Revue dramatique - 30 avril 1883

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Revue dramatique - 30 avril 1883
Revue des Deux Mondes3e période, tome 57 (p. 212-224).
REVUE DRAMATIQUE

Gymnase : le Père de Martial, pièce en 4 actes, de M. Albert Delpit.

Je voudrais que le critique, avant de commencer l’examen d’une pièce, indiquât au moins par un signe, par un astérisque ou par une petite croix, à quel ordre appartient l’ouvrage : s’il faut le ranger parmi les confections de théâtre ou parmi les œuvres d’art. Je voudrais qu’un autre signe, placé auprès du premier, avertît si le succès de l’ouvrage intéresse l’avenir des lettres ; s’il convient de saluer l’auteur à la place qu’il occupe et de le quitter là, ou de le pousser encore et de le diriger dans sa voie. Cela fait, l’éloge et le blâme développeraient leurs phrases, mais dans le ton marqué ; l’un et l’autre laisseraient l’ouvrage dans son ordre et l’auteur dans sa classe. Aucun éloge ne pourrait faire qu’un drame passât de l’ordre inférieur dans l’autre ; aucun blâme, qu’il déchût de celui-ci dans celui-là. Aucun éloge n’exalterait plus qu’il ne sied l’orgueil d’un talent déjà noué ; aucun blâme ne rabattrait l’espérance d’un talent qui doit grandir. À ces conditions, même dans ce désarroi où nous sommes, parmi tant de théâtres et tant de pièces, dont les succès divers prouvent si peu de chose, voire de l’aveu des auteurs les plus applaudis ; devant ce public si distrait, si affairé, si mal organisé pour juger des productions de l’esprit, la critique, même dispersée entre tant de journaux, même pressée au point qu’elle doit se réduire presque à la besogne du compte-rendu, pourrait garder encore, avec quelque chance d’être utile aux belles-lettres, quelque chance d’être écoutée. Est-il besoin de dire que ce procédé serait plus honnête ? C’est peut-être assez d’assurer qu’il serait profitable à tout le monde. On nous accorderait plus de crédit ; on serait moins souvent mystifié par nous, et je ne vois pas que personne, parmi les auteurs, pût se récrier là-contre. On saurait que l’As de trèfle, pour amusant que soit ce mélodrame, n’est pas un chef-d’œuvre ; on se tiendrait content de s’y divertir sans y chercher des beautés dignes du théâtre classique : M. Pierre Decourcelle voudrait-il qu’on exigeât de lui davantage ? On saurait que Formosa, si précieuse que soit cette ébauche de tragédie romantique, n’est rien de plus que cela, c’est-à-dire une œuvre morte ; on admirerait cette jument de Roland sans lui demander de vivre : M. Vacquerie aurait-il le courage de s’en plaindre ? On irait voir les Bourgeois de Lille comme un drame patriotique, mieux écrit que les vieilles pièces du Cirque, moins fortement conçu que l’Horace de Corneille : M. Dartois y perdrait-il ? On ne penserait pas que M. Belot eût écrit le Pavé de Paris pour satisfaire à sa muse ; on ne s’attendrait pas d’y trouver les marques d’un talent qui doit renouveler la scène : serait-ce un dommage pour M. Belot ? En revanche, quelques reproches que le juge le plus sévère pût accumuler contre le Père de Martial, représenté ces jours-ci au Gymnase, on serait averti qu’une bonne part de ce drame sort de l’ordinaire, et l’on regarderait M. Albert Delpit comme celui de nos jeunes auteurs dont la victoire importe le plus à nos plaisirs, car c’est assurément le mieux doué pour le théâtre. Si retentissant que soit le succès de l’ouvrage, on s’efforcerait d’en grossir encore le bruit, et le public, par cette conduite, ne ferait que servir équitablement ses intérêts.

C’est que cette pièce tirée d’un roman, ou plutôt refaite sur la même donnée, contient un morceau rare, un morceau de résistance, et pour lequel j’échangerais volontiers vingt de ces comédies pathétiques dont nous sommes heureux de nous contenter à l’ordinaire : viandes creuses, accommodées avec plus ou moins d’agrément, et qui pèsent peu dans la balance lorsqu’on met dans l’autre plateau la vraie substance d’un drame. C’est aussi que M. Albert Delpit, dans cet ouvrage comme dans le précédent, le Fils de Coralie, se déclare proprement homme de théâtre. Il peut remporter des succès de roman, nos lecteurs le savent ; mais c’est bien plutôt sur les planches qu’il est vraiment chez lui ; c’est là qu’il abat toutes les révoltes et qu’il ravit tous les suffrages ; c’est là qu’il fait, pour le plaisir des vaincus, un magnifique abus de sa force. Il m’entraîne, malgré que j’en aie, dans la situation extraordinaire qu’il a choisie ; il m’y tient, il m’y renferme avant que j’aie pu m’en échapper par une petite porte ; il veut que j’en sorte par la brèche, et l’explosion que fait cette brèche est si belle que je suis transporté d’admiration. Elle ne me cause pas seulement de la surprise ; elle me découvre des âmes héroïques et telles qu’un poète tragique pouvait seul les imaginer ; elle les illumine tout entières et me fait voir le reflet ou l’ombre de Tune sur l’autre. Un tel éclat n’est pas seulement l’effet d’une violence habile, mais d’un véritable génie dramatique ; cette énergie, qui est la vertu la plus évidente du talent de M. Delpit, est proprement celle de l’écrivain de théâtre.

