Revue scientifique - La Télégraphie sans fil

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Revue scientifique - La Télégraphie sans fil
Revue des Deux Mondes4e période, tome 153 (p. 217-228).
REVUE SCIENTIFIQUE

LA TÉLÉGRAPHIE SANS FIL

La télégraphie sans fil n’est plus seulement une curiosité scientifique, une très remarquable expérience de laboratoire : la voici qui entre dans la pratique. Une Compagnie, Wireless Telegraphy C°, s’est fondée à Londres pour l’exploitation industrielle du système Marconi. Les derniers essais de communication entre la France et l’Angleterre, à travers le détroit du Pas de Calais, ont eu un succès retentissant. Des dépêches ont été échangées, d’un rivage à l’autre, entre deux postes distans de 60 kilomètres. Le poste anglais est établi près de Douvres, au cap de South-Foreland ; le poste français est à Wimereux, au chalet d’Artois. Toutes les manipulations s’exécutent dans la maison du phare de Foreland et dans le chalet : tous les appareils y sont renfermés et fonctionnent portes et fenêtres closes. Rien n’en décèlerait extérieurement l’existence, si un fil ne rehait chacun de ces postes à une sorte de haut paratonnerre établi dans leur voisinage : c’est par cette tige nommée antenne, par comparaison avec l’organe explorateur qui surmonte la tête des insectes, que les ondes électriques sont envoyées ou recueillies. Ces ondes cheminent à travers l’espace dispersées dans toutes les directions ; mais le principal faisceau s’échappe par la pointe en s’étalant dans le plan perpendiculaire à la flèche du paratonnerre, et c’est lui qui établit la communication. À Wimereux, sur la plage, en avant du chalet, on voit se dresser un mât de 54 mètres de hauteur, fortement maintenu par des haubans ; une flèche le termine ; c’est l’antenne.

La première dépêche envoyée au moyen de ce nouveau télégraphe, de Douvres à Paris, a été adressée par M. Marconi à un savant français, M. E. Branly, professeur à l’Institut catholique. C’était un juste hommage de la science appliquée à la science pure. La télégraphie sans fil, en effet, est une application directe d’une découverte de M. Branly, celle des radio-conducteurs. Les ondes électriques, qui se propagent à travers la Manche d’une rive à l’autre et qui servent ainsi d’agent de transmission, c’est un illustre physicien allemand, Heinrich Hertz, qui a appris à les produire, en 1887 ; c’est le physicien français qui, en 1890, a enseigné à les capter. H. Hertz et E. Branly sont les pères de cette invention envisagée dans son principe essentiel, à savoir : génération d’ondes hertziennes au poste d’envoi, captation des ondes au poste de réception. À MM. Popoff et Marconi revient le mérite d’avoir conçu l’application et d’avoir combiné ingénieusement les moyens de la réaliser. Le professeur russe Popoff a utilisé le premier, en 1895, l’instrument de Branly, le radio-conducteur, pour une transmission à distance, dans ses recherches sur l’électricité atmosphérique. Il plantait dans le sol, lui aussi, une sorte de mât métallique, au sommet duquel il attachait, comme un écriteau, une plaque conductrice de grandes dimensions : cette large antenne était, là encore, destinée à recueillir des ondes électriques ; et ces ondes, à la vérité, n’étaient point produites artificiellement dans un appareil télégraphique; elles venaient d’une source naturelle, génératrice d’ondes hertziennes, à savoir : les éclairs, la foudre, les décharges électriques de l’atmosphère. Ce rudiment de télégraphe était un messager des orages lointains. En 1896, à Rome, M. Marconi complétait cette ébauche et imaginait le système qui, successivement perfectionné, fonctionne aujourd’hui. Bientôt après, un constructeur de Paris, M. Ducretet, organisait sur les mêmes principes un télégraphe sans fil; dans son laboratoire de la rue Claude-Bernard, il mettait en communication sans fil deux chambres plus ou moins éloignées ; puis, il établissait les deux postes au Panthéon et à l’église du Sacré-Cœur, dont la distance est de 4 kilomètres à vol d’oiseau; et enfin, plus récemment, il lançait des télégrammes de ce dernier point à l’église Sainte-Anne de Tolbiac, éloignée de 7 kilomètres. On a vu fonctionner ces appareils à l’Exposition annuelle de la Société de Physique au mois d’avril 1898. M. Mascart a rendu compte à l’Académie des Sciences de leur bon fonctionnement : les signaux étaient très nets, même en temps d’épais brouillard; le récepteur permettait la traduction au son, ou l’enregistrement automatique.


