Richelieu Cardinal et Premier Ministre

La bibliothèque libre.
Richelieu Cardinal et Premier Ministre
Revue des Deux Mondes5e période, tome 8 (p. 86-123).


I. — LE SIEGE DE MONTAUBAN. — LA FIN DE LUYNE[1]

La guerre étant décidée contre les Protestans, le Roi avait quitté Fontainebleau, le 1er mai 1621, pour se rendre à Orléans, puis à Blois, puis à Tours. Il descendait la Loire en bateau. À Bourgueil, il avait reçu, le 16 mai, la visite de la Reine-Mère. Celle-ci était très embarrassée. Accompagnerait-elle le Roi dans sa campagne contre les protestans ? Le faire, c’était s’atteler en quelque sorte au char du connétable. Mais laisser le Roi, c’était quitter la partie. Elle se décida, d’abord, à suivre l’armée, sans trop s’écarter, cependant, des bords de la Loire, où elle se plaisait. Elle alla, d’abord, jusqu’à Saumur, place forte dont le gouverneur était Duplessis-Mornay.

Luynes, en agissant par l’intermédiaire de Villarnould, gendre de Duplessis-Mornay, obtint, pour le Roi, l’entrée dans la ville et il sut se faire ouvrir également les portes du château. Le vieux huguenot fut plus mécontent que surpris. Il espérait que, le Roi une fois parti, il reprendrait le gouvernement de la place ; mais il n’en fut rien. On la lui emprunta par un acte eu bonne et due forme, avec le ferme propos de ne jamais la lui rendre. La ville était donc perdue pour les protestans. Les plus violens accusèrent Duplessis d’être le complice de la fraude dont il était la victime. Sa faiblesse ou sa prudence passèrent pour de la trahison. Il ne survécut guère à sa peine.

À Saumur, les dégoûts commencèrent pour la Reine-Mère. On ne prit même pas la peine de lui assigner un logement, et Luynes occupa celui qui devait lui être réservé. Le Roi, quittant Saumur, se dirigea sur Saint-Jean-d’Angely où commandait Soubise, le frère du duc de Rohan. Soubise, sommé de se rendre, se tint sur la muraille, le chapeau à la main, pour entendre le héraut d’armes, et il déclara « qu’il était là de la part de l’Assemblée et que l’exécution des commandemens du Roi n’était pas en son pouvoir. » Le siège commença. On recevait des nouvelles très satisfaisantes du reste du royaume. Sauf dans le Sud-Ouest, les protestans étaient contenus partout. Bien loin de tenir la campagne, ils ne pouvaient même pas se réunir en troupes armées ; la plupart des villes ouvraient leurs portes au reçu des ordres du Roi.

Marie de Médicis félicitait amèrement le connétable. Bientôt, elle n’y tint plus, et, pour se réconforter, elle se décida à aller passer quelques jours dans l’intimité de son cher évêque. Elle se rendit donc, avec lui, dans son étroit prieuré de Coussay. C’était une faveur si extraordinaire que les documens publics contemporains l’ont tue. Quant à Richelieu, en recevant, dans ce modeste manoir où il avait passé les années pénibles de sa jeunesse et de son évêché « crotté, » la reine veuve de Henri IV et mère du Roi, en la sentant si près, dans cette solitude aux longs horizons mélancoliques, il ne se possédait pas de joie, comprenant à quel point une telle démarche engageait la Reine et avertissait la Cour.

Dans le tête-à-tête, on arrêta tout le plan de conduite à suivre à l’égard de Luynes. Il fut décidé que, pour le moment, on ne quitterait pas le Roi. La Reine-Mère le rejoignit devant Saint-Jean-d’Angely, vers le 12 juin. Elle fut logée au château de Matha, à quelques lieues de la ville et, là, les dégoûts recommencèrent.

