Revue scientifique - Les Progrès de la T.S.F.

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Revue scientifique - Les Progrès de la T.S.F.
Revue des Deux Mondes6e période, tome 51 (p. 927-938).
REVUE SCIENTIFIQUE

LES PROGRÈS DE LA T.S.F. ET LA GUERRE

La censure officielle et aussi cette censure que tout bon Français considérait comme un devoir d’exercer sur ses paroles et ses écrits, tant qu’on se battait, ont laissé longtemps dans l’ombre la plus grande partie des « coulisses » de la guerre. Ces puissants acteurs qu’étaient les combattants ayant pour l’instant quitté la scène, voici que de toutes parts les curiosités se précipitent, armées de lanternes qui ne sont pas toutes sourdes, afin de scruter et de découvrir les coulisses que dissimulait la bataille derrière ses décors grandioses.

Maintenant que les gueules des canons cachent, de nouveau avec une politesse pacifique, leur bâillement terrible derrière le cuir fauve des couvre-bouches, voici que mille gens se découvrent soudain une âme impétueuse de stratégiste et même de stratège. Et les révélations se succèdent, s’accumulent, se heurtent, pas toujours désintéressées, mais toujours passionnées, sur les petits détails, faits et gestes qui accompagnèrent et déterminèrent peut-être naguère les directions données aux grandes houles de la bataille.

A côté de ces petits « dessous » psychologiques, politiques et stratégiques de l’action, restés longtemps mystérieux et qui pour être sainement jugés exigent peut-être l’œil hypermétrope de l’histoire, il en est de non moins passionnants à d’autres égards, et sur lesquels une prudence justifiée, — mais qui eût gagné parfois à être plus avertie, — a jeté longtemps le voile du mystère, ce voile que les poètes nous décrivent comme très sombre, mais qui typographiquement est d’une blancheur immaculée.

Je veux parler de ces applications, — naguère insoupçonnées, — de la science à la guerre, — qui ont véritablement révolutionné la technique militaire, et par elle la tactique elle-même. A côté de la chimie qui, en dehors même de sa veille maîtrise des explosifs, a apporté des engins et méthodes de combat sur lesquelles je reviendrai prochainement, la physique est certainement de toutes les sciences celle qui a le plus transformé le combat, celle qui a le plus contribué à faire qu’un général en chef ou même un simple chef de bataillon de 1914, supposé qu’il ait pu être brusquement transporté au milieu d’une bataille de 1918, eût été à la fois stupéfait et profondément dépaysé.

J’ai déjà eu l’occasion ici même de signaler et d’exposer, — autant que faire se pouvait, — quelques-unes de ces applications belliqueuses de la physique, notamment à propos des tirs à longue portée des Berthas, à propos du repérage des batteries par le son, des sous-marins, de la technique aéronautique, des explosifs, de la recherche électrique des projectiles dans l’organisme, etc.

Il est quelques autres applications physiques, d’un intérêt non moins puissant et dont je voudrais dire quelques mots, maintenant qu’on peut le faire sans inconvénients.

Parlons d’abord de la T.S.F. L’étude en est intéressante du point de vue de la guerre, parce que si l’art de la guerre a profité de la T.S.F. celle-ci a également beaucoup profité de la guerre et un grand nombre de ses perfectionnements récents ont été dus sans doute aux recherches amenées par elle.

A la guerre plus peut-être que dans d’autres domaines, le mot célèbre : « savoir, c’est pouvoir, » est vrai et c’est de là précisément qu’est venue l’importance pour les belligérants de la T.S.F. dont les ondes ont été sur les fronts comme ailleurs le meilleur, et le plus fidèle agent de renseignement, parce que sa portée est infiniment supérieure à celle des1 signaux optiques et acoustiques, et parce que, au contraire des moyens télégraphiques ordinaires, il n’est pas à la merci des vicissitudes d’un bombardement.