I

Les expériences de M. Marconi ont été faites sur une plus grande échelle, avec des moyens plus puissans. L’ingénieux électricien a trouvé partout un favorable accueil, en France et en Angleterre. La presse et beaucoup de personnages influens de la Grande-Bretagne se sont intéressés à son invention dès le début. Le prince de Galles en fit l’essai et put communiquer à quelques kilomètres de distance, de la côte avec le yacht qui portait Sa Gracieuse Majesté la reine Victoria. Le gouvernement français, de son côté, a accordé toutes facilités à ces expériences. Les administrations de la Marine et de la Guerre les suivent avec attention. Tout récemment, l’aviso l’Ibis, sur lequel était embarquée la commission officielle et notre attaché naval à Londres, a exécuté des essais très intéressans. Il a pu, tout en évoluant au large, envoyer des télégrammes en France et en Angleterre, et en recevoir de ces deux pays. Le message expédié de l’Ibis à l’ambassadeur M. P. Cambon lui a été remis exactement une heure quarante minutes après son envoi.

Ainsi, non seulement la communication est établie d’une rive à l’autre du détroit sans fil, sans câble, sans lien direct, mais elle est encore assurée d’une manière permanente entre la pleine mer et la côte, entre un navire en marche et une station terrestre. Il y a plus : une expérience toute récente, faite entre Wimereux et Sangatte, à travers le promontoire de Gris-Nez, a montré que le navire pouvait encore communiquer avec le poste côtier alors même qu’une zone terrestre de 25 kilomètres est interposée entre eux. Ce sont là des résultats très considérables. Ils en présagent de plus considérables encore, lorsque cette invention, qui n’est qu’à ses débuts, aura reçu les inévitables perfectionnemens qu’apportent le temps et l’usage. De tous côtés on s’y emploie. En Amérique, le célèbre électricien Nicolas Tesla, l’émule d’Edison, annonçait le 5 juin 1897 ou laissait annoncer par les journaux de New-York, et bientôt du monde entier, qu’il avait résolu, de son côté, le problème de la télégraphie sans fil; déjà il avait établi communication à distance de 20 milles, c’est-à-dire de 32 kilomètres environ. Aujourd’hui il ne désespère pas de faire communiquer, avant peu, l’Europe avec l’Amérique. Ce n’est pas impossible ; mais nous sommes encore bien loin d’être aussi avancés. Il ne semble pas, d’ailleurs, que les Américains soient très convaincus de la réalisation très prochaine de ce programme, car leur gouvernement, en attendant le succès foudroyant du procédé national, a envoyé un délégué pour étudier le procédé encore boiteux qui fait l’admiration de la vieille Europe.

Le moment est propice pour une révolution de ce genre. Le système actuel de télégraphie électrique n’est pas indéfiniment perfectible; il semble, dès à présent, parvenu au point de perfection qu’il comporte et qu’il ne saurait dépasser. Les remaniemens qu’on lui fera encore subir ne semblent pas susceptibles de produire des résultats beaucoup supérieurs à ceux de l’appareil Baudot, qui permet d’envoyer six dépêches à la fois sur le même fil.

Il n’y avait plus de grandes améliorations à attendre, à moins de renouveler le principe de la transmission. Et c’est ce qu’a fait la télégraphie sans fil. Elle substitue l’onde électrique au courant électrique. Le courant électrique, si subtil qu’il soit, est un agent asservi à la matière, il a besoin d’être guidé et soutenu par un conducteur métallique ; il y progresse de proche en proche sans le pouvoir quitter. Il le parcourt sans doute avec une vitesse prodigieuse ; néanmoins il n’a pas toute la liberté de mouvement que l’on peut imaginer et que possède, par exemple, la lumière, l’onde lumineuse.

