Revue dramatique - 14 novembre 1890

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Revue dramatique - 14 novembre 1890
Revue des Deux Mondes3e période, tome 102 (p. 460-466).
REVUE DRAMATIQUE

Odéon : Roméo et Juliette, drame en 5 actes, en vers, d’après Shakspeare, par M. George Lefèvre. — Porte-Saint-Martin : Cléopâtre, de MM. Victorien Sardou et Émile Moreau. — Variétés : Ma Cousine, de M. Henri Meilhac. — Théâtre-Libre : l’Honneur, de M. Henry Fèvre.

Ce n’est certes pas nous qui reprocherons jamais à la direction de l’Odéon l’évidente complaisance qu’elle affiche pour Shakspeare. Si nous subventionnons en effet le second Théâtre-Français, c’est sans doute, et avant tout, pour qu’il accueille libéralement les tentatives des jeunes auteurs. C’est encore pour qu’il prépare des recrues au Théâtre-Français. Mais c’est aussi, je pense, pour compléter, en la diversifiant, l’éducation dramatique du public ; et quel meilleur moyen en pourrait-on imaginer que de jouer du Shakspeare ? Si M. Porel nous invitait quelque jour à venir entendre du Calderon ou du Lope de Vega, nous l’en féliciterions donc encore. Et, en attendant, après Macbeth, après Beaucoup de bruit de rien, après le Marchand de Venise, nous lui sommes obligés d’avoir mis cette année à la scène Roméo et Juliette, traduit et arrangé par M. George Lefèvre.

Je m’attends bien, ici, que M. George Lefèvre protestera contre ce dernier mot. Il dira qu’il a traduit le drame de Shakspeare, et il se défendra de l’avoir arrangé. Si, cependant, il a réduit à dix tableaux en tout les vingt-quatre changemens de scène du drame original ; s’il en a fondu plusieurs scènes en une seule ; s’il en a retranché force plaisanteries trop grossières, ou trop vulgaires, ou trop obscènes, — je ne dis pas pour le public français, mais pour le public moderne, quel qu’il soit, français ou anglais, allemand ou italien ; — si même il n’a pas craint, — dans le rôle du clown, — d’ajouter un peu de son cru, le mot à arrangement ne veut rien dire, ou il veut dire tout cela. Et nous le constatons, tout simplement, mais nous ne nous plaignons point. Nous ne nous plaignons pas non plus que sa traduction ne nous rende point toujours toute la poésie de l’original. Qui jamais y réussira? Sauf en quelques endroits, où le désir de faire s’éclater d’un gros rire les bateliers de la Tamise l’abaisse au niveau de nos auteurs de la foire, Shakspeare, même quand il fait des pointes, n’en a pas moins toujours je ne sais quoi de particulièrement pénétrant, d’inimitable, et d’intraduisible. Le doit-il à son temps, peut-être, où, pour s’envelopper d euphuisme, la passion n’en était que presque plus sincère, plus ardente, plus violente? ou ne le doit-il qu’à son génie? Mais il y a là quelque chose de son œuvre qu’on ne transposera jamais, dans aucune langue ni dans aucun temps ; et M. George Lefèvre n’est pas très critiquable de n’y avoir pas réussi. Sachons-lui gré plutôt, en suivant son modèle de plus près qu’aucun de ses prédécesseurs, d’avoir eu l’art et la chance, en somme, de nous aider à mieux comprendre et à mieux goûter Roméo et Juliette.

