Revue musicale — 14 septembre 1837

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Revue Musicale.

Mme Stoltz a continué ses débuts à l’Opéra dans les Huguenots. Après doña Anna, caractère sublime au-dessus de toute comparaison, le rôle de Valentine est, sans contredit, aujourd’hui le plus grand et le plus beau du répertoire ; aussi, quoique la cantatrice n’ait pas réalisé, le premier jour, toutes les espérances de ses nombreux amis, on peut féliciter Mme Stoltz de s’en être encore tirée si bien. Le rôle de Valentine, comme du reste toutes les créations de l’école à laquelle appartient Meyerbeer, réclame une force de composition dramatique, une puissance d’organe, une sorte d’enthousiasme que Mme Stoltz possède en elle, nous n’en doutons pas, mais que certaines raisons, plus ou moins indépendantes de sa volonté, et dont nous parlerons tout à l’heure, l’ont empêchée jusqu’ici de produire sur notre scène. Mme Stoltz n’est pas, certes, une cantatrice italienne, loin de là ; ni la Malibran, ni la Sontag ne lui ont dit leur secret. Si jamais elle tient le premier rang, nous ne pensons pas que ce soit par la grace flexible de son chant et l’irréprochable pureté de sa manière. Il faut donc qu’elle s’efforce d’acquérir, ou, pour mieux dire, de produire les qualités d’expression qu’exige cette école, que, pour notre part, nous n’aimons pas, car nous trouvons qu’elle aboutit à l’exagération dramatique, aux cris, à la ruine de la mélodie, mais qui, après tout, vaut bien qu’on s’y conforme, puisqu’elle est en honneur aujourd’hui. Voilà pourquoi, même au milieu du succès bien légitime qui l’a, dès son début, accueillie dans la Juive, il était facile de prévoir que Mme Stoltz sortirait avec moins de bonheur de l’épreuve des Huguenots. La grande musique ne soutient guère que les forts. À mesure que la musique s’élève, elle dépouille tous ces petits artifices de métier, au moyen desquels la plus médiocre cantatrice gagne la partie, pourvu qu’elle sache tordre ses membres à propos et rouler ses grands yeux à souhait. La musique de la Juive nous semble admirablement combinée pour ce genre d’effet. Dans le caractère de Valentine, tout au contraire, on sent une préoccupation presque constante de l’idéal ; l’effet tombe moins sous le sens, il est plus dans le cœur que dans le geste, plus dans l’expression simple de la voix que dans l’expression du regard. En passant ainsi, presque à l’improviste, de la Juive aux Huguenots, Mme Stoltz devait trébucher, faute d’avoir bien calculé les distances. Il en serait de même, si demain elle s’attaquait à Mozart. On aurait tort cependant de donner à ce petit échec, bien réparé depuis, plus d’importance qu’il n’en mérite. L’avenir des cantatrices ne dépend pas d’une seule épreuve, il faut bien aussi leur tenir compte de ces funestes inquiétudes du premier début, qui recommencent pour elles à chaque rôle nouveau. Depuis quelques jours, Mme Stoltz se rassure, et tout va mieux ; il y a plus de confiance et moins de fausses notes. En vérité, c’est une rude affaire pour la critique que d’avoir ainsi à se prononcer à tout moment sur des talens qu’elle ne peut juger dans leur ensemble. Hier ils ont réussi, ce soir ils échouent ; à toute occasion ils varient ; et si vous faites comme eux, on prétend aussitôt que vous les exaltez par caprice, ou que vous les diminuez à plaisir. Il y a des chanteurs accomplis et parfaits sur le compte desquels il n’est point permis d’hésiter ; ceux-là se font reconnaître d’un seul coup ; une cavatine suffirait au besoin pour donner leur mesure. Après Guillaume Tell et les Huguenots, on pouvait, sans être un grand sorcier, parler hardiment de l’avenir de Duprez ; mais que dire de ces talens, jeunes et sans expérience, qui font quelques pas, puis s’arrêtent, et ne se révèlent jamais que par boutades ? Quoi que la critique fasse à leur égard, il ne tient qu’à eux de lui donner un démenti.