En effet, qu’on me propose la donnée suivante : un jeune homme va épouser une jeune fille qu’il aime et dont il est aimé. Depuis des années, ils se destinent l’un à l’autre ; il l’aime de toutes ses forces, elle l’aime de tout son cœur. Il vit en province très simplement avec son père, un homme de bien ; avec sa mère, une sainte. Soudain le père de la fiancée, un banquier fort honnête, est ruiné, menacé de faire faillite et même banqueroute. Un rival se présente, un homme de cinquante ans, riche de vingt millions, amoureux de la jeune fille, éconduit naguère, qui revient et propose de sauver le père en épousant la fille. Il se trouve que cet homme est le père du fiancé : la mère, cette sainte femme, a commis une faute jadis pendant une absence de son mari ; elle sait que son fils est le fruit de cette faute, et voici qu’elle reconnaît son amant dans le rival de son fils. Cette donnée, pour commencer, me paraît un peu extraordinaire, et l’extraordinaire m’est toujours suspect. Cependant je puis l’admettre et je consens qu’on me pousse dans le traquenard de cette situation théâtrale ; il ne s’agit plus que de m’en tirer : j’imagine que je puis le faire à peu de frais. Si j’étais ce jeune homme, laisserais-je ma fiancée m’échapper et se vendre en mariage à mon père ? Ou bien tuerais-je mon père en combat singulier et réduirais-je mon beau-père au suicide ? Serais-je condamné à l’une ou l’autre de ces extrémités ? Nullement ; je dirais à mon beau-père : « J’adore votre fille, elle m’aime ; nous sommes d’honnêtes gens et nous vous tenons pour honnête homme ; contentez-vous de notre estime et renoncez pour un temps au monde ; faites faillite ou banqueroute à Paris : cela vaut encore mieux que de faire marché de votre fille et de faire notre malheur à tous ; venez vivre avec nous : cela vaut encore mieux que de vous tuer, et cela profitera plus à vos créanciers ; nous travaillerons pour les payer un jour, et nous travaillerons bien, car nous serons heureux. » Ce langage serait raisonnable et je crois qu’il persuaderait d’honnêtes gens.

Mais je puis l’admettre encore : ce jeune homme sera moins sage que je ne serais à sa place ; il ne verra d’autre ressource que de provoquer son rival, un tireur qui, s’étant battu deux fois, a deux fois tué son adversaire ; la mère, épouvantée, ira trouver ce rival pour lui dire : « Vous avez été mon amant, vous êtes le père de mon fils ; fuyez une rencontre avec lui. » Si le rival, comme c’est un peu son droit, soupçonne cette révélation de n’être qu’un artifice maternel, et si le jeune homme t’insulte gravement, les choses enfin seront-elles venues à ce point qu’une rencontre soit inévitable, et cette aventure devra-t-elle se terminer par la mort d’un homme ou du moins par la dissolution d’une famille ? Je me mets, cette fois, à la place du mal. J’ai cinquante ans, je suis un tireur de première force, j’ai tué deux adversaires en duel. Un jeune homme m’insulte ; sa mère, tout à l’heure, m’a dit qu’il était mon fils ; je ne m’en doutais pas, j’en doute, et personne ne s’en doute : voilà la situation. Faut-il que je me batte, et si je me bats, faut-il que je tue ce jeune homme ou que je me fesse tuer par lui ? Faut-il laisser croire à sa mère qu’un de ces crimes est inévitable, la mort de son fils ou la mienne, si bien que l’horreur de ce choix lui arrachera des aveux et que désormais son bonheur, son honneur, celui de son mari, celui de toute sa famille sera détruit par ma faute et que j’en aurai des remords qui ne s’apaiseront que dans la tombe ? Grâce à Dieu ! je puis me tirer encore et nous tirer tous de ce mauvais pas à meilleur marché.