C’est une curieuse histoire que celle de Roméo et Juliette; et après tant de critiques, tant de commentateurs, si nous osions y revenir, nous aimerions à y montrer par combien de mains, et de métamorphoses, et d’incarnations, il faut qu’un sujet passe et se développe, avant de revêtir la forme d’un chef-d’œuvre. Non ! en vérité, rien ne naît, mais tout devient, comme disent les philosophes; et, de vouloir qu’un auteur dramatique soit l’inventeur de ses sujets, ne se pourrait-il pas que ce fût le condamner à la médiocrité? Luigi da Porto a raconté le premier la douloureuse aventure des amans de Vérone. Quelques années plus tard, Mateo Bandello, cet évêque d’Agen qui aimait à conter de si singulières histoires et qui les contait si bien, s’empare du sujet, qu’il fait profiter, si l’on peut ainsi dire, de sa réputation de conteur. A son tour, un de nos compatriotes, Pierre Boaistuau, — saisissons l’occasion d’écrire une fois correctement son nom, que l’on estropie toujours, — refait le récit de Bandello ; y ajoute des personnages, notamment la nourrice, et cet apothicaire, dont Shakspeare tirera le parti que l’on sait; en modifie le dénoûment. C’est lui qui a imaginé de faire mourir Roméo avant le réveil de Juliette, et de supprimer ainsi le duo mélodramatique de la dernière heure. Un Anglais vient ensuite, ou plutôt deux Anglais, qu’il est inutile de nommer, puisqu’ils ne semblent l’un et l’autre avoir fait œuvre que de traducteurs. Et c’est alors seulement qu’apparaît enfin Shakspeare, qui ne s’avise que de deux choses : il donne à l’amour de Juliette et de Roméo ce caractère de fatalité qui, des régions moyennes de la galanterie, fait passer le drame dans celles de la passion pure, et il développe, il met en action, dans sa dernière scène, cette réconciliation des Capulet et des Montaigu que ses prédécesseurs, qui n’en avaient pas compris le vrai sens, s’étaient contentés d’indiquer.

N’ayant jamais vu jouer Roméo et Juliette qu’en forme d’opéra, je me demandais, l’autre soir, pourquoi M. Marquet, qui tient le rôle de Roméo, et Mlle Rosa Bruck, — qui ne tient pas celui de Juliette, mais enfin qui l’occupe, et qui, d’ailleurs, y réjouit les yeux, à défaut de l’oreille et de l’esprit, — je me demandais pourquoi, sous ce soleil italien, dans ces décors si rians des premiers actes, ils jouaient si lentement, si tristement, si mélancoliquement. Mais ils avaient raison, et je l’ai bientôt compris. Ce que je n’avais pas bien vu à la lecture, la représentation me l’a révélé. Cet invincible amour, éclos parmi les haines héréditaires des Capulet et des Montaigu ; cette passion dont ils sont tous les deux les victimes ; ce pressentiment du malheur au-devant duquel ils courent en s’aimant, tout cela fait planer sur eux une inéluctable menace, tout cela mêle à leur joie de s’appartenir un avant-goût de la mort prochaine, et tout cela, qui est aussi bien dans leurs discours, doit donc passer, d’un bout à l’autre bout du drame, dans l’intonation, dans l’allure, dans le jeu des acteurs. S’il y a des drames ou des tragédies qui sont, en quelque manière, illuminés tout entiers par leur cinquième acte, celui-ci, au contraire, en est tout assombri. Ce n’est pas un coup de foudre éclatant dans un ciel serein, une trahison de la fortune succédant brusquement à ses premiers sourires, un contraste violent de joie et de douleur. Non, le drame est fait tout entier de tristesse. En brisant avec Rosaline, c’est avec le plaisir, c’est avec, l’espérance que Roméo a rompu sans retour, et sa Juliette comme lui, pour avoir, elle, en l’aimant, renouvelé l’exaspération des haines familiales. Au sujet que lui livraient les conteurs français ou italiens, Shakspeare a tout simplement ajouté sa philosophie de l’expiation et de la mort, celle que vous retrouverez dans Macbeth et dans Hamlet, dans le Roi Lear et dans Othello, celle qui fait, surtout dans les drames de sa jeunesse, le fond de sa conception de la vie.

Puisque d’ailleurs ce qu’on demande surtout au théâtre aujourd’hui, il semble que ce soit le spectacle, nous n’oublierons pas de faire leur part aux décors aussi dans l’impression profonde que produit Roméo et Juliette. Autant la recherche de la couleur locale nous paraît inutile ou même dangereuse, quand c’est Racine ou Corneille qu’on joue, autant, au contraire, les effets pittoresques en conviennent-ils au drame de Shakspeare. C’est par évocation, en effet, que Shakspeare procède, c’est par suggestion, — servons-nous du mot à la mode ; — et nos imaginations ne sont plus, comme autrefois celles des spectateurs du théâtre du Globe, assez fraîches, assez fortes, assez complaisantes pour voir Vérone, ou Venise, ou Mantoue, sans que le décorateur nous y aide. Les décors de Roméo et Juliette sont des plus suggestifs qu’il y ait.