On lui reprocha de fortifier Angers, comme si elle se préparait à soutenir un nouveau siège. On répandit le bruit que, suivant les conseils de l’évêque de Luçon, elle travaillait à constituer, dans le royaume, « un tiers-parti » qui se poserait en arbitre entre le Roi et les protestans. On était en des brouilleries perpétuelles ; on s’épuisait en négociations vaines. La Reine perd de nouveau patience. Saint-Jean-d’Angely capitule le 24 juin. Elle quitte le camp et vient apaiser son cœur ulcéré chez son ami, mais, cette fois, à Richelieu, non plus à Coussay. L’évêque affecte une grande sérénité ; de là, il écrit à l’archevêque de Sens des lettres où il affirme que « la Reine et le connétable ne se sont jamais séparés en meilleure intelligence. » C’est une feinte. Cependant, comme le Roi quitte ces régions pour s’enfoncer dans le Sud, on le rejoint et on l’accompagne encore, et l’évêque écrit que, si la Reine trouvait un « Couzières » sur sa route, « elle en mesurerait volontiers les allées pour huit ou dix jours. » Elle va jusqu’à Blaye. Puis elle se dégoûte définitivement ; elle quitte l’armée et rentre lentement vers le Nord, par Angers.

C’est, de nouveau, la rupture complète. Luynes, voyant tout céder devant lui, est au comble de l’orgueil. Il écrit à son beau-père une lettre qui n’est qu’une gasconnade : « Quelle est la chose que Dieu ne peut quand il veut donner son assistance à un grand Prince ? Vous le voyez par tout ce qui s’est passé. Il ne nous manque que les jambes pour aller plus vite ; car elles ne peuvent point suffire au chemin qu’il nous faut faire… Il ne reste plus à M. de la Force qu’à capituler. Je ne sais pas encore de quelle farine sera le pain. M. de Rohan est à Montauban, lui, bien épouvanté, je crois, et, nous, bien résolus d’aller bientôt et courageusement lui donner l’assaut… Si les choses continuent à aller comme maintenant, nous aurons bien vite expédié le tout, et vous pouvez dire que vous avez un gendre qui n’a pas été sans vous faire honneur ; car il a exposé sa vie pour son Dieu, pour son roi, pour le devoir de sa charge… » Vantardise d’autant plus ridicule que, de l’avis commun, Luynes n’aimait pas beaucoup à s’exposer au feu.

On dirait que les succès de son adversaire ne font que roidir l’évêque de Luçon. Jusqu’alors, il avait essayé de couvrir les mécontentemens réciproques entre la Reine-Mère et le favori. Maintenant, il ne dissimule plus rien. Il semble bien qu’il a fait son deuil du chapeau. À Rome, La Cochère s’aperçoit de ce changement et se plaint de « l’excès de retenue » dans l’attitude et les démarches de l’évêque.

Mais celui-ci prétend garder, avant tout, sa dignité et son franc parler. La Reine-Mère, sur son conseil, envoie au camp M. de Marillac en mission confidentielle. Les instructions sont rédigées par Richelieu. Elles le prennent de haut au sujet de cette affaire des fortifications d’Angers, « tant célèbre dans l’histoire. » Ce ne sont d’ailleurs que plaintes, récriminations de toutes sortes, et celle qui fait toujours le fond de la querelle, à savoir qu’on ne donne pas à la Reine-Mère entrée au Conseil.

Même langage, et plus accentué encore, dans les lettres adressées, presque chaque jour, au bon archevêque de Sens, qui sert d’intermédiaire. La Reine se plaint que le connétable « méprise d’avoir son amitié. » Tandis que Luynes écrit encore à l’évêque de Luçon, le 9 juillet, avec ses phrases excessives : « Je voudrais avoir donné de mon sang et que vous fussiez avec nous, l’évêque réplique sur un ton très haut : « M. le connétable me fait l’honneur de me mander que quelques-uns philosophent sur le voyage de la Reine ; et il me le mande obligeamment pour Sa Majesté, vu qu’il dit qu’il en fait un jugement contraire. » Les deux hommes se mesurent à ce simple rapprochement.

Luynes prétend se servir encore de la tentation du chapeau ; il en parle à Marillac : Richelieu répond en envoyant des nouvelles de Rome où La Cochère lui dit combien la Cour de France travaille mollement à la promotion, et il ajoute simplement : « Mon intérêt n’est nullement considérable ; celui de la France ne l’est pas peu, qui recevrait deux affronts de suite. Sur tout cela, je vous laisse faire ce que vous estimerez à propos. »

La mission de Marillac n’arrange rien, et Richelieu le fait encore savoir à Luynes dans une lettre extrêmement polie, mais nette : « La Reine vous tient « très bon ; » ce sont ses paroles ; mais elle croit que vous vous rendez facile à. recevoir de mauvaises impressions en ce qui la touche et que vous êtes détourné par autrui, et non par vous, de beaucoup de choses qui pourraient lui apporter contentement. »

Et, en même temps, l’archevêque de Sens reçoit une bordée terrible de la Reine elle-même. On dirait qu’on entend la grosse femme : « Le sieur de Marillac m’a rapporté que mon cousin le connétable lui avait dit que quelques-uns faisaient mauvais jugement de mon voyage. Je me moque de leurs jugemens… Si c’est faute d’être inutile dans les chaleurs du Languedoc, j’ai tort, mais pas autrement. Si j’étais utile à ce qui se fait, je mépriserais ma santé… Mais je ne puis digérer le mépris ; j’ai le cœur grand ; je ne suis point trompeuse, je ne le serai jamais.

