Revue scientifique - Deux traitements des plaies de guerre

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REVUE SCIENTIFIQUE

DEUX TRAITEMENS DES PLAIES DE GUERRE


Parmi les méthodes qui, après le débridement chirurgical et le nettoyage macroscopique des plaies de guerre, sont destinées à les faire évoluer vers la guérison, c’est-à-dire à les stériliser progressivement et à permettre de pratiquer leur suture secondaire, il en est deux qui, dans cette guerre, se sont montrées véritablement admirables et hors de pair : la méthode de Carrel et celle de Mencière. C’est d’elles que je voudrais entretenir aujourd’hui mes lecteurs.


Le docteur Alexis Carrel est un des plus beaux exemples des jeunes et magnifiques énergies intellectuelles, que dans l’ordre des sciences, recèle notre pays et que néanmoins notre organisation scientifique, notre administration intellectuelle, si j’ose employer cette expression, laisse si difficilement surgir, si elles n’échappent point à son étau.

Si, jeune, inconnu, ne sachant même pas un mot d’anglais, mais plein d’un bouillonnement d’idées, débordant de cette confiante ardeur que donne l’amour et l’intelligence de la science, si le docteur Carrel n’était pas brusquement parti pour l’Amérique à la recherche de moyens de travail à sa mesure, il aurait sans doute fait dans nos universités une honorable et tranquille carrière. Sa jeunesse aurait passé dans des besognes subalternes, à suivre la filière administrative, jusqu’à l’heure où, les chevaux blanchis et l’ardeur apaisée, il aurait enfin trouvé, — mais combien étriqués et modestes ! — les laboratoires et les moyens de travail où réaliser les rares idées qui eussent pu subsister dans un cerveau sénilisé. Car l’imagination inventive, — qui est, ne l’oublions pas, la qualité maîtresse du savant digne de ce nom — fleurit surtout entre vingt et quarante ans, tandis que c’est surtout à partir de cinquante qu’on trouve dans nos administrations scientifiques les moyens matériels d’y donner libre cours. De sorte que le maximum d’élan vers les fins correspond au minimum des moyens, et réciproquement[1].

Aux États-Unis, Carrel, malgré sa jeunesse et peut-être à cause d’elle, trouva bientôt, grâce à un de ces intelligens et incultes mécènes enrichis dans le négoce ou l’industrie et qui fourmillent là-bas, les moyens matériels (laboratoires, crédits, assistans) qui lui permirent de traduire ses idées en actes.

Et c’est ainsi qu’Alexis Carrel, à l’âge où au pays natal il n’eût guère pu encore sortir de l’impuissance, s’est trouvé aux États-Unis un des jeunes et brillans flambeaux de la science française. Ses travaux si profonds de physiologie qui lui ont valu le prix Nobel sont trop étendus pour qu’il puisse être question de les décrire ici, et si j’y veux faire une brève allusion, c’est seulement parce qu’ils ont donné naissance par une filiation toute naturelle à l’œuvre que Carrel a réalisée en chirurgie de guerre.

On sait que les recherches les plus surprenantes de Carrel à l’Institut Rockefeller se rapportent à la conservation et à la prolifération des tissus animaux en dehors de l’organisme, et qu’ils lui ont donné l’audacieuse idée de transplanter d’un animal à un autre, ou d’un point à un autre d’un même animal, des organes ou morceaux d’organes excisés.

Le haut intérêt philosophique de ces expériences de greffe chirurgicale, les perspectives magiques qu’elles ouvrent aux praticiens de l’avenir sautent aux yeux. Sur un chien, par exemple, Carrel enlève un fragment de l’artère aorte qu’il remplace par une artère d’un autre chien suturée bout à bout dans la coupure de la première. Le succès est complet. Même résultat, — ce qui est encore plus surprenant, — si on suture dans l’artère coupée un fragment de veine. Bientôt le tissu veineux se modifie, se modèle à ses nouvelles fonctions et devient peu à peu du tissu artériel. Étonnant exemple d’adaptation de l’organe à la fonction !