Au contraire l’onde électrique est une forme plus souple de l’agent électrique. Elle participe à la fois de la nature de l’électricité et de la nature de la lumière. Disons mieux, c’est à la fois de l’électricité, et objectivement parlant, c’est aussi de la lumière : sauf la propriété d’agir sur l’œil, elle possède tous les caractères de celle-ci, au degré près. L’onde hertzienne se propage sans conducteur, comme le rayon lumineux ; elle se réfléchit et se réfracte, comme lui ; elle traverse les obstacles, sauf lorsqu’ils sont de nature métallique; et, par exemple, elle franchit les murs, les vitrages, les tentures. Mais, en ce faisant, elle s’affaiblit rapidement. MM. Edouard Branly et G. Le Bon ont bien constaté et mesuré cet amortissement progressif et rapide de l’ondulation électrique par les matériaux interposés. Elle est, à quelque degré comparable, à cet égard, à la vibration sonore qui s’entend à travers un écran, une cloison, des murs plus ou moins épais; mais qui s’éteint bientôt.

C’est précisément pour éviter ou réduire le plus possible l’effet destructeur des obstacles que l’on dresse, dans la pratique de la télégraphie sans fil, ces mâts élevés du sommet desquels s’échappent les ondes que n’arrêteront point les maisons, les arbres, les écrans divers. C’est encore pourquoi les expériences sont plus faciles et ont toujours mieux réussi sur les vastes espaces entièrement nus de la mer. L’élévation qu’il faut donner à l’antenne et son inclinaison sont précisément en rapport avec cette nécessité d’éviter les étouffoirs constitués par les reliefs du sol ou par la convexité des eaux.


La disposition de l’appareil destiné à lancer les ondes électriques ou à les recueillir (révéler) est évidemment commandée par les lois de la propagation de ce genre d’électricité. Or que sait-on à cet égard?

Il faut bien d’abord se pénétrer de cette idée que l’électricité mise en œuvre dans la télégraphie sans fil est une variété différente de celle qu’utilise la télégraphie ordinaire. Celle-ci, c’est le courant de pile ; et, on n’a pas connu autre chose jusqu’en 1887, c’est-à-dire jusqu’aux travaux de H. Hertz. Ce courant circule dans le fil conducteur comme l’eau dans une conduite. C’est au moins l’image qu’on s’en fait.

L’électricité hertzienne est d’une autre espèce. C’est un flux discontinu : il est formé d’une série d’ébranlemens extrêmement courts (il y en a plusieurs milliards à la seconde) ; chacun de ces ébranlemens, nommé onde électrique, oscillation, vibration, est comparable à une vibration de lumière polarisée, et met en jeu une énergie qui croît de zéro à un maximum et retombe à zéro. Il y aurait beaucoup à dire sur la nature de ces ondes et les circonstances de leur production. Nous y reviendrons tout à l’heure. Pour le moment il ne s’agit que du mode de propagation. Or, ce mode de propagation est différent aussi de celui du courant électrique ordinaire. Nous parlons du mode de propagation, au singulier; il en faudrait parler au pluriel, car il y en a deux : la conduction et la radiation.

L’onde électrique peut cheminer le long des fils, comme le courant ordinaire ; et à l’exclusion de celui-ci elle chemine également dans l’espace, sans conducteur, par rayonnement. Dans le télégraphe sans fil, l’onde électrique engendrée à la station de départ, au moyen d’un appareil convenable (système de Righi) est conduite jusqu’au point de lancement, au sommet du mât, à l’extrémité de l’antenne. Telle est sa première étape. Il n’y a pas à s’en préoccuper ici. Cette phase n’a d’intérêt qu’au point de vue de la théorie. Il suffit de savoir que cette circulation se fait d’une manière qui (sauf en ce qui concerne la vitesse, qui est la même) n’a aucun rapport avec la manière dont se propage le courant continu de pile : elle ne ressemble en rien à un écoulement d’eau. Le flux électrique reste, en effet, à la surface du conducteur sans le pénétrer; il s’y répand transversalement. On pourrait se faire une image de cette progression en comparant ce flux à une couche de peinture que le peintre étendrait à la surface d’un tuyau en s’astreignant à ne donner que des coups de pinceau de direction transversale, perpendiculaires à l’axe du tube.