On s’est demandé, à propos de la plupart des inventions et des perfectionnements techniques de la guerre, s’ils avaient été plus utiles aux ennemis qu’à nous-mêmes. Certains auront une tendance à penser, que, par suite de la rapide diffusion des progrès techniques de l’un à l’autre belligérant, la balance a dû être égale et que finalement il s’est passé ce qui aurait eu lieu en l’absence de toute invention. Étant donné la faculté remarquable d’adaptation des Allemands et leur talent d’organisation et de mise au point rapide, qui était beaucoup moins entravé que chez nous par mille rouages bureaucratiques encrassés, j’estime pour ma part que, en l’absence de tous progrès (qui ont toujours plus ou moins pour effet de suppléer à la valeur des hommes), nous aurions été au contraire et au moins pendant les trois premières années de guerre, infiniment plus aptes à battre l’ennemi. Si les combattants n’avaient été armés que des épées, des lances et des flèches antiques, il n’est guère possible de douter que les Allemands, bientôt très inférieurs en nombre à leurs ennemis, auraient été battus dès 1915 ou 1916. Il est pourtant un progrès que j’estime avoir été sans doute plus utile aux Alliés qu’aux Allemands et c’est précisément la T.S.F. Si en effet on peut penser qu’au front ses services (que je décrirai tout à l’heure) se sont à peu près balancés d’un côté et de l’autre de la barricade, il n’en est plus de même si on considère les relations du front avec les gouvernements, et des gouvernements entre eux, ce que j’appellerai le front diplomatique. Tout compte fait, la liberté de télégraphier partout assurée aux Allemands comme à nous-mêmes par la T.S.F. nous a été plus profitable qu’à eux, d’une part, parce que les Alliés étaient séparés les uns des autres par la mer ou les territoires ennemis, tandis que ceux-ci étaient contigus ; d’autre part, parce que les communications par T.S.F. avec les pays d’outre-mer ont eu pour nous, mais non pour l’ennemi, la sanction d’un afflux assuré et réglé, en dépit des sous-marins, de marchandises et de soldats. Au contraire, sans la T.S.F. ces communications n’eussent pas été assurées télégraphiquement, étant donné que les sous-marins ennemis eussent naturellement coupé les câbles transocéaniques.

D’ailleurs pour leurs relations avec les États-Unis, tant que ceux-ci restèrent neutres, la T.S.F. fut, pour les Allemands d’une nécessité vitale. A cet égard, la Review of the Foreign Press de l’armée anglaise vient de donner quelques renseignements intéressants sur la grande station hertzienne de Nauen ; elle nous apprend en particulier que cette station a expédié en 1915 et 1916 près de 4 millions de mots à travers le monde. Quel statisticien recherchera, quel était dans ce total les pourcentages des vérités et des… contre-vérités ?

Eh bien ! tous ces perfectionnements, ces portées immenses obtenues et qui permettaient par exemple aux États-Unis de télégraphier dès le premier jour à 10 000 kilomètres (le quart du tour de la terre à l’équateur) au moyen de la station installée par eux il y a deux ans à Hawaï, cette sensibilité énorme des appareils qui permettait au front des portées étonnantes avec des appareils de puissance insignifiante, tout cela est dû à une invention, mise d’abord au point par les physiciens américains et qui s’appelle l’audion. C’est grâce à l’audion que la portée des ondes hertziennes a été multipliée, c’est grâce à lui que les innombrables signaux hertziens peuvent s’entrecroiser dans l’espace sans se brouiller.

Il faut donc, bien que le sujet soit un peu ardu et d’un exposé assez malaisé dans le langage courant, que je décrive un peu le principe de l’audion. Je prie les lecteurs avertis d’excuser ce que ma description aura d’un peu sommaire et d’imparfaitement rigoureux par un désir d’éviter, autant que faire se peut, le réseau barbelé du vocabulaire technique.

L’audion est simplement une petite lampe à incandescence à filament métallique dans laquelle règne, comme dans les lampes courantes du commerce, un vide assez élevé, et qui a ceci de particulier qu’à côté du filament, et à quelques millimètres, se trouve dans la lampe une petite plaque de métal (qui est plane dans les audions allemands, cylindriques dans les nôtres, mais ceci n’est qu’un détail). Si on réunit extérieurement par un fil métallique cette petite plaque et le filament sur le circuit d’une pile, il ne passe aucun courant, la lampe étant éteinte, car le vide qui sépare la plaque et le filament est isolant. Le circuit est ouvert, comme on dit dans l’argot électricien. Mais sitôt qu’on allume la lampe, il n’en est plus de même : le filament incandescent émet, par millions, des projectiles microscopiques chargés d’électricité négative, des électrons, qui se précipitent sur la petite plaque.

