Revue scientifique - Messages de l’infini

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Revue scientifique - Messages de l’infini
Revue des Deux Mondes6e période, tome 57 (p. 914-925).




REVUE SCIENTIFIQUE




MESSAGES DE L’INFINI






Donc, comme je crois l’avoir établi, les fameux « canaux » de Mars sont de simples illusions d’optique, c’est-à-dire que ce qui a été pris longtemps pour le signe d’une haute intelligence régnant sur notre voisine planétaire n’existe pas objectivement. On sera, dans ces conditions, moins tenté qu’on ne l’a été de considérer nécessairement comme des signaux radiotélégraphiques émis par les Martiens, les ondes hertziennes mystérieuses que la Terre a récemment reçues de l’espace céleste.

C’est une conversation, — je veux dire une interview, — du célèbre Marconi, rapportée, sous des titres flamboyants, par les journaux anglais, qui nous apporta récemment la nouvelle peu banale qu’on avait enregistré des signaux hertziens de provenance extra-terrestre. Marconi est particulièrement bien placé pour avoir les renseignements les plus précis sur la nature, la longueur, l’intensité des ondes hertziennes que reçoivent les puissantes stations réparties un peu partout sur cette planète terraquée et dont il centralise la direction dans ses mains d’inventif et habile technicien.

Or, si l’on s’en rapporte aux renseignements donnés par les journaux anglais, le récolement, l’examen comparatif des signaux enregistrés par ces diverses stations a fait apparaître récemment des ondes hertziennes qui, manifestement, ne provenaient pas des stations radiotélégraphiques connues. Elles n’en provenaient pas, parce que les instants de leur réception ne correspondarent pas avec ceux d’émissions connues lancées par les quelques stations dont la portée correspond à ces réceptions.

Registre est soigneusement tenu de toutes ces émissions et réceptions. Elles n’en provenaient pas non plus parce que, à ce qu’on raconte, la longueur de leurs ondes, ou plutôt, comme disent les spécialistes, leur «longueur d’onde « ne correspondait pas à celle des ondes hertziennes émises par les stations radiotélégraphiques de la Terre, et était plus grande. Tout cela cependant ne suffirait pas à établir que ces signaux mystérieux ne provenaient pas de notre planète. Il existe en effet sur celle-ci, — plus précisément dans l’atmosphère, nous le verrons tout à l’heure, — en dehors des stations hertziennes artificiellement créées par les ingénieurs, des sources naturelles d’ondes hertziennes que ne, gouverne aucune volonté humaine. Les signaux mystérieux enregistrés par les stations Marconi ne provenaient-ils pas de ces sources atmosphériques ? Non, et’ ce qui le prouve sans réplique, c’est que les intensités (facilement mesurables et soigneusement mesurées) de ces ondes étaient sensiblement les mêmes en des stations terrestres éloignées de plusieurs milliers de kilomètres. Or, d’une part, il n’y a pas d’exemple d’ondes hertziennes d’origine atmosphérique ayant des portées aussi considérables ; d’autre part, lorsque des ondes (hertziennes, lumineuses ou sonores) proviennent d’un point relativement rapproché, on constate que leur intensité diminue très vite à mesure qu’on s’éloigne de ce point. Elle diminue à peu près comme le carré de la distance, c’est-à-dire que pour trois points dont les distances relatives à la source rayonnante sont entre elles comme 1, 2 et 8, ces intensités sont entre elles comme , 4 et 9. Or, je le répète, les intensités mesurées des ondes mystérieuses reçues par les stations Marconi ont été trouvées à peu près égales.

Il s’ensuit nécessairement que les distances séparant ces stations (plusieurs milhers de kilomètres) sont petites par rapport à la distance où est l’origine de ces ondes. Or la Terre n’a que 12 000 kilomètres de diamètre environ. Par conséquent, la source de ces ondes mystérieuses est nécessairement, non en un point quelconque du globe, mais très loin de celui-ci : C. Q. F. D.

