Revue musicale - 14 décembre 1880

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Revue musicale - 14 décembre 1880
Revue des Deux Mondes3e période, tome 42 (p. 914-927).
REVUE MUSICALE

C’était pourtant quelqu’un que l’auteur du roman de Marie et du poème des Bretons, ce Brizeux, dont le nom semble aujourd’hui si complètement oublié ; ses volumes se vendaient assez ; quand il disait des vers, même après Musset, après Vigny, on l’écoutait. Sainte-Beuve, le fameux dispensateur des grades et récompenses, ne l’avait-il pas de son autorité privée nommé fifre dans cette légion sacrée où Victor Hugo servait en qualité d’officier supérieur et que Lamartine commandait en chef ? Neiges d’antan, qu’êtes-vous devenues ?


Qu’a fait le vent du nord des cendres de César ?


Le temps a de ces variations, de ces caprices et de ces ingratitudes auxquelles nos mauvais instincts aident bien un peu. Tel gracieux talent qui naguère jouissait discrètement de sa part de notoriété. Voilà que tout à coup l’ombre se fait autour de lui et qu’on n’en parle plus. C’est presque à se demander s’il n’y aurait pas dans cette éclipse soudaine de certaines étoiles de moyenne grandeur quelque chose de tacitement concerté chez la génération de l’âge suivant. Parmi les innombrables lucioles en train de tournoyer pour le moment, combien ont emprunté leur brin de phosphore à la lanterne de Brizeux et ne se soucient pas qu’on le sache ! Tuer ceux dont on hérite est en littérature un axiome de droit commun. Pour ce qui regarde les forts, ils se défendent ; on ne supprime pas si aisément un Victor Hugo, un Lamartine ; restent les moindres, et c’est généralement sur eux qu’on se rattrape. Rien de dangereux, rien de mortel comme de se trouver dans le chemin de tout le monde ; vous pouvez compter qu’à un moment donné, tout le monde s’entendra pour vous évincer ; si l’Armoricain Brizeux eût écrit ses poèmes en langue celtique, il eût fait œuvre retentissante et consentie de tons, vous pouvez m’en croire ; le diable veut qu’il les ait rimés en vers français et charmans, souvent exquis, mais tels au demeurant qu’ils ne sauraient décourager ni les prétentions ni l’envie des bons confrères. Écrire en patois, quelle force ! être un félibre provençal, un troubadour, s’appeler Mistral, Jasmin ou Roumanille ; quel brevet de longue vie ! Vous ne porter ombrage à personne, nul ne vous craint, et c’est à qui se servira de votre gloire pour étouffer l’incommode renom du voisin. Le chantre de Jocelyn, qui reniait Musset et n’avait peut-être Jamais lu Mireille, arrachait toutes les palmes de son jardin pour les jeter sous les pieds de Mistral, qu’il proclamait les yeux fermés et de gaîté de cœur l’Homère des temps modernes : rien de plus humain, de plus « nature ! »

Type de Breton capricant et sauvage, mais d’une sauvagerie intermittente, Brizeux savait aussi se plier aux façons du monde et même par instans à l’élégance ; ce n’est pas lui qui jamais se fût inféodé au clan des Lycanthropes ; les gilets à la Robespierre et les cheveux incultes lui faisaient horreur. Il se rattachait à ce qu’on appelait, au dernier siècle, le parti des honnêtes gens, et tandis que la jeune France de Théophile Gautier et de Petrus Borel menait sa farandole au bruit du tambourin dont le grand Victor battait la caisse, il se groupait avec Barbier, Berlioz et Gustave Planche autour d’Alfred de Vigny. L’auteur des ïambes, que je viens de nommer, vécut à cette époque fort avant dans son intimité, on peut presque dire qu’ils ne se quittaient pas, l’un et l’autre épris de Dante, de Shakspeare, de Virgile et trouvant chez le barde d’Éloa une communauté de vues, des facultés d’émotion et d’admiration que ne leur offrait pas le poète d’Hernani et des Orientales, déjà trop absorbé dans sa propre gloire pour admettre les diversions. Artiste délicat et précieux, — ses vers le prouvent, — il mettait à polir un tercet le soin jaloux d’un Cellini ciselant un joyau de reine. On le voyait en ces occasions errer par les boulevards et les musées, pareil à ce rimeur de Mathurin Régnier qui s’en va cherchant son vers « à la pipée,  » et s’il vous rencontrait alors, c’étaient des entretiens et des écoles buissonnières à n’en plus finir ; un seul sujet le possédait, le passionnait : son art ; ajoutons que ce mot, à cette époque, comprenait tout ; qui disait poésie, disait musique, architecture, statuaire et peinture. La vocation littéraire, nous ne connaissions rien au-delà. Chose inouïe, on s’aimait entre rivaux, ou plutôt les rivalités n’existaient pas, in n’y avait que des forces généreuses déchaînées, s’évertuant et combattant pour un but commun. Dix beaux vers qui venaient de naître étaient à l’instant même colportés aux quatre coins de la grande ville, et qu’on y songe bien, si les talens du second ordre de ce temps-là sont et demeurent supérieurs aux talens du même ordre du temps présent, c’est à cette unanimité d’impulsion qu’ils le doivent. « Aussi, sachons-le tous, grands et petits, tant que nous sommes, il ne s’écrit pas actuellement une page de prose, il ne se fait pas un vers qui ne doive tribut à ces braves, à ces conquérans. » Ainsi s’exprime, et non sans raison, un excellent juge du camp, le doux et balsamique Asselineau, dans une étude bibliographique où sont catalogués, étiquetés, annotés selon leurs mérites une foule de noms bien autrement oubliés que le nom de Brizeux, et parmi lesquels il s’en rencontre encore au moins deux qui vaudraient la peine d’être comptés : celui d’Arvers pour un sonnet, et celui de Napoléon Peyrat pour une ode intitulée : Roland et digne d’être assortie aux plus flamboyans fleurons des Orientales.

