Revue littéraire - Bibliographie des œuvres de Voltaire

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Revue littéraire - Bibliographie des œuvres de Voltaire
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 96 (p. 208-220).
REVUE LITTERAIRE

:Voltaire, Bibliographie de ses œuvres, par M. George Bengesco. Paris, 1882-1889 ; Rouveyre et Perrin.

Parmi nos grands écrivains, s’il en est un dont la Bibliographie soit indispensable à l’intelligence entière de ses œuvres, c’est assurément Voltaire, — et on en voit aisément les raisons. Il a d’abord, lui tout seul, autant ou plus écrit que Montesquieu, Rousseau, et Diderot ensemble. En second lieu, s’il a comme eux écrit quelquefois sous son nom, il a peut-être écrit encore davantage sous des noms supposés ; — et Quérard, qui jadis, dans sa Bibliographie voltairienne, ne relevait pas moins de cent trente-sept pseudonymes du grand homme, en a certainement oublié quelques-uns. Enfin, son œuvre est plus ou moins qu’une œuvre, c’est une action, et tout le monde sait que la littérature, pendant plus de soixante ans, n’a pas été pour l’auteur de l’Essai sur tes mœurs et du Dictionnaire philosophique un art, mais proprement une arme. Il en résulte que, s’il y a des écrits qu’on ne puisse pas détacher de leur cause ou de leur occasion, dont le sens et la portée ne dépendent pas moins de la date et des circonstances de leur publication, en dépendent même davantage, que de l’effet qu’ils peuvent produire encore aujourd’hui sur nous, ce sont les siens. Un seul exemple le fera bien voir. En quelle année les grands comédiens, ceux de l’Hôtel de Bourgogne, ont-ils joué le Polyeucte de Corneille ? en 1640 ou en 1643 ? La question est intéressante, sans doute, et, à la réponse qu’on en donne, plusieurs autres questions sont liées ; elle n’est pas importante, je veux dire qu’elle ne fait rien, ou peu de chose, à l’histoire du théâtre français et à la connaissance du génie de Corneille. Mais, en quelle année précise, ou plutôt en quel mois de l’année 1762 a paru le Sermon des cinquante ? avant ou après la Profession de foi du vicaire Savoyard ? La question n’est pas intéressante seulement, elle est presque capitale pour l’histoire des idées de Rousseau, pour la connaissance du caractère ou de la politique de Voltaire, et pour l’histoire même du mouvement philosophique au XVIIIe siècle, si, comme Condorcet l’assure, « le Sermon des cinquante est le premier ouvrage où M. de Voltaire, qui n’avait jusqu’alors porté à la religion chrétienne que des attaques indirectes, ait osé l’attaquer de front. » Et, en réalité, sur ce point particulier, je crois que Condorcet se trompe ; mais s’il se trompe, c’est faute justement de connaître assez bien la Bibliographie des œuvres de son maître ; et nous, si nous sommes en mesure de rectifier son erreur, c’est qu’après cent ans écoulés, nous commençons à la connaître mieux.

Nous ne saurions donc trop remercier M. Georges Bengesco du service qu’il vient de rendre à l’histoire de la littérature française en composant une Bibliographie des œuvres de Voltaire, dont l’intérêt, pour être autre et moins piquant au premier abord, n’est pas moindre que celui des Études sur Voltaire, de M. Gustave Desnoiresterres, ou des précieux commentaires de Beuchot dans sa monumentale édition des Œuvres. Ce que d’ailleurs les bibliographes de profession pourront penser des trois volumes présentement parus de l’ouvrage de M. Bengesco, ce qu’ils y trouveront à reprendre ou à critiquer, je l’ignore ; et même je ne veux pas le savoir. Mais ce que je puis dire, comme sachant un peu les difficultés et surtout l’étendue de la tâche, c’est que, pour aucun de nos grands écrivains, nous n’avons de Bibliographie comparable à celle de M. Bengesco. Le savant et laborieux auteur lui-même de la Bibliographie cornélienne, M. Émile Picot, ne m’en démentirait pas au besoin. Heureux en éditeurs, et heureux en biographes, car depuis Condorcet jusqu’à M. Desnoiresterres presque toutes les biographies de Voltaire participent de l’intérêt de sa vie, — ce qu’on ne pourrait pas dire des biographies de Rousseau, — Voltaire ne l’aura pas été moins en fait de bibliographe.