Avant de pousser plus loin l’analyse de ce smgulier phénomène, peut-être ne sera-t-il pas inutile de rappeler brièvement ce que sont les ondes hortzicnmes. Les préoccupations dominantes de l’heure prosaïque que nous vivons sont si éloignées de la physique pure qu’il n’est pas mauvais d’en ressasser à Voccasion les éléments, même à des esprits naguère avertis, mais que les contingences tourbillonnantes de l’époque ont détachés de ces choses... Et puis les forts ténors eux-mêmes ont besoin de vocaliser de temps en temps, et il n’est pas de grand pianiste qui ne doive s’astreindre à plaquer chaque jour quelques accords d’écolier.

Les ondes hertziennes sont aux ondes calorifiques ce que celles-ci sont aux ondes lumineuses, celles-ci aux ondes photographiques, celles-ci aux rayons X. Je m’explique.

Il est une chose que la grande entreprise de démolition commencée depuis quelques années par les physiciens a laissée à peu près intacte dans le monument élevé par la science du xixe siècle, c’est la théorie ondulatoire de la lumière. Il est, ou du moins il reste prouvé… jusqu’à nouvel ordre, que les rayons lumineux se propagent à travers un milieu qu’on appelle l’éther, et sous forme d’ondes analogues à celles qu’on produit dans une eau tranquille en y jetant une pierre.

Ce n’est pas le lieu d’insister sur les singulières propriétés dont jouit cet éther au point de vue de l’élasticité, de la pondérabilité, de la pénétrabilité. Contentons-nous de dire que cet éther des physiciens n’a aucune autre analogie que son nom avec l’éther vague, nébuleux et prosodique des poètes, et avec l’éther des pharmaciens, si précieux dans les syncopes romanesques des dames.

Ce qui est sûr, c’est qu’aucun savant, ou du moins presque aucun, — l’horrible gent des douleurs sévit, hélas ! partout, — ne doute de l’existence de cet éther qui remplit et pénètre partout l’univers dont il est la trame. Lord Kelvin, l’illustre physicien anglais dont la dalle funéraire est côte à côte avec celle de Newton à l’abbaye de Westminster, considérait l’existence de l’éther comme aussi bien prouvée que celle de l’air même que nous respirons, et comme non moins utile, puisque c’est l’éther qui nous transmet les rayons bienfaisants du soleil sans lesquels toute vie terrestre serait impossible.

Donc les rayons lumineux se propagent dans l’éther sous forme d’ondes, c’est-à-dire sont des ébranlements ondulatoires de l’éther, de même qu’un ébranlement produit à la surface d’une eau immobile y propage des ondes concentriques. Il y a cependant quelques différences ; l’une d’elles est que les ondes lumineuses se propagent infiniment plus vite que les « ronds » produits dans l’eau, puisqu’elles franchissent 300 000 kilomètres par seconde, ce qui est la plus grande vitesse connue en ce monde. Une autre différence est que la longueur de ces ondes lumineuses est très faible. Les ronds qui se propagent dans l’eau sont constitués par des petits sommets séparés par des dépressions, comme ceux qui constituent et celles qui séparent les vagues de la mer.

La distance qui sépare deux sommets successifs, ou la distance qui sépare le point le plus bas de deux « ronds » successifs dans l’eau est ce qu’on appelle la « longueur d’onde » en physique ondulatoire. Or, tandis que cette longueur est de quelques centimètres dans le cas des ondes d’une (laque d’eau, elle est infiniment plus petite dans le cas des ondes de la lumière, elle n’est que d’environ 50 millionièmes de centimètre. Elle est un peu plus petite pour les rayons bleus, un peu plus grande pour les rayons rouges, la longueur d’onde croissant légèrement de l’extrémité violette à l’extrémité bleue du spectre.

Au delà du violet, il y a les rayons ultra-violets, invisibles pour notre rétine, mais qui sont enregistrés par la plaque photographique. Au delà encore, très au delà, il y a les rayons X qui sont aussi des ondulations de l’éther, mais d’une longueur d’onde beaucoup plus faible que celle des rayons lumineux.

De l’autre côté du spectre, et en marchant vers les longueurs d’ondes croissantes, on trouve, après les rayons rouges, d’autres rayons invisibles, les rayons infra-rouges, qui sont des rayons calorifiques. Ce sont les rayons qui font que, lorsqu’on met la main à quelque distance d’une bouillotte (laquelle est invisible dans l’obscurité) on en sent la chaleur. Le domaine des rayons infra-rouges est très étendu. Il y a quelques années déjà, on avait découvert des rayons infra-rouges dont les longueurs d’onde s’étendaient jusqu’à 2 400 millionièmes de centimètre. Plus récemment les physiciens Rubens et Wood ont pu isoler dans le rayonnement du manchon Auer des radiations dont la longueur d’onde atteint 10 800 millionièmes de centimètre.