En 1831, Brizeux et Barbier firent ensemble le voyage d’Italie, et de cette excursion plus esthétique encore que pittoresque au pays de Raphaël, de Michel-Ange et de l’Alighieri, Barbier nous rapporta le Pianto. et Brizeux les Ternaires. Ce volume, d’un titre assez bizarre, trahit chez le poète une préoccupation désormais exclusive de la forme ; vous n’y respirez plus la fraîcheur idyllique du gentil roman de Marie ; le vers est laborieux, le sentiment morose et saccadé, le mal du pays, qui de jour en jour envahit davantage cette âme de Breton, déjà vieillissant, fournit ici la note dominante. Un pauvre diable de petit Italien passe en jouant de la cornemuse, et voilà que la Bretagne se montre à lui avec son océan, ses genêts et ses légendes :


O landes, ô forêts, pierres sombres et hautes,
Bois qui courrez nos champs, mers qui battez nos côtes,
Villages où les morts errent avec les vents,
Bretagne, d’où te vient l’amour de tes enfans ?
Des villes d’Italie où j’osai, jeune et svelte,
Parmi ces hommes bruns montrer l’œil bleu d’un Celte,
J’arrivai, plein du feu de leur volcan sacré,
Mûri par leur soleil, de leurs arts enivré ;
Mais dès que je sentis, ô ma terre natale,
L’odeur qui des genêts et des landes s’exhale,
Lorsque je vis le flux et reflux de la mer
Et les tristes sapins se balancer dans l’air ;
Adieu les orangers, les marbres de Carrare !
Mon instinct l’emporta, je redevins barbare.
Et j’oubliai les noms des antiques héros
Pour chanter les combats des loups et des taureaux.


Célébrer son coin de terre, revenir à sa bucolique, à ses tableaux de genre, sera maintenant la tâche unique de ce maître chanteur plein de savantes mélodies et qu’on eut tort jadis de prendre pour un naïf.

Lorsque le temps est calme et la lune sereine,
Quelle est, gens du pays, cette blanche sirène,
Qui peigne ses cheveux, debout sur ce rocher ?
Oh ! c’est là, voyageur, une touchante histoire,
Mon père me l’a dite, et vous pouvez y croire…
O merveilleux conteur, merci pour ton histoire,
Elle est triste, mais douce, et mon cœur y veut croire.


Sans remonter jusqu’à Chateaubriand, trop haut placé, et pour m’en tenir au coteau modéré, ils sont deux : Brizeux et Souvestre, à qui les amateurs de traditions celtiques peuvent s’adresser ; Emile Souvestre donnera le motif et Brizeux se chargera du pittoresque et du décor.

« Tous les peuples d’Europe ont admis deux races de nains, l’une malveillante et impie, l’autre amie des hommes. La première est représentée en Bretagne par les Korigans, la seconde par les Teux. Le Teu n’est autre chose que le lutin d’Ecosse et d’Irlande qui aide les laboureurs dans leurs travaux et que le Bergmannlein qui se met au service des bergers de l’Oberland. Anciennement, disait un de ces derniers à Grimm, les hommes habitaient dans les vallées, et tout autour de leurs habitations se tenait dans les cavités des rochers le petit peuple nain… Ces gnomes, comme ceux du Harz, pouvaient se rendre invisibles au moyen d’un capuchon. Mais ils commettaient souvent des vols de pain ; et de petits pois ; les propriétaires dépouillés n’avaient alors d’autre ressource que débattre l’air avec des verges, et, s’ils réussissaient à faire tomber un des capuchons, le nain qui le portait devenait visible, et on le forçait à payer une indemnité[1]. » Je m’étonne que M. Coppêe n’ait pas utilisé cette idée, il y aurait eu là matière à figurations épisodiques. On se représente une troupe de jeunes gars et de belles filles cinglant de leurs baguettes le vide ambiant où fourmillent, inaperçus, mille diablotins dont une musique pittoresque vous dénonce la présence. Un capuchon tombe sur la scène, puis deux, puis trois, et korrigans de se montrer en rechignant. Il en arrive de tous les coins, la mine renfrognée, perclus, moulus de la volée de bois vert, puis, se remettant bientôt, on les voit prendre leur revanche, rosser à leur tour les garçons et lutiner les filles qu’ils emmènent. Et pendant que nous sommes en train de varier le thème, rien ne nous empêche d’entr’ouvrir une autre perspective. De fait, la légende ignore les korriganes, elle ne connaît que des korrigans, lesquels ne procréent qu’en s’unissait avec des filles de la terre détournées par eux. Vous rendez-vous compte de ce que serait comme personnage de ballet une créature issue de ce commerce fantastique ? On la suivrait dans sa double origine, tantôt femme dans son foyer, tantôt démon dans la lande, et l’action tout entière pivoterait, pirouetterait sur une donnée originale et chorégraphique, car il faut bien se le dire, le monde où le ballet recrute ses héroïnes est un monde à part qui ne relève guère que de la fantaisie.

