Revue scientifique - Sur la physiologie des étoiles

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Revue scientifique - Sur la physiologie des étoiles
Revue des Deux Mondes6e période, tome 56 (p. 457-468).




REVUE SCIENTIFIQUE




SUR LA PHYSIOLOGIE DES ÉTOILES





I.


Le naturaliste lorsqu'il aperçoit une fourmilière, commence d'abord par l'observer à une certaine distance et par étudier d'un coup d'œil synthétique les mouvements d'ensemble et les allées et venues des colonnes de travailleuses qui caractérisent la minuscule cité. Ensuite et ensuite seulement, il s'empare d'un des diligents animaux et à l'œil nu d'abord, puis au microscope, il examine sa structure, sa conformation, ses particularités anatomiques et physiologiques.

Quand on étudie la fourmilière innombrable des étoiles, quand on cherche à comprendre l'univers stellaire, il est bon de suivre une marche semblable. Aussi avons-nous commencé d'abord par examiner dans ses grandes lignes la structure, l'étendue, le répartition générale du système des étoiles. Aujourd'hui, complétant cette première et générale prospection, je voudrais, à la lumière de certaines découvertes récentes, indiquer quelques-unes des particularités qui caractérisent l'étoile elle-même, son état physique, son âge, son passé et son avenir.

Parmi les vues théoriques énoncées, depuis la fameuse hypothèse de Laplace, sur la formation et l'évolution des étoiles, il n'en est aucune qui, au même degré que celle de sir Norman Lockyer, ait trouvé dans les faits d'observation récente, des confirmations. Aussi voudrais-je d'abord rappeler ici brièvement la théorie de l'illustre astrophysicien anglais. Cette théorie de ce qu'il a appelé lui-même l'évolution inorganique, comme pour mieux assimiler la vie périssable des astres et des éléments chimiques eux-mêmes à celle des êtres vivants, est une hypothèse sur la genèse des étoiles qui repose sur l'étude simultanée de leur composition chimique et des différences de température qu'elles présentent.

J'ai déjà parlé maintes fois du spectre des étoiles, de cette petite bande présentant toutes les couleurs de l'arc-en-ciel en laquelle le spectroscope étale leur lumière blanche, et où les petites raies noires qu'on distingue caractérisent, par leur position dans le spectre, les divers éléments chimiques de l'étoile. Si on examine les spectres d'un grand nombre d'étoiles, on constate entre eux des différences. Dans certaines étoiles blanches, et notamment celles de cette magnifique constellation d'Orion qu'on observe en ce moment vers le Sud, chaque soir de beau temps, le spectre n'est guère sillonné que d'un petit nombre de raies noires, celles qui caractérisent l'hydrogène et l'hélium (ce gaz découvert dans le soleil précisément par sir Norman Lockyer, dès 18G9, vingt-six ans avant d'être trouvé sur la terre). Les raies des métaux sont, dans ces étoiles, absentes ou à peine visibles. Dans une autre catégorie d'étoiles dont font partie notamment Sirius, cette reine scintillante de nos nuits d'hiver, et Véga, l'astre capilal de la constellation de la Lyre, les raies de l'hélium sont plus faibles, celles de l'hydrogène, au contraire plus intenses, ce qui semble indiquer que ce dernier gaz constitue en majeure partie l'atmosphère de ces étoiles ; les raies des métaux y sont, en outre, bien plus nombreuses et intenses que dans les étoiles du groupe précédent.

Puis dans une autre catégorie d'étoiles dont font partie Arcturus, la belle étoile du Bouvier, Capella du Cocher et notre soleil lui-même, les raies des métaux et notamment du fer et du titane sont extrêmement intenses et nombreuses. Enfin on observe une dernière catégorie spectrale d'étoiles, ce sont des étoiles de couleur généralement rouge comme Alpha de la constellation d'Hercule et Antarès, où les raies métalhques sont encore beaucoup plus marquées et où, en plus des raies appartenant à des éléments chimiques, toutes observables dans les classes précédentes d'étoiles, on observe les raies de plusieurs corps composés et notamment des oxydes de certains métaux et du cyanogène. En résumé, à mesure qu'on passe des étoiles du type d'Orion aux étoiles à cyanogène, le nombre et la complexité des raies spectrales, c'est-à-dire des corps chimiques manifestés par le spectre, augmentent en mettant en évidence la présence de métaux de plus en plus lourds jusqu'à ce qu'arrivent enfin, au bas de l'échelle stellaire, les molécules pesantes et complexes des composés chimiques.