Enfin MM. Rubens et von Baeyer (les physiciens allemands se sont beaucoup spéciahsés dans ce genre de recherche) ont montré récemment que la lampe à vapeur de mercure en quartz émet un rayonnement qui contient en quantité notable des radiations dont la longueur d’onde est d’environ 31 400 millionièmes de centimètre (près de mille fois supérieur à celle de la lumière violette), c’est-à-dire environ 1 tiers de millimètre.

Or, si nous continuons par la pensée à parcourir dans le sens des longueurs d’onde croissantes la gamme des radiations ondulatoires de l’éther, nous trouvons des ondes dont les longueurs s’étagent entre quelques millimètres et des millions de mètres : ce sont les ondes hertziennes.

Les ondes hertziennes se propagent avec la même vitesse que les lumineuses (300 000 kilomètres à la seconde) ; elles se réfléchissent, se rétractent, se diffusent comme elles. Elles en diffèrent par leurs propriétés, de même que les ondes lumineuses diffèrent des ultraviolettes ou des infra-rouges.

L’existence des ondes électriques avait été préclite en 1864, grâce à une géniale divination, et en partant déconsidérations théoriques, par Clerk Maxwell. L’immortel honneur de les avoir découvertes, ou mieux encore réalisées expérimentalement, appartient au physicien Hertz qiii leur a laissé son nom, et qui est mort prématurément sans avoir pu donner toute sa mesure.

En étudiant les étincelles électriques, telles que les produit par exemple la bobine de Rhumkorf, Hertz fut amené à examiner les perturbations qu’elles créent autour d’elles, dans le milieu ambiant. Dans certaines conditions, ces étincelles sont oscillantes, c’est-à-dire qu’elles consistent en une série d"étincelles éclatant alternativement d’un pôle à l’autre de l’éclateur, puis du second au premier et ainsi de suite. L’éclateur prend alors le nom d’oscillateur, et sous la forme que lui avait donné Hertz, les étincelles éclataient entre deux boules métalliques reliées respectivement aux pôles de la bobine électrique et à des lames métalliques de grande capacité. Or Hertz a montré que les étincelles oscillantes ainsi produites propagent dans l’espace environnant une véritable onde électrique ayant toutes les propriétés de l’onde lumineuse, mais une longueur d’onde plus grande (environ 3 mètres dans ses expériences). Cette onde, si on la recevait à une certaine distance sur un système constitué comme l’oscillateur (moins la bobine) par deux boules métalliques séparées par un mince espace d’air et réunies respectivement à deux capacités métalliques, produisait entre ces deux boules une étincelle à chaque fois que l’étincelle oscillante éclatait dans l’oscillateur. L’appareil récepteur ainsi constitué a reçu le nom de résonateur. Hertz, au moyen de son oscillateur et de son résonateur, a montré que les radiations nouvelles allant de l’un à l’autre et répétant l’étincelle du premier étaient des ondes qui se réfléchissaient, se réfractaient, s’interféraient, se polarisaient comme celles de la lumière, pouvaient être concentrées et orientées par des miroirs métalliques comme les ondes lumineuses, etc.

Enfin, en mesurant la vitesse de propagation de ces ondes nouvelles, de ces ondes hertziennes, on a constaté qu’elle est identique à celle de la lumière. L’assimilation était complète.

L’expérience de Hertz sous la forme primitive constituait déjà une expérience de T. S. F. Mais cette expérience ne pouvait être faite qu’à quelques mètres de distance. C’est une magnifique décourerte française qui a rendu véritablement possible et pratique sur de grandes distances la radiotélégraphie : l’illustre et modeste Branly en fut l’auteur. Il montra que la limaille métallique, lorsqu’elle reçoit une onde électrique même très faible, même à grande distance, a la propriété d’être traversée soudain par le courant d’une pile ou d’une sonnerie auquel elle opposait normalement un obstacle insurmontable. Ainsi était trouvé r« œil électrique » qui permettait de déceler avec sensibilité et précision les ondes hertziennes et qui a rendu possibles tous les progrès ultérieurs de la T. S. F.