Richelieu ajoute à la lettre de la Reine un commentaire froid, à sa manière : « J’ai vu un temps que la Reine appréhendait les mauvais rapports ; mais, depuis quelque temps, elle ne s’en soucie plus… Entre vous et moi, je ne vous puis celer que le porteur ne m’ait dit une chose qui ne me plaît aucunement, qui est qu’on persuade à Monsieur le connétable que la Reine lui veut un extrême mal. » Tout cela doit passer sous les yeux de Luynes.

Les choses, comme on le voit, sont au pire. Luynes sent qu’il a dépassé la mesure. Il a quelques procédés aimables pour l’évêque de Luçon, dans des questions secondaires, permutation d’abbayes, etc. L’évêque envoie un nouvel émissaire, des Roches, pour le remercier. Mais le ton reste le même. Voici d’abord pour l’affaire du cardinalat : « Si M. le connétable parle de l’affaire de M. de La Cochère ou que M. de Marillac et lui jugent à propos d’en parler comme d’eux-mêmes, ils se souviendront qu’il y a lieu maintenant de le faire et qu’on sait assurément de Rome que, si on le veut absolument, la chose est faite, mais qu’Amadeau (c’est Richelieu) n’en veut faire ni pas, ni planche, d’autant qu’il sait assurément que, si on le veut, cela sera, et que, si on ne le veut pas, il ne le veut pas lui-même, ne désirant rien qui se fasse avec mécontentement… »

Voici maintenant pour ce qui concerne les sentimens de la Reine : « Se gouvernant comme elle le fait, elle tiendrait à grande injure qu’on pensât qu’elle fût capable de machiner quelque mal et qu’elle en voulût produire en quelque lieu qu’elle fût, sa bonne conduite étant attachée à sa personne et non aux conseils qu’on peut lui donner et à la nature des lieux. »

Quant à l’évêque lui-même, ses sentimens sont résumés en quelques phrases : « Le but qu’il a est qu’on ne trouve rien à redire à ses actions ; la Reine est tellement jalouse de sa liberté, qu’on ne peut dire d’avance ce qu’elle fera… Ce qui est certain, c’est que l’évêque aimerait mieux mourir que de manquer de fidélité à la Reine. »

Pour prendre les choses sur ce ton hardi quand il s’agissait d’un favori dont tout dépendait dans le royaume, il fallait que l’on fût bien sûr de son hostilité irréductible et il fallait qu’on eût des raisons sérieuses de ne pas la craindre. Sur ces deux points, en effet, Richelieu savait à quoi s’en tenir. En ce qui concernait l’affaire du chapeau, Luynes n’avait en rien modifié les intentions qu’il avait fait connaître à la cour de Rome. Corsini, qui avait remplacé Bentivoglio, écrivait encore, le 4 novembre 1621 : « Si l’on considère les sentimens particuliers du connétable, il ne veut certainement pas que l’évêque de Luçon ait le chapeau… J’ai vu que le connétable ne se soucie pas, au fond, de l’évêque de Luçon ; mais il désire que personne ne puisse découvrir le fond de sa pensée. Il m’a dit qu’il désire plutôt être agréable à Votre Illustrissime Seigneurie qu’à Luçon et nous sommes convenus ensemble que vous, lui, Modène et moi, serions seuls au courant de l’affaire. »

Quant à la situation même du favori, elle était bien changée. Les événemens avaient réalisé les prévisions de l’évêque. Son assurance grandissante venait de la joie contenue qu’il éprouvait, au fur et à mesure qu’il recevait de Marillac, resté auprès du Roi, les nouvelles de ce qui se passait dans le Midi.