Sir N. Lockyer, explique ces diverses particularités par les températures diderentes qui existent dans les étoiles, à la suite d'expériences aujourd'hui classiques et où il a montré que le spectre d’un même corps présente des variations caractéristiques si on le place successivement dans une flamme, dans l'arc élpctrique et enfin dans l'étincelle électrique qui constituent, comme on sait, des sources de chaleur à températures de plus en plus élevées. Du fait qu'un même corps (un métal par exemple) peut, suivant la température à laquelle il est porté, émettre soit les raies qu'on observe dans l'arc électrique, soit les raies particulières (dites raies renforcées) qu'on observe à température plus haute dans l'étincelle électrique, sir N. Locker a déduit avec une rare hardiesse, que aux hautes températures les corps doivent se dissocier en éléments chimiques plus simples, en protoéléments comme il dit. Les découvertes récentes apportées par l'étude de la radio-activité ont donné une grande vraisemblance à ces vues théoriques que beaucoup crurent chimériques à l'époque où elles furent émises, époque récente pourtant, mais où régnait, presque sans conteste, le dogme de l'immutabilité des éléments chimiques.

Quoi qu'il en soit, établissant un parallélisme hardi entre les variations des spectres observés au laboratoire dans des sources de plus en plus chaudes et celles qu'on constate dans les étoiles, sir N. Lockyer en a conclu que les variations spectrales de celles-ci sont dues aux températures diverses. Et alors on peut résumer de la façon suivante la belle théorie cosmogonique de sir N. Lockyer.

De même que dans les hypothèses de Laplace, de Kant et de presque tous leurs successeurs, on a de nombreuses raisons de supposer qu'une étoile se forme par la condensation progressive d'une matière existant primitivement à l'état diffus dans l'espace. Que cette matière soit gazeuse comme le pense Laplace ou qu'elle existe à l'état de nuages, de particules, de poussières météoriques comme le veut Lockyer, le résultat que voici est le même : sous l'inlluence de la gravitation qui concentre peu à peu cette matière, il se produit, par suite des chocs, fendus ainsi de plus en plus nombreux, des particules ou des molécules entre elles, une élévation de température. L'étoile s'échauffe donc à mesure qu'elle se condense ; mais il existe une limite à cet échauffement et le calcul indique que lorsque la condensation est devenue assez considérable elle ne peut plus se poursuivre qu'avec une extrême lenteur; alors la quantité de chaleur produite par elle devient inférieure à celle que l'astre perd par son rayonnement dans l'espace et l'étoile, après avoir passé par un maximum de température, commence à se refroidir progressivement jusqu’à extinction.

Au point de vue chimique et au point de vue spectral (et ceci est une des particularités les plus audacieuses de cette conception, et une de celles qui ont été rendues les plus vraisemblables par les travaux récents) cette augmentation jusqu’à un maximum, puis cette diminution de la température des étoiles est accompagnée par une dissociation, par une sorte de transmutation progressive de ses éléments chimiques les plus lourds que la chaleur change en autres plus légers, jusqu’à ce que le refroidissement progressif de l’étoile reforme ceux-là, à partir de ceux-ci.

Ainsi la vie d’une étoile serait comparable à celle d’un être vivant, d’un homme, qui s’élève en force, en beauté, en ardeur jusqu’à un maximum à partir duquel il décline de nouveau, pour rejoindre à la fin de sa vie — et je ne parle ici que de son corps — le néant dont il était sorti. Ainsi le serpent qui se mord la queue est l’antique symbole non seulement de la vie organisée, mais de celle des soleils eux-mêmes, aussi périssables que nous dans le plan de l’infini.