Il convient d’ailleurs de remarquer que la télégraphie optique telle que l’ont réalisée les frères Chappe et qui porta à la Convention les nouvelles des victoires de la Révolution, constitue également une télégraphie sans fil. La télégraphie sans fil, au sens propre du mot, est aussi vieille que le monde, ou plutôt de l’humanité (ce qui n’est peut-être pas tout à fait la même chose). Faire un signe de la main à quelqu’un, c’est faire de la télégraphie sans fil, de la télégraphie optique. Pourquoi la télégraphie optique a-t-elle néanmoins un emploi et une portée infiniment inférieurs à ceux de la télégraphie sans fil par ondes électriques ? Il y a à cela diverses raisons : d’abord, les ondes lumineuses que l’homme peut produire artificiellement sont sensibles à de bien moins gra’ndes distances que les ondes électriques. Il n’y a pas de phares dont les portées atteignent des centaines de kilomètres. Au contraire, les ondes électriques sont aujourd’hui perceptibles beaucoup plus loin grâce à la sensibilité exquise des appareils détecteurs dont l’appareil de Branly fut le père.

Ensuite, les ondes lumineuses se propagent en ligne droite et sont arrêtées parle moindre obstacle, la moindre brume, le moindre bout de bois. Si même nous pouvions faire des phares portant à des milliers de kilomètres, ils seraient inutilisables à cause de la courbure de la terre qui arrêterait les rayons. Au contraire, les ondes hertziennes traversent presque sans être absorbées un grand nombre de milieux tels que l’air, le bois, etc., elles ne sont réellement arrêtées que par les métaux et les eaux salées. En outre, grâce à leur grande longueur, elles peuvent contourner des obstacles absolument prohibitifs pour les ondes lumineuses, tels que les maisons, les collines, les accidents du terrain et la courbure même de la terre. Si j’ose employer cette comparaison, les ondes lumineuses et les ondes hertziennes sont dans leur propagation comparables à des serpents qui onduleraient sur le sol : une petite couleuvre ne pourra pas franchir en ondulant et sans changer sa direction un obstacle de 10 centimètres de haut, ce que fera au contraire sans même s’en apercevoir un boa aux ondulations beaucoup plus grandes.

De là vient que, des deux télégraphies également sans fil, la télégraphie optique et la radiotélégraphie, celle-ci est la seule qui ait une importance pratique.

Pour donner une idée des ondes pratiquement employées en T. S. F., je dirai seulement que les ondes hertziennes utilisées pour l’envoi des signaux horaires quotidiens de la Tour Eiffel ont une longueur d’onde d’environ 2 500 mètres. Les signaux horaires envoyés par la puissante station radiotélégraphique de la Dona (près Lyon), ont une longueur d’environ 15 000 mètres.

Ces ondes sont trente milliards de fois plus longues que les ondes lumineuses. Elles contourneront donc aussi facilement un obstacle de 6 000 kilomètres (tel est le rayon de courbure de la Terre) qu’un rayon lumineux contournerait, en diffusant, un obstacle de deux dixièmes de millimètre. On conçoit dans ces conditions que les ondes de la T. S. T. puissent faire la tour de la Terre.

C’est par des moyens purement artificiels que les ondes hertziennes ont été découvertes. Et on pouvait se demander s’il existe dans la nature des conditions analogues à celles, si complexes, qui, dans 16 laboratoire, donnent naissance à ces ondes. La nature a répondu oui. Les ondes hertziennes sont d’origine électrique et sont produites par l’étincelle oscillante. Or, il existe naturellement des étincelles oscillantes, — l’expérience l’a prouvé, — ce sont les décharges électriques des orages, ce sont les éclairs. Ainsi Jupiter tonnant avait précédé Hertz depuis longtemps, mais nous n’en savions rien.