Ce fut le tort de Scribe de n’avoir rien su comprendre à cette poétique. Lui, si habile à multiplier les inventions, n’a jamais réussi à faire un ballet. La Somnambule et Marco Spada sont des vaudevilles et des opéras comiques travestis, des comédies mimées avec orchestre. Ce ne sont point des ballets, il y manque le pittoresque ; ce vaporeux, cet ondoyant et cet idéal qui finalement constitue le genre et que Scribe n’avait pas ; on peut danser sur un volcan, on ne danse point sur une vieille pièce du Gymnase ramenée à l’état de scénario sans dialogue.

Causons à présent de la musique et de la part de collaboration qui lui échoit. Son rôle s’est depuis vingt ans radicalement transformé. S’il fut jadis une période où le compositeur abordait sans gêne un tel travail, cet âge d’or a disparu. Au temps bienheureux d’Astolphe et Joconde et de la Belle au bois dormant, du Diable boiteux et de Giselle, écrire un ballet passait pour une simple distraction, un badinage ; cela s’improvisait et se débitait haut la main, à grand renfort de réminiscences et de motifs qu’on empruntait un peu partout, aux sonates et aux symphonies de Haydn, de Mozart et de Beethoven, aux opéras du répertoire courant, aux romances à la mode, et qui du moins avaient cet avantage de souligner une situation et de vous expliquer les jeux de la scène. Pastiche, pot-pourri, j’y consens ; il n’en est pas moins vrai que cette besogne, traitée au vol de la plume par des musiciens comme Herold, Auber, Halévy et même Adolphe Adam, offrait aussi quelque agrément ; c’était clair, limpide et transparent à l’égal de l’eau de roche ; au travers de la mélodie les moindres intentions du libretto se laissaient lire ; quand une phrase de connaissance apparaissait, ingénieusement amenée ; transcrite à nouveaux frais, vous lui souhaitiez la bienvenue sans quitter des yeux la danseuse. Avez-vous jamais feuilleté le Traité d’instrumentation de Berlioz, ou l’excellent ouvrage de M. Mathis Lussy sur l’accentuation musicale ? Là sont rassemblés des exemples de toute sorte : vous apprenez comment Weber et Meyerbeer font leur palette et comment ce qui fut chez eux trait de génie peut devenir une recette, un procédé et, qu’on me passe le mot, un simple truc. Voulez-vous du fantastique démoniaque ? Ces quatre lignes extraites du Freischütz vont vous sortir d’affaire ; préférez-vous, pour la circonstance, le fantastique aérien ? voici de l’Oberon, marchez ! et s’il vous faut du pathétique, Bellini vous en fournira tant et plus ; veillez seulement à ce que l’accent soit mis à sa place et ne vous trompez pas en copiant.

Les musiciens du passé, lorsqu’ils composaient un ballet, suivaient cette méthode ; ils prodiguaient les citations ; sitôt que l’atmosphère se brouillait un peu, l’orage du Barbier entrait en scène, et j’entends encore dans la Somnambule d’Herold le cor prendre la parole au moment où la jeune fille se couche et bercer doucement son sommeil sur l’air d’une chansonnette alors en vogue d’Amédée de Beauplan : « Dormez, mes chères amours. » Aujourd’hui nous avons changé tout cela : est-ce un bien ? est-ce un mal ? Les écrivains d’autrefois avaient surtout en vue le public de la danse, qui ne demande qu’à être amusé et veut dans un ballet des airs faciles pendant lesquels on puisse causer tout à son aise ; le musicien d’aujourd’hui n’a en vue que sa propre fortune, il spécule sur le poème d’opéra que cette chorégraphie va lui rapporter. Aussi, de quels soins il entoure sa partition, comme il s’applique et s’y consacre ! affairé, sérieux, âpre à saisir une occasion de s’affirmer coûte que coûte et de faire œuvre de science où peut-être il eût été mieux de faire simplement œuvre de grâce ! Remarquez que j’entends ici ne rien critiquer ; je constate l’état des choses, le siècle est aux extrêmes : ou l’opérette ou la symphonie ; entre les deux il n’y a plus à choisir ; ainsi le veut l’esprit du temps qui, après nous avoir, aux beaux jours de la Muette, de la Tentation, du Dieu et la Bayadère et du Lac des fées, donné jadis l’opéra-ballet, nous donne aujourd’hui le ballet-symphonie, où s’est distingué l’auteur de Coppelia, où l’auteur de la Korrigane vient de se révéler.