De tout cela il résulte que parmi les étoiles, les unes doivent être en train de s’échauffer tandis que les autres sont dans la phase décroissante de leur puissance thermique. C’est ainsi que sir Norman Lockyer, en partant des particularités spectrales des diverses étoiles, a été amené à les clajser en un certain nombre de groupes qu’il place sur une courbe (ayant un peu la forme d’un jet d’eau qui s’élève puis retombe), et au sommet de laquelle se trouvent les astres les plus chauds. Comme certains groupes se trouvent à la même hauteur et en regard — les uns sur la branche ascendante, les autres sur la branche descendante de la courbe, il s’ensuit évidemment que parmi les étoiles ayant une température donnée, les unes doivent être en train de s’échauffer encore, les autres en train de se refroidir déjà. C’est précisément un des points que, comme nous allons voir, les découvertes récentes ont mis en évidence.

Mais auparavant il convient de rappeler que récemment une méthode nouvelle permettant de mesurer optiquement les températures des étoiles a été élaborée par l’auteur de ces lignes. Les résultats auxquels elle a conduit, — et qui ont été confirmés récemment, notamment en Allemagne, — ont établi que, dans les grandes lignes, les températures des diverses classes d’étoiles sont en bon accord effectif avec les inductions géniales que sir N. Lockyer avait déduites de l’analyse spectrale.

Si maintenant nous revenons à la conception maîtresse de sir N. Lockyer, nous voyons qu'on aurait pu en en déduire ceci. Une même étoile, dans son évolution, passe à deux moments différents par la même température :une première fois pendant qu'elle est dans la première phase de sa condensation (celle où la température est ascendante), une deuxième fois pendant la phase terminale où sa température est descendante. Il s'ensuit nécessairement que la première fois l'étoile, étant moins condensée, doit être beaucoup plus volumineuse que la seconde. Comme d'autre part on trouve dans le ciel des étoiles correspondant aux stades les plus divers de l'évolution stellaire, de même que dans une forêt ou dans une nation on trouve des arbres ou des hommes de tous les âges, il s'ensuit que les étoiles de même température doivent être les unes très grosses, très volumineuses, les autres proportionnellement beaucoup plus petites.

C'est précisément ce qu'ont mis en évidence les faits rassemblés récemment par le professeur Russell, dont les vues théoriques, ressortant de résultats expérimentaux sur les étoiles « naines » et les étoiles « géantes, » sont une des plus élégantes conquêtes qu'ait faites ces temps derniers l'astronomie stellaire.

À mesure qu'une étoile se condense et s'échauffe (stade initial et thermiquement ascendant de son évolution), l'intensité du rayonnement qu'elle émet par unité de surface (par mètre carré, par exemple) augmente ; mais en même temps la surface émettante diminue, et on peut calculer que l'émission totale de lumière de l'étoile ne varie guère pendant toute cette phase, car la diminution de sa surface balance l'accroissement d'intensité de son rayonnement.

Il en est au contraire tout autrement pendant la phase descendante de l'évolution de l'étoile et alors que celle-ci, ayant dépassé sa température maxima, se refroidit, tout en continuant à se condenser. Alors la surface rayonnante diminue en même temps que l'intensité du rayonnement, et l'éclat global de l'étoile, loin de rester constant, décroît rapidement.

Or, tout ceci est précisément ce que les expériences récentes ont mis en évidence. Si on classe, en effet, les étoiles suivant leurs spectres en notant leurs grandeurs absolues (j'ai déjà défini cette expression impropre, mais consacrée), c'est-à-dire leur éclat réel, supposé qu'elles soient toutes à la même distance, on constate ceci : ces grandeurs absolues (celle du soleil étant par définition égale à 5,0) se groupent pour chaque type spectral autour de deux valeurs moyennes : l'une, forte, à peu près constante et égale à 1,2 ; l'autre, faible et décroissant régulièrement de 4 à 11 environ quand on passe des étoiles les plus blanches aux plus rouges. En d'autres termes, le soleil étant (à la distance commune où., par la pensée, nous le reportons avec toutes ces étoiles) une étoile de cinquième, grandeur, on constate que, pour chaque type spectral, il y a deux espèces d'étoiles : les unes qui sont des étoiles très brillantes (à peu près de première grandeur) et qui ont à peu près toutes le même éclat, les autres beaucoup moins brillantes (de la cinquième à la onzième grandeur) et d'autant moins qu'elles sont plus rouges. Les premières sont les étoiles géantes, les soleils géants, dont l'éclat varie peu, qui sont encore vastes et peu condensés; les secondes sont les étoiles naines dont l'état de condensation est déjà très avancé. Notre piètre soleil fait partie de cette dernière catégorie; il touche à la décrépirude finale ; ses instants…, je veux dire ses milliers de siècles…, sont comptés.