La science consiste ainsi, le plus souvent, à découvrir les choses qui existent de toute éternité…, je veux dire depuis qu’il y a des hommes, mais que nos sens grossiers n’apercevaient pas ; elle consiste en un mot à mettre des prolongements, des rallonges à notre sensibilité, à notre perceptivité médiocres, et à soulever, grâce à elles, les voiles décevants sous lesquels la nature cache sa nudité. La science consiste aussi parfois, — et c’est alors que savoir devient pouvoir, — à créer des réalités qui n’existaient pas, dont les possibilités, dont les conditions seules existaient : c’est ainsi qu’un très grand nombre des substances créées par la chimie organique n’ont jamais existé dans la nature, et sont surajoutées à la création.

Or depuis de longues années, et dès les débuts mêmes de la radio-télégraphie, certains savants (et notamment MM. Popoff en Russie, Tommasina en Suisse, Fényi en Autriche, etc.) ont enregistré des ondes hertziennes émises par les orages de notre atmosphère, au moyen d’appareils identiques à ceux de la T. S. F. Les décharges électriques de notre atmosphère sont des génératrices énergiques d’ondes électriques.

Comme ces ondes sont perceptibles à une assez grande distance, elles permettent même d’annoncer la présence d’un orage dont l’existence lointaine resterait autrement ignorée ; elles permettent de voir si cet orage approche ou s’éloigne, augmente ou diminue, elles permettent ainsi d’instituer une véritable prévision, à brève échéance, des orages. Si je ne me trompe, un service d’avertissement des orages a sur ce principe été annexé à l’Observatoire du Pic du Midi. L’enregistrement des ondes hertziennes orageuses pourrait ainsi avoir des applications pratiques variées et du plus haut intérêt.

Je n’en veux donner qu’un exemple : lorsqu’un orage en été vient obscurcir le ciel, les grandes stations productrices d’électricité qui distribuent leur énergie sur des réseaux étendus ont soudain besoin de mettre en marche de nouvelles machines pour alimenter les abonnés qui brusquement allument leurs lampes. Cette augmentation soudaine expose la centrale à des à-coups qui peuvent être dangereux à divers égards. Pour y remédier, la New-York Edison Co qui dessert une partie de New-York a créé un service météorologique auquel a été adjoint un service d’avertissement des orages. Un détecteur d’ondes spécial, placé à la station centrale, et assez analogue à ceux de la T. S. F., est monté de manière à actionner une sonnerie qui décolière automatiquement le détecteur. Lorsqu’un orage approche, on a constaté en général les phénomènes suivants : d’abord, la sonnerie commence à résonner à des intervalles de 5 à 13 minutes, l’orage est alors à plus de 400 kilomètres et pourra être dans la ville dans un délai de quelques heures. Puis, si la menace se précise et se rapproche, la sonnerie se met à sonner toutes les minutes ou demi-minutes.

L’usine fait alerter alors ses chaudières en réserve et fait préparer la mise en marche des groupes électrogènes de secours. Une demi-heure avant que l’orage ne soit arrivé, la sonnerie est actionnée d’une façon continue. On prend alors les dernières dispositions. N’est-ce pas une élégante, simple et utile application que Faraday n’eût guère pu soupçonner, lorsqu’il entrevoyait instinctivement les bases de la théorie électromagnétique de la lumière ?

Ces faits et d’autres sur lesquels il serait trop long d’insister ici ont amené, il y a maintenant dix-neuf ans déjà, l’auteur de ces lignes à exposer devant l’Académie des sciences que le soleil devait nécessairement émettre avec abondance, outre son rayonnement calorifique et lumineux, des ondes hertziennes intenses.

Cela résulte a priori de la nature même de ces ondes. Si les radiations ondulatoires lumineuses agissent sur notre rétine à l’encontre des autres, cela n’est dû qu’à « une sorte de hasard physiologique, » suivant l’expression de Henri Poincaré qui a dit aussi quelque part : « Pour le physicien, l’infra-rouge ne diffère pas plus du rouge que le rouge du vert, la longueur d’onde est seulement plus grande : celle des radiations hertziennes est beaucoup plus grande encore, mais il n’y a là que des différences de degrés. »

Si, donc, il n’y a pas de base philosophique pour une distinction physique entre un rayonnement lumineux et un rayonnement hertzien émanés du soleil, on peut a priori considérer comme une hypothèse extrêmement vraisemblable que la photosphère solaire émet des ondes hertziennes.

