Revue scientifique du dernier trimestre de 1832

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REVUE SCIENTIFIQUE
DU
DERNIER TRIMESTRE DE 1832.

ACADÉMIE DES SCIENCES.

Séance du 1er octobre. — M. Bory Saint-Vincent présente les neuf premières livraisons de l’ouvrage destiné à faire connaître les travaux de l’expédition scientifique de Morée.

M. Baudrimont transmet les résultats de ses recherches sur la forme et l’arrangement des atomes, recherches déjà en partie publiées dans les Annales de physique et de chimie. L’auteur en présente un résumé dans les propositions suivantes :

« Tous les atomes, quelle que soit leur nature, sont égaux en volume.

« Ils sont tous cubiques.

« Le cube, par différens groupemens, peut donner naissance à toutes les formes cristallines, et c’est à tort que Hauy a soutenu le contraire.

« Les atomes sont beaucoup plus près du point de contact qu’on ne le pense communément.

« Les formules chimiques, quelquefois expriment simplement le rapport des atomes renfermés dans une molécule intégrante, et d’autre fois elles en indiquent la somme.

« L’eau qui, réduite à ses élémens, fait partie des cristaux, a une grande influence sur leur forme ; aussi ne doit-on pas chercher dans un sel dit hydraté la même forme que dans le sel anhydre correspondant. Si l’identité de forme existait, il se trouverait alors une différence dans les dimensions de la molécule intégrante et une autre différence dans la disposition des atomes qu’elle renfermerait.

« Aucune espèce de combinaison renfermant plus de deux élémens ne doit être représentée par une formule bi-binaire, et aussi l’on doit considérer comme manquant d’exactitude et la nomenclature guytonnienne des corps renfermant plus de deux élémens, et les classifications basées sur cette nomenclature, et enfin la théorie électro-chimique de Berzelius.

« L’électricité, la chaleur et la lumière sont tout aussi bien que la pesanteur des qualités inhérentes aux molécules matérielles. »

M. Esquirol lit un mémoire ayant pour titre : Des illusions chez les aliénés. L’auteur, qui, à une autre époque, a traité la question des hallucinations, s’attache à bien distinguer ces deux genres de phénomènes. Dans les hallucinations, tout se passe dans le cerveau ; l’halluciné est un rêveur éveillé. Chez lui, l’activité cérébrale est telle, que les images reproduites par la mémoire sont pour lui comme présentes, et l’impression en est plus forte que celle qu’il reçoit de ses sens au même moment. Dans les illusions, au contraire, les sens agissent, mais la réaction du cerveau sur les sensations transmises étant influencée par les idées et les passions qui dominent les aliénés, les malades se trompent sur la nature et la cause de ces sensations. Dans l’état de santé, on peut avoir des illusions, mais la raison les détruit bientôt. Chez les aliénés, cette rectification souvent n’a pas lieu ; elle devient même presque impossible, si en même temps que le cerveau est dans un état pathologique, les sens également malades ne lui transmettent que des impressions erronées.

Le maniaque, dont l’attention très mobile ne peut s’arrêter assez long-temps sur les objets extérieurs, n’en a souvent qu’une perception incomplète et dont l’impression est bientôt effacée. Chez le monomaniaque, au contraire, l’attention trop concentrée ne peut se porter successivement sur les objets extérieurs, dès qu’ils sont étrangers aux préoccupations intellectuelles ou aux affections qui le dominent, et ainsi il ne peut trouver en eux un moyen de rectification pour ses faux jugemens.

Les illusions des aliénés sont toujours provoquées par les sens, quoique l’intelligence et les passions puissent aussi concourir à leur production. Les hypocondriaques ont des illusions qui naissent des organes internes ; ils s’abusent sur la gravité de leur mal, mais ils ne déraisonnent pas, à moins que la lypémanie (mélancolie) ne complique l’hypocondrie : alors il y a délire et erreur sur la cause et la nature des souffrances. Un femme qui mourut à la Salpêtrière d’un cancer de l’estomac, croyait avoir dans l’intérieur de ce viscère un animal qui était la cause de ses souffrances.[1]

Une seconde femme, qui succomba également à la Salpêtrière à une péritonite chronique, rapportait ses douleurs à une cause différente et plus bizarre encore. Sa folie, qui s’était développée long-temps avant la maladie dont nous parlons, était une folie religieuse à laquelle ses nouvelles souffrances imprimèrent une modification très particulière. Tout ce qu’elle éprouvait d’étrange dans le ventre, était dû à la présence des différens personnages du nouveau et de l’ancien Testament, qui avaient pris ce singulier rendez-vous et y agissaient conformément à leur caractère connu. Lorsque les douleurs s’exaspéraient, c’était par suite de quelques débats, de quelque scène sanglante. « Aujourd’hui, disait-elle à M. Esquirol, on fait dans mon ventre le crucifiement de Jésus-Christ ; j’entends les coups de marteau qu’on donne pour enfoncer les clous[2]. »

Après avoir traité des illusions occasionnées par une perversion des sensations internes, l’auteur s’occupe de celles où l’erreur part des sens externes, et il en cite des exemples remarquables que nous regrettons de ne pouvoir reproduire ici.

L’Académie procède à l’élection d’un candidat pour la chaire devenue vacante au Muséum d’histoire naturelle par la mutation qui a eu lieu à la mort de M. Cuvier. M. Valenciennes obtient la majorité des suffrages et est déclaré candidat de l’Académie.

Séance du 8 octobre. — M. Gavard fait hommage à l’Académie de la première livraison de ses Vues de Paris, obtenues au moyen du diagraphe.

M. Strauss adresse les premiers résultats d’un nouveau voyage que M. Ruppel fait en ce moment dans l’intérieur de l’Afrique. Dans sa première expédition, ce voyageur avait remonté le Nil et était pénétré dans le Kordofan et le Darfour, beaucoup plus avant qu’aucun autre Européen. Cette fois il se proposait de traverser la partie méridionale de l’Abyssinie, en se dirigeant vers les montagnes de la Lune, et d’aller même au-delà de ces montagnes, s’il lui était possible. Traversant la mer Rouge à Moka, il avait atteint la côte opposée, et il était sur le point de partir pour l’intérieur du pays, lorsque des révolutions qui éclatèrent à-la-fois sur divers points, l’obligèrent de renoncer pour un temps à ce projet. S’établissant à l’île de Massoua pour attendre la fin de ces guerres civiles, il étudia les productions de cette île et celles des parties voisines du littoral, sur lequel il fit de fréquentes excursions. Dans une première lettre écrite de Massoua, en date d’octobre 1831, il donne la description et la figure d’un gastéropode buccinoïde, le magillus antiquus, mollusque dont, jusqu’à présent, la coquille seule avait été connue des naturalistes, qui la rapportaient à tort à la famille des gastéropodes tubuli-branches. Dans une seconde lettre, écrite du même lieu, en mars 1832, le voyageur annonce la découverte qu’il vient de faire des ruines de l’ancienne Adulis, ville dont la position précise n’était pas connue des géographes modernes. Il envoie en même temps les descriptions et les figures d’un grand nombre d’animaux nouveaux, principalement de mollusques, les uns entièrement inconnus, et les autres dont on n’avait que la coquille.

Dans le nombre des animaux qu’il décrit, on remarque deux grands mammifères : l’un d’eux, qui porte en Abyssinie le nom de beila, paraît être l’oryx des anciens ; il semble différer en quelques points de l’antilope oryx du cap de Bonne-Espérance. L’autre est une nouvelle espèce de dugon qui habite la mer Rouge ; elle se distingue très nettement de l’espèce des Indes : M. Ruppel la désigne sous le nom d’halicore tabernaculi, parce qu’il pense que c’est de la peau de ces animaux que les Israélites se servaient pour recouvrir le tabernacle.

M. Arago présente un fragment de roche, recueilli sur le sommet du Canigou, fragment sur lequel on aperçoit une couche vitreuse qui paraît avoir été produite par un coup de foudre.

M. Geoffroy Saint-Hilaire dépose sur le bureau un mémoire de M. Dutrochet, sur le pouvoir d’endosmose, considéré comparativement dans quelques liquides organiques. Il résulte des recherches exposées dans ce mémoire que des solutions à égale densité de sucre et de gomme arabique, de gélatine et d’albumine, jouissent à des degrés très différens du pouvoir d’endosmose, les rapports d’énergie sont exprimés par les nombres suivans :


Eau gommée 
5,17
Eau sucrée 
11
Eau gélatineuse 
3
Eau albumineuse 
12


« Mes expériences, dit M. Dutrochet, ont prouvé que l’endosmose est une des principales actions vitales des végétaux ; il est bien probable qu’il en est de même chez les animaux. On sera porté à le penser en voyant que chez ces derniers la vitalité est extrême dans les organes essentiellement albumineux (l’encéphale et les nerfs), et qu’elle est faible et obscure dans les organes essentiellement gélatineux (les os, les cartilages, les tendons, les organes fibreux). Quant à la peau, qui est en grande partie gélatineuse, elle doit sa vitalité prononcée aux nerfs, c’est-à-dire aux organes albumineux qui dans elle sont associés organiquement aux parties de nature gélatineuse.