La seconde étape, le rayonnement, commence au moment où l’ébranlement électrique, qui constitue l’onde, est lancé dans l’espace par l’extrémité de l’antenne. Là encore la vitesse de propagation est la même ; c’est la vitesse du courant électrique, c’est la vitesse du flux de conduction précédent ; c’est la vitesse de la lumière : 300 000 kilomètres à la seconde. Mais si la vitesse est la même dans tous les modes et dans toutes les directions, il n’en est pas de même pour l’énergie de la vibration. L’ébranlement ne se propage pas de manière égale dans tous les sens, en ondes sphériques concentriques, à la façon de la lumière ordinaire ou du son. Il y a un plan de propagation optima, c’est le plan perpendiculaire à la direction de l’antenne. Dans toutes les autres directions l’énergie subit des atténuations plus ou moins considérables.

Ces indications font comprendre la disposition donnée au mât et à l’antenne terminale. Celle-ci n’est pas tout à fait verticale, elle est un peu inclinée et regarde vers le poste d’arrivée. Le chemin des ondes les plus efficaces peut être conçu comme un long bras, imaginaire, fixé en équerre sur l’antenne et dirigé vers la station réceptrice. Il faut que le mât soit élevé pour que ce principal faisceau d’émission ne se heurte pas au sol ou aux flots. Et, en effet, le flux électrique pourrait s’y briser ou s’y éteindre.

Les ondes électriques, à la vérité, ne sont point comme les ondes lumineuses arrêtées par les écrans opaques. Elles traversent les murs et les vitrages, comme les ondes sonores. Mais, comme celles-ci encore, elles sont plus ou moins amorties ou éteintes dans leur trajet, les écrans métalliques les arrêtent complètement; les matériaux de construction leur deviennent imperméables dès que l’épaisseur atteint un certain degré. Aussi cherche-t-on à diriger le faisceau normal principal de manière qu’il atteigne le poste opposé en rasant le sol ou les flots, mais sans s’y heurter.

Toutefois, sur cette importante question de la propagation des ondes du télégraphe sans fil, il subsiste encore quelques incertitudes. On croit possible que ce flux électrique radiant, au lieu de se briser dans l’obstacle et de s’y épuiser, puisse le contourner. Peut-être, en fait, les ondes électriques lancées par l’antenne usent-elles des deux modes de progression qui leur sont propres : la conduction et le rayonnement. Elles seraient amenées au poste d’arrivée, d’une part grâce aux vibrations de l’éther qui remplit l’espace, et, d’autre part, grâce au cheminement par conduction le long du sol, à la surface des eaux, dans l’air humide. En d’autres termes, à côté des ondes rayonnées, il pourrait parfaitement en exister qui seraient simplement conduites. Et ce serait alors une seconde manière d’expliquer que la transmission ne se fasse pas plus mal en temps de brouillard qu’en temps sec, et qu’elle se fasse mieux sur mer que sur la terre, moins bonne conductrice que l’eau. Cette manière de voir est en accord avec une expérience qui prouve que le télégraphe sans fil ne fonctionne que plus facilement avec fil. Si l’on relie les antennes des deux postes par un fil métallique, la transmission n’en est que mieux assurée.

Ces ondes, dispersées tout autour de l’antenne, et dont une bonne partie est perdue, on pourrait les mieux diriger et aussi les mieux recueillir. Il faudrait employer, à cet effet, des jeux de miroirs ou de lentilles, qui permettraient de les rassembler en faisceau, comme l’on fait pour concentrer et projeter les rayons lumineux. Mais il y a ici une difficulté qui n’existe pas habituellement dans le cas de la lumière : c’est que les phénomènes de réflexion irrégulière, de diffraction, prennent une grande importance, parce que les dimensions des miroirs sont de l’ordre de grandeur des longueurs d’onde. Le même inconvénient ne se produit pas avec les rayons lumineux lorsque l’on arrête les dimensions des miroirs et des écrans au degré convenable.

La question de la propagation des ondes électriques étant maintenant réglée, voyons ce qui concerne leur production.


II

Production d’ébranlemens électriques, ou ondes hertziennes, à la station de départ ; — captation et révélation de ces ondes à la station d’arrivée; la nouvelle télégraphie se réduit à ces deux opérations.

