Revue scientifique du second trimestre de l'année

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REVUE SCIENTIFIQUE.

ACADÉMIE DES SCIENCES.
DEUXIÈME TRIMESTRE. — MOIS DE MAI.

M. Magendie demande qu’une commission prise dans le sein de l’Académie soit chargée de faire le plus promptement possible une analyse de l’air, afin de s’assurer si la composition de ce fluide dans les lieux où sévit maintenant le choléra, est encore la même qu’avant l’invasion de l’épidémie.

L’Académie, prenant cette demande en considération, charge une commission, composée de MM. Thénard, Gay-Lussac, Chevreul et Serrullas, d’analyser l’air pris en différens points de la ville, et de lui rendre compte des résultats obtenus.

M. Flourens lit un mémoire sur la force de contraction des veines principales dans la grenouille.

Les physiologistes ont depuis long-temps remarqué dans certaines veines un battement en rapport avec les contractions du cœur, et auquel ils ont donné le nom de pouls veineux. Haller et Lamur, qui s’en sont occupés presque en même temps, ont montré qu’il dépend du refoulement du sang de l’oreillette droite dans les veines iliaques et jugulaires, et de celle-ci dans les sinus du cerveau : c’est donc un mouvement purement passif ; mais dans la grenouille, et probablement dans tous les batraciens, il existe un autre pouls veineux qui, ainsi que l’a reconnu M. Flourens, est un mouvement actif, dépendant des contractions des veines elles-mêmes. Nous allons indiquer brièvement les expériences qui mettent ce fait hors de doute.

Si l’on met à nu sur une grenouille le cœur et la veine cave inférieure, on remarque sur cette veine qui s’étend des reins au foie, et du foie à l’oreillette, un battement constant, tant au-dessus qu’au-dessous du foie. Ce battement, qui répond aux contractions de l’oreillette, n’en dépend cependant point, car il persiste, 1o quand on a appliqué une ligature sur la veine cave (la veine continue à battre au-dessus comme au-dessous de la ligature) ; 2o quand la veine a été vidée de sang ; 3o quand l’oreillette et le cœur ont été complètement enlevés.

On sait que le cœur de la grenouille, l’un des plus simples parmi les animaux vertébrés, n’a qu’un seul ventricule (aidé, à la vérité, par un bulbe artériel contractile), duquel partent toutes les artères, et une seule oreillette d’où partent toutes les veines, savoir, celles des parties postérieures par la veine cave postérieure, et celles des parties antérieures par les deux veines caves antérieures.

Ces deux veines caves antérieures s’étendent de la tête à l’oreillette, et comme la veine postérieure, elles battent dans toute leur étendue d’une manière constante et régulière en rapport avec les mouvemens de l’oreillette ; leur mouvement du reste n’est pas produit par la contraction de cette oreillette, comme on peut s’en assurer par des expériences analogues à celles que nous avons rapportées plus haut, il en est de même du battement des veines iliaques d’une part, et des veines axillaires de l’autre ; ces veines séparées des veines caves n’en continuent pas moins de battre comme avant la séparation.

En se reportant aux différences déjà connues, entre les fonctions circulatoires des animaux à sang froid et celles des animaux à sang chaud, on conçoit comment, chez les premiers, il pouvait y avoir besoin de cette contraction des veines qui n’existe point chez les autres. Chez les premiers, en effet, et spécialement chez les batraciens, le cœur n’a qu’une faible puissance de contraction, et les artères n’ont pas de battemens sensibles ; enfin le thorax y est immobile ; de sorte que la plupart des agens qui accélèrent la circulation chez les animaux à sang chaud, devenant impuissans chez les animaux appartenant à la classe qui nous occupe, il fallait qu’un nouveau principe de mouvement vînt s’ajouter aux autres et suppléât à leur faiblesse.


M. Cuvier lit un mémoire sur les œufs de la sèche, mémoire écrit depuis peu de temps, mais dont tous les élémens existaient déjà dans les préparations faites par lui, déposées depuis plus de dix-sept ans dans les galeries du Muséum d’histoire naturelle, et dont il avait, à diverses reprises, donné la démonstration dans ses cours. Malgré cette sorte de publicité qu’on serait tenté de considérer comme équivalente à celle qui s’obtient par la voie de l’impression, l’histoire du développement des céphalopodes continuait à être considérée comme un des points encore peu connus de l’histoire naturelle. Le mémoire de M. Cuvier éclaircit parfaitement cette question, explique comment un observateur estimable d’ailleurs, Cavolini, a pu avancer que le vitellus chez les jeunes sèches pend à la bouche, et montre enfin qu’Aristote a eu, sur le développement de ces céphalopodes, des notions très justes, quoiqu’on eût pu soupçonner le contraire, grâces aux bévues des commentateurs et à celles des traducteurs.