Cette position déclinante du soleil dans la famille ou plutôt dans le pedigree des étoiles est prouvée non seulement par ce qui précède, mais aussi et surtout parce que sa densité moyenne (qui est égale à presque une fois et demie celle de l'eau) correspond à un état de condensation déjà considérable, comme il ressort nettement du calcul, ainsi que Homer Lane et Eddington, notamment, l'ont montré dans leurs belles recherches de dynamique stellaire.

Il n'est d'ailleurs aucun secret, si caché soit-il, que le calcul armé des résultats expérimentaux de la physique moderne n'ose aborder. C'est ainsi que, dans ses curieux et suggestifs travaux, Eddington s'est proposé de rechercher quelles peuvent et doivent être les conditions physiques régnant non seulement à la surface d'une étoile, — là où nous avons des moyens de contrôle optiques, photométriques, spectraux, — mais dans l'intérieur même de ces astres et jusqu'à leur centre. Les résultats auxquels il est parvenu ne peuvent prétendre à une exactitude rigoureuse, ils n'en sont pas moins très vraisemblables quant à leur ordre de grandeur, et ils dépassent infiniment, par le caractère gigantesque des effets qu'ils manifestent, tout ce à quoi nous ont habitués nos petites expériences de laboratoire.

C'est ainsi qu'Eddington calcule la distribution de la température dans une étoile d'une masse à peu près égale à celle du soleil, mais dont la condensation serait un peu moins avancée que celle de celui-ci, sa densité moyenne étant légèrement inférieure à celle de l'air (de façon à pouvoir lui appliquer plus légitimement les lois des gaz). On trouve qu’au centre d’une pareille étoile la température doit être de près de 5 millions de degré ; et la pression de 21 millions d’atmosphères. Nous ne pouvons guère imaginer l’état de la matière dans des conditions pareilles. Il est en tout cas très possible que les pressions qui doivent régner au centre d’une étoile suffisent à y condenser les atomes légers en atomes plus lourds, c’est-à-dire à y réaliser la transmutation telle que la rêvaient les alchimistes, et notamment à y créer les substances radioactives. Celles-ci seraient donc régénérées sans cesse dans l’intérieur des étoiles dont elles contribueraient à prolonger la chaleur.

Le calcul montre d’ailleurs avec beaucoup de netteté que toutes les étoiles, dans le courant de leur évolution, n’atteignent pas la même température maxima.

À l’apogée de leur carrière, seules atteignent les hautes températures (que j’ai trouvées de 15 à 20 000 degrés et même davantage à la surface pour les étoiles du type Orion), les étoiles qui ont une masse très notablement supérieure (environ sept fois) à celle du soleil. Il est probable que le type ultime de l’évolution des étoiles de masse analogue à celle de notre soleil est tout au plus le type de Sirius ou de Véga avec leurs pauvres 12 à 13 000 degrés. Telle est la température superlicielle que n’a jamais dû dépasser notre soleil au temps lointainement révolu où il brillait encore de tout son éclat. Qu’étions-nous alors ? « Que faisions-nous au temps chaud ? » Je ne me charge pas de le savoir.

Si j’ose résumer tout ceci par une analogie, je dirai que toutes les étoiles dans leur existence, entre leur naissance et leur mort, passent par un certain apogée de vitalité et de chaleur, de même que toutes les races humaines, entre l’enfance et la vieillesse, mais que cet apogée, ce maximum est inégal, de même que l’intelligence maxima des nègres dans la force de l’âge est en moyenne inférieure à celle des blancs. L’élément, le facteur dont dépend la température maxima atteinte par une étoile dépend, avons-nous dit, de sa masse. Cela est facile à comprendre. Plus la masse est grande, plus la gravitation est considérable et plus par conséquent la chaleur dégagée par la condensation peut être grande. Dans le même suis agit ce fait que la chaleur perdue dans l’espace par le rayonnement d’un astre, est, dans des conditions données de température et de pression, d’autant plus grande proportionnellement que l’astre est moins massif. C’est pour cela que le fer à souder des plombiers ou le fer à repasser des blanchisseuses ont d’autant moins souvent besoin d'être replongés au feu qu'ils sont plus lourds.