M. Duméril fait, en son nom et celui de M. Serres, un rapport très favorable sur trois mémoires de M. Breschet, relatifs à l’organe de l’ouïe chez les poissons. L’Académie, conformément aux conclusions du rapport, ordonne l’impression du travail de M. Breschet dans le Recueil des savans étrangers.

M. Hachette fait une communication relative à la décomposition de l’eau, par l’influence instantanée de courans électriques au moyen de l’appareil en fer à cheval de M. Pixü. Il résulte de cette expérience que, pour obtenir la décomposition de l’eau, il n’est pas nécessaire, comme on le croyait jusqu’à présent, que l’action des deux électricités, positive et négative, soit simultanée, et que le même effet est produit également par l’action successive, mais très rapprochée de ces deux électricités.

M. Breschet lit un extrait de trois mémoires sur les diverses espèces d’anévrismes et sur la méthode à suivre dans le traitement de l’anévrisme variqueux.

M. Broussais, qui, de même que M. Breschet, se présente pour la place vacante dans la section de médecine, par suite de la mort de M. Portal, a ensuite la parole et lit un long discours sur la philosophie de la médecine. Cette lecture se prolonge beaucoup au-delà de l’heure marquée pour la fin de la séance.

Séance du 15 octobre. — Le ministre de la marine annonce que la collection des objets d’histoire naturelle recueillis par M. Eydoux, chirurgien-major de la corvette la Favorite, pendant les années 1830, 1831 et 1832, vient d’être déposée au Muséum conformément à l’ordre qu’il en avait donné. Il exprime le desir que cette collection soit l’objet d’un rapport de l’Académie, comme l’ont été précédemment celles rapportées par la Coquille et par l’Astrolabe. MM. de Blainville, Brochant, Brongniard, Cordier et Geoffroy Saint-Hilaire sont nommés commissaires.

M. Persoz adresse des échantillons de substances colorantes extraites de diverses matières tinctoriales par un même procédé. Ce procédé repose sur une propriété commune que l’auteur a reconnue dans toutes les substances colorantes qu’il a eu occasion d’étudier. Un paquet cacheté joint à cet envoi contient l’exposition de cette découverte et la description du procédé opératoire auquel elle a conduit.

M. de Humboldt adresse de Berlin l’extrait d’une lettre qu’il a reçue de son ancien compagnon de voyage, M. Bonpland, correspondant de l’institut. Dans cette lettre qui est écrite de Buenos-Ayres, en date du 10 juin 1832, l’infatigable naturaliste annonce que ses collections du Paraguay et des missions portugaises sont en sûreté. Il ne paraît pas que son retour soit encore très prochain. Son ardeur pour les travaux scientifiques n’a été nullement ralentie par sa longue détention, et avant de quitter le Nouveau-Monde, il désire recueillir de nouveaux échantillons qui puissent remplacer ce qu’il a perdu.

Le consul général de France à Buenos-Ayres a reçu du ministre des affaires étrangères les ordres nécessaires pour faciliter le retour en France de M. Bonpland.

M. Geoffroy Saint-Hilaire présente un travail manuscrit sur les mollusques de feu M. Mayranx. Ce mémoire est accompagné de nombreuses figures.

M. Duméril fait un rapport verbal sur deux ouvrages imprimés de M. Orfila, candidat pour la place vacante dans la section de médecine. L’un de ces ouvrages forme un troisième tome ajouté à la dernière édition de la Médecine légale. L’auteur y fait l’histoire complète des substances vénéneuses qu’il rapporte à quatre classes distinctes : poisons irritans ou corrosifs, narcotiques, narcotico-âcres et sceptiques. Il fait connaître plusieurs procédés nouveaux à l’aide desquels il parvient à manifester la présence de certains poisons mêlés à des liquides, à des humeurs animales, ou mélangés avec d’autres substances propres à en altérer la couleur et les apparences. Dans le second ouvrage, qui est un traité des exhumations juridiques, M. Orfila prouve que même après plusieurs années on peut retrouver dans les restes des cadavres les traces de l’empoisonnement, lorsque les substances vénéneuses appartenaient au règne minéral, et qu’on le peut également pour un certain nombre de poisons végétaux. Les changemens physiques qu’éprouvent les cadavres, suivant qu’ils ont séjourné dans la terre, dans l’eau, dans des fosses ou sous le fumier, sont exposés dans ce livre d’une manière très complète.

L’Académie entend la lecture d’un rapport de M. Costaz sur les diverses pièces envoyées pour le concours au prix de statistique fondé par M. de Montyon. La commission propose de décerner le prix à l’ouvrage intitulé Topographie de tous les vignobles connus, par M. Jullien, et de mentionner honorablement : 1o les travaux de M. Laurens, continués depuis près de trente ans pour le perfectionnement de la statistique du département du Doubs ; 2o un mémoire de M. Grognier, professeur à l’école vétérinaire de Lyon, sur le bétail de la haute Auvergne et particulièrement sur la race bovine de Salers ; 3o deux précis statistiques relatifs aux cantons de Froissy et d’Estrées Saint-Denis, dont l’auteur ne s’est pas fait connaître.

M. Double, candidat pour la place devenue vacante par le décès de M. Portal, lit un mémoire sur l’influence du système nerveux dans la production et le développement des maladies.

Séance du 22 octobre. — M. Boussingault adresse à l’Académie une lettre relative à l’examen chimique des eaux du Rio-Vinagre (rivière vinaigre). Ce cours d’eau prend sa source dans une chaîne de montagnes très élevées, voisine de Popayan (ville de l’Amérique du Sud) ; après un cours souterrain de plusieurs milles, il se montre à découvert et forme une cascade magnifique de plus de 300 pieds de hauteur. Au-dessous de ce point, on peut approcher, quoique difficilement, des bords de la rivière, mais il est impossible d’y rester long-temps à cause d’une pluie très fine d’eau acide qui irrite fortement les yeux.

Les substances étrangères contenues dans l’eau prise au pied de la cascade sont :


Acide sulfurique 
0,00110
Acide hydrochlorique 
0,00091
Alumine 
0,00040
Chaux 
0,00013
Soude 
0,00012
Silice 
0,00023
Oxide de fer et de magnésie 
des traces.


On juge bien que les poissons ne sauraient vivre dans une eau aussi acide. Aussi on n’en trouve point, non-seulement dans le Rio-Vinagre, mais même dans le Cauca, plusieurs lieues au-dessous du point de jonction des deux rivières, quoique le volume d’eau de cette dernière rivière soit très grand comparativement à celui de l’autre.

M. Cauchy dépose une note sur les moyens de prévenir le versement des voitures publiques. Le moyen que propose l’honorable académicien consiste à placer les bagages sur une voiture différente de celle qui doit transporter les voyageurs.

M. Dupuytren fait, au nom d’une commission composée de plusieurs membres des sections de médecine et de mécanique, un rapport sur les pièces envoyées au concours pour le prix qui devait être donné à la meilleure solution de la question suivante : « Déterminer, par une suite de faits et d’expériences authentiques, quels sont les avantages et les inconvéniens des moyens mécaniques et gymnastiques appliqués à la cure des difformités du système osseux. » L’esprit et le but de cette question, dit le rapporteur, ont été méconnus par la presque totalité des concurrens ; leurs mémoires s’éloignent tellement de la question par le titre, le fond et la forme, qu’ils semblent avoir été composés dans un autre but et pour une autre occasion. Quelques mémoires pourtant présentent des parties bien traitées, et font espérer que plus tard les auteurs pourront donner sur le même sujet quelque chose de pleinement satisfaisant. La commission, en conséquence, tout en déclarant que cette année il n’y a pas lieu à décerner le prix, propose de remettre la question au concours pour l’an prochain, et de porter la valeur du prix de 6000 à 10,000 francs.

M. Clément Désormes lit un mémoire sur les perfectionnemens à apporter au procédé employé en Allemagne pour l’extraction du sel gemme après sa dissolution au fond des mines.