Tandis que le Roi, quittant les provinces où l’autorité royale était respectée, s’avançait vers les régions où la cause protestante était en force, il se rendait compte, à la fois, de la difficulté de l’entreprise et de l’imprudence de ceux qui l’avaient décidée sans la préparer. L’argent manquait. Les 800 000 écus votés par l’assemblée du clergé n’étaient qu’une goutte d’eau. L’armée se constituait lentement ; elle n’atteignit jamais la moitié du nombre d’hommes que l’on avait prévu. Le commandement exercé par un courtisan qui portait le titre de connétable, mais qui n’était qu’un militaire dérisoire, manquait d’autorité et de suite. On allait devant soi, comme pour une promenade, qui devenait de plus en plus pénible. Tantôt on parlait d’attaquer La Rochelle, tantôt de se porter sur Montauban.

L’armée royale avait, devant elle, des adversaires autrement redoutables. Rohan jouait une partie décisive. Ayant pris la responsabilité de la rupture, il assumait celle du succès. Auprès de lui, La Force, soldat expérimenté et vieilli sous le harnais, jouait sa dernière carte et prétendait réparer les fautes commises dans l’affaire du Béarn. Ses enfans et ses gendres, Castelnaut, d’Orval, Montpouillan faisaient comme une couronne de jeunesse autour du vieil athlète des guerres de religion. Un autre ami de Henri IV, le duc de Sully, qui ne devait jamais se consoler de sa chute, riche et maître de quelques places très fortes, songeait, paraît-il, à profiter des circonstances pour se tailler une principauté indépendante dans la région.

C’étaient là des noms considérables. Mais surtout l’armée royale avait affaire à une population ardente, passionnée, soulevée par le fanatisme et, disons-le pour être complet, excitée par des intérêts particuliers. Depuis près d’un siècle, en effet, les biens des catholiques, dans la plupart des villes du Midi, avaient passé aux mains des calvinistes. Par une sorte d’aboutissant naturel des luttes politiques, parmi ces populations âpres et sans frein, une sorte d’éviction générale s’était produite. Or, l’exemple du Béarn prouvait que la restauration du pouvoir royal était suivie, infailliblement, de la restitution des biens usurpés, et notamment des biens ecclésiastiques. Les intérêts travaillaient donc dans le même sens que le zèle religieux.

Partout les prédicateurs agitaient les foules et ne faisaient que traduire les sentimens populaires en les exagérant. Toutes les décisions à prendre étaient délibérées dans les temples ou sur les places publiques. Dans chaque ville, le parti formait un véritable gouvernement. Ces tribuns étaient des hommes austères, froids, vêtus de la robe noire, se répandant en paroles abondantes et mêlant les citations de l’Écriture à la savoureuse et dramatique improvisation méridionale. Ils agitaient les esprits et les précipitaient vers les solutions extrêmes, remplissant les villes de rumeurs, les esprits de méfiances et les délibérations de surprises bruyantes longuement ménagées. L’excitation de la parole, l’engagement des déclarations publiques, l’aigreur du soupçon, le courage naturel à ces peuples, l’ardeur de la foi, l’ivresse du péril, tout contribuait à les jeter, — orateurs et auditeurs, — dans une sorte de folie tumultueuse qui, souvent, touchait à l’héroïsme.

Rien de tel dans l’armée royale. On se battait pour Luynes, et cette idée n’était pas de celles qui excitent l’enthousiasme. Une plaisanterie constante tournait autour du pauvre homme. La noblesse de la Cour, téméraire et folle, s’exposant et se faisant tuer par bravade, se vengeait du chef qu’on lui imposait, en l’accablant de cuisantes piqûres. On répétait les Plaintes de l’épée du Connétable :

Ha ! que fais-je au foureau, lâche et perfide épée,
Que, comme au temps jadis, je n’assiste mon Roi,
Et faut-il, qu’au lieu d’être à cette œuvre occupée,
L’araigne, jour et nuit, fasse un fuseau de moi !
Les grands Montmorencys, en semblables querelles,
M’avaient accoutumé à m’abreuver de sang…

En un mot, cette campagne, décidée par un homme d’État de la petite fauconnerie, commandée par un connétable de carton, était traitée, par toute la Cour, comme une aventure un peu folle, mais sans risque sérieux. Personne ne songeait aux liens qui la rattachaient aux affaires générales européennes, très peu même étaient assez clairvoyans pour comprendre le péril que l’on faisait courir, à un jeune roi inexpérimenté, dans les premières années de son pouvoir personnel. On en était encore à la « drôlerie » des Ponts-de-Cé.