De même qu'il y a des étoiles pesantes qui ont dû atteindre une température maxima plus élevée que le soleil, de même et, inversement certaines étoiles de faible masse n'ont jamais pu et ne pourront jamais atteindre même la température actuelle, pourtant médiocre, du soleil.

Mais à ce propos, comment se fait-il qu'en gros, les masses de toutes les étoiles pour lesquelles la détermination en a été faite, soient toutes, comme on dit, du même ordre de grandeur ? comment se fait-il, pour m'exprimer autrement, que toutes les étoiles aient à peu près la même taille, de même que tous les hommes ou tous les chevaux, et qu'on n'ait pas trouvé d'étoiles des millions ou des millions de fois plus grosses que notre soleil ? Car enfin, philosophiquement parlant, et du seul point de vue de la probabilité, toutes les masses stellaires devraient être possibles, et la question vaut d'être posée. Ceci touche à de hautes spéculations de dynamique stellaire qui ont été en particulierabordées par Henri Poincaré, et d'où il résulte que, par suite notamment du mouvement cinétique des molécules gazeuses et aussi de la force centrifuge, une condensation stellaire ne peut s'accroître au delà d'une certaine limite. Plus récemment, M. Eddington a apporté dans ce domaine une contribution fort intéressante et qui est fondée sur un phénomène dont j'ai déjà parlé ici, et qu'on appelle pression de Maxwell-Bartoli ou pression de radiation. Ce phénomène consiste dans le fait que la lumière, et plus généralement toute radiation, exerce une pression sur les particules qu'elle frappe.

Cela étant, et connaissant d'ailleurs par l'expérience la valeur de cette pression, M. Eddington a calculé quel rapport il existe dans l'intérieur d'une sphère rayonnante analogue à une étoile entre la pression de radiation qui tend à chasser vers l'extérieur la matière de cette sphère et la pesanteur qui tend au contraire à concentrer cette matière. On calcule ainsi que, de ces deux forces, l'une centrifuge, l'a.utre centripète, la première est toujours très inférieure à la seconde, tant qu'il s'agit de masses inférieures à celle du soleil. Ainsi, on trouve que tant qu'il s'agit de masse moindre que la moitié de celle du soleil, la pression de radiation est inférieure à la dixième partie de la gravitation ; au contraire, pour une masse dix fois supérieure à celle du soleil, la première de ces forces devient presque égale à la seconde. Il en résulte que la concentration de la matière dans Vespace ne trouve plus de conditions favorables à son accroissement lorsque la masse concentrée dépasse beaucoup celle du soleil. Ainsi s'explique qu'on ne trouve pas d'étoiles immensément plus massives que celui-ci.

Je rappelle d'ailleurs à titre documentaire que la masse du soleil est plus de 330 000 fois celle de la terre et représente un nombre de grammes exprimé par le chiffre 20 suivi de trente-deux zéros.

Revenons maintenant aux étoiles naines et à leurs sœurs les étoiles géantes qui, d'après ce que nous venons de voir, ne pourront guère dépasser plus les premières que, dans notre humanité et même dans l'ordre intellectuel, les géants ne peuvent dépasser les nains, c'est-à-dire médiocrement.

De ce que nous avons vu il résulte d'ailleurs qu'une étoile de masse donnée sera successivement une géante et une naine à divers stades de sa carrière.

M. Crommelin a abordé récemment la question de savoir quel est le nombre relatif des étoiles qui sont à ces stades distincts de leur carrière.

La question n'est pas aisée à résoudre, car en raison de leur plus grande luminosité les étoiles géantes sont visibles pour nous à une distance bien plus grande que les naines, en sorte qu'elles figurent dans nos catalogues, dans une proportion qui dépasse beaucoup leur fréquence réelle. Ainsi sir F. Dyson avait conclu de l'examen du catalogue de Carrington que 95 p. 100 des étoiles étaient plus brillantes que le soleil. Mais quand on considère les étoiles dont la parallaxe dépasse un cinquième de seconde, on en trouve quatre plus brillantes que le soleil et vingt-el-une moins brillantes. On en peut conclure qu'en réalité les étoiles naines prédominent numériquement mais qu'elles sont trop peu brillantes pour figurer généralement dans nos catalogues, à moins d'être nos très proches voisines.