Le vide cesse d’être isolant grâce à cette circulation de matière qui porte l’électricité du filament à la plaque, de même que le courant des voyageurs est continu entre les chemins de fer de France et d’Angleterre grâce aux navires qui vont des uns aux autres. Autrement dit, quand la lampe électrique est allumée, le circuit filament-pile-plaque est fermé. — Supposons alors qu’on ait interposé entre le filament et la plaque un petit grillage métallique placé dans la lampe, on aura réalisé l’audion, qui est une sorte de lampe électrique à trois électrodes. Le petit grillage métallique interposé entre le filament de la lampe et la petite plaque est relié à l’extérieur à l’antenne de réception d’un poste de réception, et alors il arrive ceci :

Les ondes hertziennes reçues par l’antenne et par le petit grillage sont en somme des courants alternatifs très rapides, c’est-à-dire alternativement positifs et négatifs. Or, il est clair que, selon que le grillage sera chargé d’électricité négative ou positive, il repoussera ou favorisera le bombardement des électrons qui vont du filament à la plaque dans la lampe allumée.

Il en sera ainsi, puisque, ainsi que les psychologues, mais aussi les physiciens l’ont remarqué, les électricités de même nom se repoussent et de nom contraire s’attirent.

Ces électrons, ces projectiles minuscules vont très vite ; ils ont une vitesse d’au moins 10 000 kilomètres par seconde (cela fait du 36 millions de kilomètres à l’heure, cela représente la distance du soleil à la terre parcourue en quatre heures ! ). En supposant la distance du filament à la plaque égale à 1 centimètre, il faut donc à ces électrons moins d’un milliardième de seconde pour franchir cette distance.

Or, les ondes entretenues employées en T.S.F. ont une fréquence généralement inférieure à 1 million par seconde. Cela veut dire que le petit grillage de l’audion est alternativement chargé d’électricité positive et négative moins de un million de fois par seconde. Par conséquent, le courant qui passe grâce aux électrons dans le circuit filament-pile-plaque peut suivre facilement toutes les fluctuations du courant de T.S.F. du petit grillage intermédiaire. En branchant sur ce circuit une source d’énergie électrique et un téléphone, il permet d’amplifier autant qu’on veut, tout en les suivant fidèlement, les fluctuations électriques de l’antenne.

Autrement dit, l’audion est une sorte de relai amplificateur permettant de multiplier autant qu’on veut l’énergie à la réception des signaux hertziens ; les relais connus auparavant, tel que le relai des appareils télégraphiques ordinaires, n’auraient rien pu faire de pareil à cause de leur inertie, de leur lenteur qui les condamnait à l’immobilité en présence des alternances extrêmement rapides des ondes hertziennes. Car avant que ces relais-là aient eu le temps de bouger, les ondes auraient eu le temps de changer maintes fois de sens.

Je m’excuse de ce que cet exposé du fonctionnement de l’audion comme relai peut avoir à la fois de simpliste pour les techniciens, — ce n’est pas pour eux que j’écris, — et d’un peu ésotérique pour nos autres lecteurs. Ceux qui ont des notions élémentaires d’électricité me comprendront, je crois.

En résumé, en permettant d’amplifier à la réception les ondes reçues, l’audion a multiplié les portées antérieures de la T.S.F. et à portées égales il ne nécessite plus que des antennes beaucoup plus courtes et des sources électriques beaucoup moins puissantes que naguère.

Le phénomène sur lequel est établi cet appareil : émission par tout métal incandescent de particules électrisées négativement, s’appelle l’ « effet Edison, » du nom de celui qui l’a découvert.

L’effet Edison a d’ailleurs eu d’autres applications curieuses. L’une des plus ingénieuses qu’on me permettra de décrire ici incidemment, puisque l’occasion s’en présente, est le tube à rayons X de Coolidge.