Ce n’est point que M. Widor soit ce qu’on appelle un nouveau ; mais jusqu’à présent le monde des artistes était seul à l’apprécier, et nous connaissions de lui toute une série d’œuvres, tant instrumentales que vocales, — concertos pour piano, recueils de mélodies, chœurs, psaumes, fragmens symphoniques et dramatiques, — qui, pour porter leur résultat, semblaient attendre que le jeune musicien fût mis par le théâtre en communication avec le grand public. En fait d’écoles, M. Widor les a parcourues toutes ; son champ d’activité s’étend de Bach à Richard Wagner : érudit comme Gevaert, pianiste comme Saint-Saëns, il a l’intensitivité curieuse et patiente de l’artiste contemporain, résolu à ne rien laisser en dehors de son exploration. Montez à la tribune de l’orgue, un dimanche, à Saint-Sulpice, pendant la grand-messe, et regardez l’exécutant ; sous ses doigts les préludes fugues se déroulent ; Bachot Couperin sont là qui dictent, et l’improvisateur attentif obéit à leur souffle ; vous diriez le maître Wolfram de l’estampe de Lémud ; mais n’ayez crainte, les extases du sanctuaire feront place bientôt à d’autres élancemens, à d’autres flammes  ; le diable n’y perdra rien, et quand il s’agira de s’émouvoir pour ou contre les tendances et les hommes, vous trouverez à qui parler. Ce que j’aime chez M. Widor, c’est le rayonnement de son esprit et cette large faculté qu’il a d’admirer. Un jour, comme je m’étonnais de le voir louer Aida : « J’en conviens, me dit-il, c’est contre tous mes principes ; mais que voulez-vous ? j’ai dû me rendre. » Bizet, lui aussi, avait eu au sujet de Verdi de ces scrupules, déjà bien surmontés d’ailleurs lorsque je le connus. Il y a des voix intérieures contre lesquelles les préjugés d’école ne sauraient prévaloir, et l’on ne se figure pas l’homme qui a écrit Carmen reniant l’auteur de Rigoletto.

Inutile d’ajouter que la Korrigane est jusqu’ici l’œuvre la plus importante de M. Widor. Nous tenons cette fois une vraie partition, et l’on peut se demander ce que penseraient d’un tel ballet les musiciens dont nous parlions tout à l’heure : tant de science, de complication en un sujet si mince ! Que de bruit pour une omelette au lard ! disait Sainte-Foy, narguant la foudre et le vendredi saint. Quel luxe d’harmonie et quel déploiement d’instrumentation pour une petite servante d’auberge ! dirait peut-être Adolphe Adam ; cet effort de travail, cette dépense de talent pour de jolis petits pieds qui se trémoussent, à quoi bon ? Eh bien ! je le déclare, qui s’exprimerait de la sorte aurait tort ; d’abord parce qu’il faut toujours parler la langue de son temps et que le style d’aujourd’hui n’admet, même en pareil cas, ni les négligences ni les défaillances ; ensuite, parce qu’un artiste, quelque chose qu’il essaie, ne gagne rien à ne point aller jusqu’au bout de son génie : musiciens, peintres ou poètes, tâchez de savoir votre métier, autrement vous êtes morts.


Nul n’est juge des arts que l’artiste lui-même[2].