Allant plus loin, on a transplanté avec succès un membre tout entier d’un animal à un autre. Plus hardiment encore, Carrel a voulu transplanter des viscères, des glandes, des organes essentiels d’un être vivant à l’autre ! Mais ici une barrière s’est dressée qui interdit jusqu’à nouvel ordre de passer de l’animal à l’homme : c’est que l’animal sur lequel on a fait ainsi une greffe complète d’organes essentiels, et bien que la greffe en elle-même réussisse parfaitement, présente, au bout d’un certain temps, des phénomènes morbides particuliers, une sorte de sénescence, comme s’il était peu à peu empoisonné par l’organe implanté dans son être, comme si cet organe agissait sur lui à la façon d’une tumeur parasite, d’un cancer.

Quoi qu’il en soit de ces suggestives et passionnantes recherches que Carrel compte reprendre après la guerre, elles l’ont conduit, par la force des choses, à étudier et à employer des substances dans lesquelles se conservent sans se putréfier et s’infecter les tissus ainsi transplantés, les substances qui favorisent la cicatrisation dans la greffe en prévenant toute infection.

Or, précisément, — et cela ressort de l’exposé que j’ai fait précédemment de l’évolution microscopique des plaies de guerre, — c’est précisément de substances de ce genre que le chirurgien militaire a besoin pour stériliser les chairs mutilées des blessés et faciliter leur cicatrisation, en un mot pour les guérir. C’est ainsi que ses travaux physiologiques ont admirablement préparé Carrel à son œuvre magistrale de chirurgie de guerre.

Ce qui caractérise la méthode chirurgicale de Carrel, c’est que, — chose assez rare en médecine et en chirurgie, — elle procède de l’expérimentation scientifique la plus rigoureuse.

Frappé par le fait que, dans le traitement des accidens infectieux, des plaies de guerre, les antiseptiques puissans de jadis (comme le sublimé et l’acide phénique) avaient pour ainsi dire fait faillite, Carrel, comme d’autres chercheurs, notamment Delbet, arriva bientôt à la conviction que le bon antiseptique n’est pas seulement celui qui agit sur l’agent microbien, mais surtout celui qui nuit au minimum à la défense de l’organisme. Cela n’était pas le cas des antiseptiques classiques qui agissaient un peu, si j’ose employer cette image, à la façon du pavé de l’ours, et nuisaient autant aux tissus à reconstituer qu’aux agens infectieux.

Quelles substances étaient donc capables de détruire ces germes, tout en ménageant la résistance ; des cellules de défense de l’organisme, de limiter leur action destructive aux premiers, de faire un choix entre les cellules à conserver d’une part, les cellules mortes et les germes de l’autre, de séparer, en un mot, le bon grain de l’ivraie ?

Des recherches systématiques le conduisirent par élimination à choisir, comme correspondant le mieux à cet idéal, la solution d’hypochlorite de soude convenablement neutralisée par l’adjonction d’autres sels, suivant la technique de Dakin, de façon à en supprimer les propriétés irritantes.

Ce liquide a les propriétés suivantes :

1° D’une part, une action destructive indiscutable, quoique pas très énergique, sur les microbes.

2° Il dissout rapidement les caillots, les débris mortifiés des tissus, tous les déchets cellulaires qui favorisent la pullulation des microbes et font obstacle à l’action de l’antiseptique.

3° Il agit mécaniquement sur la détersion de la plaie, c’est-à-dire sur la séparation progressive des tissus qui doivent disparaître et ceux qui doivent être conservés et entre lesquels la barrière leucocytaire s’interpose, comme une ligne de tranchées entre les territoires ami et ennemi.

4° Enfin, tandis qu’il dissout les élémens mortifiés, il favorise au contraire le bourgeonnement des tissus vivans de la plaie.

Aucun antiseptique connu, — celui de Mencière excepté, — ne possède à un même degré l’ensemble équilibré de ces diverses propriétés.

L’œuvre de Carrel a consisté non pas seulement à choisir comme agent antiseptique le liquide de Dakin, mais surtout à le mettre en œuvre par des procédés efficaces et puissamment originaux.

Ce liquide a un pouvoir microbicide faible ; d’où la nécessité, si on veut qu’il soit agissant, de le renouveler fréquemment, et de multiplier son action en la répétant. C’est ainsi que Carrel a été amené à irriguer d’une façon continue la plaie qui doit être humectée d’un liquide sans cesse renouvelé, lequel sans cela cesserait rapidement d’être stérilisant.