Évocation, suggestion, c’est aussi ce que s’est proposé M. Victorien Sardou, avec le concours de M. Emile Moreau et de M. Duquesnel, dans cette Cléopâtre qu’il n’a point, d’ailleurs, écrite pour nous, ni même pour lui, mais pour Mme Sarah Bernhardt et pour l’Amérique, pour Chicago ou pour Cincinnati. Nous n’aimons guère cette façon d’entendre et de pratiquer l’art dramatique : elle a quelque chose de trop moderne, pour ne pas dire de trop industriel ; et nous commençons par en faire la très naïve déclaration. Mais, après cela, puisque M. Sardou s’y résigne, il est d’ailleurs trop habile homme, et il connaît trop bien toutes les ressources de son art pour qu’il soit équitable de le juger sur autre chose que sur ce qu’il a voulu faire. M. Sardou, pour nous procurer la sensation de « la vie inimitable, » a usé de trois moyens : il a emprunté quelques traits de mœurs à l’histoire ; il a fait parler Antoine et Cléopâtre comme il lui a paru qu’ils pourraient parler de nos jours; et il a chargé le décorateur du reste.

C’est le décorateur qui l’a d’abord trahi. Non pas que quelques-uns des décors de Cléopâtre ne soient fort beaux; très fidèles, je veux le croire, très égyptiens ; et, somme toute, d’un assez grand effet. Seulement, si grand qu’il soit, l’effet demeure au-dessous de ce que l’on s’attendait qu’il fût ; et la raison en est assez simple. Les moyens du théâtre sont trop pauvres, j’oserai dire trop mesquins, pour nous donner la sensation de ce qu’il y a eu peut-être de plus « énorme » au monde ; et, en ce cas, tout effort que l’on fait vers une plus grande exactitude, on peut dire qu’il nous éloigne de la vérité. Quoi ! c’est là le Cydnus, dont le nom seul était une caresse pour nos oreilles. Voilà ces pyramides, ces obélisques, et ces pylônes. Carton peint, velours de coton, et peluche de lin, voilà le luxe oriental! Cette danse du ventre, c’est l’orgie romaine ! ce jeune homme glabre, c’est Octave. Actium, c’est Actium, que ces vingt-cinq mètres carrés de scène! Par Hercule, comme dit Antoine, eussiez-vous jamais cru que de si grands noms, qui ont laissé des traces si profondes, que de si grands souvenirs ne fussent que des réalités si médiocres? Assez, et trop de ce bric-à-brac, ou de cette parodie! Qu’on nous ramène à Corneille! qu’on nous ramène à Racine ! et dans le « palais à volonté, » où se jouent les Cinna et les Britannicus, qu’on nous laisse le soin de « planter, » comme nous le voudrons, le décor que nous pourrons.

J’apprécie davantage l’autre moyen, celui qui consiste à mettre dans la bouche de Cléopâtre et de Marc-Antoine, je ne dirai pas le langage d’une reine, — j’en connais peu, — ou d’un soudard, — il n’y en a plus; — mais celui d’un sous-officier amoureux et d’une courtisane de nos jours. J’avais cru jusqu’ici, dans ma simplicité, que ce n’était là qu’un jeu d’esprit, et j’avais observé que ce que l’on reprochait le plus à Racine ou à Corneille,— puisque je viens de les nommer, — c’était d’avoir « jeté des fleurs sur les colosses de l’antiquité, » d’avoir fait parler Emilie comme Mme de Chevreuse, et de nous avoir peint des courtisans français sous les traits d’Alexandre et de Titus. Mais je suis bien détrompé maintenant. On m’a fait voir, de tous les côtés, quelle était mon erreur; que, pour comprendre le prophète Isaïe c’était peu de le lire, il fallait avoir connu Emile de Girardin ; et que l’histoire du roi David s’éclairait d’une lumière tout à fait imprévue par le moyen de celle de Troppmann, j’y consens, j’en conviens, et je suis désarmé. Ou plutôt je suis bien aise qu’après avoir si âprement reproché jadis à nos classiques de manquer de « couleur locale, » on reprenne enfin leurs erremens. Et les anachronismes que l’on trouve « admirables, » sous la plume de ses confrères, je suis heureux de déclarer qu’ils doivent donc l’être aussi dans la Cléopâtre de M. Sardou, comme autrefois dans sa Théodora.