On a trouvé, depuis quelques années, dans plusieurs parties de la France et de l’Allemagne, des mines de sel dont les produits auraient pu, sans aucune purification, être employés dans les usages domestiques, si les habitans, accoutumés de temps immémorial à un sel très blanc produit par l’évaporation des eaux des sources salées, ne se fussent opiniâtrement refusés à se servir du sel gemme qu’on leur offrait à bien meilleur marché. Pour satisfaire à ce préjugé, il a donc fallu dissoudre le sel gemme, afin d’obtenir par l’évaporation un sel semblable à celui auquel les gens étaient accoutumés. Or, on a remarqué qu’au lieu d’extraire le sel par bloc pour le briser une fois qu’il était arrivé à la surface, et le dissoudre dans l’eau, il y avait une grande économie à opérer la dissolution au fond de la mine en introduisant l’eau par un trou de sonde, puis à retirer, au moyen d’une pompe, cette eau saturée. Les pompes dont on fait usage en Allemagne sont des pompes foulantes dont l’effet utile est assez petit, et qui, lorsqu’elles se détériorent, nécessitent des réparations longues et dispendieuses. M. Clément propose d’y substituer des pompes foulantes placées à la surface du sol et entre dans le détail des dispositions qu’il conviendrait de donner aux diverses parties de cet appareil. M. Clément fait observer que la dépense d’un trou de sonde garni de sa pompe et de son moteur, dans le procédé usité en Allemagne, coûte, à deux cent cinquante mètres de profondeur, environ 40,000 fr., et que la dépense d’un trou de sonde, tel qu’il le propose, avec son fourreau en tuyaux de fer forgé, et de sa pompe foulante ne coûterait guère que 50,000 fr., et fournirait autant que cinq autres pompes, de sorte que la dépense d’extraction serait réduite au quart.

M. Chevreul fait, en son nom et celui d’une commission, composée de MM. Duméril, Magendie, Dupuytren et Serres, un rapport sur le mémoire dans lequel MM. Kurtz et Manuel proposaient l’usage du sulfate de potasse comme préservatif du choléra. Cette proposition repose, dit le rapporteur, sur des vues tout-à-fait hypothétiques, et l’Académie ne saurait y donner son approbation.

Séance du 29 octobre. — M. Duhamel adresse un mémoire ayant pour titre : De la perte de force vive qu’éprouve un système dans lequel il s’opère des changemens brusques de vitesse.

L’Académie reçoit la septième livraison de la Flore de Sénégambie. Cette livraison semble encore plus riche que les précédentes en plantes remarquables par leur nouveauté et par la singularité de leur organisation.

M. Warden présente différens ouvrages publiés aux États-Unis, et donne des détails sur un fait propre à attester les progrès qu’a faits dans ce pays la navigation par la vapeur. Le Champlain, bateau à vapeur, nouvellement construit et commandé par M. Gorham, a parcouru en neuf heures quarante-neuf minutes une distance de cent soixante milles, de New-York à Albany. Dans ce trajet, le bâtiment s’est arrêté quatorze fois, ce qui a employé une heure trente-six minutes : il reste donc pour le temps réel de la marche huit heures treize minutes, ce qui fait une vitesse d’environ vingt milles par heure.

M. Arago annonce que M. Valz de Nîmes a aperçu pour la première fois, dans la nuit du 19 au 20 octobre, la comète à période de six ans sept dixièmes, et que M. Gambard l’a vue à-peu-près en même temps à Marseille.

L’Académie procède à l’élection d’un nouveau membre pour la place devenue vacante dans la section de médecine, par la mort de M. Portal. Le nombre des votans est de cinquante. Au second tour de scrutin, M. Double obtient vingt-six voix, M. Breschet vingt-quatre. Le premier, ayant obtenu la majorité absolue, est déclaré élu.

M. Chevreul fait, en son nom et celui de MM. Deyeux et Thénard, un rapport sur un procédé proposé par M. Célestin Lhomme, pour la purification des laines venant de pays suspects. Ce procédé repose sur des idées hypothétiques touchant l’organisation des laines et la manière dont elles absorbent les miasmes ; aussi, sans rejeter absolument comme mauvais le moyen qu’il indique, on doit reconnaître qu’il n’y a jusqu’à présent aucun motif de croire à son efficacité.

M. Pelletier lit des recherches sur la composition élémentaire de plusieurs principes immédiats des végétaux. Les principes qu’il examine sont : 1o l’aricine, base salifiable extraite d’une écorce trouvée dans des ballots de quinquina jaune, et qui d’ailleurs, quant à l’apparence, ne différait en rien de celui-ci : M. Pelletier pense que l’aricine, la cinchonine et la quinine ne sont que trois degrés d’oxidation d’une même substance ; 2o l’acide ambreïque, l’ambreïne et la cholesserine : suivant l’auteur, ces deux dernières substances ne diffèrent que par la proportion d’hydrogène, l’ambreïne en contenant un peu davantage ; 3o l’acide anchusique, qu’il a découvert en 1818 dans la racine d’orcanette, anchusa tinctoria ; 4o la santaline, matière colorante du santal rouge ; 5o la carmine, principe colorant de la cochenille, découverte en 1818 par MM. Pelletier et Caventou ; 6o la chlorophile, substance à laquelle paraît être due la couleur des feuilles et des jeunes tiges des végétaux : M. Pelletier a constaté que ce n’est pas, comme on le supposait, un principe végétal, mais un mélange de plusieurs substances, entre autres de cire et d’une huile verte ; 7o l’olivile, principe immédiat existant dans un suc concret qui exsude du tronc des oliviers dans le midi de l’Italie ; 8o la sarcocoline, que l’auteur considère avec Thomson, à qui la découverte en est due, comme un principe immédiat, quoique beaucoup de chimistes aujourd’hui pensent le contraire ; 9o le piperin, substance cristalline particulière qui existe dans les fruits de divers poivriers. Oerstedt, qui en a fait la découverte, le regardait à tort comme une base salifiable.

Séance du 5 novembre. — M. Flourens, rapporteur de la commission chargée d’examiner les pièces envoyées au concours pour le prix de physiologie expérimentale, propose, au nom de cette commission, de déclarer qu’il n’y a pas lieu à décerner le prix cette année, mais que des médailles seront accordées à titre d’encouragement, 1o à M. Carus, pour son ouvrage sur le mouvement du sang dans les larves de certains insectes névroptères ; 2o à M. Muller, pour ses recherches sur la structure des glandes sécrétoires ; 3o à M. Ehrenberg, pour son ouvrage sur l’organisation et la distribution systématique et géographique des animaux infusoires ; 4o à MM. Delpech et Coste, pour leurs recherches anatomiques sur l’évolution des embryons ; 5o à M. Lauth, pour son anatomie du testicule humain ; 6o à M. Martin-Saint-Ange, pour ses recherches sur la circulation du sang dans l’embryon et le foetus de l’homme.

Sur une réclamation de M. de Mirbel, l’Académie décide que dorénavant des membres de la section de botanique feront partie de la commission pour le prix de physiologie expérimentale, afin que les travaux sur la physiologie végétale puissent être également appréciés et récompensés, s’il y a lieu.

M. Thénard déclare, au nom de la commission dont il fait partie, que les substances colorantes, envoyées par M. Persoz et préparées par un procédé que l’auteur n’a pas encore rendu public, ont bien soutenu les essais auxquels on les a soumises, et qu’elles donnent aux étoffes sur lesquelles on les applique, une couleur brillante, pure et très solide.

M. Becquerel fait, en son nom et celui de M. Gay-Lussac, un rapport sur les deux premières parties d’un travail de M. Gaudin, ayant pour titre : Recherches sur la structure intime des corps inorganiques et considérations générales sur le rôle que jouent leurs dernières particules dans les principaux phénomènes de la nature, tels que la conductibilité de l’électricité et de la chaleur, le magnétisme, la réfraction simple ou double et la polarisation de la lumière.

Ces mémoires, disent les commissaires en terminant leur rapport, renferment des idées ingénieuses qui sont assez en rapport avec l’état de nos connaissances en cristallographie, et qui sont présentées d’une manière très claire. Nous proposons en conséquence que l’Académie engage l’auteur à continuer des recherches qui offrent déjà de l’intérêt, mais sur le mérite desquelles on ne pourra prononcer en définitive que lorsque le travail sera plus complet, et que la découverte de faits nouveaux sera venue appuyer des résultats théoriques qui jusqu’à présent ne doivent être considérés que comme des conjectures probables.

Séance du 12 novembre 1832. — M. Duhamel communique à l’Académie les équations auxquelles il est parvenu en se proposant la solution de la question suivante : « Étant donné un corps élastique homogène, de figure quelconque, lorsque les températures de tous ses points sont les mêmes, trouver les conditions générales de l’équilibre ou du mouvement de chacune des molécules de ce corps, quand on y appliquera des forces quelconques, et que les températures auront varié de quantités arbitraires. »

La société industrielle de Mulhausen fait hommage à l’Académie de la collection complète de ses Mémoires. Elle adresse en même temps pour le concours Montyon la septième livraison de sa Statistique, et annonce comme prochain l’envoi des numéros suivans.