Sitôt donc le débridement, et l’extraction des corps étrangers chirurgicalement effectués, ainsi que nous avons dit, Carrel installe son appareillage qui va réaliser un nettoyage chimique continu de la plaie.

Des tubes de caoutchouc ou des drains multiples, divergeant d’une canule à plusieurs orifices, reliée elle-même à un réservoir d’alimentation contenant le liquide, sont placés dans la plaie et entourés de tissu éponge, de façon à baigner constamment toutes les parties de la plaie, d’ailleurs recouverte de compresses. Le réservoir d’alimentation est une sorte de bock à injection placé au-dessus du blessé ; des dispositifs variés, automatiques ou maniés par un aide, une simple pince serrant le tuyau de communication par exemple, permettent périodiquement, toutes les heures ou toutes les deux heures, de laisser pénétrer dans la plaie la quantité nécessaire pour renouveler l’irrigation antiseptique.

Je passe sur maints détails opératoires qui ne sauraient trouver place ici. Bientôt, sous l’action de ce traitement, on voit le pus disparaître ; la plaie n’a plus d’odeur et ne tarde pas à prendre une teinte rouge vif de bon aloi. Mais Carrel ne se contente pas de ces symptômes microscopiques ; c’est au microscope qu’il a sans cesse recours pour déterminer le stade d’évolution de ses plaies, et cette technique, entre ses mains expertes guidées par un esprit méthodique, a apporté un élément inconnu de précision dans la technique chirurgicale de guerre. A cet effet, on pratique tous les deux ou trois jours sur la plaie, aux endroits les plus suspects, un prélèvement de sécrétions qui est examiné au microscope. L’état bactériologique de la plaie est exprimé par un nombre, rapport du nombre des microbes observés au nombre des champs microscopiques examinés. Carrel est arrivé à cette conclusion que pratiquement, lorsqu’on ne trouve pas plus d’un microbe pour une dizaine de champs, la plaie peut être considérée comme aseptique, comme chirurgicalement stérile.

Le professeur Sartory a employé depuis, avec succès, une méthode analogue dans l’étude bactériologique de la méthode Mencière dont je parlerai tout à l’heure, et dont ses constatations autorisées ont d’ailleurs, vérifié ainsi l’efficacité.

D’après les observations de Carrel et de tous ceux qui ont employé sa méthode, l’examen bactériologique montre qu’on obtient ainsi des plaies aseptiques au bout d’un petit nombre de jours qui varie en moyenne de trois, pour les plaies des parties molles, à une quinzaine, pour les foyers de fracture.

Les plaies ainsi stérilisées, il ne reste plus qu’à les suturer secondairement, qu’à les fermer. C’est ce que Carrel réalise par des moyens où son ingénieuse dextérité s’est à nouveau manifestée, et qui comportent, suivant les cas, soit la suture classique, soit un rapprochement des lèvres de la plaie, par des bandes adhésives simples, ou par des bandes adhésives percées de trous où l’on passe un lacet et qui constituent un véritable corsettage.

Parmi les autres contributions précieuses que Carrel a apportées à la technique scientifique des plaies de guerre, je m’en voudrais de ne pas signaler aussi les recherches faites sous sa direction par une de ses élèves, Mlle Alice Hartmann, relativement à la vitesse de cicatrisation des plaies stérilisées en fonction du temps et de la surface de la plaie.

On est arrivé ainsi à des lois simples exprimées par des courbes continues et dont l’intérêt n’est pas seulement spéculatif, car elles fournissent un instrument de contrôle inespéré. Lorsqu’en effet la courbe observée s’écarte de la courbe théorique, on peut être sûr qu’il existe une cause anormale retardatrice de la cicatrisation, et l’attention du chirurgien est ainsi aiguillée vers la recherche, soit d’une stérilisation insuffisante, soit d’un corps étranger inaperçu, soit d’un mauvais état général du blessé qui auraient sans cela échappé à sa vigilance.

Cette belle méthode, aujourd’hui, — mieux vaut tard que jamais ! — envoie de généralisation, et qui est, dit-on, très en honneur dans les hôpitaux de nos ennemis mêmes, n’a pas obtenu chez nous droit de cité sans des difficultés et des résistances regrettables. Mais les résultats qu’elle a donnés sont si probans, elle a permis, dans un très grand nombre de cas, de réduire à tel point la durée de la guérison et la nécessité des amputations, que personne aujourd’hui n’en ose plus contester la valeur.