On me dit que ce jeune homme est mon fils ; ce n’est guère vraisemblable et cela me gênerait de le croire ; cependant, c’est possible ; au moins le certain est qu’il est le fils de sa mère, à qui je dois des égards, Faut-il me battre, et si je me bats, faut-il acculer cette femme à une confession tardive, en ne lui laissant voir que deux alternatives abominables ? Point du tout ! Je puis d’abord ne pas me battre et dédaigner l’insulte d’un enfant ; ce serait le plus simple : j’ai donné de mon courage et de mon habileté d’assez terribles preuves. Enfin, pour mettre les choses au pis et si je juge que ma mansuétude, en l’espèce, serait suspecte et presque indiscrète, je puis mener ce jeune homme sur le terrain, après avoir averti sa mère de mes sentimens ; je lui piquerai le bras de mon épée ou peut-être l’épaule. S’il est mon fils, que Dieu me pardonne ! je lui aurai repris quatre gouttes de ce sang que j’ai miss dans ses veines ; mais je n’aurai pas brisé sa vie, ni celle de sa mère, ni celle de l’homme qui l’a élevé comme son fils, ni la mienne. Personne n’aura péri dans cette impasse, dont nous serons sortis sans éclat et par une petite porte.

Ce n’est pas le compte de M. Albert Delpit ; car on devine, — ou l’on sait déjà, si l’on a lu son roman, — que telle est la donnée de son drame ; et cette situation extraordinaire, où d’abord il précipite ses héros, il ne permet pas qu’ils s’en évadent par ces portes basses qu’entr’ouvre le bon sens : il a la force de les y maintenir jusqu’à cette explosion qui seule, de par sa volonté, doit les en faire sortir. Aussi bien serait-ce naïveté de s’en plaindre : toute la trame de l’ouvrage, au moins jusque-là, n’est qu’une mèche préparée, pour cette explosion ; celle-ci, ménagée de la sorte ; donne-t-elle un beau spectacle ? Toute la question est là ; — j’entends un spectacle d’âmes, et tel qu’un véritable poète doit l’offrir sur la scène : or, je le déclare en conscience, rarement poète contemporain nous en proposa de plus beaux.

Nous sommes à Cambô, dans le jardin de Pierre Cambry, le député royaliste, le philosophe chrétien, le philanthrope et le patriote, qu’on nomme familièrement le roi des Basques. N’est-ce pas lui qui, en 1870, a mené contre l’ennemi les gars de la montagne et de la vallée ? Au premier rang de ses soldats combattait son fils Martial, fiancé d’Espérance, la fille du banquier Jordan. S’il est le roi de la contrée, sa femme Thérèse en est la reine. C’est de lui, d’ailleurs, que cette belle créature tient ses vertus et volontiers elle s’en fait gloire : étant la femme d’un tel homme, comment ne pas être une femme de bien ? Les pauvres gens disent que Thérèse est un rayon de joie dans leur chaumière ; il se peut qu’elle soit ce rayon, mais son époux est le soleil. Elle l’admire et l’aime ; il l’aime comme au premier jour : « Laisse-moi t’embrasser, lui dit-il, pendant qu’on ne nous regarde pas. » Nous apprenons à les connaître par un double entretien avec leur hôte, Jean de Born, un Parisien venu dans le pays pour faire passer des fusils aux carlistes. « Vous arrivez justement pour assister aux fiançailles de mon fils, » a dit Pierre Cambry à Jean de Born ; cependant, avant de célébrer ces fiançailles, il faut que Pierre éprouve l’âme de Martial ; il faut qu’il lui annonce la ruine imprévue de M. Jordan, sa faillite certaine, sa banqueroute probable, son suicide possible. Martial ne bronche pas : « Espérance est ruinée, son père est failli, s’écrie-t-il ; soit ! Je travaillerai pour deux, je travaillerai pour trois. Et qu’importent l’infamie et la banqueroute ? Tu m’as gagné assez d’honneur pour que je puisse partager avec quelqu’un. » Pierre Cambry remercie Thérèse du noble fils qu’elle lui a donné ; il ouvre la grille du jardin pour le cortège des fiançailles. Devant les montagnards endimanchés, devant les garçons et les filles d’honneur et les ménétriers tout fleuris, Pierre Cambry se tient debout, non loin de sa femme Thérèse, entre Espérance et Martial, qui, d’une voix tremblante, récitent les versets d’usage, selon la coutume basque rédigée par M. Delpit :


— Eh ! qu’as-tu donc, ma gente amie,
Pourquoi restes-tu sans chanter ?
— Parce qu’en ne te disant mie,
J’ai plus d’aise pour t’écouter.


— Eh ! qu’as-tu donc, ma gente amie,
Pourquoi fermes-tu tes beaux yeux ?
— Parce qu’étant, bien endormie,
Dans mon rêve je te vois mieux.
— Mon trésor, vous êtes jolie,
Je vous le dis en vérité !
Si l’amour est une folie,
Je suis fou pour l’éternité !


— Si pour toujours je sois ta belle,
Pour toujours je me donne à toi…
Allons ensemble à la chapelle,
Et gentiment épouse-moi !