On peut diviser l’œuvre entière de Voltaire en trois parts d’inégal volume, d’inégale importance, et d’inégal intérêt. La première, et à tous égards la moins considérable, s’enfonce tous les jours plus profondément dans l’oubli : on peut prévoir avec assurance que de son Théâtre entier, — qui ne fait pas moins d’une cinquantaine de tragédies, de comédies, d’opéras, — et de ses Poésies, il ne surnagera plus dans quelques années, que Zaïre, une douzaine d’épigrammes, autant de madrigaux, et quelques vers passés en proverbes. La troisième, — c’est la Correspondance, — est aujourd’hui la seule, ou à peu près, que l’on lise ; et, au fait, quand on la lit bien, quand on sait la lire, car il y faut tout un apprentissage, on y retrouve tout Voltaire, et les plus fameux de ses contemporains avec lui. Mais la seconde, — les Histoires et les Contes, le Dictionnaire philosophique et les Mélanges, les Mélanges surtout, — voilà de beaucoup la plus volumineuse, comme aussi la plus importante, celle qu’il faut ne pas se lasser de lire et de relire, si l’on veut savoir et mesurer la nature, la grandeur, et la direction de l’action que Voltaire a exercée sur son siècle. La tâche en est au surplus beaucoup moins fatigante, et plus profitable aussi qu’on ne le croit. Si Voltaire est en effet souvent superficiel, il ne l’est pas au moins faute devoir ou de comprendre ; et, sans jamais l’affecter, il a souvent atteint, par la seule et merveilleuse agilité de sa compréhension, la véritable profondeur. En proposant, d’ailleurs, pour les problèmes que nous agitons encore entre nous, des solutions trop simples, et par cela même, si l’on peut ainsi dire, éminemment contestables, il n’en a pas moins fait le tour des idées. Et puis, et enfin, voltairiens que nous sommes sans le savoir ou même en voulant ne pas l’être, c’est là que nous avons nos origines ; et l’on est étonné, pour peu qu’on les lise avec quelque attention, de tout ce qu’il y a dans le Dictionnaire philosophique, par exemple, — moins encore que cela, dans une simple facétie, comme la Conversation d’un Intendant des Menus avec l’abbé Grizel, ou comme l’Histoire d’un bon Bramin, — de choses que nous croyons avoir inventées ou trouvées depuis hier.

Conformément à cette division, M. George Bengesco nous a donc donné, dans son premier volume, la Bibliographie des œuvres dramatiques, poétiques, et historiques de Voltaire. Il a consacré le second aux Mélanges. Enfin, dans le troisième, qui vient de paraître, il s’occupe uniquement de la Correspondance. Le quatrième et dernier contiendra la description des collections d’Œuvres complètes, et l’examen des nombreux écrits plus ou moins faussement attribués à Voltaire. Mais nous nous reprocherions d’attendre pour parler de l’ouvrage qu’il soit entièrement terminé, puisque aussi bien nous n’avons pas attendu jusque-là pour nous en servir ; et, parmi les questions qu’il décide, nous avons choisi deux où l’on verra clairement, je crois, le genre d’intérêt qu’il y avait à l’écrire.

La première est relative à l’influence que plus de trois années de séjour en Angleterre auraient exercée sur la formation ou le développement des idées de Voltaire. Si l’on en croyait effectivement la plupart des biographes, les Allemands, les Anglais surtout, M. John Churton Collins, par exemple, dans son Voltaire en Angleterre (1886), ou JM. Edouard Herz dans son Voltaire et la procédure criminelle au XVIIIe siècle (1887), — pour ne parler que des plus récens, — — c’est à Bacon et à Locke, c’est à Newton et à Clarke, c’est à Collins, à Toland, à Woolston que Voltaire devrait les principes au moins de sa philosophie, de sa science, de sa théologie surtout ; et son œuvre polémique, sous une forme assurément française, — aussi française qu’il y en ait au monde, — on veut bien l’accorder, serait cependant, dans son fond, tout anglaise. Aux environs de 1726, nous aurions donc député dans la patrie de la tolérance du déisme, et de la libre pensée, un poète, une façon de gentilhomme, un bel esprit de salon et de cour, l’auteur d’Œdipe, de Mariamne, de la Henriade ; et l’Angleterre, trois ans plus tard ; nous aurait rendu un philosophe, un sage, l’homme qui devait un jour au nom de la libre pensée, du déisme, et de la tolérance, porter à l’ancien édifice religieux les coups les plus sensibles et les plus retentissans qui l’eussent ébranlé depuis le temps de Calvin et celui de Luther. J’aimerais autant que l’on dît que c’est l’Angleterre qui a fait la Révolution française ; et que ce qu’il y a de louable et de bon dans le long effort de l’homme qui n’en fut pas le moindre ouvrier, c’est ce qu’il doit à ses maîtres anglais, mais que ce qu’il y a de moins bon, et même de condamnable, c’est ce qu’il y a mis de lui-même et du génie de sa race. Sans aller-jusque-là, les biographes français de Voltaire, avec cette étrange manie que nous avons d’en croire les étrangers sur eux-mêmes et sur nous, me paraissent pourtant avoir beaucoup exagéré la dette de Voltaire envers les philosophes et les libres-penseurs anglais du commencement du XVIIIe siècle. Il était homme à se passer d’eux ; et s’il lui fallait absolument des maîtres, il en avait eu de français qui valaient bien Woolston, Toland, Collins et, Bolingbroke à la fois.