L’œuf de sèche est un sphéroïde elliptique, ayant à une extrémité un petit mamelon et à l’extrémité opposée un pédicule terminé par un anneau qui embrasse quelque corps étranger sur lequel cet œuf est fixé ; quelquefois une branche de fucus porte un nombre considérable de ces œufs, et présente ainsi dans son ensemble l’aspect d’une grappe de raisin.

Lorsqu’on a ouvert la coque opaque de l’œuf, on trouve dans son intérieur une membrane transparente fixée aux deux pôles par deux proéminences qui font l’office de chalaze. Cette membrane, qui est formée de deux tuniques superposées, embrasse à-la-fois le germe et le vitellus.

Quand on examine des œufs qui viennent d’être pondus, on n’y aperçoit, en les ouvrant, qu’une substance glutineuse homogène. Les changemens qui s’opèrent depuis cet état primitif jusqu’à une période assez avancée du développement, n’ont pas été suivis par M. Cuvier, et ne pourraient l’être que par un naturaliste qui séjournerait sur le bord de la mer. C’est donc seulement à une époque assez avancée du développement que notre grand naturaliste a pu suivre la jeune sèche ; elle s’est montrée à lui couchée sur le vitellus, tantôt en travers, tantôt obliquement, et quelquefois selon sa longueur. Elle y repose par sa face ventrale. Outre la membrane dont nous avons déjà parlé, et dans laquelle sont en même temps contenus le fœtus et le vitellus, cette dernière partie a encore une membrane qui lui est propre. Quant au fœtus, il ne paraît pas qu’il ait la sienne, et jusqu’à présent il a été impossible de lui reconnaître un amnios.

Lorsque le fœtus n’a encore que le quart de la longueur du vitellus, sur lequel il repose, on aperçoit déjà distinctement son sac et quelques-uns de ses tentacules. Les deux yeux sont alors chacun presque aussi grands que le sac. Ils reprennent leur proportion à mesure que le fœtus avance en âge ; mais la tête reste long-temps fort grosse, et elle est plus large encore que le sac lorsque déjà la petite sèche couvre les trois quarts du vitellus.

En parlant des rapports du vitellus et du germe, nous n’avons pas encore dit en quelle partie du canal intestinal se fait la communication, et c’est là cependant le fait important, Quand on prend l’œuf à une époque où déjà s’est formé l’étranglement entre le fœtus et le vitellus, il suffit de les écarter l’un de l’autre pour apercevoir nettement le point de communication. Cette communication se fait au-dessous, ou, si on le veut, au-devant de la bouche entre les deux tentacules de la dernière paire, lesquelles sont alors plus écartées qu’elles ne le seront chez l’adulte. Au-dessus de cet endroit, on distingue très bien l’ouverture des lèvres et dans leur intérieur les deux petites mâchoires qui apparaissent comme deux points noirs. Ainsi, ce n’est ni par le ventre comme dans les vertébrés, ni par le dos, comme dans les articulés, mais par un point tout-à-fait propre aux céphalopodes que passe le cordon ombilical.

Chez les céphalopodes comme chez les animaux des ordres supérieurs, à mesure que le fœtus croît, le vitellus diminue. Au moment où la petite sèche est près d’éclore, ce vitellus est réduit à un petit tubercule caché entre les deux tentacules inférieurs ; mais quand l’étranglement a eu lieu, il est aisé de suivre à l’intérieur la prolongation du canal. Pendant long-temps même, il y a dans l’intérieur de l’anneau cartilagineux qui porte les tentacules un bourrelet qui, vers la fin, est aussi gros que le tubercule resté à l’extérieur. Ce renflement descend parallèlement à la cavité buccale et à la première portion de l’œsophage. Il se rétrécit ensuite en un petit canal qui s’unit à celui de l’œsophage un peu au-dessous de l’anneau cartilagineux. La matière du vitellus se continue avec celle qui remplit l’œsophage et l’estomac.

À aucune époque on ne trouve rien qui ressemble à un allantoïde ou à la membrane qui en est l’analogue chez les oiseaux. Par conséquent, il n’y a pas non plus de vaisseaux ombilicaux, mais seulement des vaisseaux omphalo-mésentériques.