Ce n’est plus le public qui vous juge, ce sont vos pairs et vos rivaux, et leur sentence demeure sans appel ; vous pourrez, malgré cela, réussir près d’un certain monde qui ne s’y connaît point, faire votre fortune ; vous écrirez des vaudevilles et des drames qui se jouent, des opéras qui se laissent chanter ; vous ne serez jamais un musicien, un peintre ni un poète ; vous serez de l’Académie, vous ne serez jamais de la paroisse. Ce suffrage des artistes, M. Widor l’avait dès longtemps conquis, et son succès d’hier confirme toutes les espérances, le dirai-je ? il va même au-delà. Quant à moi, tout en présumant bien et plus que bien du jeune écrivain, je ne m’attendais pas à cette fleur d’originalité ; aussi ce ne fut une vraie fête lorsqu’un soir du mois passé M. Widor vint me jouer sa partition. Pour du talent, nous savions d’avance qu’il n’en manquait pas, mais quelle intelligence du théâtre ! quel vif instinct de la mise en scène ! Comme toutes ces jolies marionnettes d’ombres chinoises nous sont présentées, les situations indiquées, racontées dans leur sentiment et leur pittoresque ; ces allées et venues d’Yvonette et du petit mendiant autour du puits, la déclaration grotesque du bossu ; le duo d’amour entre la jeune fille et le beau cornemuseux, tout cela d’une grâce musicale exquise, finement touché et nuancé avec des oppositions frappées à la manière de Schumann dans les Kinderstucke, et les danses d’un relief si charmant ; la Sabotière, le Pas des bâtons, des tutti, des soli enlevés du plus bel entrain et des motifs comme s’il en pleuvait ! Ce premier acte est un bijou ; le second me plaît moins ; j’y trouve le revers de la médaille, et puisqu’il est reconnu qu’on a toujours les défauts de ses qualités, le talent de M. Widor, ayant pour qualité la délicatesse, aura pour défaut la minutie ; à certains momens, il fera petit. Citons l’entrée en matière de ce deuxième acte. Le rideau se lève sur un paysage d’aspect sinistre : « Une lande déserte au clair de lune ; un dolmen et un menhir dressent leurs masses imposantes ; à droite un chemin fuyant sous les chênes ; au fond, un marais et, sur la rive lointaine, la silhouette d’un village avec son clocher, — bruyères et genêts. » Ainsi prononce le livret, dont un décor remarquable rend fidèlement l’intention ; à ce tableau plein de grandeur et d’horreur sauvage, qui remue en vous le pressentiment du surnaturel, la musique ne répond pas. C’est du fantastique si l’on veut, mais un fantastique tout aérien et vaporeux : des voix lointaines, des effets combinés de biniou et d’harmonica, rien qui vous entretienne de cette épouvante locale du sujet. Involontairement vous songez alors à l’entr’acte de l’Africaine, et dans un ordre moins relevé sans doute, mais encore bien intéressant — à l’intermède symphonique placé dans Manon Lescaut avant la scène du désert. Ces réserves faites, je n’ai qu’à louer la contexture technique, mélodie, harmonie, coloration instrumentale, même en admettant que c’est parfois écrit trop fin, même en reprochant à l’auteur ses pattes de mouche ; il n’en faut pas moins déclarer que c’est de la calligraphie sur vélin avec des majuscules de sinople et d’or plantées ici et là comme points de repère : les divers morceaux du premier acte que j’ai cités et, dans le deuxième, un certain scherzo tout pétillant d’esprit, la danse des phalènes avec son solo de violon et la valse lente. N’insistons pas davantage sur la manière dont le style instrumental est traité, cette intelligence de l’orchestre n’ayant rien qui doive tant nous surprendre chez un musicien doué comme M. Widor, d’une perception nerveuse des plus subtiles et vivant en puissance de l’orgue, l’instrument polyphonique par excellence ? l’organiste moderne, tel qu’on se le figure après toutes les découvertes de la science, après Wéber, Meyerbeer, Berlioz, Richard Wagner, — dès qu’il s’assied à son clavier, entre en rapport magnétique avec les âmes des grands maîtres sonoristes, il entend des voix, et quand il a, comme l’auteur de la Korrigan, la personnalité et la main-d’œuvre, il les transcrit à son profit.

M. Widor emploie volontiers les instrumens à vent, trop volontiers peut-être, car il néglige à cause d’eux les instrumens à cordes, ce qui nuit par momens à l’ampleur, de son orchestre. C’est là une simple question de quatuor, mais dont il va falloir se préoccuper en écrivant des opéras, vu que ce qui peut être un avantage dans un ballet, dans une symphonie, où la coloration tient une si large place, serait moins de saison dans une œuvre dramatique composée à la fois pour les voix et pour l’orchestre. Il y a là une difficulté, un conflit d’où Berlioz lui-même, avec tout son génie, ne s’est jamais tiré. Quelle chose admirable serait sa Damnation de Faust si le drame chanté et le drame symphonique y brillaient d’une égale splendeur ! Malheureusement, dès que Berlioz écrit pour les voix, sa musique se convulsionne : vous diriez un poisson dans du sable. Autant il réussit aisément à soulever les masses de l’orchestre, autant il lui en coûte d’efforts pour donner aux moindres paroles une expression mélodique, et si des trois figures qu’il met en scène, celle de Méphisto est la mieux venue, c’est que l’instrumentation lui en fournit complaisamment la caractéristique. Embouchez la trompette et le basson, au-dessus du tissu chromatique faites grincer, siffler la petite flûte, à l’instant vous évoquez le diable d’enfer avec ses cornes ; tenez-vous à voir Oberon et Titania vous apparaître ? pincez les harpes et demandez à l’harmonica ses vibrations. L’instrument auquel, dans la Korrigane, obéissent les esprits de l’air, s’appelle le typophone-Mustel, un singulier nom, moins poétique assurément que l’harmonica d’où il dérive, car les noms ont beau changer, la résonance ne varie pas ou varie peu, et c’est toujours le même instrument dont, au dernier siècle, on attribua l’invention à Franklin, qui, dès 1746, s’appelait à Londres musical glasses et, sous les doigts de Gluck, s’épandait en ondes sonores. On ne s’imagine pas la vogue de l’harmonica vers cette époque ; deux proches parentes de Benjamin Franklin, Marianne et Cecilia Davies, l’avaient mis à la mode en France et en Italie ; quant à l’Allemagne, il va sans dire que le werthérisme trouva sa note spéciale dans cette musique sentimentale et portant sur les nerfs. Une virtuose florissait alors à Vienne dont le jeu produisait un tel enthousiasme que Mozart écrivit à son intention un quintette (adagio et rondo) pour harmonica, flûte, hautbois, violon et violoncelle. La diva se nommait Marianna Kirchgessner ; elle était aveugle, ce qui ne la rendait que plus intéressante. Les belles dames de la cour de Marie-Thérèse l’accablaient d’hommages épistolaires rédigés dans le pathos du temps, par exemple le billet qu’on va lire et qui accompagnait un service en vermeil pour le chocolat : « Votre âme, pure et suave comme l’instrument céleste dont votre main touche si divinement, — votre âme ineffable a captivé la mienne, et croyez que chaque fois que vous daignerez approcher vos lèvres de l’une de ces tasses, je me sentirai ravir d’aise. » Les plus fameux romans de cette période : Hesperus, Titan » Quintus Fixlein, sont pleins des nostalgiques vibrations de l’harmonica que Jean-Paul définit « le zéphir du monde de la résonance,  » et quand la Marianna Kirchgessner mourut, en 1808, un compositeur de renom, W.-J. Tomaschek, de Prague, se conformant au deuil universel, traduisit son émotion par une cantate pour l’harmonica, déposée sur le mausolée de Marianna Kirchgessner. Quelles modifications a dû subir depuis ce temps l’instrument de Franklin et comment les clochettes de cristal ont fini par devenir des touches métalliques, il faudrait tout un gros livre pour le dire et tout un dictionnaire pour enregistrer tous les noms attribués à ces multiples, dérivés du premier type : harmonicorde-Müller, harmonicon-Buschmann, panmelodicon-Leppich et, finalement, typophone-Mustel. J’allais oublier la boîte à musique Mälzel, très recherchée à Vienne en 1790, mécanique à spectacle exécutant des airs variés de Haydn et de Wenzel-Müller, pendant qu’au dehors, sur une peau de tambour à grelots, évoluait, valsait, frétillait et tourbillonnait tout un monde de marionnettes : déesses et nymphes en vertugadin, Tircis en taffetas vert pomme, pastoureaux et pastourelles, sylphides et kobolds, qui sait ? la Korrigane en miniature.