Je m’empresse, d’ailleurs, d’ajouter que, pour les détails archéologiques dont il a semé son drame, je ne discuterai pas avec M. Sardou, M. Sardou, là-dessus, est un terrible homme, et, moi, n’étant pas un grand grec, j’aurais trop de peur qu’il ne m’accablât sous le poids de ses « textes ». Il me permettra seulement de lui dire que, dans l’application, ou dans la mise en place, de ces quelques touches de « couleur locale, » je ne l’ai pas trouvé très heureux. Son médecin de Cléopâtre est aussi comique, pour le moins, qu’historique; son devin est plus drôle que divertissant; son messager du troisième acte prête moins à trembler qu’à rire dans une scène qui voulait être extrêmement émouvante. Le pauvre diable a une façon de se rouler sous les pieds de Cléopâtre qui excite plus de compassion pour le figurant qu’il est que pour l’esclave qu’il devrait être. A moins que ce ne soit peut-être aussi Mme Sarah Bernhardt qui ne joue pas bien! O Cordelia, ô Andromaque, ô Zaïre, est-ce de là-bas que vous nous avez rapporté ce jeu faux et violent, sans transitions ni nuances? et nous, de la même main qui jadis vous eût volontiers tressé des couronnes, faut-il que nous écrivions... ce que nous venons d’écrire. Puisse du moins votre auteur, une autre fois, vous faciliter le retour à de meilleures traditions! s’il fait des drames pour vous, qu’il les fasse pour vos qualités, et non pour vos défauts! Et si j’ose encore former un dernier vœu, qu’en travaillant pour l’Amérique, il travaille aussi quelquefois encore pour nous, et pour lui, — comme en son bon temps!

Mais comment M. Sardou a-t-il pu prendre, pour le mettre à la scène, ce faux sujet de Cléopâtre? j’appelle un faux sujet celui qui ne convient pas au théâtre, un sujet d’où l’action, d’où le drame est absent, et qui ne saurait consister qu’en deux ou trois scènes, dont il faut bien remplir alors les intervalles par l’abus du spectacle, ou, comme nos pères, par celui de la déclamation. Point de superstition ! En dépit de Shakspeare, qui n’a guère fait que traduire Plutarque, Cléopâtre peut bien servir de prétexte à quelque tableau historique; ou à quelque roman épique, dans le genre de Salammbô; ou à un grand opéra, si l’on veut; ce n’est pas un sujet de drame. La preuve en est que ni Corneille, ni Racine, ni Voltaire même n’ont eu garde de le traiter : ils l’ont laissé à Marmontel, et M. Sardou eût sans doute été bien inspiré de ne pas le lui disputer.

Paulo meliora canamus. La nouvelle comédie de M. Henri Meilhac, Ma Cousine, manque un peu de fond et de substance, elle aussi. L’intrigue, très habilement menée, sous son air de négligence et de laisser-aller, par des moyens qui semblent se moquer d’eux-mêmes, en est assez légère, et le point de départ assez extravagant. Il s’agit d’une actrice à la mode, la célèbre Riquette, des Fantaisies-Amoureuses, qui joue le rôle de la Providence à la diable, et qui séduit, à seule fin de les leur « repasser, » intacts et repentans, les maris infidèles des petites femmes du monde. Mais M. Meilhac lui-même n’a eu garde de prendre au sérieux ce sujet, et pour en discuter ici la vraisemblance, il faudrait avoir l’esprit bien gâté par la lecture de la Vie parisienne. Le sujet, évidemment, n’a servi que de prétexte, et ce qui est intéressant, ce qui est d’un art curieux, original, et consommé, c’est l’esquisse, ou le tableau des mœurs.