Rappelons-nous en effet l’état des esprits, même au XVIIe siècle : « Dans Paris seulement, écrivait le père Mersonne en 1623, dans ses Questions sur la Genèse, je ne compte pas moins de 50,000 athées, et l’on peut, dire en vérité que cette superbe ville n’est pas plus infectée de l’odeur de ses boues que de celle de son athéisme ; Si luto plurimum, multo magis atheismo fœtet. » On connaît également la phrase de Nicole, quelques années plus tard : « Il faut donc que vous sachiez que la grande hérésie du monde n’est pas le calvinisme ou le luthéranisme, que c’est l’athéisme, et qu’il y a toute sorte d’athées, de bonne foi, de mauvaise foi, de déterminés, de vacillans et de tentés. » Et Leibniz s’écriait-à son tour, en 1696 : « Plût à Dieu que tout le monde fût au moins déiste, c’est-à-dire bien persuadé que tout est gouverné par une souveraine sagesse. » Mais déjà Bossuet avait mis le doigt sur l’origine dm mal ; sur sa cause toujours subsistante, et sur celle de ses progrès futurs quand il disait : « Je vois un grand combat se préparer contre l’église sous le nom de la philosophie cartésienne. » Sainte-Beuve a raison de faire observer à ce propos que le XVIIe siècle, considéré selon une certaine perspective, laisse voir l’incrédulité dans une tradition, directe et ininterrompue. Les Libres penseurs français ont précédé dans l’histoire de la pensée moderne les Free-thinkers anglais, si même on ne doit dire qu’ils les ont inspirés et, dans Bolingbroke ou dans Shaftesbury, mais surtout dans Toland et dans Collins, qui me paraissent tous deux absolument médiocres, je doute que l’on trouvât rien que quelqu’un des nôtres n’eût dit avant eux. Il est surtout un livre et un homme dont on a méconnu dans cette question l’importance vraiment européenne, et qui nous appartiennent tous les deux tout entiers : l’homme, c’est Pierre Bayle, et le livre, c’est son Dictionnaire, trois ou quatre énormes in-folio dont il ne s’est pas succédé, — si je l’ai dit, il faut le redire, — de 1696 à 1740, en moins de cinquante ans, moins de douze éditions, y compris deux adaptations ou traductions anglaises. Entre Spinosa, que le XVIIe siècle a d’ailleurs peu connu, et Voltaire, dont nous parlons, Bayle a été non-seulement en France, mais en Europe, l’apôtre de la tolérance ; et son Dictionnaire, entre le Traité théologico-politique et le Dictionnaire philosophique, a été le bréviaire de la libre pensée. Toutes les thèses que la philosophie du XVIIIe siècle a développées, ou presque toutes, — car il en faut excepter celle de la bonté originelle de l’homme, — c’est Bayle qui les a proposées, définies, et enseignées le premier. Avant que Locke eût écrit son Essai sur la tolérance, Bayle avait publié sa France toute catholique sous le règne de Louis le Grand, et son Commentaire philosophique sur le Compelle Intrare, dont le titre même ressemble à celui d’un pamphlet de Voltaire. Avant que Collins eût composé ses Discours sur l’usage de la raison et sur la Liberté de penser, Bayle avait donné ses Pensées sur la comète ; et, dans son Dictionnaire, il avait épuisé tout ce qu’on a jamais produit d’argumens sur l’incompatibilité de la raison et de la foi. Avant que Toland eût écrit son Pantheisticon, qui est le compendium de l’athéisme anglais de ce temps, Bayle enfin avait osé dire u que la religion chasse tellement les idées naturelles de l’équité qu’on devient incapable de discerner les bonnes actions d’avec les mauvaises » et, en conséquence, que, catholique ou protestante, musulmane ou païenne, elle ne sert « qu’à ruiner le peu de bon sens que nous avions reçu de la nature. « Il exprime ailleurs la même idée d’une façon presque plus énergique, dont aucun des « philosophes » du XVIIIe siècle, anglais ou français, n’a dépassé la singulière et tranquille audace : « Les sentimens d’honnêteté qu’il y a parmi les chrétiens, dit-il, ne leur viennent pas de la religion qu’ils professent, et la nature les donnerait à une société d’athées, si l’Évangile ne la contrecarrait pas. »