Pierre Cambry joint les mains des jeunes gens, qui s’agenouillent devant Thérèse ; un violoncelle derrière la charmille module un chant religieux et tendre, et une paysanne qui domine le groupe fait pleuvoir sur les fronts des fiancés et de la mère des roses effeuillées, tandis que, dans un coin de la scène, un personnage épisodique, Gilbert Harispe, échange avec Jean de Born ces paroles : « Devine qui je viens de rencontrer dans Cambô : le duc de Hautmont ! — Jacques, ici ? Pour quelque femme, sans doute… » Et le spectateur se souvient qu’au nom de cet homme, déjà prononcé par Jean, Thérèse a tressailli.

Tout ce premier acte est franc, clair, agréable ; on y voit le drame s’esquisser à grands traits et les personnages se mettre en place avec aisance ; on y respire un air de vertu, mais de vertu qui n’écœure pas. Enfin, par une heureuse économie de l’ouvrage, l’apparence tout à fait riante de ce tableau nous prépare à sentir plus vivement l’horreur de ce qui va suivre.

Au deuxième acte, nous sommes chez M. Jordan, le père d’Espérance, dans la villa qu’on aperçoit du jardin de Pierre Cambry. M. Jordan arrive de Paris pour embrasser une dernière fois sa fille, décidé à mourir. En effet, il n’a qu’une chance de salut et qu’il repousse avec fermeté : ne serait-ce pas un vilain trait d’égoïsme que de rompre le mariage d’Espérance avec Martial pour la donner au duc de Hautmont, un gentilhomme de cinquante ans, un viveur dont les prodigalités n’ont pu épuiser la fortune et qui s’offre à payer les dettes du père s’il épouse la fille ? Ce tentateur est venu relancer le banquier jusqu’ici ; M. Jordan veut l’éconduire sans même consulter sa fille. Mais, dans un entretien suprême, Espérance devine la résolution de son père et qu’elle peut encore le sauver ; elle devine à quel prix, et le conjure d’accepter son sacrifice. Que M. Jordan rappelle le duc de Hautmont ; Espérance elle-même signifie à Martial qu’il doit renoncer à sa main. Mais Martial ne se résigne pas ainsi : « Tu n’avais plus le droit de disposer de toi, s’écrie-t-il, car tu m’appartenais ; j’ai un rival, je le trouverai, je le tuerai ! » Il s’enfuit, éperdu de douleur et de rage. Sa mère survient : « Où va Martial ? — Chercher son rival pour le provoquer et le tuer ! — Son rival ? — Le duc de Hautmont, qui paie les dettes de mon père et que j’épouse. — Le duel — Le voici. — Laisse-nous ; je vais le recevoir, et je vous sauverai. »

Le duc paraît et se trouve en face de Thérèse : « Vous ! — Moi ! Que me voulez-vous ? — Je veux que vous cessiez d’être le rival de mon fils, du vôtre… — Martial, mon fils ! — Oui, votre fils ! Et mon châtiment, c’est que je doive vous le dire aujourd’hui et que vous ne me croyiez pas… » En effet, le duc ne peut s’empêcher de réfléchir que vingt-quatre ans ont passé avant qu’on lui révélât cette paternité douteuse, et qu’à l’heure où la mère la lui déclare, elle a grand intérêt à ce qu’il y croie. Et par les brèves répliques échangées dans cet assaut de souvenirs, nous devinons l’histoire de ces coupables amours. Thérèse et le duc, jadis, s’étaient promis l’un à d’autre et n’avaient pu s’épouser ; on avait donné Thérèse à Pierre, et le duc l’avait rencontrée, à peine mariée, pendant un voyage de son mari. Elle s’était jetée dans ses bras ; un jour, après quelques semaines adultères, elle s’était sentie mère, elle s’était enfuie. « Comment alors, s’écrie le duc, ne me dites-vous pas pourquoi vous partiez ? — Hé ! si je vous l’avais dit, répond-elle, je ne serais jamais partie. » Son mari est revenu. ; elle n’a pas eu le courage d’avouer sa faute ; elle a laissé Pierre Cambry recevoir pour son fils, élever, aimer comme le fruit de sa chair et l’héritier de son âme le fils de Jacques de Hautmont. Pendant vingt-quatre ans elle a dévoré son repentir ; et combien amer ! Combien de lois n’a-t-elle pas failli le cracher en aveu ! Car pendant ces longues années, elle s’est prise à aimer son mari ; à l’aimer d’un amour craintif, humble, ardent, fanatique ; d’un amour qu’exaspérait sans bruit la cuisson du remords. Et maintenant, après ce long supplice, après que tant de fois elle s’est rongé la langue avec ses dents pour ne pas achever le baiser commencé en confession suppliante, voici que ce châtiment se dresse devant elle, la rivalité de l’amant et de l’enfant : le père et le fils vont s’entretuer ! Non, Jacques de Hautmont ne voudra pas ce crime, il fuira ce sacrilège ; il laissera Espérance à Martial, et d’abord il évitera la colère du jeune homme… Mais le duc de Hautmont secoue la tête ; il taxe de pieux mensonge tout le discours de cette mère ; il décime les charges de cette paternité Importune ; il aime Espérance, il sauve son père, il sait qu’elle l’accepte, cela lui suffit. Il ne croit pas que le fils de Thérèse mourra de son amour : est-il mort autrefois lui-même de son amour pour Thérèse ? Martial est un enfant, qui se consolera ; lui est un homme, qui veut maintenir ses droits d’homme et ne pas s’embarrasser d’un prétendu devoir de père : « Gardez votre entant ; moi, je garde ma fiancée. »