La prépondérance des étoiles naines, comme l'a remarqué M. Crommelin, signifie probablement que les étoiles restent beaucoup plus longtemps à l'état de naines qu'à l'état de géantes, autrement dit que la phase qui suit leur apogée est plus longue que celle qui la précède, ou, si on préfère, que leur vieillesse dure plus longtemps que leur adolescence. En un mot, les étoiles sont des êtres précoces, et qui après un bref matin vivent, avant de s'éteindre, une très longue après-midi. Reprenant sous une autre forme le raisonnement de sir F. Dyson,

M. Crommelin a subdivisé en quatre groupes les vingt-cinq étoiles connues dont la parallaxe est plus grande qu'un cinquième de seconde. Le premier groupe constitué par les étoiles dont la luminosité est plus de quatre fois supérieure à celle du soleil comprend Sirius (30 fois plus brillant que le soleil), Altaïr (8 fois) et Procyon (7 fois). Le deuxième groupe constitué par les étoiles dont l'éclat est compris entre quatre fois celui du soleil et un tiers de celui-ci comprend quatre étoiles. Le troisième groupe, constitué par les astres dont l'éclat est compris entre un tiers et un vingtième de celui du soleil, comprend cinq étoiles. Enfin les étoiles d'un éclat inférieur au vingiième de celui du soleil forment un groupe qui comprend 13 étoiles.

On est amené à en conclure que ces étoiles naines et presque éteintes constituent la classe d'étoiles la plus nombreuse que renferme l'espace, bien qu'on n'en connaisse que quelques-unes, parce que, à une distance un peu grande, elles cessent d'être observables. En étendant le mode de raisonnement précédent aux étoiles dont la parallaxe est comprise entre un dixième et un cinquième de seconde, on trouve des résultats analogues à ceux que je viens d'indiquer.

Tout cela s'accorde bien avec la théorie de Russell et les idées de sir N. Lockyer. On en peut déduire que le stade où les étoiles sont des géantes est relativement court, et qu'il ne doit y en avoir qu'environ une sur trente qui soit dans ce cas. Des statistiques établies de la sorte on peut conclure aussi que le nombre des astres qui se trouvent à l'apogée qui caractérise les étoiles du type Orion (apogée qui exige là d'une part une masse relativement considérable, d'autre part un stade d'évolution correspondant au maximum de température) n'est réalisé à peu près que pour une étoile sur 2500.

En résumé, les étoiles voisines de la fin de leur carrière, colles qui sont arrivées à la limite de leur condensation et à l'extrême déclin de leur rayonnement, celles que M. Crommelin appelle les « naines extrêmes », doivent former un pourcentage considéiable du nombre total des étoiles. Ce pourcentage est peut-être des trois quarts. Elles forment donc une partie beaucoup plus considérable de la population stellaire que ne laissent à supposer les catalogues astronomiques dressés par les méthodes classiques dans les observatoires. Ceux-ci accusent en effet une prépondérance des étoiles géantes qui ne correspond pas à la réalité.

De tout cela on peut conclure aussi que si un grand nombre des étoiles sont près, de la fin de leur évolution, un plus grand nombre encore ont atteint le stade ultérieur où, complètement éteintes et refroidies, elles voguent dans l'espace obscur, désormais inaccessibles à nos moyens ordinaires d'observation. D'après certaines évaluations qui ne peuvent être qu'approximatives, mais dont l'ordre de grandeur n'en est pas moins voisin de la vérité, on peut estimer que le nombre des étoiles obscures éteintes, doit être environ mille fois plus grand que celui des étoiles lumineuses. Ainsi ce n'est pas un milliard et demi d'étoiles que compterait notre voie lactée, notre petite patrie sidérale, mais plus de mille milliards. La seule manière d'évaluer un jour le nombre exact des étoiles éteintes paraît être pour l'instant, l'étude de leurs effets gravifiques accumulés sur les mouvements des étoiles visibles. Il y a de belles recherches à faire dans cet ordre d'idées.