M. Dausse, ingénieur des ponts-et-chaussées à Montargis, adresse un mémoire sur les variations de niveau d’un certain nombre de rivières, dont il a pu se procurer les hauteurs quotidiennes.

M. Matthieu fait un rapport favorable sur les cartes et tableaux de géographie pour l’enseignement élémentaire, présentés par MM. Meissas et Michelot. Il mentionne en particulier très favorablement leurs cartes noires vernies, dont le prix est de beaucoup inférieur à celui des autres cartes de ce genre qu’on avait fabriquées jusqu’à présent.

Le président annonce la mort de M. Scarpa, un des huit associés étrangers de l’Académie des sciences ; celle de M. Leslie, correspondant dans la section de physique générale, et celle du général Marescot, correspondant national dans la section de mécanique. La mort de M. le vice-amiral Rosily-Mesros, académicien libre, est également annoncée.

M. Biot commence la lecture d’un mémoire destiné à faire connaître un moyen de rendre sensible le phénomène de la polarisation circulaire, dans le cas où il a trop peu d’intensité pour être reconnu par le procédé ordinaire d’observation, et une application de cette propriété optique à l’analyse chimique.

Plusieurs des commissions chargées de décerner les prix pour l’année 1832, font leur rapport à ce sujet.

Pour le grand prix de mathématiques, la question qui était relative à la résistance des fluides n’a été cette année l’objet d’aucun travail adressé à l’Académie. Comme cette question avait été déjà présentée sans plus de succès les deux années précédentes, la commission propose qu’elle soit retirée cette fois, et qu’un nouveau sujet de prix soit désigné. La proposition est adoptée.

Pour le prix de physique, la question relative à la formation de la grêle était présentée pour la seconde fois. Aucun des mémoires envoyés n’a paru mériter le prix ; cependant comme plusieurs d’entre eux renferment des recherches bien faites, et que les auteurs pourront compléter plus tard ; comme d’ailleurs on sait que plusieurs physiciens distingués avaient sur ce sujet des travaux qui n’ont pu être présentés en temps opportun, la commission propose que la même question soit remise au concours pour la troisième et dernière fois. L’Académie adopte la proposition.

Pour le sujet du prix de médecine, l’Académie avait posé la question suivante : Déterminer quelles sont les altérations physiques et chimiques des organes et des fluides, dans les maladies désignées sous le nom de fièvres continues, et quels sont les rapports qui existent entre les symptômes de ces maladies et les altérations observées. Insister sur les vues thérapeutiques qui se déduisent de ces rapports. »

De deux mémoires qui ont été envoyés au concours, l’un mérite peu d’attention, l’autre, au contraire, est évidemment d’un médecin fort instruit, et la commission n’eût pas balancé à lui accorder un encouragement, si elle n’eût pensé que l’auteur, en reproduisant à un prochain concours son travail amélioré, se sera rendu tout-à-fait digne du prix. Toutefois la commission, considérant qu’il est rare de trouver réunies dans une même personne des connaissances assez approfondies en médecine et en chimie, pour résoudre complètement les deux parties dont se compose la question ; convaincue néanmoins de l’importance de chacune de ces parties, propose d’en faire deux questions séparées.

1o Déterminer quelles sont les altérations des organes dans les maladies désignées sous le nom de fièvres continues ; quels sont les rapports qui existent entre les symptômes de ces maladies et les altérations observées ; insister sur les vues thérapeutiques qui se déduisent de ces rapports.

2o Déterminer quelles sont les altérations physiques et chimiques des solides et des liquides dans les maladies désignées sous le nom de fièvres continues.

Ainsi, il y a maintenant deux prix proposés, au lieu d’un.

Séance du 19 novembre. — La commission chargée de déterminer quels sont les travaux de médecine et de chirurgie qui ont des droits cette année aux prix fondés par M. de Montyon, propose d’accorder : 1o une somme de 1,500 francs à M. Rousseau pour les expériences qu’il a faites sur l’efficacité de la feuille de houx dans les fièvres intermittentes ; 2o une somme égale à M. Lecanu pour ses recherches chimiques sur le sang ; 3o une somme égale à M. Parent-Duchâtelet pour les expériences qu’il a tentées, afin de savoir jusqu’à quel point le rouissage du chanvre est funeste à la santé ; 4o 4,000 francs à M. Mannec pour son Traité théorique et pratique de la ligature des artères ; 5o 2,000 francs à M. Bennati pour ses recherches physiologiques sur les modifications produites dans la voix par l’action des organes situés au-dessus du larynx ; 6o 4,000 francs à M. Deleau pour un nouveau moyen de son invention, applicable au diagnostic et au traitement des maladies de l’oreille ; 7o 1,500 fr. à M. Mérat, pour avoir concouru à faire connaître en France et à propager l’emploi de l’écorce de grenadier contre le tœnia ; 8o 1,500 francs à M. Villermé pour ses recherches sur la durée comparative de la vie, le développement de la taille de l’homme et sur la fréquence des maladies dans les deux conditions opposées d’aisance et de pauvreté.

Ces propositions sont adoptées.

La commission chargée de désigner les travaux d’astronomie qui ont droit au prix d’astronomie fondé par Delalande propose d’accorder : 1o une médaille de 300 francs à M. Gambard, de Marseille, pour la découverte d’une nouvelle comète ; 2o une médaille de même valeur à M. Valz, de Nîmes, pour les recherches dont l’astronomie lui est redevable sur les diminutions de volume que les nébulosités cométaires éprouvent à mesure qu’elles s’approchent du soleil.

L’Académie reçoit l’annonce de la mort de M. Tedenat, un de ses correspondans pour la section de géométrie.

La lecture de plusieurs pièces de la correspondance, fort longues et fort insignifiantes, donne occasion à M. Arago de proposer l’adoption d’une mesure dont il avait déjà plusieurs fois suggéré l’opportunité : savoir, que les secrétaires perpétuels fussent autorisés à faire connaître seulement par extrait toute la partie de la correspondance qui ne paraîtrait pas offrir un grand intérêt. (Cette proposition, discutée en comité secret à la fin de la séance, a été adoptée.)

La commission chargée de décerner, cette année, le prix fondé par M. de Montyon, pour celui qui aura rendu un art ou un métier moins insalubre, propose que ce prix soit accordé à Israël Robinet, ouvrier dans la cristallerie de Baccarat, pour l’invention d’un appareil destiné au soufflage du verre, appareil dont l’action supplée parfaitement à celle des poumons de l’homme, pour les pièces simplement soufflées, et lui est fort supérieure pour les pièces qui sont soumises au moulage. La commission avait proposé un prix de 4,000 francs. L’Académie, considérant l’invention sous le rapport de sa double utilité hygiénique et industrielle, décide que la somme sera portée à 8,000 francs.

Quant au prix de mécanique, également fondé par M. de Montyon, prix dont l’objet est l’invention ou le perfectionnement des instrumens utiles aux progrès de l’agriculture, des arts mécaniques et des sciences, la commission juge qu’aucune des inventions présentées cette année ne doit obtenir le prix ; mais elle accorde, à titre d’encouragement, deux médailles d’or de la valeur de 300 francs, l’une à M. Thilorier, pour sa nouvelle pompe à faire le vide, fonctionnant sans le secours d’aucune pièce mobile ; l’autre à M. Pixii fils, pour les dispositions ingénieuses qu’il a introduites dans les appareils électriques.

M. Dumas fait, en son nom et celui de M. Chevreul, un rapport sur un mémoire de M. Lassaigne, relatif aux iodures de platine. Ces combinaisons ont été réalisées pour la première fois par M. Lassaigne, qui, dans un premier mémoire, dont celui-ci est une continuation, a indiqué les moyens de les obtenir. L’auteur, dans son nouveau travail, a examiné, 1o l’iodure de platine correspondant au protoxide, 2o l’iodure de platine correspondant au bioxide, 3o une combinaison de l’acide hydriodique avec le bioxide de platine. L’Académie, conformément aux conclusions du rapport, ordonne l’impression du mémoire de M. Lassaigne dans le Recueil des savans étrangers

M. Dumas fait un rapport verbal favorable sur un ouvrage de M. Regnier Delisle, relatif au mauvais air.

Séance publique du 26 novembre. — La séance annuelle a été, suivant l’usage, consacrée à la distribution des prix et à l’éloge historique d’académiciens morts. Nous avons, en rendant compte, dans les précédentes séances, des rapports des différentes commissions, fait connaître les noms des auteurs dont les travaux ont été jugés dignes de prix ou d’encouragement, et nous n’y reviendrons pas maintenant. Quant aux deux discours qui ont été prononcés, l’un l’éloge historique du docteur Young par M. Arago ; l’autre, celui de M. De Lamarck par feu M. Cuvier, leur étendue ne permet pas que nous les reproduisions ici, et nous craindrions, en n’en présentant que de courts extraits, d’en donner une idée trop imparfaite.