M. Meilhac en a rarement crayonné de plus amusant, qui fût ou qui parût d’une observation plus ingénieuse, plus juste, et surtout plus discrète. N’est-ce pas, en effet, le triomphe de l’art, que de nous obliger à convenir de la vérité de portraits dont nous n’avons pas vu les originaux? Et l’on n’est pas plus « manicure » que l’excellente Mme Crosnier dans le rôle de Mme Berlandet ; on n’est pas plus « baron d’Arnay La Hutte » que M. Raimond ; on n’est pas plus « homme du monde » et « de cercle, » que M. Baron, dans le rôle de Champcourtier, l’auteur amateur du Piston d’Hortense. Vous ne connaissez pas le Piston d’Hortense? Le temps de la représentation du cercle approchait, et la «commission littéraire » n’avait encore rien trouvé, quand quelqu’un dit à Champcourtier: «Eh! mais... vous... Champcourtier... pourquoi ne nous feriez-vous pas quelque chose ? » et Champcourtier répondit : « Parfaitement, je vous ferai quelque chose ; » et ce fut le Piston d’Hortense. Telle est à peu près la note, et tel est le ton du dialogue. Peu ou point de grosses plaisanteries, de ces plaisanteries moins spirituelles peut-être que bouffonnes où s’est égayée trop souvent la fantaisie intempérante de M. Meilhac, mais une ironie légère, subtile, à peine perceptible en quelques endroits, et à laquelle nous ne reprocherons que de manquer un peu de force et d’amertume. Pas de mots, non plus, dans le dialogue, je veux dire de mots d’auteur, de mots à effet, mis pour provoquer le rire, mais une singulière précision de langage, et, l’un après l’autre, s’ajoutant et se complétant, tous les traits qui peuvent servir à tracer des personnages une inoubliable silhouette. Et l’agrément en est si vif, le charme en est si insinuant, qu’on s’y laisse prendre comme sans y songer. A peine ose-t-on regretter que des qualités si rares soient appliquées dans un sujet si mince, et plutôt, on s’en veut à soi-même, où la forme est si personnelle et si près d’être exquise, d’en demander encore davantage.

Il convient d’ajouter que Ma Cousine est admirablement jouée. Si Mlle Lender est un peu guindée, peut-être, dans le rôle de Mme Champcourtier, M. Raimond, M. Cooper, dans un rôle épisodique. Mme Crosnier, dans celui de MmE Berlandet, sont excellens. Pour M. Baron, et surtout pour Mlle Réjane, nous venons trop tard, et nous ne pouvons guère que redire d’eux ce que tout le monde en a déjà dit. Leur pantomime du deuxième acte fera courir tout Paris; et c’est le cas de répéter, avec leur auteur, qu’ils y sont impayables. m’en voudront-ils si je leur conseille pourtant, à l’un et à l’autre, de charger un peu moins quelques parties de leur rôle : M. Baron, sa première scène du premier acte, et Mlle Réjane les premières scènes du second acte? On ne le leur conseillerait pas, si leur jeu était moins voisin de la perfection, et si par là, comme on le voit, la seule critique que l’on en fasse n’était encore une manière d’éloge.


Nous aurions bien voulu, en terminant, pouvoir dire quelques mots de la réouverture du Théâtre-Libre, et de la pièce de M. Henry Fèvre : l’Honneur. Mais nous n’en avons pu voir la représentation, et il a fallu nous contenter du roman, que l’auteur a soin de nous apprendre lui-même qu’il a écrit « après et d’après sa pièce. » L’analyse en serait difficile : si peu de pruderie dont on se pique, il y a pourtant des sujets dont on aime mieux ne rien dire. Notez, d’ailleurs, qu’il y a quelque talent, ou du moins qu’il nous en a semblé voir dans l’œuvre de M. Henry Fèvre. Mieux encore : il se pourrait que M. Fèvre n’eût pas eu tort de vouloir dénoncer ce qu’une certaine surface d’honorabilité bourgeoise recouvre et dissimule souvent d’égoïsme, de laideur morale, et de férocité. Nous disons seulement qu’il en avait vingt autres moyens que celui qu’il a cru devoir choisir, et je ne sais pas ce qu’il a pu penser qu’il gagnerait, lui, ni la cause qu’il voulait soutenir, à préférer le plus répugnant et le moins propre de tous.