Le premier avertissement vint de la résistance de Clairac. Cette villette tint bon plusieurs jours et il fallut sacrifier du monde et plusieurs gentilshommes pour l’emporter d’assaut. Cependant, on prit, dans la ville, un officier protestant, nommé Sauvage, qui promit que, si on le laissait faire, il saurait, par des moyens à lui, amener la reddition de Montauban, qui était la capitale militaire du Languedoc. Des hommes expérimentés conseillèrent à Luynes d’aller mettre le siège devant La Rochelle. Mais les promesses de ce Sauvage le séduisirent. Le connétable était homme à s’engouer de ces procédures louches. Il se décida donc à venir, avec l’armée royale, mettre le siège devant Montauban. Il était plus enclin à traiter qu’à combattre.

La résistance avait été habilement et fortement organisée. Rohan ne s’était pas enfermé dans la place ; il avait compris que la confiance de ses défenseurs serait dans l’espoir d’un secours. Mais La Force y était, ainsi que son fils d’Orval, un certain nombre de gentilshommes huguenots accourus des Cévennes pour aider leurs frères, et surtout plusieurs ministres et hommes de robe, gens de vertu, de sang-froid et de résolution : Dupuy, Charnier, Constans, Bardou, Natalis. Le siège fut mis devant la ville, à une époque déjà avancée de l’année, le 17 août. Luynes comptait sur ses négociations pour obtenir la capitulation presque sans coup férir. Mais les assiégés lui enlevèrent une première illusion en mettant la main sur son émissaire, Sauvage. Celui-ci fut interrogé, soumis à la torture et puis pendu, non sans avoir fait des aveux complets. Cette exécution découragea les traîtres.

La place ne fut jamais complètement investie. On n’avait pas assez de monde. Le Roi prit séjour à Piquecos, nid d’aigle perché sur une haute colline dominant la vallée du Lavarion, à une bonne lieue de Montauban : on ne voulait pas l’exposer de trop près, ni le faire vivre au milieu des troupes. Il y eut plusieurs assauts brillans où beaucoup de noblesse périt. Mais, en réalité. Luynes empêchait tout par ses éternelles négociations : tantôt avec Sully, tantôt avec Rohan, tantôt avec des personnages plus minces ; il était en manigance perpétuelle, comptant toujours que son savoir-faire arrangerait les choses. Il eût mieux fait de laisser agir les soldats.

Sur ces entrefaites, le chancelier Du Vair étant venu à mourir, Luynes, ne sachant à qui confier les sceaux et ne trouvant plus de fidélité assurée autour de lui, les garda pour lui-même. Il accumulait ainsi, sur sa tête, toutes les responsabilités et attirait sur elle toutes les foudres. Le Roi commençait à se méfier. Il tirait les gens dans les embrasures et leur parlait à l’oreille. Il se plaignait tout bas et disait que Luynes « faisait le Roi. » Venant d’un prince qui n’avait pas assez de ressources d’esprit pour mettre un long intervalle entre l’impression et l’action, ces dispositions étaient, tout au moins, dangereuses.

Cependant, Luynes, payant d’audace, remporta encore, sur ses adversaires, une nouvelle victoire, qui lui parut décisive. Le parti catholique auquel il avait tout sacrifié, ne le trouvait pas assez ardent. Le prince de Condé l’avait pris de haut avec lui et s’était retiré, dès la fin de l’année précédente, dans son gouvernement du Berry ; le Père Arnoux, resté près du Roi, menait, dans le camp même, toute l’intrigue contre le favori. Mais le Père fut bien surpris, quand, un beau jour, le Roi lui dit, d’un ton sec, qu’il n’avait plus besoin de ses services et qu’il lui retirait le soin de sa conscience. Jamais Jésuite plus sûr de lui ne fut plus décontenancé.

Le temps passait ; les semaines et les mois s’écoulaient. On bombardait à force ; d’après les conseils du Père Dominique, venu exprès d’Allemagne pour bénir les armes royales, on fit tirer, sur la ville elle-même, et non plus sur les fortifications, trois cents coups de canon à la volée, on livrait de petits assauts partiels où on perdait beaucoup de monde. On négociait toujours, et la ville ne se rendait pas.