Mais peut-être que ces idées n’étaient pas sorties du cabinet des érudits ou des philosophes, et qu’en les reprenant à Bayle ou en les exprimant après lui, ce sont les libres penseurs anglais qui les auraient répandues et popularisées en France. Tout au contraire ; et quand les Œuvres, quand le Dictionnaire de Bayle n’auraient pas été pour Voltaire ce que nous savons qu’ils étaient alors pour une jeunesse avide de nouveautés, des livres où l’on apprenait pour ainsi dire à lire, et l’arsenal dialectique où lui-même devait toujours puiser plus tard de préférence aux livres anglais, il en eût encore retrouvé l’esprit tout entier dans la conversation des sociétés qu’il fréquentait. On oublie trop, en effet, que, lorsque Voltaire débarqua pour la première fois en Angleterre, au mois de mai 1726, il avait passé la trentaine, et que depuis déjà plus de vingt ans, alors, il n’était guère de monde où son extraordinaire précocité ne l’eût familièrement mêlé. Chez la vieille Ninon de Lenclos, où son parrain, l’abbé de Châteauneuf, le menait aux jours de congé ; au Temple, chez les Vendôme, où l’on tenait, après boire, académie de libertinage ; ailleurs encore, chez les Maisons, où Dumarsais faisait le philosophe ; au café Gradot, au café Procope, où Boindin donnait des leçons d’athéisme ; à la cour du Régent ou chez Mme de Prie, tous ces audacieux paradoxes, toutes ces idées que Bayle avait insinuées sous le couvert de son érudition, Voltaire les avait entendu soutenir et discuter, il les avait discutées lui-même, il les avait mises en vers faute d’oser encore les mettre en prose. Ou si peut-être enfin on aimait mieux cette autre manière de dire la même chose : avant qu’il fût Voltaire, il avait déjà trouvé, dans la France du temps de la Régence et de M. le Duc, une tradition de voltairianisme établie ; — bien loin d’avoir aucun besoin de passer le détroit pour la rapporter d’Angleterre.

C’est ici qu’intervient le renseignement bibliographique pour compléter et achever la preuve. On peut lire, en effet, dans les Poésies de Voltaire, une pièce intitulée, selon les éditions, Epître à Uranie ou le Pour et le Contre, qu’il faut prendre d’abord grand soin de ne pas confondre avec deux autres pièces qui portent bien aussi le titre d’Epitre à Uranie, mais qui sont adressées à Mme du Châtelet, et dont la date est d’ailleurs certaine. Celle dont nous parlons commence par ces vers :

Tu veux donc, charmante Uranie,
Qu’érigé par ton ordre en Lucrèce nouveau,
Devant toi d’une main hardie
Aux superstitions j’arrache le bandeau…

La suite répond au début :

Entends, Dieu que j’implore, entends du liant des cieux
Une voix plaintive et sincère,
Mon incrédulité ne doit pas te déplaire,
……
Je ne suis pas chrétien, mais c’est pour t’aimer mieux.

Et l’épître finit sur ces mots, dont le sens est sans doute assez clair :

Un Dieu n’a pas besoin de nos soins assidus.
Si l’on peut l’offenser, c’est par des injustices,
Il nous juge sur nos vertus
Et non pas sur nos sacrifices.

Les éditeurs de Kehl ne s’y sont pas trompés. Ils ont très bien vu que le déisme voltairien était déjà tout entier dans cette courte pièce, et ils l’ont rapprochée de la Profession de foi du vicaire saooyard. « Cet ouvrage, dit Condorcet, a le mérite singulier de renfermer en quelques pages et en très beaux vers les objections les plus fortes contre la religion chrétienne. » Mais quelle en est la date ? C’est ce qu’il a négligé de rechercher, et c’est ce qui importe.

La plus ancienne édition qu’on en connaisse est de 1738 ; mais on croit communément qu’elle dut paraître en 1734, ou en 1733 : Beuchot disait en 1732, et il est certain qu’elle courait manuscrite en 1731. Il y avait alors deux ans que Voltaire était revenu d’Angleterre ; Mais, d’autre part ; on lit, dans un factum de Jean-Baptiste Rousseau : Au. sujet des calomnies répandues contre lui par le sieur Arouet de Voltaire, et daté de 1736 : « Tout allait bien entre nous, lorsqu’un jour, m’ayant invité à une promenade hors de la ville, il s’avisa de me réciter une pièce de vers de sa façon, portant le titre d’Epître à Julie, si remplie d’horreurs contre ce que nous avons de plus saint dans la religion, et contre la personne même de Jésus-Christ ; enfin si marquée au coin de l’impiété la plus noire… que je l’interrompis, en prenant tout à coup mon sérieux. » Quelle est cette Epitre à Julie ? Il semble bien que ce ne puisse être que le Pour et le Contre, dont la composition se trouverait ainsi reportée jusqu’en 1722, puisque c’est en cette année-là que les deux poètes se virent, à Bruxelles, pour la dernière fois. Mais si ce n’est pas le Pour et le Contre ; alors, à en juger d’après le langage de Rousseau, c’est quelque pièce encore plus hardie, qui n’a pas été recueillie dans les œuvres de Voltaire. Et dans l’un comme dans l’autre cas, une telle pièce étant de 1722, ou de 1721 peut-être, elle est antérieure de quatre ou cinq ans pour le moins au départ de Voltaire pour l’Angleterre. Avant d’avoir lu ni Toland ni Collins, avant même de connaître Bolingbroke, Voltaire était donc en possession des principaux argumens de sa polémique antichrétienne. Et puisqu’on ne veut pas qu’il fut capable de les trouver tout seul, nous avons indiqué à quelle source il les avait empruntés.