Nous l’avons déjà dit, Mme Stoltz possède une des plus belles voix de soprano qui se puissent entendre. C’est une vibration, une limpidité, et, par momens, une puissance dont rien n’approche. Tout l’avenir de Mme Stoltz est dans cette voix. Il s’agit maintenant pour elle de l’assouplir, de la rendre obéissante et juste, sinon parfaitement agile, et surtout d’en égaliser les registres. Pour bien apprécier la beauté naturelle de cette voix, il suffit d’entendre les effets qu’elle trouve presque au hasard et dans l’état inculte où elle est encore. Ainsi, dans le magnifique duo du quatrième acte, lorsque Valentine éperdue avoue à Raoul, pour le retenir auprès d’elle, le secret de sa passion, Mme Stoltz, par l’élan seul de son organe, émeut toute la salle, et remplace de la sorte le mouvement spontané où Mlle Falcon s’abandonne. Du moment où Mme Stoltz sera parvenue à modérer, à son tour, cette voix qui, aujourd’hui, la gouverne et l’entraîne souvent hors de la mesure, Mme Stoltz n’aura plus de rivale sérieuse sur la scène de l’Opéra. On reproche beaucoup à la jeune cantatrice de Bruxelles de manquer de chaleur dramatique et d’enthousiasme sacré. C’est à tort. Nous croyons, nous, que Mme Stoltz, sans affectionner plus qu’il ne convient toutes les extravagances de pantomime inventées par le théâtre moderne, sent assez vivement le drame qu’elle exprime pour ne pas lui faire défaut. Seulement, la préoccupation incessante où elle est de la mesure et de l’intonation concentre en elle toute inspiration et l’empêche de se produire au dehors. Mme Stoltz hésite dans la musique ; de là tous les défauts qu’on lui reproche. Comment voulez-vous qu’une cantatrice s’abandonne aux élans généreux de son ame, quand elle tremble pour la note qu’elle va saisir ? Mme Stoltz se renferme dans sa partie et n’en sort pas : on voit trop que les soucis qui dévorent Valentine viennent moins de la querelle des catholiques et des huguenots que des embarras d’attaquer certaine note aiguë qu’elle attend au passage. La plupart du temps Mme Stoltz tient ses yeux fixés sur l’orchestre ou Duprez qu’elle semble interroger ; l’inquiétude qui se trahit sur son visage, tôt ou tard se communique au public, et finit par glacer toute sympathie : car en effet rien n’est insupportable comme de se méfier de sa cantatrice et de redouter à tout moment la pointe d’une fausse note qui vous pique au vif. Cette alternative vous impatiente et vous irrite ; vos sensations changent vingt fois en deux minutes, de telle sorte qu’une cavatine finit par devenir un pari de tapis vert. Or, on ne va pas au théâtre pour y chercher les émotions du jeu. Que Mme Stoltz acquière les qualités musicales dont nous parlons, et vous verrez si ces apparences fâcheuses ne tardent pas à s’évanouir ; je défie qu’une femme de talent et de cœur devienne cantatrice sans devenir en même temps comédienne. Le travail se fait sans qu’elle y prenne garde, presque insensiblement. Aux Italiens du moins, cela s’est toujours passé de la sorte ; pour trouver des exemples du contraire, il faudrait les aller chercher à l’Opéra Comique, où l’on naît comédien, mais où en revanche l’on ne meurt guère chanteur. Qu’avant tout Mme Stoltz apprenne à modérer sa voix. Il est impossible, quand on se sent le pied sur un terrain qui glisse, d’aller et de venir librement, comme il convient ; on demeure à sa place, immobile ; on hésite, on n’ose faire un pas, on garde en soi toute chaleur, crainte de trop s’aventurer en voulant tenter plus. L’intonation, encore une fois ! mais c’est là tout le secret d’une cantatrice, c’est la puissance de son geste, la beauté de son regard, l’aisance de sa démarche, l’harmonie enfin de toute sa personne. — Dans le caractère de Raoul, Duprez trouve des effets inouis. Au quatrième acte, surtout, rien n’égale son enthousiasme, et la magnificence de sa voix. Comme il chante la cavatine que Meyerbeer a mise dans le duo ! Comme il traduit à merveille les moindres nuances de cette profonde musique ! Il y a au commencement de ce duo, qui est un chef-d’œuvre, une inspiration adorable, une phrase de quelques mesures si rapide et si délicieuse, qu’elle passe comme un éclair, mais comme l’éclair d’un diamant. Duprez dit cette phrase avec un charme qu’on ne saurait exprimer. Après la dernière mesure, au lieu de s’arrêter, et de conclure la période comme faisait Nourrit, il continue et jette encore un son voilé qui s’évanouit doucement comme un soupir, de sorte qu’on dirait que la note divine de Meyerbeer se reflète dans le cristal de sa voix.

La partition du Duc de Guise, que l’Opéra-Comique a représenté cette semaine, est une œuvre qui se recommande par les hautes qualités de style et d’instrumentation qui ont valu à M. Onslow cette belle renommée que nul en France ou en Allemagne ne lui conteste. Il serait à souhaiter que les musiciens qui écrivent aujourd’hui pour l’Opéra-Comique voulussent bien se régler sur ce modèle et composer leur musique dans de semblables dimensions. La partition du Duc de Guise est un chef-d’œuvre de style, et cela sans affectation scholastique ; à peine si dans l’ouverture on trouve un motif traité en fugue ; c’est la science la plus pure et la plus aimable, la science qui se sait assez forte pour être naïve et ne point afficher, à tous propos, ces formules de Conservatoire dont nul ne se soucie aujourd’hui. Cependant, il faut le dire aussi, cette musique manque un peu d’invention dans le rhythme, et la mélodie n’a que trop souvent rien à faire avec les beautés qui la distinguent. On sent trop constamment chez le maître des préoccupations instrumentales funestes à la voix ; quand M. Onslow aurait négligé, pendant qu’il écrivait le Duc de Guise, de se souvenir qu’il a fait d’admirables quatuors et de fort belles symphonies, le public ne l’aurait pas oublié pour cela. M. Onslow apporte à la scène des habitudes de symphonie tout comme d’autres des habitudes de romances et d’ariettes ridicules. À Dieu ne plaise que je veuille ici faire des comparaisons ! M. Onslow est placé trop haut pour cela ; et d’ailleurs il pourrait invoquer pour lui l’exemple de Beethoven, ce qui ne l’excuserait pas à mon sens. Du reste, pour témoigner de la vérité de ce que j’avance, il suffit de citer le meilleur morceau de l’ouvrage, celui que le public recherche surtout avec amour, et qui est tout simplement un fragment de symphonie ; je veux parler d’un entr’acte où l’effet des sourdines, si heureusement traité par Weber dans l’ouverture d’Eurianthe, se trouve mis en œuvre avec un bonheur rare, et produit l’effet le plus curieux. Il est impossible de rendre plus habilement la sombre et froide mélancolie d’une nuit de décembre en pleine campagne. Le vent pleure et gémit dans les bruyères, la pluie tombe, la grêle bat les vitres ; c’est de la musique imitative à la manière de la symphonie pastorale de Beethoven.