En comparant les faits observés par M. Cuvier avec ce qu’ont écrit Cavolini et Aristote, on se persuade aisément qu’ils ont vu les choses dont nous venons de donner une description abrégée, et que leurs récits n’auraient rien d’obscur s’ils les avaient faits moins brefs. Cavolini a bien vu que le vitellus communique avec l’œsophage par un conduit qui pénètre entre les tentacules ; mais au lieu de dire qu’il pend de la bouche, il se fût énoncé plus correctement en disant qu’il s’insère au-devant de la bouche, il n’eût pas donné lieu de croire à Bœr qu’il supposait ce sac sortant d’entre les mâchoires. Quant à Aristote, la faute est d’abord aux éditeurs du texte qui ont mal ponctué le passage dont il s’agit, puis aux traducteurs qui, trouvant un passage rendu ainsi inintelligible, l’ont ajusté à leur manière. Nous nous contenterons de citer le passage de Scaliger, qui s’est tenu le plus près de l’original, mais qui n’a pas été plus près du sens que les autres. Atque ex eo (albumine) facta sepiola exit in caput quemadmodum aves ventre, annexa ; il fallait : nam ex eo fit sepiola capite, quemadmodum aves ventre, annexa ; c’est-à-dire : De ce corps albumineux se forme la petite sèche qui y tient par la tête comme les oiseaux tiennent au leur par le ventre.


M. Edwards lit, en son nom et celui de M. Balzac, un mémoire ayant pour titre Recherches expérimentales sur les propriétés alimentaires de la gélatine.

Les deux auteurs, après avoir indiqué les principales difficultés que présente la question qu’ils ont traitée, et montré l’impossibilité de faire sur des hommes les expériences nécessaires, s’attachent à prouver qu’on peut obtenir des résultats presque aussi décisifs en agissant sur des chiens, animaux qui se rapprochent assez sensiblement de l’homme sous le rapport des organes digestifs, et qui de plus ont par le fait d’une longue domesticité contracté l’usage d’alimens peu différens au fond des nôtres.

La gélatine sèche eût été pour les chiens un mets rebutant et difficile à mâcher. En solution dans l’eau, elle aurait eu d’autres inconvéniens, puisque pour prendre une assez petite quantité de substance solide, les animaux auraient eu à avaler une énorme quantité de liquide. MM. Edwards et Balzac se décidèrent en conséquence à donner aux chiens mis en expérience une soupe faite avec du pain ordinaire et de la solution de gélatine, genre d’aliment qui, pour la forme, ne différait que très peu de celui auquel ils étaient accoutumés. Les résultats de l’épreuve ne devaient pas être moins décisifs, puisque déjà l’on savait, grâces aux recherches de M. Magendie, que le pain seul ne suffit pas pour nourrir ces animaux. Si donc on pouvait les maintenir en vie et en santé avec la soupe dont nous avons parlé, il devenait évident que la gélatine avait des propriétés nutritives.

Les auteurs du mémoire employèrent deux qualités de gélatine pour ces essais. L’une ne différait point de la colle-forte, l’autre était de la gélatine alimentaire de deuxième qualité, préparée dans l’établissement de l’Île-des-Cygnes. Chacune de ces qualités servit pour une série séparée d’expériences.

L’activité de la nutrition étant beaucoup plus grande dans le premier âge qu’à toute autre époque, il était convenable, afin d’avoir des résultats promptement appréciables, d’agir sur de jeunes animaux. Tous étaient pris en bon état, et leur poids était soigneusement constaté avant qu’on les mît au nouveau régime. À chacun d’eux on servait deux fois le jour la soupe à la gélatine, et on les en laissait manger autant qu’ils le voulaient.

Nous ne pouvons donner ici le détail de toutes les expériences qui furent dirigées avec beaucoup de sagacité et exécutées avec une extrême précision. Cependant, comme la question à laquelle elles se rattachent est de la plus haute importance, nous reproduirons les suivantes :

Le chien no 1, d’âge à augmenter en taille et en poids, et pesant, au début de l’expérience, deux mille deux cent cinquante grammes, est mis au régime du pain et du bouillon de colle. Le onzième jour, il avait perdu cent vingt-quatre grammes. Pesé sept fois dans l’intervalle, il offre des alternatives d’accroissement et de diminution en poids, mais toujours au-dessous du point de départ.

Il était évident, à cause des accroissemens relatifs du poids et de la durée des expériences, que le régime était nutritif, mais qu’il était insuffisant.

La chienne no 2, pesant mille cent sept grammes, venant d’être sevrée, fut soumise le même temps au même régime. Elle avait, au bout de ce temps, gagné cent quarante grammes. Cette augmentation montrait bien que l’aliment qu’elle avait pris était nutritif, cependant elle avait maigri, donc l’aliment était insuffisant. La même conclusion se tirait d’ailleurs des fluctuations observées dans le poids comme pour le cas précédent.

Ayant reconnu l’insuffisance de la gélatine inférieure associée au pain, il fallait faire les mêmes essais avec la gélatine alimentaire.