Le ballet, du reste, bat son plein en ce moment. Le bruit courait hier d’une prochaine reprise de Giselle. Reprendre Giselle, soit, mais avec qui ? Pas avec la Rosita Mauri, je suppose. Talent nerveux, sémillant, chatoyant, talent-diamant, tout phosphore et tout diable au corps, la charmante Espagnole ne se doute pas de ce que c’est que la pantomime ; sa figuration de Fenella dans la Muette nous l’a trop démontré, et c’est un ballet de style que Giselle, où les souvenirs et les traditions de Carlotta Grisi vivent encore. Laissons monter la folle mousse, mais le quart d’heure d’engoûment passé, il faudra pourtant qu’on songe à pourvoir au nécessaire. Les journaux ne nous entretiennent que des examens de la danse, tous brillans, tous éblouissans, à ce qu’ils racontent ; tous les résultats, au bout du compte, quels sont-ils ? Où voyons-nous des sujets pour remplir les grands emplois du répertoire, pour mimer et danser le pas de l’abbesse au troisième acte de Robert le Diable ? Laure Fonta, dit-on, prend sa retraite ; elle partie, faudra-t-il renoncer à voir convenablement interpréter cet admirable épisode, un chef-d’œuvre, sinon le chef-d’œuvre de l’art chorégraphique et de l’art musical associés et combinés ensemble ?

Ce n’est point quitter l’Opéra que de dire un mot du récent triomphe de M. Halanzier, appelé par le suffrage des artistes dramatiques à succéder au baron Taylor dans la présidence de leur société. Tandis que d’autres briguent les honneurs municipaux, et lorsque le suffrage universel leur tient rigueur, se font gloire d’endosser, faute de mieux, l’habit à palmes vertes d’académicien in partibus, l’ancien directeur de l’Académie nationale, plus sérieux, vient de recevoir, sans l’avoir recherchée, la vraiment digne récompense d’une vie toute de travail et d’honorabilité. Les compétitions rivales pourtant ne manquaient pas ; il y eut même certains petits froissemens d’amour-propre ; mais tout cela s’est effacé devant les mérites et l’autorité d’un candidat que la voix publique avait d’avance désigné, et les récalcitrans n’ont pas tardé à reconnaître que, dans ce poste consacré par d’illustres précédens, il fallait un administrateur éprouvé, un homme libre de sa fortune et de son temps ; bref, un calculateur plutôt qu’un danseur, ce qui, pour une fois du moins, fera mentir le proverbe de Beaumarchais.

