Revue des Romans/Mary Brunton

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Revue des Romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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BRUNTON (Mme), romancière anglaise.


LAURE DE MONTREVILLE, ou l’Empire sur soi-même ; traduit de l’anglais par le traducteur des Épreuves de Marguerite Lindsay, 5 vol. in-12, 1819. — L’auteur de ce roman semble s’être proposé de mettre en action un de ces combats de la vertu aux prises avec les séductions intérieures et extérieures, et de faire triompher ce principe puisé aux sources les plus pures du christianisme, de l’immolation de soi-même. Cette moralité est développée dans une fable simple, remplie de détails de la vie domestique et d’observations cherchées au fond du cœur humain. Dès les premières pages Laure est sur le point de tomber dans un piége affreux ; elle voit l’abîme et s’en éloigne avec effroi ; alors on prévoit que jusqu’à la fin on assistera à un duel entre le crime et l’innocence, entre la ruse et la faiblesse, entre l’audace et la vertu confiante. — La manière de madame Brunton rappelle le bon temps du genre, et cette époque classique où les romans devaient tout à l’imagination, où l’on se croyait obligé de créer une fable, un drame, où, enfin, on ne faisait point des romans avec des altérations de l’histoire.

OSMOND, 4 vol. in-12, 1827. — Montrer jusqu’où peuvent nous entraîner les passions les plus nobles, quand la religion n’en modère pas les excès, faire voir les suites de l’imprudence chez une jeune personne sans expérience, et les effets d’une tendresse mal éclairée dans le cœur d’une femme généreuse, tel est le but que s’est proposé l’auteur de ce roman. — Osmond ne ressemble à aucun autre personnage de roman ; sensible et violent, bon et barbare, amoureux avec abandon et jaloux avec frénésie, capable des plus beaux dévouements et des plus odieux excès, c’est un homme dont malheureusement on rencontre assez souvent le modèle dans le monde. S’il n’inspire pas un intérêt positif, il étonne, il impose ; il y a quelque chose d’attachant dans ce caractère, malgré tout ce qui contribue à le rendre repoussant aux yeux d’un lecteur honnête homme. Placé entre deux femmes pour lesquelles il éprouve de l’amour, il fait le malheur de toutes deux et le sien propre ; toujours combattu par les remords, mais toujours cédant à la violence de ses passions, il plonge la première dans un abîme de fautes ; époux de la seconde, il empoisonne sa destinée ; mais le sentiment qu’il lui inspire est si vrai, qu’en cessant de l’estimer elle l’aime encore. Rien n’est aimable comme la jeune Caroline ; rien n’est estimable comme lady Hélène. En les voyant agir toutes deux, le lecteur est presque dans les mêmes dispositions qu’Osmond, il les préfère alternativement. Cependant Caroline est la plus malheureuse et la plus intéressante ; on suit avec une attention croissante les diverses périodes de ses amours avec Osmond ; on partage sa faiblesse, ses regrets, son désespoir, ses anxiétés ; on la félicite de renoncer à l’hymen de celui qui lui promettait un époux et qui ne lui montre qu’un tyran. Sa fuite à Londres, la découverte des suites d’un moment d’oubli, la naissance de l’enfant à qui elle ne peut donner aucun nom, ses résolutions violentes, ses rencontres avec Osmond, sont des événements tracés avec un talent remarquable. — Cette lecture attache et instruit ; elle pénètre le cœur et éclaire la raison ; elle fait apprécier les suites déplorables des passions mal réprimées, les dangereux écueils contre lesquels viennent échouer, dans le tourbillon du monde, les plus nobles caractères.