L’histoire des ondes électriques présente un intérêt de premier ordre aux points de vue scientifique et philosophique. En philosophie naturelle, elle contient la solution du problème de l’action à distance, tant discuté depuis la découverte de l’attraction universelle et la fameuse lettre de Newton à Bentley, et enfin résolu, de notre temps, par la négative. En physique générale, les ondes électriques comblent l’abîme qui séparait l’électricité de la lumière et ramènent l’un à l’autre ces deux agens, en apparence si différens. Les rayons de lumière sont des « rayons de force électrique; » seulement les ébranlemens vibratoires de l’éther y sont beaucoup plus rapides : inversement, les vibrations électriques sont des vibrations lumineuses dix mille fois plus lentes que celles qui impressionnent la rétine; au lieu de se compter par quatrillions à la seconde, elles se comptent seulement par milliards. Cette identité de l’électricité et de la lumière, affirmée au nom de la théorie par Maxwell, a été démontrée expérimentalement par H. Hertz, et précisément par l’étude des ondes électriques.

Ce n’est pas le moment d’examiner ces hautes questions de théorie. Il faudra y revenir à loisir. Actuellement, il s’agit de pratique : il faut dire comment on obtient les ondes électriques. En principe, c’est en déterminant la formation d’une série d’étincelles électriques. Ce qu’on appelle l’étincelle électrique, cette décharge si brusque qu’elle nous semble le type de l’instantané et qui paraît unique, n’est en réalité ni instantanée ni unique. C’est une série de décharges successives qui précipitent l’une sur l’autre les électricités contraires : une série d’ébranlemens opposés, alternatifs, d’étincelles élémentaires, peut-on dire, dont nous n’apercevons que la somme ou la synthèse. H. Hertz en a aperçu la complexité : il l’a résolue en ses élémens.

Une étincelle qui éclate entre deux boules chargées d’électricités contraires constitue donc une série d’ébranlemens, oscillations ou vibrations électriques, dont l’ampleur va en diminuant, mais dont la durée reste constante. Elles sont isochrones et amorties. Leur durée, qui les caractérise, dépend des circonstances du phénomène, des dimensions de l’appareil. — Deux appareils disposés de manière à donner le même nombre d’oscillations dans le même temps seront à l’unisson. On emprunte encore le langage de l’acoustique, propre aux vibrations sonores, pour exprimer que deux appareils de décharge électrique donnent, par étincelle, un nombre identique d’oscillations : on dit qu’ils sont en résonance électrique, qu’ils sont syntoniques.

Le générateur des ondes électriques dans le télégraphe sans fil est l’oscillateur de Righi, mis en rapport avec une bobine de Ruhmkorff. L’appareil est d’une simplicité extrême : deux boules de cuivre de 1 centimètre de diamètre sont placées en regard et très près l’une de l’autre. Elles sont plongées dans un récipient rempli d’huile de vaseline. Chacune d’elles est reliée par un fil à un bouton extérieur.

Les deux boutons extérieurs sont mis respectivement en face de deux autres qui ne sont autre chose que les pôles de la bobine d’induction. À chaque interruption du courant primaire, un courant secondaire se développe dans le circuit d’induction : une étincelle éclate sur chaque bouton extérieur ; les boules de l’oscillateur sont chargées par cela même d’électricités contraires; elles se déchargent l’une sur l’autre en donnant lieu à une série d’oscillations qui sont amenées à l’antenne du poste envoyeur et de là lancées dans l’espace. Elles se propagent en ligne droite, à l’état d’ébranlemens transversaux, perpendiculaires à la direction de propagation (rayon), comme les vibrations de lumière polarisée. Elles atteignent, extrêmement atténuées, le poste récepteur. Elles sont alors si affaiblies qu’elles seraient incapables de provoquer directement aucune des manifestations habituelles de l’électricité, de mettre en jeu aucun signal. Elles échapperaient donc à l’attention et ne pourraient servir à la communication des deux postes, si l’on ne disposait, pour les déceler, d’un instrument très délicat qui n’est autre que le radio-conducteur de E. Branly.