Séance du 3 décembre.M. Geoffroy Saint-Hilaire dépose une notice sur des collections scientifiques, récemment formées par des officiers de la marine royale. L’une de ces collections est due aux soins de M. le capitaine d’artillerie Sganzin, qui, mettant à profit un séjour d’une année à l’île de Madagascar, où il avait dans l’établissement français un commandement supérieur, a entrepris cette collection sous le double point de vue géologique et zoologique. Outre les recherches qu’il faisait personnellement, il avait formé, parmi les naturels, plusieurs collecteurs. L’un allait à la chasse des oiseaux et des mammifères, et puis en préparait lui-même les dépouilles, un autre s’occupait spécialement de recueillir des insectes ; un troisième était chargé de procurer les mollusques et spécialement les espèces fluviatiles et terrestres ; enfin un habile pêcheur fournissait les poissons et les préparait d’après les procédés reconnus comme les plus efficaces pour leur conservation. M. Sganzin, placé au centre de ces recherches, consignait à mesure dans un registre toutes les observations relatives aux objets qui lui étaient apportés, de sorte que son livre offre une foule d’utiles renseignemens sur les circonstances dans lesquelles ont été trouvées les espèces les plus remarquables, sur les localités qu’elles habitent, et sur la couleur ou la forme des parties susceptibles de s’altérer. M. Sganzin a mis à la disposition du Muséum d’histoire naturelle tous les objets qui pourraient servir à compléter la grande collection nationale. Il les a donnés sans vouloir accepter aucune compensation, et de plus, il a pris l’engagement de donner à l’avenir tout ce qu’il recevrait d’intéressant de cette contrée, où les Malgaches qu’il a formés aux manipulations de l’histoire naturelle continuent encore à récolter pour lui et à ses frais.

La seconde collection, non moins intéressante, a été formée par les officiers de santé de la corvette la Favorite, et surtout par le chirurgien-major M. Eydoux, dans un voyage de circum-navigation. Le chemin parcouru pendant les dix années qu’a duré le voyage, est très considérable, de sorte que le bâtiment a le plus souvent tenu la mer, et que les objets recueillis le plus abondamment sont ceux qui ont été obtenus par la pêche. Les principales stations ont eu lieu à Tourane, capitale de la Cochinchine, à Hobart-Town, résidence anglaise dans l’île de Diémen (autrefois dite Van-Diemen), à Port-Jackson, à Valparaiso dans le Chili, et à Rio-Janeiro.

Un sujet qui a fixé l’attention de M. Eydoux est la distinction des races humaines : il a rapporté des crânes de Canton, de la côte de Coromandel, de l’île de Diemen, etc, Dans cette île, les femmes, dans l’intention de communiquer à l’enfant renfermé dans leur sein le courage des chefs morts en combattant, portent sur leur ventre nu le crâne d’un guerrier renommé ; elles l’y fixent à l’aide de lanières de peau de kangourou passées dans les arcades zygomatiques qui servent comme d’anses de panier. Les parties saillantes de la base du crâne, dans une tête qui avait servi à cet usage et qui fait maintenant partie de la collection, sont polies par leur frottement contre la peau.

Les crânes des Diémois sont d’une conformation très singulière. L’os frontal est bombé comme à l’ordinaire, mais les pariétaux offrent de chaque côté une dépression très forte, ce qui donne beaucoup de saillie à toute la partie médiane, et n’empêche pas d’ailleurs que les bosses pariétales ne soient très prononcées. La doctrine de Gall déduirait de ces données beaucoup d’entêtement et de circonspection chez les Diémois ; elle se tait sur les régions que nous venons de dire, déprimées, mais le docteur Spurzheim a rempli ce vide, et d’après son système, les penchans que la nature aurait refusés aux Diémois, seraient ceux de la justice et de l’espérance.

Dans le nombre des animaux rapportés par la Favorite, plusieurs sont tout-à-fait nouveaux : tels sont une civette de la Cochinchine, que sa taille, ses formes et la disposition de ses couleurs feraient prendre pour une genette ; un crocodile qui formera un nouveau sous-genre ; un toucan de la province des Mines au Brésil, dont le bec est régulièrement dentelé, et dont les plumes du cou et de la tête se terminent par de larges plaques ; enfin, deux chauves-souris, dont une appartient au genre rhinolophe ; l’autre, à un genre qu’il faudra déterminer. On reconnaîtra aussi probablement comme espèce nouvelle, un ornithorynque de très grande taille. Outre les espèces entièrement nouvelles, la collection contient de beaux et nombreux échantillons des animaux les plus curieux de l’Australasie, conservés la plupart dans l’esprit-de-vin et très propres à servir aux recherches des anatomistes.

M. Girard fait un rapport verbal très favorable sur un mémoire de M. Huerne de Pommeuse, relatif à l’établissement en France de colonies agricoles, semblables à celles qui ont été formées dans les Pays-Bas.

M. Auguste Saint-Hilaire fait un rapport verbal sur un ouvrage écrit en portugais, les Annales de la province de San-Pedro, par Jose Feliciano Fernandes Pinheiro, ancien ministre d’état de l’empire du Brésil.

La province de Rio-Grande-do-Sul est située entre le 28° 53′ et 33° lat. S. Elle présente la forme d’un trapèze, et comprend une surface d’environ 8,230 lieues carrées. La chaîne de montagnes qui, dans une très grande partie du Brésil, se prolonge parallèlement à la mer, s’en éloigne brusquement dans la province de Rio-Grande en se dirigeant au sud, et partage la province en deux parties fort inégales. Cette chaîne, qui est si basse dans plusieurs points qu’on pourrait presque la passer sans se douter de son existence, forme la ligne de partage entre les affluens de l’Uruguay et ces rivières dont la réunion forme l’immense lac dos Pathos. Une sorte de canal naturel unit ce lac à celui de Merim, et tous les deux ensemble n’offrent guère moins de 80 lieues de longueur. D’autres lacs au nord de celui dos Pathos se prolongent parallèlement à la mer, et offrent les moyens d’établir, sans beaucoup de frais, une longue ligne de navigation intérieure, si jamais l’accroissement de la population et l’activité du commerce en font sentir la nécessité.

Le climat de Rio-Grande est agréable, quoique dans l’été il y ait de fortes chaleurs, et que dans l’hiver, qui est de trois mois, le thermomètre descende quelquefois à zéro, et il est aussi fort sain, les vents qui y règnent sans cesse balayant les miasmes qui s’élèvent des lagunes ou des rivières. La nature du sol varie suivant les lieux. Les plaines voisines de la mer n’offrent qu’une croûte peu épaisse qui, trop souvent enfoncée par les hommes et les bestiaux, laisse échapper un sable fin et mobile ; mais dans l’intérieur, la couche de terre végétale est plus épaisse et propre à des cultures très diverses. Les parties septentrionales de la province, lorsque le terrain n’est pas trop élevé, produisent du coton, du sucre, du manioc ; et du côté du midi, on peut avec succès cultiver le froment et tous les fruits d’Europe. Des bois couvrent les hauteurs qui s’élèvent vers le nord ; au midi s’étendent sur une surface immense des pâturages naturels où vivent d’innombrables bestiaux. Le propriétaire qui ne possède que 500 bêtes à cornes, dit M. Auguste Saint-Hilaire, est considéré comme pauvre, et j’ai connu un propriétaire qui, sur son terrain, en avait, à ce qu’on assurait, 40,000.

« Ici, ajoute-t-il, les troupeaux n’exigent presque aucun soin, et dans une grande partie de la province on n’est pas même obligé, pour entretenir les forces du bétail, de lui donner des rations de sel, comme j’ai dit ailleurs qu’on était forcé de le faire à Minas Geraes, et comme M. Roulin a reconnu que cela se pratiquait dans la Colombie. On peut, sur tout ce qui concerne le bétail de la province de Rio-Grande, consulter avec fruit le dernier chapitre du livre de M. Pinheiro. »

Sur les 8,230 lieues carrées que présente cette province, en y comprenant les anciennes missions de l’Uruguay, vivent environ 70,000 individus, dont 20,000 esclaves et 8,000 Indiens. Jusqu’à présent on n’y compte que trois villes, la plus grande partie de la population étant dispersée dans des villages et surtout dans les domaines ruraux désignés sous le nom d’Estancias. Le littoral, comme on pouvait le prévoir, est beaucoup plus peuplé que les parties de la province reculées vers l’occident ; il est même sur les bords de l’Uruguay de vastes territoires entièrement déserts.