On demandera pour quelle raison il attendit à les produire. Si la discussion de la première question a jeté quelque jour sur l’origine de ses idées, la discussion de la seconde fera peut-être quelque lumière sur la vérité de son rôle et de son caractère.

Un an de Bastille, trois ans d’exil, et le bruit soulevé par ses Lettres anglaises en 1734 l’avaient rendu prudent. Nous n’avons pour nous en convaincre qu’à parcourir le second volume de la Bibliographie de M. Bengesco, dont les quatre cents pages, comme nous l’avons dit, sont uniquement consacrées aux Mélanges. Les Mélanges de Voltaire, si l’on veut se faire une idée du contenu des quatorze tomes qu’ils remplissent dans l’édition Beuchot, peuvent se diviser en littéraires, comme l’Éloge de Crébillon, ou les Lettres sur la Nouvelle Héloïse ; en scientifiques, tels que les Élémens de la philosophie de Newton ou l’Essai sur la nature du feu ; et en polémiques enfin ou philosophiques, — puisque c’est alors ainsi qu’on les appelait, — comme les Questions sur les Miracles ou le Dîner du comte de Boulainvilliers. Ces derniers, qui sont les plus nombreux et aussi les plus importans, roulent un peu sur toutes les questions que le XVIIIe siècle ait agitées, depuis celle du « produit net » et de la liberté du commerce des grains, jusqu’à celle de l’authenticité des Évangiles ou des rapports de la morale et de la religion. Enfin, parmi ces questions, à dater de 1760, il en est surtout deux où Voltaire ne se lasse pas de revenir, sans autrement se soucier de se voir accusé de « rabâchage » par le baron de Grimm : l’une est la question de l’administration de la justice criminelle ; et l’autre la question, non pas précisément de la divinité, ou de la vérité du christianisme, mais de sa conformité à la raison.

Je dis : à dater de 1760 ; et c’est ce que confirme l’examen bibliographique. Tandis qu’en effet, dans le second volume de M. Bengesco, les Mélanges antérieurs à 1760 s’inscrivent sous quatre-vingt-douze numéros seulement, — de 1548 à 1640, — dont la description n’occupe pas plus de soixante-quinze pages ; les Mélanges postérieurs à 1760 se classent sous deux cent trente-huit numéros, — de 1641 à 1879, — dont la description remplit tout près de trois cents pages. On remarquera que cela fait environ treize ou quatorze pamphlets par an, dont quelques-uns sont de gros livres, comme le Traité de la tolérance, ou la Bible enfin expliquée. Encore, je ne parle ni des Contes, — l’Ingénu est de 1767, et l’Homme aux quarante écus de 1768 ; — ni des tragédies que l’infatigable rimeur continue de brocher, — Tancrède est précisément de 1760 ; — ni des Épitres enfin ou des Contes en vers, — l’Épître à Boileau est de 1769, et la Bégueule de 1772 ; — ni du Dictionnaire philosophique, ni du Commentaire sur Corneille. Mais je crois devoir ajouter qu’il en est de la Correspondance comme des Mélanges, et que dans l’édition de M. Moland, par exemple, tandis que, de 1711 à 1760, pour un demi-siècle, nous n’avons que 4,011 pièces, nous en avons 6,250 pour les dix-huit années seulement de Ferney, de 1760 à 1778. Les pertes ou les manques se compensent ; et si, pour la première période, nous n’avons plus les lettres de Voltaire à Mme du Châtelet, ni l’espérance qu’on les retrouve un jour, on publiera sans doute les six ou sept cents lettres de Voltaire au banquier Tronchin, mais elles ne sont pas encore dans nos éditions. Évidemment, à cette suractivité du « vieillard de Ferney, » il doit y avoir d’autres raisons que son éloignement de Paris ; et la bibliographie, qui nous aidait tout à l’heure a besoin, maintenant, que nous l’aidions à son tour.