Le grand inconvénient de la plupart des tubes à rayons X classiques est la difficulté de régler et de connaître à chaque instant l’intensité de ces rayons, intensité dont la variabilité incontrôlable a de nombreux inconvénients pour les applications physiques et médicales. Grâce à l’effet Edison, cette difficulté est résolue très élégamment dans les tubes Coolidge. Dans les tubes à rayons X ordinaires on sait que les rayons sont produits par les électrons qui provenant de la cathode du tube vont bombarder une électrode disposée en fouet qui, sous l’influence de ce bombardement, entre en vibration en émettant des rayons X. Dans ces tubes les électrons servent de véhicule à un courant électrique traversant le tube. Dans l’ampoule Coolidge au contraire ces électrons sont produits en chauffant la cathode au moyen d’une résistance électrique auxiliaire. L’émission des électrons étant rigoureusement fonction de la température, on peut régler et connaître à volonté l’intensité de cette émission et partant celle des rayons X, simplement en réglant le chauffage de la cathode.

Pour en revenir à la radiotélégraphie, l’audion a en outre apporté la solution si longtemps cherchée du secret en T.S.F. et il permet de recevoir une communication donnée à l’exclusion des autres qui pourraient la brouiller. Voici comment. Pour que cela soit réalisé, il faut qu’il y ait, comme on dit, syntonie entre le poste émetteur et le poste récepteur, c’est-à-dire qu’ils soient accordés et que celui-ci ne soit influencé que par les ondes d’une longueur bien déterminée émises par le premier. Autrement dit, il faut qu’il y ait résonance entre eux, comme il y a résonance entre une note de piano et un diapason donné par une série de diapasons placés à quelques mètres. Or, grâce à la plasticité d’emploi de l’audion, on peut régler celui-ci pour que le téléphone attenant ne soit sensible qu’à une onde de fréquence donnée. Et cela est d’autant plus facile que les ondes entretenues dont l’audion assure et amplifie si bien la réception (et qu’avant lui on ne savait pas recevoir) favorisent beaucoup mieux la résonance que les ondes interrompues et amorties qu’envoyaient les anciens appareils émetteurs de T.S.F. à étincelles rares.

C’est ainsi, par exemple, qu’à la Tour Eiffel une série d’audions branchés sur une seule antenne permettent de recevoir simultanément, à des téléphones différents et indépendamment les messages de New York, de Pétrograd… et de Berlin.

J’ajoute sans entrer dans d’autres détails) que l’audion permet d’amplifier les ondes hertziennes non seulement à la réception, mais aussi à l’émission, qu’il a revêtu des formes infiniment variées, qu’il a reçu parallèlement des noms divers et étrangement empruntés à un grec de laboratoire qui eût fait frémir Homère : audion, kenotron, pliotron, dynatron… j’en passe et de moins beaux. Mais il s’agit de satisfaire ici la physique et non l’étymologie.

Quoi qu’il en soit, cet exposé à la fois incomplet et barbare suffira, je pense, pour comprendre que les progrès accomplis dans la T.S.F. grâce à l’audion, ont quelque chose de féerique et qu’à côté de cette petite lampe merveilleuse, celle d’Aladin n’était qu’un méchant jouet d’enfant.

Et maintenant nous arrivons au rôle de la T.S.F. au front.

Chose curieuse, avant la guerre on n’envisageait la sans-fil comme ne devant servir que dans la période de mouvement des armées en attendant l’installation des fils. Or c’est le contraire qui a eu lieu et-une fois de plus les devins ont eu tort… Le métier de prophète est devenu bien aléatoire au siècle où nous sommes. Il est arrivé qu’une fois les fronts stabilisés, les fils du téléphone et du télégraphe ordinaire ont été si fréquemment disséqués par les bombardements qu’on a été peu à peu amené à doter l’infanterie de postes portatifs de T.S.F. qui ont rendu de merveilleux services. Tous les appareils d’un poste, réunis dans une caisse portative, pesaient à peine quelques kilos. De petits accumulateurs portatifs fournissaient les étincelles oscillantes à de petites antennes de quelques dizaines de mètres de long tendues au-dessus du sol et transmettant les ondes à des portées largement suffisantes pour les besoins de la zone de combat.