La méthode dont je vais parler maintenant, la méthode du docteur Mencière, n’a pas eu moins de peine à forcer le crédit qui lui revient légitimement.

Le problème, tel que se l’est posé Mencière, consistait également à trouver un antiseptique assez puissant pour détruire les germes pathogènes, et cependant inoffensif pour le protoplasma cellulaire, donc assez puissant, si j’ose dire, pour éteindre l’incendie sans détériorer la maison.

Des antiseptiques à la fois puissans, inoffensifs et stables peuvent-ils se rencontrer ? Championnière, qui fut en France le premier évangéliste de l’antisepsie chirurgicale, s’était servi des essences, dont il avait eu de bons résultats. Elles ont l’inconvénient de n’être pas des principes chimiquement définis. Une essence provenant d’un champ de violettes à Grasse n’est pas la même que celle recueillie à Hyères. Provenant du même champ à Grasse, elle variera d’une année à l’autre et même d’un jour à l’autre. Enfin, dans un même flacon, sa composition changera de semaine en semaine.

Mencière se sert de principes chimiquement définis, l’iodoforme, le gaïacol, l’eucalyptol, l’acide benzoïque, auxquels il associe le baume du Pérou. Ces principes sont à la fois des antiseptiques puissans et, sauf idiosyncrasies toutes spéciales et très rares pour l’iodoforme, ce sont des produits inoffensifs pour l’organisme, puisque les médecins les prescrivent fréquemment à l’intérieur. L’acide benzoïque, par exemple, qui est un antiseptique d’une grande puissance, s’ordonne couramment per os à la dose d’un gramme et plus par jour.

Faisons dissoudre 1 gramme d’acide benzoïque et 5 grammes de gaïacol dans un litre d’eau. Nous obtenons ainsi l’eau dont se sert Mencière pour le lavage des plaies. Si dans un bocal renfermant cette eau, nous mettons un fragment d’une cuisse amputée, celle-ci se conservera indéfiniment, et son aspect restera normal, tellement sain que le grain de la peau ne changera en rien.

Nous reconnaîtrons toujours admirablement, même au bout d’un temps très long, l’ecchymose que présente précisément le fragment d’organe que nous avons choisi. Une moelle, immergée dans l’eau Mencière, présente encore son aspect frais normal, après cinq mois d’immersion, montrant jusqu’à l’évidence le pouvoir conservateur et la non-nocivité pour les tissus, du liquide employé, même quand il s’agit d’un organe aussi délicat que la moelle.

Sortons de l’eau le fragment de cuisse dont nous avons parlé, et mettons-le à l’air, il se dessèche alors sans se putréfier et prend l’aspect des chairs boucanées. Sa conservation est devenue indéfinie, sans offrir aucune odeur désagréable. Puis, si on veut poursuivre l’expérience, il suffit de le plonger pendant deux à quatre jours dans l’eau de Mencière, pour qu’il reprenne sa souplesse, sa couleur, son aspect d’avant la dessiccation.

Une expérience analogue faite avec le liquide parent du précédent que Mencière appelle « solution pour embaumement » (éther alcoolisé au dixième renfermant gaïacol, eucalyptol, iodoforme, baume du Pérou) ; montre un phénomène de conservation indéfinie absolument semblable. Retiré et mis à l’eau, le dessèchement du tissu immergé se fait toujours sans putréfaction, mais ce tissu prend la couleur, la consistance, l’aspect des momies. C’est la résurrection, par un procédé différent, de l’art consommé qu’avaient acquis les Égyptiens dans la momification.

Si nous plaçons dans ces liquides une portion gangrenée d’un membre amputé, elle se conserve indéfiniment en perdant toute odeur désagréable et avec un arrêt total des processus gangreneux.

Ces faits nous montrent expérimentalement : 1o que les liquides de Mencière sont puissamment antiseptiques ; 2o qu’ils sont non pas des destructeurs de la cellule, non pas des substances cytolytiques, comme disent en leur jargon les biologistes, mais des substances qui la reconstituent au contraire, des substances cytogéniques.