Nous voudrions aussi pouvoir parler de M. Reber, qui vient de mourir. Domi mansit, lanam fecit. En d’autres termes, il cacha son existence et composa de la musique. Écrire sagement et correctement des symphonies bien pondérées que le Conservatoire joue une fois en quarante ans, et que Pasdeloup délaisse pour courir après les comètes échevelées, la belle avance ! C’était un maître pourtant, mais attardé, dépaysé ; les dieux qu’il servait exclusivement n’étaient plus les seuls que nous adorions aujourd’hui ; le siècle va s’élargissant et veut des Panihéons, il n’avait, lui, qu’une chapelle et ne s’y trouvait jamais assez à l’étroit. Haydn, Mozart ! en dehors de ce doux et silencieux commerce, il ne demandait rien. Ingres, son vieil ami, si absorbé qu’il fût dans Raphaël, admettait encore Beethoven et s’arrangeait de manière à le glisser parmi les héros de son apothéose, mais pour, ce puriste et ce puritain, pour cet invétéré quaker de la musique, c’eût été là tout simplement du luxe. Cousin se vantait un jour devant nous de n’avoir jamais écrit une ligne «  que cette grande langue du XVIIe siècle n’eût pu reconnaître pour sienne ; » ce qui, déclarons-le, chez un prosateur du XIXe siècle nous paraissait un surprenant aveu d’impuissance. M. Reber avait cette superstition à l’égard de Haydn, auquel, à certaines heures de grand concert, il adjoignait l’auteur des Deux Journées ; volontiers alors se fût-il écrié, en empruntant aux Rohan leur devise : « Cherubini ne puis, Clapisson ne daigne, Reber suis. » Et certainement que, parlant de la sorte, il aurait eu raison. Ses symphonies, ses trios, ses pièces pour piano et violon, peuvent appartenir au passé ; les difficiles leur reprocheront de n’avoir que des qualités négatives, les vrais amateurs se laisseront charmer et goûteront cette musique, aisément conçue, clairement rendue, comme de fins lettrés goûtent une page d’excellent style. Ses Mélodies sont, à mon sens, les moins inspirées de ses œuvres, y compris la célèbre Berceuse, trop variée et colportée, et qui dut le meilleur de son succès au violoncelle de Jacquart. En revanche, ses opéras-comiques ont de la valeur, et sur les quatre il s’en rencontre un, le Père Gaillard, qui n’aurait pas dû quitter le répertoire. Cela ne ressemble ni à du Boïeldieu ni à de l’Herold, vous n’y trouverez ni l’insolation rossinienne, ni la coloration de Weber. C’est de la musique française, bien française, du bon vieux vin de notre cru, quelque chose de sentimental et de grivois, de narquois et d’austère, l’éclat de rire de Méhul dans l’Irato.

Attristé, dégoûté par l’insuccès de ses derniers ouvrages, M. Reber s’était, vers la fin, tout à fait retiré du mouvement, où d’ailleurs il ne se mêla jamais beaucoup. « Ne pèse pas sur elle, ô terre, elle a si peu pesé sur toi. » Cette épigramme d’un ancien nous hante l’esprit à son sujet : n’était-il pas lui-même un ancien ? Il ne lisait plus rien, il relisait ; à peine fréquentait-il quelques rares amis : l’intime Sauzet, toujours en verve, Saint-Saëns, le disciple préféré qui va le remplacer à l’Institut, et, tant qu’elle vécut, cette noble Louise Bertin, — âme de musicienne et de poète, — à laquelle il dédia la meilleure de ses symphonies.