La grande question : empêcher les signaux de plusieurs postes voisins de se brouiller réciproquement ou d’être brouillés par l’ennemi, a été résolue en variant la longueur des ondes des divers postes (qui dépend entre autres de celle de leurs antennes) et aussi en accordant à volonté le poste de réception avec le poste qu’il veut écouter au moyen de l’audion.

Mais si la T.S.F. fut utile pour les liaisons de l’infanterie, elle a été tout à fait indispensable pour celles de l’aviation ; car, entre un avion qui vole et la terre. ce ne sont pas les obus, c’est une nécessité inéluctable qui empêche de tendre des fils.

Au début de la guerre, les avions qui avaient, besoin de communiquer avec leur point de départ et qui étaient surtout les avions de réglage d’artillerie (ce furent aussi plus tard les avions d’infanterie) le faisaient par des évolutions convenues. Certaines courbes décrites par eux dans l’air voulaient dire que le coup était long, court, ou au but. Ce procédé était lent, incommode, ne permettait pas de signaux non convenus d’avance et enfin était inapplicable par temps de brume et dans l’obscurité. À peu près les mêmes défauts ont limité l’usage des signaux lumineux ou fusées de diverses couleurs que, des deux côtés de la barricade, on a employé ensuite pour la signalisation par avions. La T.S.F. qui n’a pas tardé à supplanter ces procédés échappe à ces inconvénients et elle permet de dire explicitement tout ce qu’on voit et de signaler les incidents non prévus.

Ainsi, dans certains avions la source électrique des ondes de T.S.F. était une petite dynamo actionnée soit directement par le moteur„ soit par une petite hélice placée en avant du fuselage et que le déplacement de l’avion dans l’air fait tourner. Ces deux dispositifs ont leurs avantages. La petite hélice actionnée par le vent a l’inconvénient d’augmenter un peu la résistance à l’avancement ; en revanche, elle actionne la dynamo, même en cas de panne ou d’arrêt (vol plané) du moteur. On aura d’ailleurs une idée de l’énergie que peut fournir ainsi l’air, si j’indique que, dans la génératrice allemande Flieg 1917, la petite hélice tourne à une vitesse de 4 500 tours par minute pour une vitesse de l’avion dans le vent égale à 150 kilomètres à l’heure.

Les ondes hertziennes produites sont lancées dans l’espace par un fil d’antenne, d’une cinquantaine de mètres généralement, que l’aviateur déroule sous lui et dont il règle à volonté la longueur, ce qui contribue à éviter dans un secteur donné le brouillage des appareils voisins. Si l’émission des T.S.F. par avion est facile, en revanche, la réception par avion des messages du sol est plus délicate à cause du bruit du moteur. Elle a pourtant été résolue grâce à l’audion, qui a permis de remplacer dans beaucoup de cas, pour communiquer avec les avions, l’ancien procédé des signaux optiques et jeux de panneaux blancs ou colorés étendus sur le sol.

Des difficultés considérables existaient d’ailleurs pour la réception en avion « au son », c’est-à-dire au téléphone qui est le récepteur habituel ; ces difficultés provenaient surtout du bruit parasite de l’hélice et du moteur. On les a tournés par divers artifices et notamment par celui-ci qu’ont utilisé les Allemands : le courant de réception de l’antenne de l’avion passe dans un petit fil métallique très fin tendu entre les pôles d’un aimant puissant. Chaque fois que le courant, redressé au besoin par un audion, passe dans le fil, celui-ci (qui constitue avec l’aimant ce qu’on appelle un « galvanomètre à corde ») est déplacé en vertu de l’action bien connue des aimants sur le courant. Or, ce fil recouvre au repos une petite fente lumineuse que l’aviateur observe à travers un viseur à prisme. Chaque fois qu’une onde est reçue, il voit donc la fente lumineuse pendant un temps plus ou moins long qui correspond aux points et traits de l’alphabet Morse. La réception de la T.S.F. à l’oreille est donc remplacée ainsi par une réception à l’œil que le bruit de l’hélice ne peut aucunement gêner.