III

Le tube radio-conducteur de Branly, que l’on désigne quelquefois, à l’étranger, par le mot de coherer qui lui a été imposé par O. Lodge, consiste en un tube de verre ou d’ivoire de diamètre étroit (2 mm, 5) dans lequel glissent deux pistons d’argent bien ajustés entre lesquels est déposée une petite quantité de limaille d’argent. La poudre métallique, plus ou moins comprimée entre les pistons, n’occupe guère qu’une hauteur de 1 millimètre. Tel est l’appareil dans toute sa simplicité. Et maintenant, comment agit-il?

M. Branly avait observé, il y a une dizaine d’années, que ces limailles métalliques conduisaient mal l’électricité. On pourrait croire que tous les grains se touchent et que la masse devrait être aussi conductrice que si elle était compacte. Il n’en est rien. L’électricité ne passe point. La limaille métallique est mauvaise conductrice, à moins d’être fortement tassée. Un tube radio-conducteur intercalé dans un circuit de pile remplit donc l’office d’interrupteur plus ou moins complet.

La situation se modifie brusquement si une décharge électrique se produit dans le voisinage. Le courant tout à l’heure arrêté passe maintenant : le tube est devenu bon conducteur sous l’influence de l’onde électrique. Le radio-conducteur est donc un réactif des ondes électriques; il faut ajouter que c’est un réactif très sensible. Les phénomènes que le courant est capable de produire lorsqu’il passe en effet, — par exemple, la mise en jeu d’une sonnerie ou d’un petit électro-aimant, — se produisent réellement aussitôt qu’il y a, dans le voisinage, production d’étincelle, et en général d’ondes électriques.

Pourquoi ce changement soudain de conductibilité ? On ne le sait pas. Il y a évidemment une modification dans l’arrangement réciproque des grains de limaille, dans la nature de leurs contacts. L’action de l’étincelle, c’est-à-dire des ondes électriques, a un résultat analogue à celui qu’aurait le tassement ou la compression de la limaille. Les grains s’orientent, s’accolent, se rejoignent, s’ajustent, ainsi que M. Arons l’a constaté par l’examen microscopique.

Cette conductibilité que l’onde électrique a fait naître persiste sans changement sensible, si l’on a soin de ne toucher à rien et de ne point déranger le tube. Mais il y a un moyen infiniment simple de la faire cesser brusquement : il suffit de frapper le tube, de lui appliquer un très léger choc. L’enchevêtrement précédent est détruit du coup. Le tube repasse à sa condition primitive : il redevient isolant. En deux mots l’onde électrique rend conducteur le tube de Branly, le choc le rend isolant.

En 1885 un savant italien, M. Onesti, avait entrevu des modifications de ce genre dans la conductibilité des poudres métalliques sous l’influence d’un extra-courant. Il n’était pas allé plus loin. M. Branly retrouva le phénomène et l’étudia, en lui-même, avec le plus grand soin. Un savant anglais, O. Lodge, bientôt après, comprit le parti que l’on en pouvait tirer pour l’étude des ondulations électriques, à peu près insaisissables jusque-là. M. Marconi, enfin, en profita pour constituer le poste récepteur de son télégraphe.

Ce poste récepteur comprend donc essentiellement un circuit de pile dans lequel est introduit un tube radio-conducteur. L’onde électrique, si atténuée qu’elle soit, augmente assez la conductibilité de la limaille pour qu’un flux très faible puisse passer. Ce point obtenu, un artifice connu permet d’amplifier autant qu’on voudra les effets. Il suffit d’intercaler un petit électro-aimant dans le circuit. Le flux le plus faible peut mettre en action un dispositif de ce genre. Et, d’autre part, le jeu de l’électro-aimant peut servir à fermer un courant énergique, capable à son tour d’actionner toutes les espèces de signaux que l’on voudra : sonnerie, pistolet de Volta, télégraphe Morse, télégraphe enregistreur, et enfin marteau frappeur qui viendra heurter le radio-conducteur lorsque tous ces signaux se seront manifestés et remettra les choses en l’état pour une seconde transmission.