Oui, dès l’époque où Voltaire écrivait l’Epître à Uranie, si ses idées n’étaient pas encore arrêtées, comme l’on dit, il en avait au moins les commencemens de toutes ; et c’était bien celles que, dans ses Mélanges ou dans le Dictionnaire philosophique, il devait un jour développer. Même on pourrait observer, puisque l’Épître à Uranie ne parut publiquement qu’en 1732 au plus tôt, que, par où le vieillard devait finir, par là aussi le jeune homme avait commencé. En effet, le dernier ouvrage de Voltaire est une suite de Remarques sur les Pensées de Pascal, datée de 1777 ; et, dans ses Lettres anglaises, qui parurent en 1734, mais qui sont de 1728, rien n’avait tant ému l’opinion qu’une Vingt-cinquième Lettre sur les Pensées de Pascal. Autre preuve en passant que la polémique antireligieuse de Voltaire, pour être d’un goût généralement douteux, n’est pas du moins aussi superficielle qu’on l’a bien voulu dire. Eclairé par l’instinct, et aussi par la vive antipathie qu’il ressentait pour Armand Arouet, son « janséniste de frère, » il a bien pu n’opposer que de médiocres raisons à l’auteur des Pensées, mais il a reconnu en lui l’ennemi qu’il fallait vaincre d’abord, ou écarter, pour arriver au but qu’il entrevoyait. La « philosophie » de Voltaire ne pouvait s’établir que sur les débris de celle de Pascal ; et c’est ce que personne, au XVIIIe siècle, adversaire ou allié de sa cause, n’a discerné plus clairement que Voltaire, ni surtout avant lui. Cependant, après le premier éclat de 1734, il paraît un moment s’assagir. Il écrit bien, dans une lettre à son ami d’Argental, après la condamnation et le brûlement des Lettres anglaises, une phrase qui semble annoncer l’intention de redoubler d’audace : « Va, va, Pascal, laisse-moi faire ! tu as un chapitre sur les Prophéties où il n’y a pas l’ombre du bon sens. Attends, attends ; » mais cette menace, il n’y donne pas suite ; et, selon l’expression de Condorcet, il attendra maintenant, pour « attaquer de front la religion chrétienne » dans son Sermon des Cinquante, plus d’un long quart de siècle. Quelle en est la raison ? Car il a l’esprit hardi, s’il a le cœur timide, et, tout en calculant de loin les conséquences de ses actes, la vivacité de son imagination l’a rarement empêché d’en courir tous les risques.

C’est qu’il vient de contracter alors, avec Mme du Châtelet, une liaison où l’amour-propre semble d’ailleurs avoir autant ou plus de part que l’amour ou les sens ; et, du bel esprit de salon et de cour, du libertin ou du philosophe son Emilie a fait un géomètre. Dans le château de Cirey, restauré, meublé, entretenu à ses frais, « il y a des chapelles pour quelques divinités subalternes, » et il écrit Alzire ; il ébauche l’Essai sur les mœurs ; mais le « Dieu à qui l’on sacrifie, » c’est Newton, et la grande affaire, c’est la physique. Elle remplit la plupart de ses lettres à l’abbé Moussinot. De bons juges estiment d’ailleurs que, si les Élémens de la philosophie de Newton ne sont guère que ce qu’on appelle une œuvre de vulgarisation, l’Essai sur la nature du feu est un travail original, où peu s’en faut qu’on ne discerne un pressentiment au moins de la théorie mécanique de la chaleur. Nous pouvons ajouter que sans ses travaux scientifiques. Voltaire, quelques années plus tard, n’aurait jamais exercé l’influence qu’il devait avoir sur les Diderot et les d’Alembert. Ces physiciens et ces géomètres, qui n’auraient jamais reconnu l’autorité du poète de Zaïre et d’Œdipe, feignirent de se soumettre au commentateur de Newton. Pour lui, en attendant, comme il ne séparait jamais la pensée de l’action, ni la théorie de la pratique, il comptait bien que l’Essai sur la nature du feu ou les Doutes sur la mesure des forces motrices lui ouvriraient l’Académie des sciences, et cette espérance, aussitôt que formée, lui avait inspiré toute une politique, à laquelle, autant que sa naturelle mobilité le souffrait, il essayait de conformer sa conduite.

L’épisode, si je pouvais ici le raconter en détail, n’est pas l’un des moins curieux de l’histoire de sa vie, et de l’histoire même du XVIIIe siècle. En réalité, pendant près de quinze ans, sans vouloir ni l’un ni l’autre s’engager à fond et se compromettre, mais en se réservant soigneusement le droit de se haïr et de se combattre, le pouvoir s’est efforcé de conquérir Voltaire, et Voltaire d’embrigader avec lui, si je puis ainsi dire, un pouvoir qui n’avait pas alors moins d’affaires que lui-même avec ses parlemens et avec son clergé. On sait la légende ou l’histoire de ces contre-Provinciales qu’il faillit écrire à la requête ou sur l’invitation de Fleury. On connaît celle de ses missions diplomatiques, et le rôle d’intermédiaire qu’avant d’en être prié seulement il voulut jouer entre Frédéric et Louis XV. On se rappelle encore les espérances qu’il fonda sur « l’avènement » de Mme de Pompadour à la charge de maîtresse en titre ; sa nomination d’historiographe de France et de gentilhomme ordinaire de la chambre du roi. Tout cela se rapporte à cette politique, et se confond ensemble dans la duplicité de la même partie. Pendant quinze ou vingt ans, le pouvoir, en cela fidèle à la tradition de Louis XIV, s’est efforcé, mais sans en prendre tous les moyens qu’il eût fallu, d’absorber la réputation de Voltaire au profit de la gloire du règne ; et Voltaire s’est flatté que par le moyen des maîtresses, dont les ennemis, disait-il, étaient effectivement les mêmes que les siens, on inoculerait à Louis XV cette impiété théorique, cette insouciance relative, et ce mépris politique des choses de la religion qu’il a tant célébrés dans les rois « philosophes, » dans son grand Frédéric ou dans sa grande Catherine.