Passons maintenant à l’exposé clinique de la méthode. Celle-ci, nous l’avons dit, pas plus qu’aucune autre, ne supprime la nécessité de l’acte chirurgical, une fois que le praticien en a discerné l’opportunité. Elle n’est, encore un coup, comme celle de Carrel, qu’une méthode de traitement des plaies chirurgicalement expurgées.

L’innocuité de cette méthode est telle qu’elle permet d’employer en grande quantité les antiseptiques dont l’auteur a donné la formule sans risquer les accidens toxiques auxquels exposent les antiseptiques usuels, tels que l’acide phénique ou le sublimé.

Supposons que l’on ait affaire à une plaie cavitaire large et d’accès facile, ou à une plaie en surface, on se servira d’un pulvérisateur en verre. Le pulvérisateur ordinaire à eau de Cologne fera très bien l’affaire. On pulvérisera sur toute la surface de la plaie et de ses abords le liquide répandu enfuies gouttelettes. La durée de la pulvérisation sera aussi prolongée qu’on voudra, tout en n’utilisant qu’une quantité minime de liquide.

Pour mieux assurer la désinfection, il sera bon de soulever avec des pinces de Kocher, les bords de la plaie, de manière à constituer une sorte de puits dans lequel on verse la solution avec une pissette.

Un pulvérisateur renversé peut à la rigueur tenir lieu de pissette. On obtient de la sorte un véritable bain des parois dont tous les recoins et anfractuosités se trouvent déplissés et macérés par la solution. Puis on y met des compresses imbibées de celle-ci, mollement tassées et non bourrées, que l’on recouvre de coton et de bandes.

Dans les trajets étroits, dans les plaies tunnellisées en séton, on emploie les injections à la seringue. Une seringue en verre de 10 ou 20 centimètres cubes est commode à cet effet, en obturant, s’il y a lieu, un des orifices pour assurer un contact prolongé. Ici pas de tubes, pas de goutte à goutte. Les principes actifs, stables, de cette méthode d’embaumement permettent d’assurer le pansement permanent d’une façon simple. Il suffit de proportionner le renouvellement du pansement et la durée de la macération au degré d’infection que fait connaître le < microscope comme dans le Carrel. Dans les cas de haute gravité, on le renouvelle toutes les 12 heures, en macérant les tissus et les cavités avec la solution pendant 5 à 6 minutes durant 2, 3, 5 jours et plus. Dans les cas infectés de gravité moyenne, on renouvelle le pansement toutes les 24 heures. Les deux ou trois premiers pansemens doivent être de grands pansemens avec macération des tissus par la solution ; puis pansemens plus simples avec le pulvérisateur.

La désinfection d’un foyer septique est ainsi généralement assurée pendant la première période d’infection qui peut être fixée à dix jours. mais qui fréquemment est plus courte. Dans une deuxième période, période de cicatrisation, les pansemens doivent être plus espacés, la pulvérisation moins longue. On les fait d’abord tous les jours, puis tous les deux ou trois jours.

On arrive ainsi à une troisième période ou période d’épidermisation, où une pommade antiseptique épidermisante renfermant les mêmes principes que la solution, est souvent suffisante et donne d’excellens résultats. En somme, dans le pansement Mencière, on dispose à la surface de la plaie des baumes antiseptiques par le moyen d’une solution, qui a l’avantage de les porter en tous les points infectés sans exception, et dont le solvant volatil s’évapore ensuite, laissant la plaie dans un état relativement sec, ce qui a de nombreux avantages pour la rapidité de la cicatrisation.

Du fait de l’évaporisation de l’éther, de la solution Mencière, celle-ci est assez douloureuse pendant quelques instans. Cette douleur transitoire s’atténue d’ailleurs fréquemment au fur et à mesure des pansemens, si bien qu’au bout du quatrième ou cinquième, elle est déjà très facilement supportée.

Dans le cas d’un malade pusillanime ou trop nerveux, on peut, pour éviter cette douleur remplacer la solution éthérée par une émulsion de composition analogue, et que l’expérience a montrée être indolore. Mais l’ubiquité des produits dissous est, comme on sait, toujours supérieure à celle des mêmes produits en émulsion ; et c’est pourquoi chaque fois qu’il est possible la solution doit être préférée.

