Revue des Romans/Jean Terrasson

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Revue des Romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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THÉIS
(Étienne-Guillaume, baron de), né à Nantes le 12 décembre 1765.


VOYAGES DE POLYCLÈTE, ou Lettres romaines, 3 vol. in-8, 1821 ; 4e édit., 3 vol. in-12, 1828. — En publiant cette composition, ouvrage de toute sa vie, M. de Théis a rempli le désir qu’on avait depuis longtemps, qu’un homme de goût entreprît sur les Romains un travail semblable à celui que l’abbé Barthélemy a fait sur les Grecs avec tant de succès. Barthélemy a fait voyager un Grec parmi les Romains. Il a choisi l’époque de Sylla pour nous peindre Rome ; peut-être aurait-il pu se placer quelques années plus tard, afin d’avoir à faire des tableaux plus riches et plus variés. Cependant on est tenté de l’excuser en songeant que cette époque de Sylla nous offre le spectacle d’une grande lutte entre le peuple et l’aristocratie, dont les détails nous sont moins connus que ceux des guerres du triumvirat. On peut ajouter que c’est le passage de l’austérité républicaine à la corruption, qui présage le despotisme, qu’a voulu peindre M. de Théis. Pour un observateur profond, ces transitions sont les moments les plus importants de l’histoire des peuples. Tout ce qui concerne la vie publique et privée des Romains, les fonctions de leurs magistrats, de leurs pontifes, de leurs commandants militaires, la composition de leurs redoutables armées, les récompenses accordées aux généraux et aux soldats, leurs amusements, leurs spectacles, leurs théâtres, leur littérature, leur philosophie, leurs arts, leurs mariages, leurs esclaves, leurs repas, leur luxe, la somptuosité de leurs palais et de leurs maisons de campagne, leurs vêtements, la toilette des dames romaines, est le sujet de cet ouvrage ; et cette énumération, même incomplète, en prouve assez l’utilité et l’intérêt. Nous laisserons le lecteur chercher dans l’ouvrage même le récit des circonstances dont l’auteur a entouré son principal personnage, afin de donner à l’ensemble quelque intérêt dramatique.