Une telle scène est pénible et pèsera sur tout le drame. Difficilement nous pardonnerons à Mme Cambry une faute dont nous ne voyons pas d’assez près l’excuse et, même à vingt-quatre ans de distance, le manège de cette femme entre l’amant et le mari nous apparaît comme assez malpropre ; d’autre part, l’homme qui refuse de croire sa maîtresse lorsqu’elle lui crié qu’il l’a rendue mère est toujours dans une posture déplaisante. Mais ce qu’il faut reconnaître, c’est que la situation est abordée avec une crânerie qui déconcerte les résistances du public ; aussi bien, c’est la façon ordinaire de l’auteur et sa manière d’attaquer l’obstacle : il me rappelle en ces occasions l’ingénieur dont il est parlé dans une comédie de M. Augier, qui, se trouvant sur la machine d’un express et voyant une charrette de moellons arrêtée sur la voie, lâche toute la vapeur et lance le train à travers la charrette comme un boulet de canon. M. Delpit va de même. Les chicaneurs l’attendent au tournant d’uns situation : il l’aborde de front, il l’enlève, il est passé avant qu’on ait jeté un cri. D’ailleurs il faut déclarer que cette crânerie ne sert pas à nous duper ; ce n’est pas celle d’un escamoteur, mais bien d’un moraliste, cette bravoure est mise au service de la vérité, voire d’une vérité qui n’est pas banale : ce duc de Hautmont, déclinant cette paternité qu’on lui révèle après vingt-quatre ans et refusant de renoncer pour elle à son amour, fait à peu prés ce que tout homme de chair et d’os ferait en pareille occasion, mais ce que peu de héros de théâtre, hormis Pourceaugnac, auraient le courage de faire ; et, ce faisant, il s’expose à la défaveur du public.

Cependant le duc a promis à Thérèse de faire tout ce que lui permettrait l’honneur pour éviter Martial ; même, à la prière de Jean de Born, il s’apprête à quitter Cambô. Mais Martial, par un hasard, devine le nom de son rival ; il le rencontre dans un lieu public, dans le salon du casino, lui cherche querelle, le provoque et lui jette son gant au visage. C’en est trop, le duc se battra, les quatre témoins sont désignés ; la fureur des deux adversaires fait prévoir que la rencontre sera mortelle. Voilà donc les héros du drame, et je ne parle pas seulement de ceux qui vont mettre l’épée à la main, mais de tous ceux dont les sentimens sont en lutte devant nous, enfermés dans le champ clos où l’auteur les a voulu maintenir. Un silence religieux se fait dans l’auditoire, quand Thérèse se retrouve seule avec son fils, dont elle a surpris quelques paroles échangées avec des témoins ; on attend un bel éclat : je vous jure que l’attente ne sera pas trompée.

« Je ne veux pas que tu te battes ! » crie Thérèse à Martial. Il s’agenouille devant elle et lui demande pardon : il faut qu’il se batte, il a provoqué le duc, il l’a frappé. « Je ne veux pas que tu te battes ! » Ce refrain, tantôt jeté d’une voix impérieuse, tantôt murmuré entre les dents, revient scander le dialogue de la mère et du fils ; tout ce dialogue est mené de main de maître, et par le chemin de ces questions et de ces réponses comme par une spirale qui va se rétrécissant toujours, le malheureux jeune homme, entraînant sa mère, se rapproche toujours plus de l’horrible vérité. « Des excuses ! .. — Je ne parle pas d’excuses ; mais tu peux partir. — Fuir devant le duc parce qu’il a tué deux hommes en duel ! Je ne reconnais pas la vaillante mère qui m’a élevé… » Et Martial lui rappelle le courage qu’elle a montré, lors de la guerre, lorsqu’elle l’a envoyé à l’ennemi ; et l’an dernier encore, lorsqu’elle l’a choisi pour champion contre un insolent qui lui avait mal parlé. Et de prétexte en prétexte, la pauvre femme recule jusqu’aux plus faibles : « Je ne veux pas que tu te battes ! Tu es désespéré maintenant, tu te défendrais mal. — Au contraire, va ! Je me défendrai bien ! Je hais cet homme et je le tuerai. » Parricide à présent ! Le fils sera parricide s’il n’est tué. De quelque part qu’elle se tourne, Thérèse ne voit que malheur et crime ; elle perd tout espoir, elle est près de perdre la raison, lorsque Pierre, son mari, paraît. Aussitôt elle court vers lui comme vers le chef, le maître, le patron de la barque en péril, le sauveur dans toutes les tempêtes : « Martial va se battre. — Je le sais. — Arrête-le. — J’y vais tâcher. — J’ai souffleté le duc, interrompt Martial ; il faut que je lui rende raison. — Il le faut, en effet. — Tu l’approuves ? ., reprend la mère. — Que veux-tu, ma pauvre Thérèse ? Nous n’y pouvons rien : c’est dans ces idées-là que nous l’avons élevé. »

