemblés par M. Bréhier nous dispensent d’insister. Nous noterons seulement quelques déclarations caractéristiques du directeur en tête de la nouvelle Revue. Pour M. Bréhier, « l’érudition n’a pas sa fin en elle-même », et « les recherches sur le passé ne vaudraient pas une heure de peine si elles ne devaient servir au progrès de la philosophie elle-même ». Mais elles ne seront capables d’un service effectif que dans la mesure où elles auront su se constituer en discipline autonome, en excluant l’intrusion intéressée de l’histoire doctrinaire ou de l’histoire commentaire. Si nous ne forçons pas ici la pensée qui a présidé à la Revue d’histoire de la philosophie, l’histoire elle-même nous conduit à considérer comme un signe de décadence de l’esprit philosophique la mode des systèmes « réchauffés », néo-pythagorisme, néo-platonisme, néo-aristotélisme, dans l’antiquité ou au Moyen Âge, comme néokantisme ou néo-hegelianisme au xixe siècle. Nulle part un tel programme ne pourra trouver un écho plus sympathique et plus profond que dans la pensée dont se sont inspirés jadis les fondateurs de la Revue de Métaphysique et de Morale.

Logos, Rivista Internationale di Filosofia. Année 1926.

Principaux articles : N. Abbagnano, L’Idéalisme anglais contemporain : Janv.-mars : Origines kantiennes de l’Idéalisme anglais ; rapports avec Hegel ; à l’inverse de celui-ci « l’idéalisme anglais tend généralement à séparer le domaine de l’expérience absolue de celui de l’expérience finie, à établir entre elles une diversité radicale, un abîme difficile à franchir » ; — le problème des relations ; — l’avant-garde romantique de l’Idéalisme (Carlyle, Emerson). — L’étude historique de l’Idéalisme anglais suit cette introduction, et se poursuit dans les numéros d’avril-juin (J. et Ed. Caird), de juillet-septembre (Bradley), d’octobre-décembre (Taylor, Joachim). — U. Saffiotti, Critères de prévisibilité des événements psychiques : ces événements sont prévisibles comme les événements physiques, mais à un autre degré et dans des conditions généralement plus difficiles. C’est l’expérience qui nous apprend à prévoir, si nous sommes capables d’apprendre ; ici, comme ailleurs, « la probabilité n’est que le bon sens mis en calcul ». L’importance de la prévision dans le domaine psychique est très considérable (Janvier-mars 1926, commencé dans juil.-sept. 1925.) — U. Redano, l’Infini mathématique (id). — A. Alliotta, l’Irrationalisme contemporain (id.) ; commencé dans juillet-sept. 1925. — P. Gatti, Philosophie du langage (Avril-juin, juillet-sept., oct.-déc.). Contre les affirmations de l’Intuitionnisme (Croce, Bergson), P. Gatti affirme que la langue est une expression juste de la pensée soit intuitive, soit conceptuelle. Les progrès de la langue et les progrès de la pensée se conditionnent réciproquement. Il faut reconnaître la langue, dès l’origine et de plus en plus, comme une création de l’intelligence qui cherche à connaître l’Homo sapiens et non l’Homo faber ; c’est grâce à ce progrès que l’esprit peut mener une vie originale, dont la rationalité est la condition nécessaire. Étude intéressante malgré quelques parties trop diffuses. La position de P. Gatti rappelle souvent les études de L. Couturat sur la logique du langage ; cependant P. Gatti ne paraît pas favorable à la création d’une langue universelle.

F. Albeggiani, Le naturalisme de J.-M. Guyau (Avril-juin, juil.-sept.), étude sympathique et délicate de la physionomie particulière et de l’œuvre de J.-M. Guyau. F. Albeggiani relève les confusions et les inconsistances que présente l’œuvre si tôt interrompue de ce penseur précoce, mais il met en valeur, avec les éloges les plus décidés, toute la générosité, la sensibilité fine, le sens des complexités, en même temps que la rigueur des exigences logiques, qui font de J.-M. Guyau une figure si originale et de son œuvre une lecture richement suggestive quoiqu’elle ne subsiste guère dog'matiquement. Il est remarquable qu’un courant de sympathie paraît s’établir en Italie vers la pensée de J.-M Guyau ; les Vers d’un philosophe sont fréquemment cités dans l’article de P. Gatti sur la philosophie du langage. — A. Baratano, La pensée comme activité esthétique, Introduction à la Critique du Jugement. Cette étude s’annonce comme une très fine analyse de la position de Kant dans la Critique du Jugement, position définie par Kant lui-même dans sa Préface, mais très obscurément, ainsi qu’il l’a avoué. Ces quelques pages, dit A. Baratano, « sont aujourd’hui, comme déjà elles l’ont été pour quelques-uns des romantiques, le passage le plus intéressant de toute l’œuvre de Kant. »