En grande partie habitées par des Européens et par des négocians de Bahia et de Rio de Janeiro, les villes ne donneraient qu’une idée imparfaite des mœurs propres à la province de Rio-Grande. C’est dans les campagnes qu’il faut aller les observer, et dans les campagnes même il n’y a point homogénéité parfaite. Les cultivateurs qui vivent auprès des villes ont dû nécessairement emprunter quelque chose aux habitudes des citadins ; ceux au contraire qui ont leur demeure loin de la côte, qui souvent communiquent avec les Indiens et ont pris part à toute la licence d’une longue guerre de parti, doivent être plus ignorans que les autres et encore plus éloignés d’une véritable civilisation.

« Les habitans des campagnes de Rio-Grande, dit M. Auguste Saint-Hilaire, sont certainement très supérieurs à ces grossiers gauchos si bien peints par d’Azzara ; ils le sont même, il faut le dire, aux propriétaires aisés de la province cisplatine. Il y a quelque chose dans leurs manières qui rappelle d’une part notre bon fermier de la Beauce, et de l’autre le Bédouin ou le Tartare. Bien fait, robuste, brillant des couleurs de la santé, l’habitant de Rio-Grande n’est heureux que sur son cheval, il n’est heureux que lorsqu’il lance la boule ou le lacet contre une génisse sauvage ou un cheval fugitif, quand il châtre un taureau ; que, poussant des cris, il réunit ses troupeaux immenses, surtout lorsqu’il dépèce la vache qu’il vient d’égorger, et qu’il fixe ses regards sur les succulens morceaux dont il va faire un sauvage repas ; il ne veut point d’autres connaissances que celles qui appartiennent à sa profession de chasseur de bétail.

« Il a de la sagacité et de l’intelligence, mais il ne se fatigue point à les exercer ; l’autorité militaire est la seule qu’il se plaise à reconnaître. L’appareil des lois excite son mépris, et il aimerait mieux être mal jugé par son général, et l’être promptement, que de passer par de longues formalités pour arriver à un jugement équitable. Il se résigne au despotisme du milicien ou garde national qui se présente chez lui en uniforme pour lui enlever ses chevaux et son bétail, mais il veut qu’on se soumette également à son autorité lorsqu’il aura à son tour revêtu son uniforme. Hospitalier, mais insouciant et peu sensible, il souffre ses maux avec patience et voit ceux d’autrui sans beaucoup de compassion. « Sur mon cheval, dit-il avec orgueil, je n’ai plus besoin de rien ; j’emporte de quoi me faire un lit au milieu du désert et un bateau pour passer les fleuves. Sans sabre ni fusil, j’ai des armes pour me rendre maître des bestiaux dont je veux me nourrir, et avec moi galope ma batterie de cuisine. » En effet, s’il veut dormir, il se couche sur le cuir qui, étant plié, formait la couverture de son cheval, et il appuie sa tête sur la selle étroite et légère qu’il appelle lombilho. Ce même cuir attaché aux quatre coins devient une pirogue ; son lacet et ses boules lui servent à réduire les bestiaux qu’il doit manger, et un bâton pointu, plus facile encore à transporter, lui tient lieu de broche.

« Que l’on me pardonne si, dans l’esquisse rapide que je viens de tracer, j’ai souvent substitué mes propres souvenirs aux récits de M. Pinheiro. Ce n’est pas que ceux-ci ne soient d’une grande exactitude ; mais il m’eût été difficile de les extraire méthodiquement sans leur ôter leur intérêt et les réduire à une sorte de catalogue. Je regrette que les bornes de ce rapport ne me permettent pas de suivre M. Pinheiro dans la peinture qu’il fait des anciennes missions de l’Uruguay. J’ai visité ce pays dont le plus habile de nos écrivains (M. de Chateaubriand) a célébré, avec autant de vérité que de charme, le bonheur trop promptement évanoui.

M. Pinheiro n’est pas seulement géographe, et c’est même à l’histoire de la province de Rio-Grande qu’il a principalement consacré ses recherches. M. Auguste Saint-Hilaire donne également une idée de cette partie de son ouvrage.

« Quelques religieux espagnols, dit-il, s’étaient à peine aventurés dans la province de Rio-Grande pour y catéchiser les Indiens, lorsqu’en 1715 cinq hommes blancs, envoyés par les autorités brésiliennes, se hasardèrent à traverser cette province. Bientôt des paulistes courageux offrirent au gouvernement d’ouvrir une communication entre leur pays et Rio-Grande, et en 1753 un commandant portugais prit, au nom de son souverain, possession du nord de la province. Des criminels condamnés à l’exil et des cultivateurs envoyés des Açores furent ses premiers habitans. On bâtit un fort vers la barre de Rio-Grande, point de communication du grand lac dos Pathos avec l’Océan. Quelques familles se réunirent dans cet endroit, et en 1747 Rio-Grande de San-Pedro-do-Sul fut érigé en ville. Pendant long-temps la province est le théâtre de la guerre entre l’Espagne et le Portugal pour l’insignifiante colonie du Saint-Sacrement. Suspendue un moment par le traité de 1750, cette guerre, qui n’avait eu d’autre résultat que la destruction d’une multitude d’Indiens civilisés, recommence de nouveau. La ville de Rio-Grande est prise par les Espagnols et bientôt reconquise par les Portugais.

« Cependant de nouveaux revers forcent le Portugal à accéder au traité désavantageux de 1777. Des commissaires furent nommés pour fixer les limites de la province de Rio-Grande, et c’est aux retards que l’astuce apporta dans cette opération qu’on est redevable des excellens ouvrages de don Félix d’Azzara, qui, s’il n’est pas toujours exact sur les faits historiques, l’est si parfaitement lorsqu’il décrit ce qu’il a vu lui-même.

« Pendant que les commissaires portugais et espagnols employaient toutes les ressources de leur esprit pour avancer ou reculer les limites de Rio-Grande, cette province, profitant de la paix, augmentait ses richesses, envoyait des grains par mer dans les différens ports du Brésil, et faisait passer par terre de nombreux troupeaux dans les provinces de Sainte-Catherine. Cet état de prospérité durait depuis plus de vingt ans, lorsque éclata la révolution française. L’Espagne et la France, devenues alliées, déclarèrent la guerre au Portugal, et presque aussitôt on se battit en Amérique. Les Portugais furent presque partout victorieux, et un simple soldat, déserteur amnistié à force de courage et de témérité, conquit avec quarante hommes les anciennes missions de l’Uruguay. Une paix nouvelle ayant assuré cette conquête, le gouvernement secondaire de Rio-Grande fut érigé en capitainerie générale, et le commerce recommença à y fleurir. Cependant de nouvelles hostilités ont recommencé depuis, mais ces derniers évènemens sont encore trop récens pour être jugés avec une parfaite impartialité, et M. Pinheiro s’abstient d’en parler.

« C’est à peine un rapide sommaire que je viens de tracer, dit l’honorable académicien ; mais quel admirable morceau d’histoire il serait possible de faire, si, par la peinture des lieux et des mœurs, on répandait de la vie et du mouvement sur le récit des faits dont la province de Rio-Grande a été le théâtre depuis un siècle ! Quel intérêt on pourrait donner à l’histoire de cette province, si l’on mettait en opposition le caractère de ces deux nations voisines et rivales qui, pour se déchirer, se rencontrent encore dans les déserts de l’Amérique ; si, au milieu d’elles, on faisait paraître ces Indiens, tantôt sauvages, tantôt civilisés, mais, sous toutes les formes, inférieurs à notre race, éternellement enfans, presque toujours victimes ; que l’on montrât ces paulistes, géans aventureux, qui, se jouant de tous les périls, franchissaient des déserts comme nous parcourons des pays pourvus de toutes les commodités de la vie, et qui non-seulement étaient poussés par la soif de l’or et la cruelle passion de la chasse aux Indiens, mais aussi, n’en doutons pas, par un amour romanesque pour le merveilleux et le désir de répandre quelque gloire sur leur pays et leurs familles !

« Combien il serait intéressant de voir les paisibles habitans des Açores déroutés dans leurs habitudes par les nouvelles influences qui les environnent, forcés peu à peu à y renoncer et conduits à adopter celle du Tartare ou du Bédouin, dont le modèle était pourtant si loin d’eux ! Quel charme pourrait avoir le récit de ces guerres toutes de stratagèmes, où nos règles deviennent inutiles, où le cri du vanneau a quelquefois trahi les plans les mieux concertés, où le soldat n’est point là seulement pour faire nombre, mais où il peut déployer toute sa valeur d’homme, celle de son intelligence et de sa force physique ! Ces combats si petits par le nombre des combattans, si grands par leur courage, formeraient un contraste avec le tableau des missions de l’Uruguay, oasis de paix et de bonheur, où se réalisèrent un instant les rêves qu’oserait à peine former l’imagination du plus ardent philanthrope.