Comment évoluent les plaies sous l’action de l’embaumement ? Le stade de suppuration ayant ou n’ayant pas existé, les sécrétions à la surface de la plaie sont peu abondantes. On voit celle-ci pendant quelques jours recouverte d’un léger voile blanchâtre. Sous cet enduit, apparaissent ensuite des plaques de chair musculaire de plus en plus étendues et nettes. La place va « virer, » suivant le mot de Mencière. Vers le dixième jour, elle prend un bel aspect rouge carmin pareil à celui des pinces anatomiques colorées au ripolin.

Le voile blanchâtre qui la recouvre, et qui est probablement constitué surtout par les résidus cellulaires de la détersion a complètement disparu. La plaie a viré. Puis, à un stade plus avancé, et au fur et à mesure que la cicatrisation progresse, la teinte rouge carmin pâlit de nouveau et disparaît, signe précurseur d’une épidermisation prochaine.

Tels sont les faits, lorsqu’on applique l’ « embaumement méthodique et définitif. »

Ce qui fait la valeur de ce pansement Mencière, c’est que, de par la diffusibilité de l’éther alcoolisé, si l’on observe religieusement, comme dit Mencière, la loi de la durée du contact et de la surface de contact, les produits sont transportés partout, dans tous les recoins de la place. L’éther s’évapore, et il persiste une couche de produits antiseptiques multiples, car tous les microbes ne sont pas également sensibles à tous les antiseptiques, et cela explique l’utilité de multiplier ceux-ci. Cette couche pulvérulente constitue donc un pansement sec, permanent, partout réparti également, et dont l’action est continue et persistante.

Un fait qu’il convient de signaler avec Mencière, c’est la rareté du bourgeonnement exubérant des plaies, bourgeonnement fréquent avec d’autres méthodes. Tout en étant cytogénique puissamment, le Mencière « stoppe, » pourrait-on dire, les plaies sans déterminer une excitation cellulaire excessive, et tend à provoquer la karyokinèse en la maintenant dans des bornes normales.

A côté de l’embaumement méthodique et définitif que nous venons de décrire, et qui est le procédé Mencière, tel qu’il est applicable à loisir dans les hôpitaux et les formations de l’arrière, il convient de dire quelques mots de « l’embaumement d’attente » qui est l’application de la méthode à l’avant. Lorsque les circonstances de la guerre, afflux de blessés, insuffisance de personnel, contraindront d’évacuer rapidement les blessés sans leur faire subir les opérations destinées à éviter toutes complications, on se bornera à faire « l’embaumement d’attente ». Celui-ci n’a rien de spécial. Ce n’est qu’un premier pansement aussi soigné et complet qu’il se peut, faisant appel aux mêmes procédés que l’embaumement définitif : lavage à l’eau distillée, puis macération de la plaie par les moyens indiqués précédemment. Cet embaumement peut être fait immédiatement au poste de secours. Il ne met pas à l’abri de l’infection, puisque la plaie n’est pas expurgée de ces corps étrangers, mais retarde pendant plusieurs heures l’évolution des germes pathogènes, ce qui permet d’attendre dans de meilleures conditions la formation sanitaire où l’extraction des projectiles et l’embaumement méthodique doivent avoir lieu. Une fois appliqué, le pansement ne demande aucun soin spécial et permet un transport facile. En le renouvelant toutes les douze ou vingt-quatre heures, il persiste, par suite des antiseptiques renforcés et non nuisibles, accumulés par l’embaumement, un état de quasi stérilisation des plaies qui peut se prolonger plusieurs jours, De nombreux cas ainsi traités ont établi l’efficacité du procédé. Sous cette forme d’attente, et dans les conditions de la bataille active, avec l’insécurité des premières formations, l’intensité du travail, l’afflux des blessés, la lenteur des transports, l’insuffisance numérique, en pareil cas, des chirurgiens et de leur personnel auxiliaire, la pratique de Mencière est d’une simplicité sans égale ; facile à appliquer partout, au poste de secours et même sur le champ de bataille, dans la tranchée ou le boyau, par un infirmier peu instruit, n’exigeant qu’un personnel réduit, elle permet d’assurer aux blessés l’évacuation la meilleure et la plus rapide, quelles que soient les à-coup des transports, inhérents à la guerre. C’est une méthode conservatrice par excellence, peu coûteuse, malgré la cherté relative des ingrédiens, puisque, quand on emploie par exemple la pulvérisation, on peut faire alors, avec un litre de solution, de 80 à 100 pansemens. Si, d’ailleurs, il n’y a pas de phénomènes infectieux ou de haute température, le pansement peut n’être changé que très rarement, parfois tous les sept jours, suivant la pratique notamment du docteur Braquehaye (Progrès médical, 21 mars 1917). Enfin cette méthode remplace l’odeur fade, écœurante des salles de blessés infectés, par une odeur balsamique agréable. « Je ne vois pas comment pouvoir la remplacer en période d’attaque ou de mouvement, dit le docteur Braquehaye qui en fait la méthode de choix dans son service de chirurgie à l’hôpital.