Le chien no 1, qui avait servi aux expériences précédentes, et qui avait perdu, après onze jours du premier régime, cent vingt-quatre grammes, fut mis de suite au nouveau régime de pain et de gélatine alimentaire. Ce régime fut continué pendant soixante-quinze jours. Le chien alors acquit une augmentation de poids de cent cinquante-neuf grammes, d’où il s’ensuit qu’il avait non-seulement regagné ce qu’il avait perdu par le régime précédent, mais aussi qu’il avait dépassé de trente-cinq grammes le premier point de départ.

Ce fait, disent les auteurs, est tellement tranché, qu’il prouve d’une manière incontestable, que le régime de pain et de gélatine alimentaire est nutritif et même qu’il l’est beaucoup ; mais cela ne prouve pas encore qu’il soit suffisant, qu’il puisse seul entretenir la santé, fortifier et développer le corps.

Pour éclaircir ce point, il est nécessaire de suivre la marche de la nutrition, telle qu’elle s’est opérée sous l’influence de ce régime. Dans les soixante-quinze jours, on a fait onze pesées un peu éloignées, afin d’éviter les variations diurnes de poids qui ont lieu dans les nutritions les plus complètes. Dans cet espace de temps, il y a eu une fluctuation remarquable, tantôt au-dessus, et tantôt au-dessous du point de départ. Or, cette incertitude de marche dans le développement du corps chez un jeune animal en pleine croissance ne paraît pas conforme à l’idée, bien ou mal fondée, qu’on se fait du développement normal d’un jeune être bien portant. En effet, il était visible, après un certain temps, que cette nourriture était insuffisante, puisque l’animal devenait faible.

Avant de tirer aucune conclusion relative à ce nouveau point de vue, il importe de rappeler que le chien no 1 avait été mis préalablement au régime de pain et de gélatine inférieure, et qu’il avait, par suite de cette nourriture, subi une perte de cent vingt-quatre grammes ; il pouvait donc être sous l’influence de cette perte qui l’aurait empêché de tirer tout le parti possible du nouveau régime, il fallait parer à cet inconvénient.

La petite chienne no 2, qui avait servi dans les essais avec la gélatine inférieure (colle-forte), fut préparée à de nouvelles expériences par un régime convenable continué pendant plus d’un mois, au bout de ce temps elle était en pleine santé, et avait acquis plus de la moitié du poids auquel elle devait atteindre. Elle fut mise alors pendant vingt-et-un jours à l’usage de la soupe faite avec du pain et une solution de gélatine alimentaire, et le résultat général fut le même que dans la série précédente, c’est-à-dire qu’il y avait une augmentation de poids de vingt-neuf grammes. Mais dans l’intervalle, il y avait eu des fluctuations dans le poids au-dessus et au-dessous du point de départ.

L’addition de la gélatine au pain, quoique étant insuffisante pour nourrir l’animal, doit-elle être considérée comme avantageuse, indifférente ou nuisible ? C’est une question dont la solution n’était point encore donnée par les essais que nous venons de rapporter, et dont l’importance était trop grande pour ne pas fixer l’attention des observateurs. Afin d’éclaircir ce point, ils firent les expériences suivantes :

Le chien no 1 fut pris après quatre-vingt-six jours de régime au pain et à la gélatine, il avait alors une augmentation de trente-cinq grammes. Mis au régime du pain seul et de la quantité d’eau nécessaire assaisonnée avec une petite quantité de sel, il perdit en vingt jours quatre cent deux grammes.

Le chien no 2, après vingt-et-un jours d’un régime au pain et à la gélatine, avait augmenté de vingt neuf grammes ; mis aussitôt au régime du pain seul et de l’eau, il perdit en trente-trois jours trois cent trente-trois grammes.

Le no 3, pendant les quatre-vingt-un jours qu’il était au pain et à la gélatine, avait fluctué au-dessus et au-dessous du point primitif. Le dernier jour il était en perte de cent douze grammes. Mis alors au régime du pain et de l’eau, il perdit en dix-neuf jours cent quatre-vingt-seize grammes, c’est-à-dire, presque le double du poids dans le quart du temps.

Le no 4, après quatre-vingt-six jours de nourriture au pain et à la gélatine, durant lesquels le poids avait aussi fluctué au-dessous et au-dessus du point de départ, était en perte de deux cent soixante-dix sept grammes. Mis le quatre-vingt-septième jour au pain et à l’eau, il perdit dans vingt-trois jours, c’est-à-dire, le quart du temps, quatre cent soixante-dix-sept grammes.