« Une heureuse opposition résulterait encore de l’audace des guerriers demi civilisés du Brésil et de l’Espagne avec la politique profonde de ces religieux qui surent pendant quelque temps conjurer l’orage formé contre les religieux devenus leurs enfans. Au milieu de tant d’hommes remarquables par la singularité et la diversité de leurs mœurs, ressortiraient encore quelques figures à traits plus fortement prononcés, celle de ce Ceballos, animé par une haine implacable contre les Portugais ; de ce Bohon auquel rien n’échappait, qui combinait toutes ses opérations avec autant de promptitude que d’habileté, et qui à peine laissait de loin en loin échapper quelques mystérieuses paroles ; de Jose Borges do Canto, déserteur qui, pour se réhabiliter, conquiert une province avec une poignée d’hommes sans armes, sans munitions, faisant croire par sa prodigieuse témérité qu’une armée nombreuse est derrière lui pour le soutenir ; de ce Manoel Marques de Souza, qui, soldat au sortir de l’enfance, avait travaillé, en temps de paix comme en temps de guerre, à agrandir le domaine du Portugal, et qui, octogénaire lorsque je l’ai connu, était encore prêt à prendre les armes pour enlever aux castilhanos (homme de langue espagnole) des terres et des troupeaux.

« Tracée sur le plan que je viens d’indiquer, l’histoire de la province de Rio-Grande offrirait, avec une instruction profonde, autant de charmes à l’imagination des lecteurs que ces fictions dont un Anglo-Américain a placé le théâtre dans les déserts de sa patrie. Mais ce plan ne pouvait être celui de M. Pinheiro ; la tâche de l’historien n’était pas celle qu’il s’était présentée ; il voulait seulement écrire des annales, et son livre offre les qualités que l’on aime à rencontrer dans ce genre de composition, l’exactitude, la concision, la clarté et l’élégance. »

Séance du 10 décembre. — M. Savary adresse un mémoire sur les marées. MM. Bouvard, Arago et Poisson sont chargés d’examiner le travail de M. Savary, et d’en rendre compte à l’Académie.

M. Boussingault adresse un mémoire sur l’amalgamation, procédé généralement employé dans l’Amérique espagnole, pour extraire l’argent de ses minerais. C’est une sorte de lavage analogue à celui auquel on a si souvent recours en chimie, lorsqu’on agit sur des substances organiques pour en séparer quelques principes immédiats. Ainsi, lorsqu’on veut obtenir d’une écorce, par exemple, la résine qui y est contenue, on soumet cette écorce réduite en poudre à l’action de l’alcool chaud ; par ces lotions répétées, on finit par l’épuiser de toute sa résine, et enfin on obtient cette résine à l’état concret en faisant évaporer l’alcool qui la tenait en dissolution. De même, quand le minerai a été trituré, on le soumet à l’action du mercure qui se charge de tout l’argent qui y est contenu, et l’abandonne plus tard quand on l’expose à une chaleur suffisante pour produire son évaporation. Mais l’état où se trouve l’argent dans le minerai sortant du moulin, n’est pas celui qui convient pour sa combinaison avec le mercure, et avant que l’amalgamation se fasse, il faut déterminer dans le mélange certaines actions chimiques qu’on détermine par l’addition de divers réactifs.

Il y a trois procédés bien distincts d’almagamation ; nous ne parlerons ici que de l’almagamation dite de patio. On nomme patio une cour pavée en dalles, sur laquelle on dépose un énorme gâteau (torta) du minerai broyé et réduit à consistance de boue ; on ajoute à cette pâte du sel dont la proportion varie selon les localités de 1 jusqu’à 5 pour 100 de minerai. On opère le mélange en faisant fouler le tout aux pieds des chevaux. On ajoute ensuite ce qu’on nomme le magistral : c’est une substance qu’on obtient en grillant de la pyrite de cuivre, et qui contient communément un dixième de sulfate de cuivre ; on met environ une demi-livre de magistral par quintal de minerai. Quant au mercure, la quantité qu’on en met est réglée, non suivant le poids du minerai, mais suivant le poids de l’argent qu’on y sait contenu. On emploie six fois autant de mercure qu’on doit retirer d’argent. Ce mercure se divise en trois lots qu’on incorpore à trois époques différentes de l’opération. L’intervalle qu’on met entre les époques, varie suivant différentes circonstances que l’amalgameur apprécie en général avec beaucoup de justesse. Après la dernière addition de mercure, on fait agir les chevaux encore pendant deux heures, après quoi le minerai amalgamé est porté aux ateliers de lavage ; enfin, l’amalgame, séparé des parties terreuses qui l’enveloppaient, est porté aux usines de distillation. L’argent qu’on obtient ainsi est presque pur.

C’est par tâtonnement qu’on est arrivé au procédé que nous venons d’indiquer, et les hommes qui l’ont amené à sa perfection, n’avaient aucune idée du mode d’action des divers réactifs qu’ils employaient. M. Boussingault s’est occupé de rechercher les phénomènes chimiques qui se passent dans cette opération, et voici l’explication qu’il en donne :

« En ajoutant le magistral (sulfate de cuivre) aux bottes métalliques renfermant déjà du sel marin, il se forme instantanément du bichlorure de cuivre ; ce bichlorure, en réagissant en partie sur le mercure et en partie sur le sulfure d’argent, donne naissance à du chlorure d’argent et de mercure, et passe à l’état de proto-chlorure de cuivre qui se dissout dans la solution de sel dont le minerai est imbibé, pénètre la masse à amalgamer et réagit énergiquement, comme l’expérience le fait voir, sur le sulfure d’argent, formant du chlorure d’argent d’une part et du sulfure de cuivre de l’autre. Le chlorure d’argent se dissout également dans la solution de sel marin, et dans cet état il est facilement réduit par le mercure. »

M. Chevreul fait, en son nom et celui de M. Thénard, un rapport sur l’Histoire chimique de la méconine, par M. Couerbe. L’Académie, conformément aux conclusions de ce rapport, ordonne l’impression du mémoire de M. Couerbe dans le Recueil des savans étrangers.

M. Girard fait, en son nom et celui de M. Geoffroy Saint-Hilaire, un rapport sur un mémoire de M. Chaudruc de Crozannes, relatif à des dépôts d’huîtres non fossiles qui se trouvent dans le département de la Charente-Inférieure, à quelque distance de la mer et au-dessus de son niveau. L’Académie, sur la proposition de ses commissaires, approuve les recherches de M. Chaudruc, et l’engage à les continuer. M. de Blainville demande qu’on invite l’auteur à examiner si, dans les dépôts qu’il décrit, les huîtres sont placées confusément ou dans leur position naturelle, c’est-à-dire la valve convexe en dessous.

M. Biot achève la lecture de son mémoire sur un caractère optique, à l’aide duquel on reconnaît immédiatement les sucs végétaux qui peuvent donner du sucre de cannes, et ceux qui ne peuvent donner que du sucre de raisin.

Séance du 17 décembre. — M. Louyer Villermé fait hommage à l’Académie d’un mémoire imprimé ayant pour titre : Des épidémies, sous les rapports de la statistique médicale et de l’économie politique. Parmi les résultats intéressans auxquels l’auteur est arrivé dans le cours de ses recherches, nous nous contenterons de citer celui qui a rapport à l’influence des épidémies sur la population.

« Dans nos pays civilisés, dit M. Villermé, les épidémies les plus meurtrières ne diminuent la population que passagèrement ; d’ailleurs, elles ont sur son mouvement une influence très réelle, et qui est différente selon qu’elles se reproduisent tous les ans ou qu’elles n’apparaissent qu’à de longs intervalles.

« Dans le premier cas, c’est-à-dire lorsque les épidémies se reproduisent à peu près chaque année, comme cela se voit au voisinage des rivières et de beaucoup de marais, le renouvellement des générations est plus rapide, la vie moyenne des hommes est plus courte ; il y en a moins qui atteignent l’âge adulte et surtout la vieillesse.

La population ne diminue point par la raison toute simple que les mariages se font, pour ainsi dire, au sortir de l’enfance, et que, dans un temps donné, il y a relativement au nombre des habitans, beaucoup plus de naissances que dans un pays sain. Mais si le nombre des individus peut être le même dans les deux pays, il s’en faut que leur valeur soit la même. Ici ce sont des individus chétifs, infirmes, très souvent malades, dont beaucoup meurent avant de rien produire, et sont, si on peut le dire, comme des capitaux qui se perdent en mer. Là ce sont, au contraire, des hommes valides, robustes, qui vivent une pleine vie, ou dont le travail, du moins, dure tout le temps nécessaire pour profiter à eux-mêmes et à leur famille.