Rivista di Filosofia neo-scolastica (Mars 1926-mars 1927). — Principaux articles : A. Gemelli, L’enseignement de la Philosophie dans les Universités italiennes : présente les conditions de fait de cet enseignement, avec plus de détails sur les Universités libres (Mars-juin). — E. Bignami, La Catarsis tragique dans Aristote (Mars-juin, juil.-août, sept.-déc.), étude détaillée du célèbre passage de la Poétique, que l’auteur trouve plus riche de sens qu’aucun des nombreux commentateurs qui s’y sont attachés ne l’a su voir. Il faut donc les accorder en acceptant (avec certaines corrections) toutes les interprétations. Le mérite principal d’Aristote est d’avoir fait résider le plaisir esthétique supérieur dans une activité intellectuelle. — F. Olgiati, Religion et Éducation (Juil.-août) : éloge assez déclamatoire du retour au latin, où l’auteur voit un instrument : 1o d’exaltation nationaliste ; 2o de propagande catholique. — F. Olgiati, Le mouvement philosophique néo-scolastique et la pensée contemporaine anglo-américaine. Un jeune philosophe catholique des États-Unis, J.-S. Zibura, frappé du fait que la philosophie néo-scolastique et les autres courants de pensée philosophique ne se raccordent pas dans les pays de langue anglaise et particulièrement aux États-Unis, tandis qu’ils le font de plus en plus en Europe, a adressé un questionnaire à un grand nombre de philosophes anglais et américains. La majorité des réponses sont négatives : les philosophes ne connaissent que très vaguement et imparfaitement la Scolastique ancienne et moderne ; plusieurs ajoutent : nous avons tort. Quelques-uns souhaitent que la philosophie scolastique se fasse moins rigide, moins formelle et ne se contente plus de réfuter les doctrines différentes en les condamnant comme hérétiques (sept.-déc. 1926). — G. Bontadini, La critique négative de l’immanence (id.). — A. Bros, Le sociologisme de Durkheim et la religion : I. Le système sociologique : II. Critique du système (id.). L’exposé est correct ; les critiques sont : information trop restreinte, débordée par le système ; idée préconçue ; ignorance de ce que le fait religieux a d’essentiel (aussi complète que chez Reinach). — Le reproche adressé à M. Durkheim de ne connaître la religion que comme un fait, non comme une valeur, est assez surprenant. — M. Cordovani, La Philosophie de la Mort dans l’Idéalisme de Gentile. M. Cordovani juge peu satisfaisante « l’immortalité hors du temps et par la pensée » de l’Idéalisme. — Mais la critique devient une critique de toute la philosophie de Gentile, de l’identification du fait et du droit, de l’apologie de la guerre (curieuses citations) et de la violence ; de l’absorption de toute réalité dans l’Esprit.

La Critica (Riv. di letteratura, storia e filosophia, 1926, 2e semestre ; juillet, septembre, novembre : études (continuées) de B. Croce sur la pensée italienne au XVIIe siècle (juil.-sept.), de G. Citana sur la poésie italienne de Parini à Leopardi (juil.), de G. Brognolio, sur la culture italienne dans la deuxième moitié du XIXe siècle, Vénétie (sept.-nov., fin), — de C.-D. d’Accadia, sur le beau dans la nature, de A. Tari (sept-nov., fin). — Le numéro de nov. 1926 contient l’adresse envoyée par B. Croce au VIe Congrès international de Philosophie tenu en Amérique. B. Croce constate la décadence de la philosophie qui se donne pour systématique et définitive, et, généralement, de la métaphysique. L’esprit moderne est en lutte avec de telles constructions. La philosophie se nourrit de l’expérience ; cette expérience, c’est l’histoire même de l’humanité. La philosophie est la méthodologie de l’historiographie M. B. Croce s’efforce de démontrer que cette conception de la philosophie n’est pas en confit avec les sciences de la nature, ni avec la religion. — Dans le même numéro débute une étude de B. Croce sur des Problèmes de l’histoire de la culture italienne. La culture espagnole dans l’Italie du XVIIe siècle, et la Littérature dialectale réfléchie, son origine au xviie siècle et son rôle historique y sont étudiés.


Saint-Germain-lès-Corbeil. — Imp. Willaume.