Enfin le no 7 fut mis successivement aux deux régimes différens pendant le même espace de temps pour chaque régime. Nourri de pain et de gélatine, il avait perdu dans trente-quatre jours deux cent neuf grammes ; nourri ensuite pendant trente-quatre autres jours avec le pain et l’eau, il perdit quatre cent soixante-quatre grammes, c’est-à-dire plus du double.

Ces cinq expériences, comme on le voit, tendent toutes également à prouver en faveur des propriétés nutritives de la gélatine.

Le régime de soupe de gélatine étant reconnu insuffisant, on ne pouvait guère douter qu’un animal qui y serait tenu assez de temps ne finit par périr ; c’est en effet ce qui arriva dans la seule expérience qu’on crut devoir pousser jusque-là. L’animal qui, avant de mourir avait atteint le plus haut degré d’amaigrissement et de faiblesse, ne présenta aucune altération organique, mais tous ses tissus étaient d’une maigreur et pâleur extrêmes.

Il paraît que lorsqu’un animal éprouve ainsi une déperdition graduelle par la continuation d’un régime nutritif, mais insuffisant, il y a pour la réduction du poids du corps une limite au-delà de laquelle le danger de mort est imminent. Diverses expériences ont porté les auteurs du mémoire à fixer pour les animaux à sang chaud cette limite au sixième de leur poids primitif, et ils ont reconnu que le péril était le même, soit que ces animaux fussent arrivés lentement à ce degré de décroissance par le régime au pain et à la gélatine, soit qu’ils l’eussent atteint rapidement par le régime de pain et d’eau.

Il convenait de rechercher à quelle époque il était encore temps de ranimer la vie et quel changement il fallait au régime pour y réussir.

Le chien no 1, qu’on avait mis successivement aux deux régimes, avait atteint la limite où il était en danger de mourir. À cette époque on le met au pain et au bouillon de viande, régime qui ne diffère du premier que par l’addition de quelques principes sapides et odorans en quantité presque inappréciable. Cependant, grâces à ce changement, il ne meurt point, et dès le septième jour il a gagné sept cent vingt-cinq grammes, c’est-à-dire presque tout ce qu’il avait perdu. En sept jours de plus, il dépasse de six cent quatre-vingt-treize grammes le poids primitif.

Les expériences faites sur les no 2 et 3, pris comme le no 1 au dernier état de faiblesse, donnent des résultats parfaitement conformes à celui que nous venons d’exposer, et prouvent que le régime au pain et au bouillon de viande est propre à ramener d’un dépérissement extrême à l’état de pleine santé. Mais on sait que ce qui est capable de ranimer les forces défaillantes et de rendre la santé, n’est pas toujours propre à entretenir et à faire croître le corps. Devait-il en être de même du régime dont nous parlons ? Les expériences faites par les auteurs leur ont prouvé que ce soupçon n’était nullement fondé. En effet, en nourrissant ainsi de jeunes chiens, ils n’ont point remarqué que leur croissance en fût retardée, et surtout ces animaux ne leur ont jamais offert ces fluctuations de poids qui sont un sûr indice de l’insuffisance de l’alimentation.

Le régime au pain et à la gélatine pure étant insuffisant, et au contraire celui au pain et au bouillon de viande suffisant complètement, il a fallu savoir si, en combinant ces deux régimes, on ne parviendrait pas à nourrir les animaux sans que leur santé en souffrit en rien. C’est pour éclaircir ce point que furent entreprises les expériences suivantes.

Le chien no 8, âgé de trois mois, était bien portant et en pleine croissance. Le 16 décembre il fut mis au régime le plus succulent (une pâtée de viande et de pain). Pesé trois fois à des intervalles de temps égaux, son accroissement jusqu’au 2 janvier avait été trouvé successivement de vingt-neuf, quarante-sept et soixante-quatre grammes : total, cent quarante pour les seize jours. À cette époque il fut mis au régime de la gélatine et du pain, et en trente jours sous l’influence de ce régime il perdit non-seulement les cent quarante grammes qu’il avait gagnés sous le régime précédent, mais aussi quatre cent vingt-sept grammes de plus, en sorte qu’il avait définitivement perdu un cinquième de son poids primitif.

On sait d’après les expériences précédentes quel est le danger d’une pareille réduction.

Alors à ce même régime du pain et de la gélatine pure, continué dans les mêmes proportions, on a ajouté seulement deux cuillerées de bouillon de viande de cheval sur quatorze de gélatine que l’on mêlait à sa pâtée deux fois par jour. Certes la quantité des principes sapides et odorans contenus dans 4 cuillerées de bouillon est tellement minime, qu’on croirait volontiers qu’elle n’aurait aucune influence sur les résultats ; cependant cette légère addition suffit complètement au-delà de toute attente et de toute prévision. Dès la première pesée on trouva une augmentation du poids, l’accroissement devint de plus en plus rapide, et en vingt-cinq jours l’animal parfaitement portant dépassait de beaucoup en poids le terme du point de départ.