Le mot n’est-il pas beau ? Pierre Cambry le laisse tomber avec une simplicité touchante ; puis il revient vers Martial, et, lui serrant fortement la main : « Défends-toi bien, au moins, » et, d’une voix attendrie : « S’il t’arrivait malheur, tu sais que j’en mourrais. » Ainsi, sans le savoir, Pierre Cambry remet à ce fils qu’il aime et dont la naissance l’outrage le soin de venger son honneur : sur qui et devant qui ? Sur l’homme à qui ce fils doit la vie et devant cette mère qui sait tout. Rarement on mit sur la scène un jeu plus tragique de destin.

Mais les témoins appellent Martial. Thérèse demeure en face de Pierre. « Ne crains rien, lui dit-il. Regarde toute ta vie passée ; tu n’y trouveras que des raisons d’espérer dans la justice de Dieu. Quand je t’ai épousée, j’étais plus âgé que toi, je n’étais pas beau ; tu pouvais ne pas m’aimer. Cependant tu as été le modèle des épouses, le modèle des mères : Dieu ne te frappera pas. » Thérèse reçoit, le front courbé, ces éloges qu’elle ne mérite pas, ces éloges mélangés d’excuses qui se proposent à sa conscience et la fléchissent vers l’aveu ; soudain elle a comme la vision. du combat sacrilège qui se livrera demain : ces deux hommes face à face ! le père et le fils ! Elle se tourne vers Pierre, et, les yeux dans les yeux, accrochant ses mains aux épaules de cet homme comme une folle ou comme une noyée : « Pierre, sauve mon fils ! Sauve-le ! Ce duel est abominable ! Ce duel ne peut avoir lieu ! — Pourquoi ? » À ce simple mot, elle recule suffoquée par l’aveu trop gros qui s’arrête dans sa gorge ; elle chancelle, elle s’agenouille : « Parce que je suis une misérable ! parce que le duc est le père de Martial ! » — « Misérable ! » en effet ; Pierre bondit sur elle pour l’étrangler ; elle invoque la mort comme une expiation ; mais il dénoue ses mains, il se redresse, et puis retombe vaincu de douleur sur un siège. Il reste là, tandis qu’elle se traîne à ses pieds et murmure une confession qu’il n’entend pas ; les yeux fixes, d’une voix sourde il interrompt seulement deux fois sa plainte : « Et je n’ai plus d’épouse ! .. Et je n’ai plus de fils ! »

Quelques personnes, paraît-il, bien qu’émues par cette scène, ont prétendu que l’aveu de Thérèse manquait de raisons ; j’avoue que je le trouve fort beau, justement par les raisons que j’en vois. Thérèse, depuis vingt-quatre ans, a connu cet homme ; elle l’estime, elle l’admire, elle l’aime. Est-elle si sûre de sa grandeur d’âme qu’elle compte sur lui, de propos délibéré, pour empêcher un sacrilège qui, justement, vengerait son outrage ? Est-ce d’instinct seulement et par habitude de recourir à lui dans le danger qu’elle l’appelle comme un sauveur, sans réfléchir qu’elle peut s’en faire un justicier ? Invoque-t-elle son désintéressement ou bien oublie-t-elle qu’il est intéressé dans le débat ? L’un et l’autre se peut soutenir ; l’un et l’autre sans doute est vrai presque à la même seconde : dans ces crises d’âme, des mobiles différens s’enlacent pour aboutir au même acte. Le certain, ici, c’est que l’acte est sublime : pour sauver son fils, après vingt ans d’impunité, — achetée par quels efforts ! — cette femme se dévoue à la justice, c’est-à-dire à la colère, à la haine, au mépris de l’homme qu’elle adore maintenant ; elle désole cet homme, elle rompt la sécurité de son honneur et le bonheur de sa vie, — et en même temps elle lui donne le plus grand témoignage de confiance, partant de respect et d’amour, qu’une femme puisse donner à un homme ! Ce mouvement est l’un des plus beaux que je connaisse au théâtre, et l’un des plus raisonnables.