Joignez enfin que, si Voltaire aimait à parler et à écrire librement, il y avait une chose dont il était plus avide encore que de liberté : c’était la popularité. Jamais homme, — si ce n’est dans ses dernières années, — n’a été plus soucieux que Voltaire, et pour la mieux diriger, d’être en intime et perpétuel contact avec l’opinion, ni d’ailleurs plus habile, en lui rendant ce qu’il lui empruntait, à lui faire croire qu’il le lui donnait. Or, jusqu’aux environs de 1750 ou 1755, jusqu’en 1758, — si l’on veut bien prendre pour époque décisive du siècle la date de la suppression de l’Encyclopédie, — l’opinion hésitait, flottait encore, quoi qu’on en ait pu dire, et n’était déjà plus du côté du pouvoir, mais n’était pas encore passée tout entière aux philosophes et à l’opposition. On s’en était bien aperçu, dans les premiers jours de l’année précédente, où l’attentat de Damiens avait ramené à Louis XV presque autant de sympathies qu’en avait jadis émues, douze ou treize ans auparavant, la nouvelle qu’il était malade et mourant à Metz. D’un autre côté, l’interminable querelle du jansénisme venait alors de s’éteindre ou de se transformer. En dépit des convulsionnaires et du ridicule ou de l’odieux qu’ils avaient jeté sur la religion, la société française, légère dans ses mœurs, cynique en ses propos, semblait ne l’être qu’en surface, et demeurer vraiment chrétienne en son fond. Ceux que l’on commençait d’appeler les philosophes, tous pauvres, tous-inconnus, tous étrangers à l’usage du monde ; d’Alembert, Diderot, Rousseau, scandalisaient l’opinion, l’étonnaient, si l’on veut, mais ne Savaient pas encore convertie. Il fallait pour cela l’espèce de persécution, plus apparente que réelle, mais maladroite surtout, dont ils allaient être victimes. Et voilà pourquoi Voltaire, avant de se ranger pour eux, attendit qu’ils eussent l’opinion avec eux : il ne se sentait point né pour le martyre, mais encore bien moins pour l’impopularité ; et je n’ose point dire qu’il eût gardé ses idées, mais assurément il n’en eût point donné les expressions hardies qu’il en a données dans ses Mélanges, s’il ne s’était piqué, quand il les vit en faveur, de surpasser les encyclopédistes en audace, « comme il les surpassait en génie. »

J’ai choisi ces deux questions parmi les plus importantes que soulève naturellement une Bibliographie des Œuvres de Voltaire. Ai-je besoin de dire qu’il y en a bien d’autres encore ? Je ne parle pas ici des moindres, comme de savoir si Voltaire est effectivement l’auteur des Anecdotes sur Fréron, puisque, quand on déchargerait sa mémoire de ce fâcheux et malpropre pamphlet, il serait encore l’auteur de l’Écossaise. Est-il aussi l’auteur d’une Lettre au docteur Pansophe, assez célèbre dans l’histoire de ses démêlés avec Jean-Jacques Rousseau ? Les uns le croient, dont M. Bengesco ; et les autres non. Mais il est assurément l’auteur des Lettres sur la Nouvelle Héloïse, qu’il fit signer au marquis de Ximenès ; et cela nous suffit. Des renseignement bibliographiques nouveaux, qui peuvent nous apprendre beaucoup de faits nouveaux de la vie de Voltaire, ne changeront rien, ou bien peu de chose, à ce que l’on sait de son caractère ; ils nous le rendront seulement mieux connu ; et la ressemblance ne s’accroîtra pas, mais, au lieu de l’esquisse, nous aurons le portrait. Si l’acquisition a sans doute son prix, je ne voudrais pourtant pas qu’on en exagérât l’importance.

Autant en dirai-je d’un souhait que je forme d’ailleurs avec M. Bengesco, mais dont la réalisation n’intéresse pas beaucoup le jugement définitif à porter sur la Correspondance de Voltaire. Imprimée pour la première, fois, dans son ensemble, en 1789, à la veille de la Révolution, par les éditeurs de Kehl, — Beaumarchais, Condorcet et Decroix, — on sait peut-être que, pour diverses raisons, la Correspondance de Voltaire ne l’a pas été très fidèlement, avec le scrupule d’exactitude que nous apportons aujourd’hui dans ce genre de publications, et qu’aussi bien, en ce temps-là, nous pouvons dire que les éditeurs tenaient pour injurieux la mémoire d’un grand écrivain. S’il avait laissé passer dans ses lettres familières quelque négligence et surtout quelque incorrection, on croyait lui rendre hommage en redressant les unes, et l’honorer en effaçant les autres. Nous le regrettons ; et toutes les lois que l’existence des originaux permettra de rétablir dans son authenticité le texte de Voltaire, nous nous féliciterons qu’on le fasse. Mais, après cela, ne croyons pas, — si nous y gagnons toujours quelque chose, ne fût-ce que de mieux connaître l’histoire du « ménage » et des « finances » de Voltaire, — ne croyons pas que sur la plus diverse, sur la plus vivante, sur la plus amusante, sur la plus naturelle surtout des Correspondances qui nous soient parvenues, ces « restitutions » nous apprennent rien que nous ne sachions. Je ne dirai pas, avec Rivarol, que deux vers ou deux lignes de prose classent un écrivain sans retour, mais nous possédons aujourd’hui plusieurs milliers de lettres de Voltaire, dont il me suffirait qu’une centaine fussent authentiques pour me faire sur sa Correspondance une opinion motivée. Sous ce rapport, il en est du jugement littéraire comme de la vérité scientifique, dont la certitude, une fois acquise et démontrée, ne s’accroît point du nombre des vérifications qu’on en fait.