Il résulte des expériences que nous venons de rapporter :

1o Que le régime de pain et de gélatine est nutritif, mais insuffisant ;

2o Que la gélatine associée au pain a une part effective dans les qualités nutritives de ce régime ;

3o Que le régime de pain et de bouillon de viande est susceptible d’opérer une nutrition complète ;

4o Qu’une addition de bouillon en petite proportion au régime de pain et de gélatine alimentaire, le rend susceptible de fournir une nutrition complète, c’est-à-dire d’entretenir et de développer le corps.

Le mémoire de MM. Edwards et Balzac est terminé par diverses considérations entre lesquelles nous remarquons les suivantes que nous reproduisons textuellement.

« On a proposé comme aliment salutaire à bon compte, un bouillon fait avec la gélatine extraite des os et un quart de viande employée pour le bouillon ordinaire ; or, nous avons obtenu, avec une solution de gélatine extraite des os et une bien moindre proportion de viande que celle qui est recommandée et usitée, des effets nutritifs tellement énergiques, que nous n’avons pas vu de différence entre les deux espèces de bouillon.

« Personne, que nous sachions, n’a jamais prétendu que le bouillon de viande le plus fort et le plus riche en sucs nutritifs puisse seul suffire à la nutrition de l’homme ; aussi ne s’agit-il pas de recommander le bouillon fait avec la gélatine des os, plus du bouillon de viande en certaine proportion, comme devant suffire seul, c’est un aliment nutritif qu’il faut associer à tout ce que l’on peut se procurer d’ailleurs de nutritif.

« Voilà, ce nous semble, ce qu’il y a d’essentiel pour le moment dans la question pratique. »


Dans la séance du 9, il est de nouveau question de l’alimentation par la gélatine, M. Darcet transmet les renseignemens suivans :

« L’appareil de l’hôpital Saint-Louis, qui fonctionne depuis deux ans et demi sans interruption, a fourni au régime alimentaire de cet hôpital huit cent dix-neuf mille rations de dissolution gélatineuse, et mille six cent quatre-vingt-huit de graisse d’os. Cette grande quantité de substance alimentaire que l’on peut obtenir sans dépense, a amélioré très notablement le régime de l’hôpital Saint-Louis, et a même permis de distribuer gratuitement chaque dimanche des soupes à la gélatine aux pauvres du quartier. Le long espace de temps (deux ans et demi), depuis lequel l’appareil de l’hôpital Saint-Louis fonctionne, les rapports tous favorables auxquels son service a donné lieu, l’empressement que les pauvres mettent à participer à la distribution des soupes à la gélatine, indiquent la bonne direction qui a été imprimée au service dont il s’agit, et prouvent, ce me semble, sans réplique, tout l’avantage que l’on peut obtenir de ce genre d’alimentation partout où il sera bien apprécié et bien conduit ».


M. Puissant communique les résultats des observations météorologiques faites en Afrique, par MM. Rozet et Levret, capitaines d’état-major, depuis le 1er septembre 1830, jusqu’au 1er octobre 1831.

Dans ces treize mois, le thermomètre fut chaque jour observé cinq fois, au lever du soleil, à neuf heures, à midi, à trois heures et au coucher du soleil. Le baromètre l’était trois fois dans les vingt-quatre heures.

Le minimum de la température à Alger pendant ces treize mois, a eu lieu dans le mois de décembre. Jamais pendant ce temps, on n’a vu de gelée blanche dans la ville ou dans ses environs, et l’abaissement du thermomètre n’a pas été au-delà de 2°,8. Quand le mercure descendait au-dessous de 6°, ce qui avait toujours lieu par des vents du nord et du nord-ouest, il faisait un froid humide très sensible.

Le maximum de température a été observé dans le mois d’août, le mercure atteignant alors 33°, 5, abstraction faite des momens où soufflait le vent du sud, le trop fameux semoum. Quand ce vent ne souffle pas, la chaleur même au mois d’août est très supportable.

Le semoum ne souffle guère plus de trois ou quatre fois par mois, et rarement il dure plus de vingt-quatre heures ; il est annoncé par un brouillard chaud et par des brumes qui couvrent la chaîne du petit Atlas. Dès qu’il commence à se faire sentir, la température monte, en peu d’instans, de cinq ou six degrés et quelquefois davantage ; ainsi le 10 septembre, le thermomètre s’éleva vers midi de 28° à 38° cent., la chaleur devint alors accablante. Chacun avait peine à respirer, on éprouvait des maux de tête et des lassitudes dans tous les membres. Ceux des soldats français qui se trouvaient ivres à ce moment tombaient sans connaissance. Ceux qui n’avaient qu’un peu de vin, ne pouvaient plus marcher.