Les seigneurs encore, et Rohan lui-même, eussent été d’assez bonne composition. Mais le peuple et les ministres étaient intraitables. Parmi ceux-ci, un des plus violens, Charnier, fut atteint d’un coup de canon en pleine poitrine. Sa mort fit de lui nu martyr et ne découragea nullement les autres.

Un grand effet moral fut produit, en sens contraire, sur l’armée royale, par la mort du duc du Maine. Il appartenait à la famille de Guise ; il était brave, libéral, aimable ; le peuple l’adorait. Il s’exposait follement. Un coup de mousquet le tua dans la tranchée, le 12 septembre. Sa mort eut, dans tout le royaume, un immense retentissement. À Paris, la population se souleva et se porta au temple de Charenton, « pour venger cette mort et tuer les huguenots. »

Le siège tournait au désastre. Depuis le début, une grave épidémie de fièvre pourpre sévissait sur l’armée royale. Les eaux étaient malsaines, l’air empesté ; on ne suffisait plus à soigner les malades et à enterrer les morts ; les effectifs fondaient à vue d’oeil ; tout autour du Roi, de grands personnages étaient atteints ; la personne royale était donc en péril ; dans tout le royaume, on blâmait l’imprudence de l’homme qui avait exposé ainsi un jeune Roi, sans postérité.

Enfin, le 28 octobre, Rohan, qui tenait la campagne, fut assez habile pour faire pénétrer dans la place un secours de quelques centaines d’hommes. C’était renouveler les forces et surtout la confiance des défenseurs de la ville. On essaya de négocier encore. Mais toutes les propositions furent rejetées. Le peuple devenait d’une arrogance sans pareille. Les bruits les plus encourageans se répandaient dans la ville : on disait que le Roi était dégoûté de la longueur du siège, qu’il allait quitter Piquecos pour s’éloigner de son camp contaminé ; on disait qu’à Piquecos même, les plus grands personnages de la cour se mouraient ; on citait « l’archevêque de Sens, grand ennemi de notre religion, Phelypeaux sieur de Pontchartrain, secrétaire d’État du Roi, « aussi notre grand adversaire. » On disait que les chefs les plus expérimentés, comme M. de Lesdiguières, M. d’Estissac, avaient demandé au Roi congé de se retirer. Il est vrai que la maladie sévissait aussi dans la ville. Mais la foi et l’espérance soutenaient tous les cœurs.

On était au 10 novembre. L’hiver était commencé, des pluies continuelles rendaient le camp intenable. Rien n’avait été prévu, ni abris durables, ni approvisionnemens, ni hôpitaux ; l’artillerie était sans munitions (on avait tiré seize mille coups de canon) ; en raison de l’état des chemins, on était exposé à manquer de vivres. Il fallut bien prendre le parti de lever le siège. On décampa. Le Roi pliait bagage devant ses sujets. « Le mercredi 10, le Roi quitta son logis de Piquecos et vint loger à Montbeton. Il passa, en y allant, devant mon logis et me dit, la larme à l’œil, qu’il était au désespoir d’avoir reçu ce déplaisir de lever le siège. » (Bassompierre.)

Luynes accusait tout le monde. Il accusait la Reine-Mère d’avoir voulu fomenter un tiers-parti dans le royaume. Il s’en prenait au temps, à la saison, aux troupes, aux généraux qui commandaient sous ses ordres. Payant d’audace, il écrit au prince de Condé une lettre où il lui reproche « qu’au milieu de ses plaisirs, il parle avec liberté d’une personne qui couche tous les jours de son reste pour le salut de l’État, » mais, ajoutant « qu’il espère d’être quelque jour assez heureux pour faire sentir à ses ennemis l’injustice de leurs plaintes. »

Au fond, il se sent perdu. La honte et l’impuissance le dévorent. Il n’ose pas ramener le Roi à Paris, ni affronter, lui-même, sous le coup de son échec, la raillerie de la grande ville, où la Reine, Marie de Médicis, est rentrée en hâte. Autour de lui, ce ne sont plus que plaintes, blâme, défection, piège, péril. La Cour se venge et se prépare à l’accabler, s’il tombe. Ruccellaï seul lui restait fidèle.

