Revue des Romans/Mme de Sartory

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Revue des romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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SARTORY (Mme de), née Wimpffen.


MADEMOISELLE DE LUYNES, nouvelle historique, in-12, 1817. — L’héroïne qui donne son nom à ce roman réunit, suivant l’usage, tous les charmes et toutes les qualités. Fille d’un des grands seigneurs de la cour de Louis XVI, elle se voit mariée, dans la fraîcheur de sa jeunesse, au jeune comte de Verrue, que d’éminentes fonctions attachent au duc de Savoie. Le comte, quoique épris des charmes de son épouse, n’a pas le mérite d’apprécier le trésor dont son mariage l’a rendu possesseur ; il ne songe pas un seul instant à lui demander ni à lui tenir compte des avantages qu’elle a reçus de la nature par le don d’une âme élevée, sensible, capable du plus beau dévouement et des plus rares sacrifices. En butte aux attaques des plus beaux et des plus aimables seigneurs de la cour, elle sait les tenir à une distance assez respectueuse pour ne rien avoir à craindre de leur passion. Trop modeste pour compter sur elle-même, elle prend conseil de son mari sur la manière dont elle doit se conduire envers ceux qui éprouvent le pouvoir de ses charmes ; celui-ci l’engage à rester à la cour, à assister à toutes les fêtes, à s’exposer sans crainte aux milles hasards que la vertu court dans ce pays des intrigues et des chutes. Assurément, si la jeune femme succombe, il n’y aura pas de faute ; qu’aura-t-elle à se reprocher si, après avoir dit et répété à son époux que le jeune duc de Savoie a une âme sensible et lui tient des propos galants, on la force de continuer à entendre ces propos, et à mettre la sensibilité de cette âme à des épreuves aussi dangereuses pour un beau prince que pour une jolie femme ? Cependant Mme de Verrue ne compose point avec son honneur ; elle renouvelle sans succès ses instances pour fuir à chaque tentative du prince pour la séduire. Non content de la laisser exposée à toutes sortes de séductions, son mari se jette dans les bras d’une coquette, et ses désordres font tant de bruit que la comtesse elle-même en est instruite. Quelle position glissante ! Délaissée par un mari, sollicitée par un souverain, que fera Mme de Verrue ? Résistera-t-elle au dépit, à l’amour-propre blessé, à la vanité, à l’amour même que commence à lui inspirer M. de Savoie, dont l’âme est si sensible, les regards si touchants ? L’auteur n’a pas jugé à propos de nous représenter la comtesse au moment critique pour sa vertu ; c’est un trait de délicatesse dont on doit lui savoir gré, et qui ne pouvait appartenir qu’à une femme. Après nous avoir montré un ange, après avoir justifié d’avance à nos yeux tout ce qui pouvait le faire tomber, elle le laisse sur le penchant de sa chute : cette réserve est parfaite ; elle ne déplaira qu’aux vauriens qu’amuse toujours le spectacle d’un ange déchu. — Ce roman est un petit chef-d’œuvre de naturel et de simplicité. Le style a de la grâce, de la douceur, et cette élégance facile qui annonce l’habitude de la bonne société et la connaissance approfondie des convenances.

LÉODGARD DE WALHEIM À LA COUR DE FRÉDÉRIC II, 2 vol. in-12, 1809. — Léodgard offre cette situation délicate et trop peu observée d’un homme d’honneur que la vanité et l’ivresse des sens ont engagé dans une première intrigue, et qui, bientôt après, devenu véritablement amoureux, reconnaît son erreur, rougit de sa faiblesse, mais ne peut ni ne doit rompre ses premiers liens, et, placé ainsi entre un pur amour qui vient de naître et les devoirs que son imprudence lui a imposés, se trouve, pour quelques instants d’un vrai plaisir, privé d’un bonheur vertueux et durable. Les progrès de la passion que ce jeune homme inspire à l’objet de son fatal amour, à la belle Camille, jusqu’alors insensible et coquette, sont peints avec cette vérité et ces nuances si fines qu’il n’appartient surtout qu’aux femmes de bien saisir et de bien exprimer ; seulement on pourrait être fondé à reprocher à l’auteur d’avoir terminé trop brusquement le combat de la vertu et de l’amour dans le cœur de cette superbe Camille ; mais il faut avouer que les suites du rendez-vous qu’elle donne à Léodgard, sans qu’il l’ait demandé, offrent des situations pleines d’intérêt, qui servent merveilleusement à développer le caractère du héros. Il en résulte aussi un contraste très-heureux entre la passion illégitime de Camille et l’innocent amour de Virginie, cet autre objet plus doux et non moins fatal, également destiné à tourmenter le cœur du pauvre Léodgard. — Une morale pure anime toutes les parties de cet ouvrage, où la vertu paraît d’autant plus charmante qu’elle s’y montre dans toute sa modestie.

On a encore de cet auteur : *L’Urne dans la Vallée solitaire (imité de Bilderbeck), 3 vol. in-12, 1806. — Le Duc de Lauzun, 2 vol. in-12, 1807.