Le vent du sud se terminait ordinairement par de la pluie, et était remplacé par un vent de nord ou de nord-ouest.

Le semoum amenait constamment un abaissement du baromètre. Du reste, cet instrument à Alger indiquait presque toujours les variations du temps.

M. Ampère fait un rapport verbal sur un ouvrage de M. Crelle (de Berlin) ayant pour titre, Théorie des puissances des fonctions angulaires et des facultés analytiques. Par cet ouvrage, dit le rapporteur, M. Crelle s’est acquis un nouveau titre à la reconnaissance de ceux qui cultivent les mathématiques, sciences qui lui doivent déjà beaucoup pour la publication d’un journal où l’on trouve des travaux analytiques très importans.

Le reste de la séance est occupé par diverses communications relatives au choléra, et qui offriraient maintenant peu d’intérêt.

La séance du 16 est de même presque entièrement absorbée par la lecture d’une volumineuse correspondance presque toute relative à l’épidémie. Il faut cependant excepter une lettre de M. Constant Prévost, sur la géologie de quelques parties de la Sicile, lettre qui contient aussi des renseignemens plus précis que ceux qu’on avait eus jusque-là sur la disparition du nouveau volcan. Ces renseignemens lui ont été en grande partie fournis par deux ingénieurs militaires que le gouvernement avait envoyés à Sciacca, pour déterminer la position de la nouvelle île, et faire le relèvement de la côte. Il est certain, dit M. Prévost, que comme je l’avais prévu au mois de septembre, la mer a été le principal agent de la destruction de l’île Julia. La destruction a eu lieu graduellement. À la fin de novembre, l’île n’était déjà plus qu’à fleur d’eau, et un mois après, on trouva douze à quinze pieds d’eau au-dessus de la place qu’elle occupait, et où s’élevaient encore des vapeurs assez épaisses.

Le 23 février, l’un des officiers du brick la Flèche, qui avait reçu du capitaine l’ordre de reconnaître, au moyen de sondes, la forme actuelle du fond, se rendit sur les lieux et eut beaucoup de peine à reconnaître le point où avait existé le volcan. Il ne s’élevait plus alors aucune vapeur au-dessus de la surface, aucune odeur même ne se faisait sentir, et la couleur était partout la même. Ce qui augmentait encore la difficulté de la recherche, c’est que la mer était très forte ; cependant, après un jour et une nuit de navigation, il parvint à fixer le point qu’il cherchait, et il le trouva par une profondeur de vingt-cinq brasses.

M. Dureau de la Malle donne les résultats de recherches qu’il a faites sur la consommation journalière d’un individu de famille urbaine ou agricole en France et en Italie, dans les temps anciens et à l’époque actuelle. Son but, en se livrant à ce travail, était d’arriver à des notions plus précises que celles qu’on a eues jusqu’à présent sur la population de l’Italie à l’époque de la domination romaine. En effet, si on a, relativement à la population libre, des dénombremens sur l’exactitude desquels on peut compter, on n’en a aucun pour les esclaves : on ne faisait pas assez de cas de ces hommes, pour croire que l’état dût s’informer de leur nombre : c’était un soin qu’on laissait au propriétaire, qui savait probablement le compte de ses gens comme celui de ses bœufs et de ses moutons, et qui n’imaginait pas que l’un méritât plus que l’autre de figurer dans les archives de l’état.

Malgré ce silence des écrivains anciens, on peut arriver à connaître assez exactement le nombre des esclaves. En effet on sait à très peu près quel était le nombre d’arpens mis chaque année en culture, et on peut ainsi évaluer exactement les récoltes. De plus, on a des données assez exactes sur l’importation annuelle de blé, de sorte que l’on a la consommation totale de chaque année. Maintenant, si de ce total on déduit la partie qui servait à la nourriture de la population libre, l’excédant représentera la consommation de la population esclave, et, en divisant ce nombre par celui qui indique la consommation annuelle moyenne d’un individu, on aura très approximativement le nombre des esclaves.

En faisant un pareil calcul, il faut distinguer soigneusement la population des villes de celle des campagnes. Dans les villes, en effet, on consomme beaucoup moins en blé, parce qu’on fait usage d’une plus grande quantité d’autres alimens. À Paris, par exemple, la consommation annuelle moyenne est de trois cent quarante-trois livres par individu, ce qui fait moins d’une livre par jour ; mais, si on jugeait par ce seul fait de la consommation totale pour la France, on serait de beaucoup au-dessous du chiffre véritable. Paris fait même exception entre les villes ; car pour les populations urbaines, prises en masse, la moyenne de la consommation journalière est bien près d’atteindre à une livre et un quart. Pour les populations rurales, cette moyenne dépasse une livre et demie.