Cependant Pierre Cambry, à entendre la fin de ces aveux, sort de son accablement et reprend sa fureur. Cet homme de cinquante ans, encore amoureux de sa femme et jaloux, n’est pas un ange, mais un homme : « Tais-toi ! tais-toi ! crie-t-il. Quel besoin as-tu de me jeter tes souillures à la face ! » Il marche sur Thérèse la main levée ; la porte s’ouvre : c’est Martial. Pierre se retourne : interrompu dans sa justice, hagard, farouche, il balaie l’intrus du geste, il veut chasser l’étranger, le témoin vivant de son déshonneur : « Va-t’en ! répète-t-il d’une voix rauque ; va-t’en ! » Pierre Cambry, je le répète, n’est pas un ange ni surtout un ange de théâtre ; il sait que Martial n’est pas son fils ; il ne peut en ce moment que le haïr, il le repousse de sa présence comme de son cœur. » Cependant Martial s’étonne, et doucement : « Tu es fâché contre moi ! De quoi suis-je coupable ? » Et ce juste rentre en lui-même : « Coupable, toi ? murmure-t-il… Non ? en effet, tu n’es coupable de rien. — Trouves-tu que j’aie tort de me battre ? » Pierre saisit ce prétexte et verse de ce côté sa colère qui gronde encore ; en même temps, il se rappelle la tâche que la révélation de Thérèse lui imposé : « Oui, reprend-il avec force, oui, tu as tort. Oui, tu n’es qu’un enfant, un mauvais enfant qui ne sais pas souffrir et dompter ta douleur ! » Martial aussitôt : « Si tu juges que j’ai tort, toi que j’aime depuis vingt ans comme la justice même, c’est que j’ai tort. Si tu veux que je fasse des excuses, toi, que j’estime comme l’honneur fait homme, eh bien ! j’en ferai. » À ce coup, Pierre Cambry se sent frémir ; un revirement se fait dans son âme. Sans se l’avouer peut-être, il est touché de cette tendresse et de ce respect qui s’attachent à lui et dont Martial lui donne une si forte preuve ; devant le sacrifice de ce jeune homme et cet exemple de volonté, une émulation le saisit, digne des plus purs héros de la tragédie classique : « Cet enfant s’est dompté, dit-il, et je ne me dompterais pas ! .. Martial, va embrasser ta mère ! » Et comme il se dirige vers la porte : « Et toi, dit Martial simplement, tu ne l’embrasses pas ! » Il ne faut pas que l’enfant devine la vérité, ni que la mère rougisse devant lui. Pierre Cambry revient vers Thérèse, il se penche sur son front, mais sans le baiser, et murmure ces paroles : « Tu es coupable, mais ton fils est innocent… — Où vas-tu ? — Te le rendre ! » Flatterai-je l’auteur en disant que cette fin d’acte est sublime ? En vérité, je ne serai que juste. La franchise avec laquelle j’ai fait mes réserves sur tout ce qui précède cette explosion est une garantie de ma bonne foi.

Ce qui suit, on le devine, au moins ce qui suit immédiatement. Pierre accourt chez le duc : « Ce n’est pas avec Martial qu’il faut vous battre, c’est avec moi. — Avec vous ! Pourquoi ? — Parce que vous avez été l’amant de ma femme ; parce que vous êtes le père de son fils ! » C’était donc vrai ! Le duc n’avait pas cru la mère ; il croit le mari : ne fallait-il pas que l’affreux secret fût dix fois vrai pour que Thérèse l’eût révélé à Pierre ? Le duc promet à Cambry que Martial et lui-même auront satisfaction. Devant les témoins assemblés, il déclare qu’il renonce à la main d’Espérance, il se reconnaît des torts, il fait des excuses à Martial : « Des excuses, oui, monsieur ; et je vous souhaite de vivre mieux que je n’ai vécu, afin que vous n’ayez pas à vous humilier, quand vous aurez cinquante ans, comme moi, devant un jeune homme de vingt ans, comme vous. » Ce n’est pas tout ; un duel avec M. Cambry compromettrait Thérèse, et le duc ne s’y défendrait pas ; d’ailleurs ce gentilhomme passionné vient de juger sa vie, qu’il voit mauvaise, et de briser lui-même son cœur ; il prend une résolution extrême, qu’il annonce tout bas à Pierre : il s’engage dans l’armée carliste ; au premier combat, il sera tué.