Une autre application curieuse de la T.S.F. à l’aéronautique de guerre est son emploi pour « faire le point » d’un aéronef, lui faire connaître sa position et diriger sa marche.

Le procédé est assez simple en somme ; il se rattache aux méthodes dites radiogoniométriques (il n’est pas besoin d’être très helléniste pour comprendre ce mot) connues des physiciens dès longtemps avant la guerre. Cette méthode a été utilisée constamment par les zeppelins pour se diriger au cours de leurs raids. Elle est applicable aussi aux avions, et naturellement aux navires munis de T.S.F. qu’elle peut dispenser complètement de « faire le point » par les procédés astronomiques et chronométriques habituels.

Imaginons un aéronef envoyant à un moment donné, d’un point de l’atmosphère, une série continue d’ondes hertziennes par son antenne. Si une station réceptrice située en un point donné recueille ces ondes et a un moyen de savoir de quelle direction elles proviennent, elle saura que l’aéronef est dans cette direction.

Or ce moyen existe : on sait en effet que lorsqu’on se sert, comme antenne réceptrice, d’un fil formant une sorte de cadre fermé, l’intensité de la réception est maxima lorsque ce cadre est orienté dans le plan des ondes reçues et minima dans la direction perpendiculaire. La station réceptrice (admettons que ce soit par exemple la Tour Eiffel) dispose d’une série d’antennes en forme de cadres réglés sur les ondes de l’aéronef, et qu’on peut faire pivoter jusqu’à ce que l’intensité des ondes reçues et écoutées au téléphone soit maxima. Imaginons en outre une seconde station (par exemple le poste de T.S.F. de Lyon située à une certaine distance de la première et opérant de même. Elle déterminera, elle aussi, une direction suivant laquelle se trouve l’aéronef. Or le recoupement de ces deux directions, — que les deux stations se communiquent téléphoniquement ou télégraphiquement, — fournit immédiatement la latitude et la longitude exacte de l’aéronef et il ne reste plus qu’à les lui faire connaître radiotélégraphiquement. N’est-elle pas élégante, simple et étrange cette méthode qui consiste pour un aéronef perdu dans l’espace et dans la nuit à demander sa propre situation à une station éloignée ? N’est-ce pas une des plus jolies applications de la physique à la guerre… demain à la paix ?

Le téléphone lui-même est devenu aujourd’hui un des bénéficiaires de l’audion, car, grâce à celui-ci, l’intensité des courants téléphoniques peut être considérablement multipliée. C’est ainsi que, grâce à l’audion, le problème de la téléphonie à grande distance par câbles sous-marins ou souterrains, naguère insoluble, est en voie d’être résolu.

Mais ceci nous éloignerait de notre sujet. Ce qui nous y ramène au contraire, c’est l’emploi de l’audion pour améliorer les communications téléphoniques au front de combat. Grâce à l’audion amplificateur et à sa grande sensibilité, des lignes téléphoniques coupées ont vu rétablir leur transmission, sans réparation, simplement en enfonçant en terre les deux tronçons du fil coupé alors que la coupure était très étendue.

Dans un ordre d’idées voisin, il me reste à parler de la T. P. S. mode de liaison nouveau qui a rendu de grands services dans la seconde partie de la guerre, et qui, bien qu’imité ensuite par l’ennemi, a été mis au point surtout par les techniciens français et notamment par le général Ferrié, directeur de la télégraphie militaire.

La T. P. S. (il y a eu beaucoup d’initiales dans cette guerre… en attendant la grande finale) est une méthode télégraphique. Les Champollion de la hiéroglyphie militaire nous diront que ces trois lettres mystérieuses sont les initiales de la Télégraphie par le sol si nous voilà tout de suite éclairés sur la nature du nouveau moyen de communication dont il s’agit.

Les Allemands l’ont employé après nous, mais aussi bien que nous ; ils ont fait à son sujet des instructions dont une très détaillée du général von Galwitz est tombée naguère entre nos mains. On peut donc en parler librement, d’autant que la guerre est finie pour le moment du moins.