D’autres adhésions nombreuses et très hautes ont fini par consacrer la méthode Mencière, car, malgré toutes les routines et tous les obstacles, ce qui est simple et utile finit toujours par émerger. En particulier, les paroles récentes que voici de M. le médecin-inspecteur général Nimier valent d’être méditées :

« Malgré, dit-il, les améliorations apportées au service des évacuations, il est prudent d’admettre que les blessés évacués ne sont pas en état de se passer de toute surveillance chirurgicale, pendant les trois jours peut-être qui s’écouleront avant qu’un chirurgien revoie leur pansement. Par suite, il est nécessaire de prévoir encore le fréquent retour à l’action durable d’un antiseptique. »

Paroles sages et vraies dans le cas d’une offensive minutieusement préparées, et combien plus encore si nous envisageons la guerre de mouvement ! Nous reverrons alors l’insécurité des premières formations, l’intensité du labeur, la lenteur des transports. Et la chirurgie antiseptique apparaît seule alors capable de prévenir le retour de ces vraies épidémies de plaies gangreneuses et infectées que l’on vit en 1914.

La solution de Mencière est dans ces conditions un produit efficace, d’une innocuité démontrée, que les infirmiers eux-mêmes peuvent utiliser sans crainte, facile à manipuler, stable, à action antiseptique durable et d’application générale.

Telles sont les qualités sur lesquelles fortement et justement insiste le médecin-inspecteur Nimier, et qu’ont pu constater tous ceux qui ont employé le procédé Mencière ou en ont, comme l’auteur de ces lignes, constaté les résultats.

Si j’ai cru devoir décrire avec quelques détails la méthode de traitement des plaies du docteur Mencière, c’est qu’il y a à mon avis un intérêt immédiat et élevé à la faire connaître et à la répandre parmi nos praticiens de guerre. D’ailleurs, elle est dès maintenant officiellement préconisée, — après combien de difficultés et d’avatars ! — par les chefs techniques de notre service de santé.

A l’heure qu’il est, parmi les procédés expérimentés à l’avant pour juguler précocement l’infection avant la large intervention opératoire qui s’impose ensuite, l’antiseptique Mencière est sans doute celui qui a donné les résultats les plus satisfaisans. Cela s’explique très bien ; si on le compare, par exemple, au procédé Vincent, qui est d’ailleurs un procédé excellent, et pouvant rendre de grands services, on constate qu’il a sûr celui-ci l’avantage, d’une part, de comporter des substances chimiquement bien plus stables, d’autre part et surtout, grâce à son véhicule liquide, d’avoir un contact forcément plus complet avec tous les points infectés de la plaie, et de moins risquer de laisse inviolés certains centres de résistance infectieuse.

Sans égal, jusqu’ici, parmi les méthodes de désinfection de l’avant, de Mencière, si on considère au contraire le cas des blessés hospitalisés à l’arrière, fait encore honorablement figure à côté de l’admirable méthode de Carrel.

Et c’est pour cela que je me suis cru fondé à dire que ces deux méthodes constituent actuellement les deux conquêtes les plus éclatantes et les plus fructueuses de notre chirurgie de guerre.


CHARLES NORDMANN.

  1. Cela est vrai du moins de toutes les sciences expérimentales, de toutes celles où il ne suffit pas, pour produire, d’avoir un cerveau si on n’a aussi des appareils, des laboratoires, des moyens d’expérience. Seules les sciences mathématiques échappent à cette règle, et c’est pourquoi sans doute ces sciences sont les seules où nous soyons, non pas seulement les égaux des premiers, mais hors pair ; et c’est pourquoi sans doute aussi les mathématiques sont les seules sciences où les savans français puissent être célèbres et jeunes à la fois.