MÉMOIRES D’UN ESPAGNOL, ou Histoire d’Alphonse de Péraldo, 2 vol. in-8, 1818. — Élevé par une mère jeune encore, qui se consacra tout entière à l’éducation de son fils, Alphonse passa sans gradation de l’enfance à l’état d’homme. Il ne connaissait encore de l’amour que ce qu’on en dit dans les romans de chevalerie, lorsque sa jeunesse fut éprouvée par une aventure piquante. Alphonse vivait à la campagne ; une femme jeune, belle, chez la- quelle des talents séducteurs s’unissaient aux grâces les plus touchantes, parut dans le voisinage ; une sorte de mystère l’environnait ; et à travers des habitudes d’élégance inconnue en province, on remarquait des discours singuliers et des disparates étranges. Cette femme séduisante était la célèbre actrice Rosalba ; ennuyée de Madrid, elle avait imaginé de donner à ses plaisirs le piquant de la nouveauté, en jouant pendant quelques semaines le rôle de dame de paroisse. Ce caprice était un jeu pour elle ; mais le pauvre Alphonse, éperdu, enivré d’amour, faillit mourir de douleur, lorsqu’après avoir été comblé de faveurs qu’on avait malicieusement réservées pour la veille du départ, il apprit que l’enchanteresse avait disparu pour jamais. Rien de plus vif, de plus voluptueux que les détails des scènes d’amour entre Alphonse et Rosalba ; peut-être même ces détails sont-ils un peu trop vifs. De douces consolations ramenèrent le calme dans l’âme d’Alphonse, qui partit pour la Nouvelle-Espagne, pour y recueillir la succession d’un de ses oncles. Peu de temps après son arrivée à Mexico, un incident le força de passer à Manille. Surpris par une tempête affreuse, Alphonse n’a que le temps de se jeter avec deux matelots dans une chaloupe, qui vint de briser sur les côtes d’une île déserte. Les naufragés s’arrangent de leur mieux, et se mettent à construire une barque pour tâcher de regagner la côte espagnole. Lorsque la barque fut achevée, et qu’après y avoir transporté les choses nécessaires, on voulut se placer dedans, on s’aperçut qu’elle ne pouvait contenir que deux personnes. Quel est celui qui se dévouera pour les autres ? On tire au sort, et le sort condamne Alphonse à voir partir sans lui ses compagnons, qui, peu de temps après, furent engloutis dans les flots. Resté seul, Alphonse luttait courageusement contre sa destinée, lorsqu’un jour, en se rendant au bord de la mer pour y ramasser des coquillages, il aperçut les débris d’un canot d’une construction singulière, et non loin de là une femme évanouie sur la plage. Le costume de cette femme, quoique bizarre, avait de l’élégance et de la grâce ; c’était une jeune insulaire de l’île d’Otaïti, que la tempête avait jetée sur cette côte au moment où elle allait s’unir au souverain d’une île voisine. À son réveil, la vue d’Alphonse lui causa beaucoup d’effroi ; elle s’enfuit dans la profondeur du bois, et pendant sept jours elle déjoua les poursuites et les innocentes ruses du solitaire ; mais enfin, épuisée de fatigue et de faim, elle fut obligée de se rendre à Alphonse, qui la conduisit dans sa demeure. Ici commencent les amours de l’exilé avec sa charmante compagne, qui, de la défiance passa bientôt au plus tendre attachement. Dès lors, il donna tous ses soins à l’éducation de cet enfant de la nature, qui reçut de lui les premières notions de la religion et de la morale. Dans sa naïveté, elle s’était livrée sans résistance aux désirs de son ami ; mais Alphonse ne voulut point d’une victoire aussi facile. Par une bizarrerie dont on voit quelques exemples, il se créa des obstacles pour avoir ensuite le plaisir de les surmonter. Le maître cependant ne tarda pas à se repentir de ses leçons ; on le combattit avec ses propres raisonnements, et la jeune insulaire résista plus longtemps qu’il n’aurait voulu. Les détails de la lutte de cette jeune femme, sa chute et sa punition, le récit des événements qui rendirent Alphonse à sa patrie, doivent être lus dans ce roman plein d’intérêt, où la curiosité, vivement excitée par d’ingénieux développements d’idées, ne se ralentit jamais et est rarement déçue.

MÉMOIRES D’UN FRANÇAIS, 3 vol. in-12, 1825. — Charles, jeune Français, revenu dans sa patrie à l’époque où il fut permis aux émigrés de la revoir, devient amoureux d’une femme mariée, qui, se défiant de sa propre sensibilité, fait solliciter et obtient pour Charles un brevet d’officier, avec lequel il part pour l’expédition de Russie. Il a le bonheur de sauver un officier russe ; mais bientôt, blessé lui-même et prisonnier, il est transporté chez un puissant seigneur, dont la fille, vêtue de deuil et pleine de prévention contre les Français, refuse même de lui parler ; mariée à un officier russe que l’on avait tué, elle accuse tous les Français de sa mort. Cette nouvelle ne tarde pas cependant à être démentie ; l’officier convalescent revient dans sa famille, et Charles reconnaît enfin Ladislas, celui à qui il avait sauvé la vie. Dès lors il s’opère un changement total dans la manière d’être de cette famille à l’égard du jeune Français, jusqu’à ce point que Ladislas, dévoré d’ambition et brûlant de se signaler encore dans les combats, ne croit pouvoir laisser à sa femme un meilleur ami que Charles. Mais celui-ci brûlait d’amour pour la femme de Ladislas ; vainement il avait combattu sa passion ; vainement il voulut fuir ; vainement il jurait à Catherine d’être toujours respectueux près d’elle : une circonstance amena leur chute, au moment même où Ladislas expirait pour sa patrie. Cet instant est aussi celui des remords de Catherine ; sa tête s’égare, une fièvre cruelle s’empare d’elle ; elle meurt bientôt enfin, laissant à son séducteur des regrets que rien ne peut détruire.