La saison est favorable aux jeunes ; tandis que l’un triomphe à l’Opéra, l’autre conduit le bal au Châtelet. M. Alphonse Duvernoy, un jour qu’il s’ennuyait de n’être qu’un brillant pianiste, imagine de concourir pour le prix de la ville de Paris, et du premier coup il décroche la timbale : Recta omnium brevissima. C’est la devise de M. Guizot mise en musique. Il y a six mois, l’auteur de la Tempête n’eût même pas obtenu la promesse d’un libretto pour la Renaissance ; aujourd’hui, le voilà plus avancé qu’un prix de Rome et marchant l’égal de M. Léo Delibes. Je renvoie à l’éloquence officielle de M. Perrin ceux qui désireraient se renseigner à fond sur l’historique de ces concours dus à l’initiative de M. Herold, préfet de la Seine, et mécontente en passant de proclamer bien haut le mérite d’une institution qui en deux ans nous aura valu deux partitions du meilleur aloi : le Tasse de M. Benjamin Godard et la Tempête de M. Alphonse Duvernoy. On qualifie ces choses-là de poèmes symphoniques ; ne vous y fiez point, ce sont bel et bien des opéras en trois parties qui deviendraient trois actes dès demain s’il existait un théâtre lyrique. Dire de M. Alphonse Duvernoy qu’il est un tempérament d’artiste serait répéter un lieu-commun. Nourri dans le Conservatoire, il en connaît, tous les détours, il sait écrire et déclamer, s’entend à manier les rythmes, à gouverner un grand ensemble, et les dessins chromatiques ne lui coûtent aucun effort. Reste à se demander, ce qui sortira de cette masse d’acquisitions, à faire des vœux pour que l’individualité se dégage, il y a de tout et de tous dans cette œuvre cosmopolite, vivante, remuante et inquiétante d’un Pic de la Mirandole musical, où le talent de reproduire les divers styles est poussé jusqu’à la prestidigitation, où cependant prédomine l’italianisme, car ce normalien wagnérisant écrit pour les voix comme un Rossini, et c’est encore la langue mélodique du beau pays où résonne le si qui semble lui être la plus naturelle : exemple, — vers le milieu de la deuxième partie, — ce bel ensemble dramatiquement mené, poussé à grandes guides et que termine une maîtresse phrase dite par Prospero. M. Alphonse Duvernoy possède en outre le sens du théâtre. Laissons Shakspeare et ses personnages en dehors de la question ; ne voyons ici que ce qu’il a plu au jeune compositeur d’y voir : une féerie à traduire en musique. Il est incontestable que la pièce est réussie, nous avons devant les yeux un spectacle qui se tient, et si vous en demandiez davantage, l’auteur serait eu droit de vous répondre : Adressez-vous à M. Renan. Shakspeare possède en effet ce caractère admirable de pouvoir se prêter à tout. On le secoue, on le bouscule, et sa bonne humeur ne varie pas ; souple et docile aux mains innocentes qui le caressent ou qui le fouaillent, le vieux lion rugissant se redresse à l’appel du maître. Nous savons que Shakspeare n’inventait pas ses sujets de drame et de comédie. Il se contentait de prendre les divers thèmes épiques historiques où romanesques qui lui tombaient sous la main et de se les approprier en les transformant. Je doute qu’on rencontre dans son théâtre un seul ouvrage dont la fable lui appartienne en propre, comme l’idée du Misanthrope et de Tartuffe appartient à Molière, comme les canevas d’une Chaîne et d’Hernani appartiennent à Scribe et à Victor Hugo. Forcé de ravitailler toujours son répertoire, de maintenir en haleine l’ardeur de ses comédiens et la curiosité de son public, il s’emparait naïvement de tout ce qui lui semblait intéressant et partait de là pour créer : materiam superabat opus ; jamais on ne fit mieux reluire au soleil cette vérité. Qu’est-ce, comme donnée, que la Tempète ? Un conte de nourrice. Qu’est-ce comme drame ? Tout un monde d’inépuisable fécondité ouvert incessamment aux spéculations de l’artiste et du philosophe. Privilège enchanteur de ces œuvres destinées comme la nature à toujours renaître ! tandis que le musicien en extrait des trésors d’harmonie, le penseur les étudie à nouveau, les commente, multipliant les déductions, semant les allusions, expliquant tous les symbolismes enfermés dans le précieux coffret dont Shakspeare-Prospero a jeté aux vents la clé d’or, que M. Renan a ramassée : « Prospero la raison suprême, Ariel l’idéal et la poésie qu’il s’agit d’attacher à la vie de telle façon qu’il ne soit plus tenté pour des motifs futiles de mourir atout propos. » Impossible de caractériser d’un trait plus fin l’essence du personnage impondérable créé par Shakspeare. Prospero mort, comment Ariel subsistera-t-il, lui si incapable de lutter contre les nécessités de la vie ? Ce souci tourmente le vieux magicien, qui, se sentant finir, se retourne vers Caliban, devenu chef de l’état, et lui demande pour Ariel une sinécure, «  la garde du château de Sermione, qui n’a aucune importance pour la république de Milan et qui suffira très amplement à ses besoins. » Quoi de plus délicat, de mieux observé que ce mouvement où se trahit chez M. Renan une infinie charité pour les poètes ses semblables ! N’était-il pas écrit : Aimez-vous les uns les autres ? Et dire que cette musique, cette philosophie, cette politique, tout cela était dans la Tempête de Shakspeare, sans compter bien d’autre belles choses que les artistes et les penseurs de l’avenir y découvriront encore !


F. DE LAGENEVAIS.

  1. Emile Souvestre, le Foyer breton, t. I, p. 200.
  2. Je rencontre ce vers au courant d’une lecture du nouveau livre de M. Caro, et je m’en empare, d’abord à cause de l’incontestable vérité qu’il proclame et aussi pour attirer l’attention de la critiqué sur les vers qui suivent et parmi lesquels j’en souligne un qui nécessairement doit être apocryphe :
    De quel droit pensez-vous, croyez-vous quelque chose ?
    Le sourd va-t-il à Naple, aux chants de Cimarose
    Marquer d’un doigt savant la mesure et le ton ?
    Je n’en jurerais pas, mais j’en suis sûr. Je saisis là comme l’empreinte d’une de ces mains étrangères, si diverses, qui se sont fait un devoir d’éplucher ce texte, la griffe d’un Henri de Latouche quelconque. Ce nom de Cimarosa, francisé et mis à la rime, trahit à mes yeux une curiosité, un dilettantisme qui pourraient être d’un Brizeux ou d’un Antony Deschamps, mais qui ne s’expliqueraient point chez André Chénier, cela devance son époque d’au moins vingt ans, et vous seriez tenté de vous écrier, comme ce Charles IX de l’opérette en voyant entrer Molière : « Quoi ! déjà ?  »