Mais il est d’autres considérations, toutes différentes, non plus empruntées aux analogies théoriques ou expérimentales de la Physique, mais tirées de l’examen même des faits, — ces maîtres despotiques de l’idée, — et qui, irrésistiblement, conduisent à penser que le soleil est un gigantesque radiateur d’ondes électriques et que celles-ci doivent s’y produire dans des circonstances identiques à celles où nous les voyons s’engendrer dans nos laboratoires et notre atmosphère… l’échelle seule des phénomènes étant là-bas infiniment plus grandiose.

L’atmosphère qui entoure la croûte terrestre est électrisée fortement et de telle sorte que la Terre est, par rapport à l’air, négativement chargée. Ce « champ électrique » de notre atmosphère est très intense puisqu’il y a une différence de potentiel qui dépasse en moyenne 100 volts par mètre d’altitude. Des décharges électriques très fortes se produisent dans l’air chaque fois que des perturbations mécaniques violentes (cyclones, dépressions orageuses brusques, éruptions volcaniques) rompent l’équilibre des couches de niveau. Ces décharges tendent naturellement, — tous ceux qui ont le moindre rudiment de connaissances électriques me comprendront, — à rétablir cet équilibre rompu, à égaliser les potentiels. Ces décharges, nous venons de le voir, produisent des ondes hertziennes intenses.

Or les photographies du soleil, celles notamment dont une si belle série a été réalisée à l’observatoire de Meudon, montrent que la surface en est constituée par des nuages photosphériques ou grains de riz (dont nous avons, soit dit en passant, trouvé la température voisine de 6 000 degrés) dont chacun a une étendue fréquemment plus grande que la France tout entière, et qui sont animés de mouvements si rapides que l’aspect des clichés n’est plus identiquement le même d’une minute à l’autre et que les cyclones terrestres les plus formidables n’ont que des vitesses infimes en comparaison. Pareillement, toute la partie basse de l’atmosphère solaire est (le spectroscope le montre) sujette à de constantes et violentes éruptions. Tous ces mouvements des gaz solaires doivent engendrer des décharges électriques semblables à celles de nos orages, mais incomparablement plus intenses, et partant des ondes hertziennes puissantes.

L’analyse spectrale conduit aux mêmes conclusions et elle a établi, notamment grâce aux belles recherches de M. Deslandres, que les protubérances éruptives de l’atmosphère solaire, — et qui auréolent de leur dentelure enflammée et rose le bord noir de la lune dans les éclipses solaires totales, — sont illuminées électriquement et produites par des décharges analogues à celles des orages terrestres.

C’est ainsi que nous avions été amené, il y a bientôt vingt ans, à établir que le soleil doit émettre des ondes hertziennes, et que cette émission doit être particulièrement intense dans les régions et aux époques de la plus grande activité solaire, c’est-à-dire dans la région des taches et des facules et au moment du maximum des taches solaires.

En 1901, nous fîmes à l’observatoire du sommet du Mont-Blanc des expériences dans le dessein de déceler les ondes hertziennes émises par le soleil. A priori, le succès de l’expérience était douteux, car les ondes hertziennes ont cette propriété particulière que, traversant facilement les gaz à la pression atmosphérique, elles sont très fortement absorbées par les gaz très raréfiés. Il était donc probable que les ondes électriques solaires étaient arrêtées par les couches extérieures raréfiées de notre atmosphère, — en y produisant d’ailleurs des phénomènes sur lesquels nous reviendrons.

Effectivement, nos expériences de 1901 au Mont-Blanc donnèrent un résultat négatif. Il semble infiniment probable que les ondes hertziennes d’origine cosmique qui viennent d’être enregistrées par les stations Marconi sont précisément les ondes hertziennes solaires que nous n’avions pu déceler il y a dix-neuf ans parce que les appareils récepteurs étaient alors infiniment moins sensibles qu’aujourd’hui, et aussi parce que la modeste antenne dont nous disposions au Mont-Blanc n’était nullement apte, comme les antennes gigantesques des stations actuelles, à capter des ondes très faibles et de très grande longueur.

Que la Terre reçoive des ondes hertziennes d’origine cosmique, c’est une chose que nous avions annoncée, il y a maintenant quatre lustres. S’il y a quelque chose d’étonnant dans tout cela, c’est l’étonnement des nouvellistes,… et même des liseurs de nouvelles, à l’annonce du phénomène rapporté par Marconi.