La pièce pourrait finir là ; beaucoup d’honnêtes gens, de sens plus rassis que le duc, pensent même que ce malheureux pousse un peu loin l’expiation et se trouveraient gênés à la place de M. Cambry par cette annonce d’un suicide. Le mariage de Martial et d’Espérance est assuré ; on peut croire que Pierre et Thérèse dévoreront leur secret et que bientôt le vieux péché sera comme s’il n’avait jamais été. C’est un dénoûment heureux. Mais le courage de l’auteur, après tant de prouesses, n’est pas encore las ; il estime avec le critique « qu’un bon dénoûment est celui qui met fin à une lutte d’intérêts, de caractères et de passions par un moyen issu de ces passions, de ces caractères ou de ces intérêts[1]. » Il juge que le caractère de Martial ne se prêterait pas à cette fin presque heureuse, qu’il en exige une autre : Martial ne peut se contenter de ces défaites dont il profite, de ces excuses suspectes et de cet évanouissement de son rival. D’ailleurs, il suffit qu’une autre fin présente un danger pour que M. Delpit s’y risque. Il ramène donc le jeune homme chez le duc ; il fait qu’il y rencontre sa mère et qu’il y devine la vérité. Martial prend Thérèse dans ses bras, il la baise au front ; peu s’en faut qu’il lui demande pardon de sa clairvoyance. Il souffrira toujours, lui aussi de sa découverte ; mais du moins sa douleur sera digne ; ayant à défendre son honneur, il n’ignorera rien de lui-même et la paix de sa conscience ne sera pas achetée par une fiction. Le respect et l’amour qu’il garde pour sa mère et pour l’homme qui l’a élevé, pour son père selon l’esprit et selon le cœur, ne lui seront pas volés. Il s’incline devant le duc, et il entraîne Thérèse : « Allons là-bas, dit-il, où nous avons quelqu’un à consoler. »

On ne pourra nier que cette fin s’éloigne de la banalité ; on reconnaîtra qu’elle satisfait au caractère du héros ; il faudrait une sensiblerie bien délibérée pour la blâmer ; à qui même la blâmerait, le courage et la loyauté de l’auteur n’en paraîtraient que plus estimables. L’auteur, comme son héros, demeure jusqu’au bout fidèle à ses passions, et l’on ne peut contester qu’elles soient nobles. Auprès de ce drame, qui ne trouverait timides le Fils de M. Vacquerie et les Vieux Garçons de M. Sardou ? Cependant on s’étonnait de la hardiesse de l’un, parce qu’il faisait rougir une mère devant son fils ; on vantait la témérité de l’autre parce qu’il montrait le père naturel et le fils en rivalité d’amour. Mais avec quelle prudence, avec quelles précautions de théâtre l’un et l’autre côtoyaient ces situations ou s’en esquivaient ! Dans le drame de M. Vacquerie, le mari et l’amant étaient morts quand le fils découvrait la faute de sa mère ; il ne restait de l’un qu’une fortune et de l’autre qu’un portrait : point de combat, en somme, faute de combattans. La comédie de M. Sardou mettait le fils naturel et son père aux prises, mais tout juste pour qu’ils pussent s’embrasser : dès que ce vieux don Juan soupçonnait ce petit Grandisson d’être son fils, il se fondait en amour ; ici, d’ailleurs, c’étaient la mère et le père légal qui avaient pris soin de trépasser. M. Delpit trouve ces conditions trop douces ; de même pour le Fils de Coralie avait-il dédaigné les conditions du Fils naturel : Jacques Vignot refuse de reconnaître son père, le capitaine Daniel serait bien embarrassé de connaître le sien. Où les autres ne se hasardent que sur la pointe du pied et pour s’empresser de déguerpir, M. Delpit saute à pieds joints et se carre ; où les autres ne touchent qu’à peine, il s’établit. Mais son courage, nous l’avons vu, n’est pas une effronterie stérile : s’il se plaît dans les lieux escarpés, nous savons quelles beautés tragiques il y trouve.

Assurément, le comble de l’imprudence eût été de signer cette pièce Bergerat et de la faire jouera l’Odéon, voire même à Bruxelles, où l’auteur du Nom vient de faire écouter jusqu’au bout Herminie. L’auteur du Fils de Coralie a profité de son crédit pour imposer au public le Père de Martial. Il a profité aussi de l’autorité que lui prêtait l’excellente troupe du Gymnase : M. Landrol, qui représente Pierre Cambry avec un art consommé de comédien ; M. Marais, qui se dépense généreusement, dans le rôle de Martial ; Mme Pasca, une tragédienne en robe de dame ; Mlle Lemercier, une touchante ingénue ; MM. Barbe, Lagrange, Bertal, Noblet. Moins bien défendu par le nom de l’auteur et par le talent des interprètes, ce drame n’eût peut-être pas dompté la fortune avec autant de superbe qu’il l’a fait : c’eût été dommage pour le public de la centième et pour l’honneur des lettres.


LOUIS GANDERAX.

  1. Léopold Lacour, le Théâtre et la Vérité, introduction au volume Gaulois et Parisiens ; Calmann Lévy, éditeur.