La T. P. S. est une méthode télégraphique qui est en somme intermédiaire entre la T.S.F. et la télégraphie ordinaire par câble. Elle a ceci de commun avec la T.S.F. que les deux stations communiquantes ne sont pas réunies par fil. Mais tandis que dans la T.S.F. les ondes sont transmises à travers l’air, dans la T. P. S. les courants électriques particuliers qui sont utilisés sont transmis à travers le sol. Ces courants sont tout simplement des courants d’induction. J’ai, je crois, déjà expliqué ici ce qu’est l’induction.

Les philosophes nous enseignent qu’elle est une certaine manière de raisonner où une chose est suggérée par une autre. Eh bien ! pareillement, et pour reprendre une comparaison qui s’impose, un courant électrique d’induction est un courant suggéré, si j’ose dire, par un autre. Par exemple, chacun sait que si un courant électrique passe dans un fil, il se produit dans un autre fil parallèle et placé à une certaine distance un courant brusque dit courant induit, chaque fois que le premier courant varie brusquement, commence ou cesse. Et alors on comprend que si on place en un certain point, sur le sol, un fil de quelques dizaines de mètres dont les deux extrémités sont fixées dans la terre de manière à fermer le circuit ; si on fait-circuler dans ce fil un courant électrique à interruptions assez rapides tel que celui d’une bobine de Rhumkorff, ces variations produites à volonté, par exemple au moyen d’un Morse, causeront des courants induits dans un fil plus ou moins parallèle placé à une certaine distance et permettront d’envoyer des signaux.

L’expérience montre que les courants qui sont les agents de ce nouveau mode de liaison sont des courants induits se propageant surtout par le sol, et aussi, — mais très partiellement, — des courants de conduction à travers celui-ci. De là le nom de la T. P. S. La nature du sol influe d’ailleurs beaucoup sur la propagation, et un sol légèrement humide et bon conducteur de l’électricité donne les plus grandes portées et les meilleurs résultats. C’est ainsi que le sol des terrains boisés, qui est très mauvais pour la pose des antennes de T.S.F. est très favorable à la T. P. S. et que les deux procédés se complètent admirablement.

L’avantage de la T. P. S. sur la T.S.F. est que ses bases posée : -au sol ou même enterrées sont bien moins vulnérables que les antennes toujours plus ou moins soulevées de la T.S.F. En revanche, pour une même énergie génératrice, celle-ci porte beaucoup plus loin. On a d’ailleurs réussi à porter à plusieurs kilomètres, grâce à l’emploi de l’audion amplificateur, la limite d’emploi courant de la T. P. S. et l’un des plus tragiques et plus récents épisodes où elle ait rendu des services est l’affaire du Piémont où des cuirassiers encerclés réussirent par ce moyen à envoyer leurs dramatiques messages jusqu’à la dernière extrémité.

La T.S.F. n’a pas servi seulement à la liaison, c’est par son moyen, et toujours avec le concours de l’audion que, dans les deux camps, ou a capté couramment les communications téléphoniques de l’adversaire, ce qui a obligé finalement dans la plupart des secteurs à ne plus téléphoner qu’en langage convenu, cryptophoniquement, si j’ose dire, les courants très variables qui parcouraient les fils téléphoniques de l’avant fournissaient en effet dans le sol des courants induits qui pouvaient être recueillis par les fils de la T. P. S. insidieusement placés dans la tranchée adverse.

Telles sont quelques-unes des applications les plus curieuses que la T.S.F. et les branches qui l’avoisinent dans l’électricité ont eues dans la guerre. N’est-elle pas étrange et suggestive, cette utilisation belliqueuse de ces ondes invisibles et muettes qui ceignent la terre de leur houle silencieuse, et qu’on nous avait présentées, naguère, lorsque nous écoutions les douces ânonneries des utopistes, comme ne pouvant et ne devant jamais servir qu’à des fins pacifiques ? La vérité, c’est qu’il n’est aucune des conquêtes de la science… et peut-être aussi des autres domaines où bouillonne l’esprit humain, qui ne puisse ainsi que le sabre de M. Prudhomme servir à des fins déterminées ou au besoin les combattre. Il n’y a pas de bons ou de mauvais outils ; il n’y a que de bons ou de mauvais travaux, et surtout de bons ou de mauvais artisans.


CHARLES NORDMANN.