Avant d’attribuer les signaux hertziens venus incontestablement de l’espace céleste à je ne sais quelle conversation interplanétaire, à je ne sais quelle correspondance amicale et télépathiquement télégraphique de voisins astraux, il était plus simple d’en rechercher la cause dans des phénomènes naturels. C’est ce que nous avons tenté.

Certes le goût du merveilleux n’y est point entièrement satisfait, du moins de ce merveilleux un peu puéril qui berce l’éternelle enfance de l’humanité et qui nous a valu notamment les délicieuses niaiseries des Mille et Une Nuits ou des Contes de Perrault.

Pour le philosophe, le seul merveilleux est celui qui est vrai. Certes l’aventure de la Belle au Bois dormant est prodigieuse. Mais je la trouve beaucoup plus agréable que surprenante. Si on avait demandé à Louis XIV ce qu’il trouverait de plus étonnant : ou bien qu’une belle pût effectivement dormir en un bois enchanté des siècles durant jusqu’à ce qu’un Prince Charmant la réveillât, ou bien qu’on pût bientôt causer à voix basse et du ton le plus naturel de Paris à Londres, je gage qu’il eût fait enfermer aux Petites-Maisons l’annonciateur de cette dernière chose, et nommé gentilhomme de sa chambre le prophète de la première, d’autant qu’il avait tout intérêt à laisser penser que les Prince Charmant sont très possibles.

Tout cela n’empêche point cependant que plusieurs professeurs américains, dont il ne sied point de redire ici les noms, n’aient, — il y a quelques jours, et profitant de l’opposition récente de Mars, — tenté de saisir les radiotélégrammes de nos voisins martiens.

L’un d’eux, à Omaha, dans l’État de Nebraska, tint vainement pendant sept jours l’oreille à son écouteur perfectionné auquel venaient aboutir, à ce que disent les gazettes, — qu’elles en gardent, seules, la responsabilité ! — une antenne réceptrice comportant trente-cinq milles de fils couvrant vingt-cinq milles carrés. Notre homme fut fort désappointé de n’avoir pas reçu dans ces conditions, cependant vraiment tentantes pour ceux qui étaient à l’autre bout du… sans-fil, le moindre compliment intelligible de Mars. Que voilà donc des voisins dénués d’éducation !

Un autre professeur de la libre Amérique entreprit simultanément de monter en ballon jusqu’à 15 kilomètres de haut pour recevoir plus facilement les martigrammes. Il n’eut pas plus de succès. Ce professeur qui, pour gagner quelque chose sur une distance de quatre-vingt-dix millions de kilomètres, monte de quinze kilomètres au risque de se casser le nez et de perdre le souffle, nous rappelle un des héros de je ne sais plus quel grand écrivain. C’est, si j’ai bonne mémoire, un brave capitaine qui, au cours d’une manœuvre, et devant apprendre à ses hommes l’orientation nocturne, se fait montrer par l’instituteur, qui représente la science dans la compagnie, l’étoile polaire. Puis après avoir regardé un instant la Tramontane toute menue et clignotante là-haut, il s’écrie : « Mais ils vont attraper le torticolis ! Que toute la compagnie recule de cinquante pas ! »

Pourquoi-donc les hommes ont-ils la rage de vouloir qu’ailleurs aussi, et même dans la proche banlieue de notre arrondissement solaire, il y ait des êtres semblables à nous, qui pensent, c’est-à-dire qui souffrent et qui s’entredéchirent ? N’est-il pas, à certains égards, plus sage de considérer la vie organisée comme une contingence protoplasmique aussi éphémère dans le temps que dans l’espace ? N’y a-t-il pas une grandeur peut-être plus hautaine et plus splendide dans un univers impassible, où aucun cri périssable ne vient déchirer cette symphonie muette que font les orbes d’or des astres ?

Et puis, s’il est des curieux de conversations inaccessibles, qu’avant de s’essayer à la causerie interplanétaire ils tâchent de communiquer avec l’âme de nos frères aînés, les animaux, dont un abîme encore nous sépare. Qu’ils tâchent d’abord de rendre pénétrables l’une à l’autre et communicantes, ces urnes hermétiques et sombres qu’on appelle deux cœurs humains !

Charles Nordmann.