La différence que nous venons de signaler entre la consommation des citadins et des campagnards existait de même pour l’Italie ancienne ; ainsi, pour une famille urbaine, la moyenne journalière était de deux livres par individu ; pour une famille rurale, elle était de deux livres trois quarts à trois livres cinq onces : cette consommation était, comme on le voit, beaucoup plus grande que celle des temps modernes, et M. Dureau attribue la différence à l’imperfection des procédés de mouture et de panification.

La séance est terminée par la lecture de la seconde partie d’un mémoire de M. Raucourt sur le travail des forçats. Les considérations que l’auteur y développe étant, par leur nature, tout-à-fait étrangères aux sujets dont s’occupe l’Académie des sciences, nous nous abstiendrons d’en parler.

Dans la séance du 13 avril, on lit un mémoire de MM. Serres et Noirnat sur la nature et le traitement de choléra-morbus. Ces deux médecins ont trouvé, dans le canal intestinal des personnes qui avaient succombé au choléra, des altérations qui rappellent celles que l’un d’eux (M. Serres) avait observées depuis long-temps chez des individus morts de fièvres entéro-mésentériques. Dans les deux maladies, il y a un développement insolite des glandes de peyer. De plus, dans la fièvre entéro-mésentérique, on observe quelquefois à côté des pustules formées par les glandes de peyer des cryptes granuleux, connus sous le nom de glandules de Brunner ; or, ces glandules qui, dans la fièvre entéro-mésentérique, forment exception, sont, au contraire, dans le cas du choléra de Paris, le caractère dominant. Elles sont si nombreuses, si rapprochées chez les sujets morts du choléra, que toute la membrane muqueuse, quand on la regarde à travers le jour, paraît granulée comme l’est la peau chez les personnes affectées de la gale. C’est cette circonstance qui a déterminé M. Serres à désigner les deux degrés de la maladie par les noms de psorenterie et psorenterite. appliquant le premier à ce que l’on pourrait nommer le choléra bleu, le choléra sans inflammation, l’autre au choléra inflammatoire, au choléra violacé.

M. Serres entre dans des détails assez longs sur les lésions qu’on observe après la mort chez les individus atteints de psorenterie et de psorenterite, et signale les symptômes qui font d’avance prévoir le genre de lésions que l’autopsie devra montrer plus tard. Il fait remarquer que, lorsque la psorenterie a eu une terminaison heureuse, elle s’est transformée en psorenterite ou en d’autres termes, que le choléra inflammatoire a, chez ces individus, succédé au choléra non inflammatoire. Il est inutile de dire que, quand cette transformation s’opère, elle exige un changement correspondant dans le mode de traitement.

La séance est terminée par la lecture d’un mémoire de M. Duhamel sur les vibrations d’un système quelconque de points matériels.

Dans la séance du 30, nous aurons à parler seulement d’une communication de M. Chevreul relativement à la présence du cuivre dans les alimens. La commission chargée d’examiner les bouillons de la compagnie hollandaise avait reconnu dans tous ces bouillons, soit qu’ils fussent préparés dans des vases de ferblanc, de cuivre ou de faïence vernissée, la présence d’une petite quantité de cuivre, quantité à la vérité si minime, qu’elle ne pouvait évidemment avoir aucune influence fâcheuse sur la santé des hommes. Les membres de la commission pensèrent que ce cuivre pouvait provenir de la viande, et on sait en effet que M. Sarzau a signalé ce métal comme existant dans le sang et par conséquent dans la chair musculaire. L’analyse qu’ils firent de certaines portions de viande de boucherie confirma la commission dans cette opinion.

M. Chevreul a récemment repris ces expériences, et, opérant sur des morceaux de chair de bœuf, de veau et de mouton, qu’il avait lui-même détachées d’animaux récemment tués, il lui a été impossible d’y découvrir aucune parcelle de cuivre ; cependant la quantité de viande sur laquelle il agissait était au moins égale à celle qu’on avait employée dans le précédent essai.

M. Chevreul a ensuite cherché le cuivre dans les grains de froment, qu’il avait lui-même détachés de l’épi. Deux cents grains de froment ne lui ont pas donné une trace de cuivre ; cependant, comme cette quantité est de beaucoup inférieure à celle que M. Sarzau a brûlée, les nouveaux résultats obtenus dans cette seconde expérience sont loin d’être aussi décisifs que ceux de la première.


roulin.[1]

  1. La place nous manque pour donner aujourd’hui les mois de mai et de juin ; nous les renvoyons à la prochaine livraison.