« Dans le second cas, c’est-à-dire lorsqu’elle apparaît tout-à-coup dans un lieu qu’elle n’avait pas coutume de ravager, ou même qu’elle sévit avec une rigueur extraordinaire dans une contrée qui n’en était pas entièrement exempte, il se fait un vide sensible dans la population, et, immédiatement après, on remarque parmi ceux qui restent une quantité extraordinaire de naissances, qui tient non-seulement à l’accroissement proportionnel qui a lieu dans le nombre des mariages, mais encore à ce que des unions dont on n’attendait plus d’enfans redeviennent fécondes. De plus, il y a diminution dans le nombre des morts, non-seulement diminution absolue, ce qui est tout simple, puisqu’il y a moins d’habitans, mais encore diminution proportionnelle, comme si véritablement les hommes étaient devenus plus vivaces. Il y a long-temps qu’on a fait cette remarque, et l’on en a conclu que les grandes épidémies sont en général suivies d’une grande époque de salubrité ; mais cette salubrité n’est, on peut le dire, qu’apparente. En effet, d’une part, la maladie, enlevant en général les individus malingres et ceux qui sont affaiblis par de grandes privations, laisse plus grande, dans ce qui reste, la proportion des hommes robustes et aisés ; de plus, comme elle fait de la place, elle donne plus de moyens d’existence aux survivans ; elle améliore, comme le dit Malthus, au moins pour quelque temps, la condition de la classe laborieuse. Or, ce dernier changement, quelle qu’en soit la cause, exerce toujours, comme on le sait, une influence marquée sur la longévité aussi bien que sur le nombre des naissances. »

M. le contre-amiral Roussin, au moment de partir pour l’ambassade de Constantinople, exprime le regret de ne pouvoir plus prendre part aux travaux de l’Académie, et exprime le désir qu’il a de contribuer, du moins, à l’avancement de la science, en aidant de toute son influence dans ce pays, les savans qui y viendraient faire des recherches et arriveraient munis d’une recommandation, soit de l’Académie en corps, soit d’un de ses membres.

M. Babinet annonce qu’il a obtenu le résultat suivant relativement au mouvement de la lumière dans les corps réfringens. « Le retard qu’éprouve un rayon lumineux en traversant une plaque transparente est exactement le même, lorsque cette plaque est en repos, ou lorsqu’elle partage le mouvement de la terre, dans le même sens que le rayon lumineux ou en sens contraire. »

M. Warden présente le tableau de la population des États-Unis d’après le recensement officiel fait en 1830. Sur 12,856,164 habitans, on compte 2,010,629 esclaves, 319,467 personnes de couleur libres et 10,526,068 blancs, parmi lesquels sont compris 106,544 étrangers non naturalisés. En comparant, pour les trois divisions principales, le chiffre qui exprime pour chacune le nombre total des individus avec celui qui représente les centenaires, on voit qu’il y a terme moyen,


Pour les blancs 1 centenaire sur 20,720 individus.
Pour les esclaves 1 centenaire sur 1,430
Pour les gens de couleur libres 1 centenaire sur 510


L’Académie procède à l’élection d’un membre correspondant pour remplir la place devenue vacante dans la section d’astronomie par la mort de M. de Zach. M. Valz de Nîmes est élu à l’unanimité.

On procède ensuite à la nomination d’un candidat pour la chaire vacante à l’école de pharmacie, par suite de la mort de M. Nachet. M. Lecanu réunit 35 sur 36 suffrages.

M. Robiquet lit un mémoire sur l’opium. Il y a trouvé une nouvelle base salifiable, la codeïne, substance très soluble dans l’eau bouillante, et qui cristallise par le refroidissement en beaux polyèdres très réguliers. La solution de codeïne même froide a une réaction alcaline très prononcée ; elle précipite abondamment par la noix de galle, propriété dont ne jouit point la morphine parfaitement pure ; les dissolutions de fer, au maximum, ne lui font point prendre comme à la morphine une teinte bleue ; en un mot ce sont deux bases tout-à-fait distinctes.

M. Robiquet pense que jusqu’à présent les chimistes n’ont point connu le véritable acide de l’opium. Il a découvert deux acides qui ont entre eux les mêmes rapports que les acides tartrique et paratartrique de Berzelius ; c’est pour rappeler cette analogie qu’il les désigne sous les noms de méconique et para-méconique. Ces deux acides, soumis à une distillation sèche, fournissent l’un et l’autre un acide sublimé qui est le seul que les chimistes connaissaient jusqu’ici, et qu’ils nommaient acide méconique.

Séance du 24 décembre. — M. Babinet adresse un travail manuscrit, ayant pour titre : Mesure de l’intensité du magnétisme terrestre. MM. Biot et Savart en feront l’objet d’un rapport à l’Académie.

M. Scipion Pinel présente un mémoire intitulé : Analyse des facultés intellectuelles, au moyen de leur dérangement et de leurs maladies. MM. Duméril et Flourens sont chargés d’en rendre compte.

M. de Paravey annonce qu’il a découvert dans le tableau qu’a donné M. Rémusat des objets d’histoire naturelle dont parlent les auteurs chinois et japonais, une foule d’erreurs dont il s’engage à fournir la preuve à une commission nommée pour cela par l’Académie des sciences.

MM. Geoffroy et Duméril sont chargés de recevoir les communications.

M. Damoiseau dépose un grand travail qu’il vient d’achever, les Tables des satellites de Jupiter.

M. Pelletier annonce qu’il vient de découvrir dans l’opium une nouvelle substance cristalline isomère de la morphine, et que, pour cette raison, il nomme para-morphine. Cette substance, dit-il, diffère de la morphine par beaucoup de propriétés, quoique sa composition élémentaire paraisse être la même ; elle est également distincte de la codéine, principe découvert récemment dans l’opium par M. Pelletier. Sa saveur est celle de la pyrètre. Son action sur l’économie animale est très prononcée ; à petite dose elle produit des convulsions, et amène même la mort dans quelques minutes.

L’Académie entend un rapport verbal de M. Bouvard sur une brochure de M. Demonville, contenant l’exposition d’un nouveau système du monde, et de diverses applications de la théorie de l’auteur. Le rapporteur est d’avis que l’Académie ne peut que refuser son approbation à ce mémoire ; ses conclusions sont adoptées.

M. Moreau de Jonnès lit quelques fragmens des Recherches statistiques sur les progrès de l’état social en France. Dans ce travail, il compare l’époque actuelle à celle qui a précédé immédiatement la révolution.


roulin
  1. J’ai vu, dans l’Amérique du sud, des femmes du peuple atteintes d’hypocondrie, mais d’ailleurs saines de jugement, qui étaient fermement persuadées qu’un roncho (une sarigue) était entré par leur bouche pendant qu’elles dormaient, et leur rongeait les entrailles. On sait que ces didelphes, qui à l’état adulte ont la taille d’un chat, sont, au moment de leur naissance, tellement petits, qu’ils ne pèsent guère qu’un grain, de sorte que cette circonstance rendait, jusqu’à un certain point, vraisemblable la possibilité de leur entrée. Du reste, les malades ressentaient dans leurs flancs des mouvemens tumultueux, tels que ceux qu’aurait pu produire un animal en se remuant : des pincemens, des morsures, dans lesquels elles croyaient reconnaître l’action des dents pointues de la sarigue. L’illusion existait bien complète pour elles, et existait sans qu’il y eût folie. R.
  2. L’homme qui rêve est, jusqu’à un certain point, comparable au maniaque. C’est la même facilité pour passer d’une image à l’autre, pour lier entre elles ces sensations successives, quelque incohérentes qu’elles soient en effet ; c’est la même indifférence pour établir leur relation avec la réalité. Qu’une douleur ait lieu à ce moment, le rêveur y trouvera une cause non moins bizarre que celle qu’imaginerait l’aliéné. Un de nos plus célèbres écrivains assistait un jour, en rêve, à une revue de troupes au Champ-de-Mars. Tout-à-coup il vit cette multitude de soldats s’avancer vers lui en colonnes serrées, et commença à concevoir quelque inquiétude. « Pourvu qu’ils ne s’avisent pas, se dit-il à lui-même de vouloir entrer dans ma bouche, peu m’importe de quel côté ils se dirigent. » Il ne tarda pas à s’apercevoir que sa crainte n’était que trop fondée, voilà l’infanterie qui entre et qui ne fait guère, à sa grande satisfaction, que lui chatouiller le gosier. La cavalerie vient à son tour, et cette fois la pointe des sabres le pique et l’incommode. Que sera-ce quand il faudra que l’artillerie y passe ! L’artillerie arrive grand train, et l’ébranlement produit par les roues cause une telle douleur, que le philosophe s’éveille, mais la douleur de la gorge persiste. Il avait en effet une forte esquinancie.