Le problème télégraphique est dès lors résolu, puisque l’on peut recevoir au poste d’arrivée les signaux partis de l’autre station. On peut en régler la durée de manière à constituer par la succession de ces signaux, longs ou brefs, un langage conventionnel comme celui de Morse. On peut aussi donner à l’expérience une forme plus saisissante. C’est l’affaire de combinaisons qui sont un jeu pour un constructeur aussi habile que M. Ducretet. Sa mise en scène est d’un effet immanquable. On ne peut se défendre d’un sentiment de surprise lorsque, en ouvrant la porte d’une salle entièrement close et inhabitée, coupée de toute communication avec le dehors, on y trouve imprimé, sans le secours présent d’aucune main humaine, le télégramme émané d’une pensée lointaine et qui est venu à travers les murs, l’espace, et les obstacles. Il est bien curieux aussi de voir la salle plongée dans les ténèbres s’illuminer subitement à un commandement lointain, à un ordre qui semble tombé du ciel.


IV

Ce système de télégraphie sans fil, à côté de ses avantages, n’est pas sans présenter quelques inconvéniens. Avant tout, le public lui a reproché un vice fondamental, auquel il faudra remédier tout d’abord. Le secret de la transmission n’est plus garanti. Tout poste récepteur installé dans le voisinage des stations existantes ou dans l’intervalle qui les sépare pourra recueillir les signaux transmis.

À la vérité, l’inconvénient n’est pas moindre dans le système actuel et l’on y remédie par l’adoption d’un langage conventionnel plus ou moins difficile à déchiffrer.

Il y a plus : non seulement la transmission peut être détournée, mais elle peut être troublée. Une émission d’ondes provenant d’un appareil quelconque peut brouiller les signaux que l’on voudrait recueillir. Le tube radio-conducteur répond à toutes les ondes quelles qu’elles soient, d’où qu’elles viennent. Il est trop banal.

Il faudrait que le récepteur ne fût sensible qu’aux seules oscillations parties du transmetteur; ou, au moins, qu’il y fût plus sensible qu’à toutes autres. Les ondes étrangères, écartées par l’obtusion de l’appareil à leur égard, ne causeraient plus de perturbations. D’autre part, les ondes propres à l’instrument, trop faibles pour agir sur un poste quelconque, ne pourraient plus être détournées. La condition n’est pas impossible à remplir. Le principe en a été nettement posé par M. L. Poincaré. L’oscillateur du poste de départ produit des ondulations dont la durée dépend des conditions de la construction. Le tube de Branly, au poste récepteur, est sensible à cette série de vibrations, à peu près comme à toute autre. Or, si ce radio-conducteur était associé à un appareil syntonique à l’oscillateur, impressionnable au même nombre de vibrations, résonnant avec lui, il est probable que le captage serait plus facile. Il faudrait une moindre énergie pour le mettre en action; et cette condition qui accroîtrait la sensibilité du récepteur syntonique exclurait probablement les appareils étrangers récepteurs ou transmetteurs.

Un second défaut du système, c’est son impressionnabilité aux perturbations électriques de l’atmosphère. À la vérité il existe aussi avec le télégraphe actuel ; mais il est incontestablement moins marqué. Le télégraphe sans fil, dans sa forme la plus rudimentaire, a été imaginé par M. Popoff précisément en vue de l’étude de ce genre de phénomènes ; l’antenne semble faite à souhait pour explorer le ciel et en soutirer l’électricité. C’est un avantage pour les recherches météorologiques ; mais c’est évidemment un sérieux inconvénient au point de vue de l’exploitation industrielle. De plus, la hauteur de l’antenne la rend dangereuse en temps d’orage, à moins qu’elle ne soit transformée en véritable paratonnerre.

Quant aux services que l’on peut attendre du télégraphe sans fil, il serait prématuré d’en dresser la liste. Il a fait naître beaucoup d’espérances. On escompte déjà l’utilité dont il serait pour les navires en temps de brouillard. Il pourrait leur signaler l’approche des phares, dont les signaux lumineux ou sonores sont annihilés par la brume épaisse. Il permettrait la communication avec les trains en marche. Enfin l’empressement des administrations de la guerre et de la marine à suivre les premiers développemens de cette invention témoigne bien de l’importance qu’on est porté à lui attribuer dans les guerres de l’avenir.


A. DASTRE.