On entend bien au moins que ce que j’en dis n’est pas pour détourner un libraire, s’il s’en rencontrait un, de nous donner quelque jour, de la Correspondance de Voltaire, une édition plus complète, plus authentique, et surtout plus copieusement annotée que celles de Beuchot et de M. Moland. Un éditeur qui prendrait en effet pour modèle le Saint-Simon de M. de Boislisle ferait aisément de la Correspondance de Voltaire, — je me trompe, il ne le ferait pas aisément, — mais enfin il en ferait pour l’histoire du XVIIIe siècle un répertoire de renseignemens aussi précieux, et plus abondant encore que ne le sont pour l’histoire du XVIIe siècle les Mémoires de Saint-Simon. Car Saint-Simon enfin n’a guère connu que la cour ; mais de qui et de quoi n’est-il pas question dans la Correspondance de Voltaire ? et en hommes ou en femmes, depuis le grand Frédéric jusqu’à ce bohême de Thieriot, et depuis Mme Denis jusqu’à la grande Catherine, avec qui n’a-t-il pas été en relations ? Même, si c’est le triomphe de sa souplesse que d’avoir su pendant soixante ans accommoder la diversité de son langage à toute sorte de gens, c’est le tour de force de sa politique que d’avoir su se garder, dans les cafés comme dans les salons, dans les taudis comme à la cour, et à l’étranger comme en France, des amis, des complaisans, des admirateurs, — et au besoin des complices. Une édition bien annotée de la Correspondance de Voltaire formerait donc un tableau de l’histoire du XVIIIe siècle, et, sans compter qu’elle tiendrait lieu toute seule de la lecture de ses Œuvres, je ne vois pas de quel événement du temps elle ne serait pas le vivant commentaire.

Si jamais on l’entreprenait, cette édition nouvelle, c’est alors qu’on sentirait le prix du troisième volume de la Bibliographie de M. Bengesco. Année par année, en effet, avec une patience et un dévoûment à son œuvre que l’on ne saurait trop louer, M. Bengesco a dressé la liste de toutes les lettres qui nous sont parvenues de Voltaire, en indiquant pour chacune où l’on en retrouverait au besoin l’original, et, à défaut de l’original, la première édition. A mesure donc que l’on découvrira de nouvelles lettres de Voltaire, — et comme le disait Beuchot, on en découvrira jusqu’au jugement dernier, — elles s’intercaleront d’elles-mêmes, à leur date et à leur place, dans la liste de M. Bengesco. C’est ici le cadre de l’édition que nous voudrions ; et en attendant que M. Bengesco nous la donne peut-être lui-même, c’est la trame d’une biographie de Voltaire plus complète et surtout plus exacte qu’aucune de celles que nous possédions. Toutes ces questions de chronologie, dont chacune est de soi assez indifférente ou assez ingrate, mais qui n’en ont pas moins ensemble une importance capitale, nous avons en effet, dès à présent, tout ce qu’il faut pour les discuter, sinon toujours pour les résoudre, dans le travail de M. Bengesco.

Nous ne saurions donc trop recommander, en terminant, cette Bibliographie des œuvres de Voltaire à tous ceux qui s’intéressent à Voltaire, en particulier, et, plus généralement, à l’histoire de la littérature française. A peine avons-nous pu montrer ce qu’elle contenait de renseignemens utiles et d’indications précieuses. Pour faire mieux, ou davantage, il nous aurait malheureusement fallu entrer dans des détails dont la sécheresse aurait risqué de déguiser l’importance réelle. Œuvre de patience, de précision, et de plus d’ingéniosité souvent qu’on ne le croit, la bibliographie n’est pas l’histoire littéraire, mais elle en est pourtant la base. Et, de tous nos grands écrivains, comme nous le disions en commençant, si Voltaire est peut-être celui dont la bibliographie est le plus indispensable à la connaissance entière de son œuvre, sa fortune, constante encore après cent ans, aura voulu, répétons-le, qu’aucun autre n’ait trouvé un bibliographe plus consciencieux, plus savant, et d’ailleurs plus modeste que M. George Bengesco.


F. BRUNETIERE.