Parmi les étoiles naines les plus intéressantes, il y en a deux qui sont particulièrement remarquables. Il y a d'abord cette curieuse Proxima dont j'ai parlé tout récemment ici-même.

Il y a aussi l'étrange étoile appelée étoile de Barnard, du nom du célèbre astronome américain de l'observatoire Yerkes qui l'a découverte en 1916 dans la constellation d'Ophinchus. Cette étoile est de toutes les étoiles connues celle dont le mouvement propre est le plus grand, l'amplitude de ce mouvement étant de dix secondes d'arc par an, ce qui, — astronomiquement parlant, et étant donné qu'il s'agit d'étoiles fixes, — est énorme. Le record était tenu précédemment par l'étoile Cordoba V 243 (8 secondes par an) et avant 1897 par l'étoile Groombridge 1830 (7 secondes par an). Qu'on ne s'étonne pas trop des noms étranges qu'ont les étoiles. Ils proviennent des catalogues où elles figurent et des numéros qui les y désignent.

Photograpbiquement, cette étoile est de 11e grandeur et visuellement de 9e (de là sa couleur rouge). En remontant le cours des observations anciennes on a constaté qu'elle avait été déjà observée par Lamont à Munich en 1842, ce qui a permis, — étant donné le long espace écoulé, — de déterminer avec beaucoup de précision son mouvement.

À un certain point de vue cette étoile est unique : elle est la seule étoile connue dont le mouvement propre augmente d'une manière appréciable et mesurable par suite de la diminution de sa distance. Elle a une parallaxe d'environ 0"525, ce qui correspond à 6 1/4 années de lumière et en fait, de toutes les étoiles visibles en Europe, la plus rapprochée de nous (les plus proches se trouvant dans l'hémisphère austral). Dans 10 000 ans cette étoile qui se rapproche rapidement de nous ne sera plus qu'à environ quatre ans de lumière de la terre ; sa distance aura diminué d'un tiers. Sa position apparente parmi les constellations se sera alors déplacée de 47° (plus de la moitié d’un angle droit) par rapport à sa situation actuelle.

L’étoile de Barnard n’a guère comme éclat global que la deux-millième partie de l’éclat du soleil. En tenant compte de sa température, on peut en déduire que son diamètre doit être inférieur au tiers de celui du soleil. Le fait que par mètre carré la surface de cette étoile émet 170 fois moins de lumière que le soleil ne prouve d’ailleurs nullement que cet éclat soit négligeable.

Il est encore trente fois supérieur à celui d’une surface égale d’acier fondu, ce qui prouve que même les quantités qui, astronomiquement parlant, sont petites et médiocres, sont en réalité encore prodigieuses à côté de celles que peuvent réaliser, même armées des moyens les plus modernes de la technique, les faibles mains humaines.

À côté de ces étoiles naines, et à l’autre extrémité de la famille stellaire, on peut signaler des géantes remarquables. C’est en réalité par le développement de méthodes nées en France, que Uussel est arrivé aux remarquables résultats que nous avons signalés, et on me permettra de rappeler à cet égard que, bien longtemps avant ces travaux, l’auteur de ces lignes a établi par des expériences et démontré dans un travail présenté à l’Académie des Sciences en 1910, que l’étoile Aldébaran notamment (la plus belle étoile de la constellation des Taureaux) est un astre géant dont le volume est 2190 fois plus grand que celui du soleil. Parmi les remarques que suggèrent, quand on y réfléchit quelques instants, les découvertes récentes qui viennent d’être exposées, il en est une qui me paraît particulièrement suggestive.

C’est que, somme toute, de même que l’humanité, suivant un mot célèbre, est composée de plus de morts que de vivants, de même l’univers stellaire tout entier traîne dans les replis de ses abîmes glacés, intiniment plus d’astres morts et éteints à jamais que d’étoiles éclatantes et vives. C’est la loi mélancolique de tout le monde sensible, semble-t-il, que ce qui vit, ce qui vibre, ce qui brûle et rayonne, ne soit jamais qu’un éclair une foudroyante et brève parenthèse dans l’éternel cortège des choses sombres et des choses mortes.

Charles Nordmann.