En désespoir de cause, il se décide à aller mettre le siège devant Monheurt, petit château proche de Toulouse, qu’on croyait pouvoir emporter en un tour de main ; du moins, la campagne ne se terminerait pas sur un échec. Mais Monheurt se défend. Le connétable perd tout courage. Il fait venir un de ses amis, Contades : « Contades, dit-il, voilà ma compagnie défaite, Montauban que nous avons failli, Monheurt que nous ne pouvons prendre, les Huguenots, qui ne sont rien en effet, et qui résistent à la puissance d’un grand Roi. Qu’est-ce que cela ? » Contades répondit que c’était la saison, les maladies, les pluies. « Non, dit-il, Contades, mon ami ; il y a autre chose que je ne puis dire. » Richelieu ajoute qu’il sentait que « Dieu n’était pas de son côté. »

Cet homme, qui avait été si constamment heureux, ne put supporter un pareil retour de la fortune. Dans les premiers jours de décembre, il fut atteint, lui-même, de la maladie. Il s’alita, se sentant frappé à mort. Ruccellaï, qui se piquait d’originalité, le soigna avec un dévouement touchant. L’éruption se fit mal et rentra. Le 15 décembre, Luynes était mort. La destinée, qui arrange si bien les choses, fit mourir, avec la faveur, le favori.

Louis XIII vit la mort de Luynes avec la froideur d’un Bourbon et d’un roi. Il fit écrire, par ses secrétaires, des lettres suffisamment émues au beau-père du connétable, le duc de Montbazon, et à la veuve, qui d’ailleurs paraît avoir porté le deuil assez légèrement, puisque, quelques mois après, elle se remariait avec le duc de Chevreuse. Et puis, on ne parla plus du mort, qui, la veille, tenait une si grande place. « Quand on portait son corps pour être enterré dans le duché de Luynes, j’ai vu, dit Fontenay-Mareuil, au lieu de prêtres, deux de ses valets qui jouaient au piquet sur son cercueil, pendant qu’ils faisaient repaître leurs chevaux. »


II - LES SILLERY. — LE CARDINALAT

Quelle situation pour Richelieu ! quel revirement soudain ! Que de méditations sur la conduite à suivre et sur celle qu’il convenait de conseiller à la Reine ! On écrivit, tout d’abord, au Roi, une lettre dont les termes étaient pesés : la Reine lui conseillait d’agir désormais par lui-même, avec un bon Conseil ; de ne partager son autorité avec qui que ce fût. La Reine ajoutait qu’elle-même n’y prétendait nulle part, ne demandant que l’affection et la confiance ; elle déclarait son intention de se prêter uniquement à l’exécution de toutes les volontés du Roi. En un mot, elle ne voulait être, auprès du fils, rien autre chose que la mère c’eût été reprendre, par la voie la plus naturelle, la plus douce et la plus forte influence.

Mais la Cour, remise du premier choc, veillait. Louis XIII était entouré d’un réseau d’ambitions très attentives. Autour de lui, les mailles se renouèrent promptement. Pour le travail des affaires courantes, il y avait, nécessairement, des gens ayant accès auprès du Roi : les ministres, les secrétaires d’État. Par la nature même de leurs fonctions, ils étaient gens de procédure couverte, mais patiente, toujours en garde et toujours aux aguets. Les circonstances leur étaient propices. Ils ne laissèrent pas échapper l’occasion. Ils se glissèrent entre le Roi et la Reine, durant le court intervalle qui sépare la mort de Luynes de la rentrée à Paris. Laissant couler les paroles et les sentimens, ils retardèrent autant que possible la rencontre. Quand elle eut lieu, il était trop tard. Le jeune Roi avait déjà pris de nouvelles habitudes.

Ces gens étaient d’anciens serviteurs de la couronne. L’un, le père, Nicolas Brulart de Sillery était chancelier du royaume. Il occupait cette fonction depuis quinze ans. Henri IV l’avait choisi ; Marie de Médicis l’avait gardé ; il était un des « Barbons. » Le maréchal d’Ancre l’ayant écarté, Luynes l’avait rappelé et il avait vécu très effacé, et souvent très mortifié, sous la hautaine domination du favori. Depuis longtemps déjà, il avait trouvé moyen de glisser son fils, Puisieux, dans les fonctions de secrétaire d’État aux Affaires étrangères. En se faisant tous deux très petits, ils avaient vécu, et tissé leurs trames : ils avaient amassé une grande fortune, contracté des alliances, s’étaient constitué une manière de parti parmi le peuple des subalternes qui s’attache à ce qui dure. D’ailleurs, l’un et l’autre savaient le métier ; ils eussent été de bons ministres, si on pouvait faire des âmes de ministres avec des âmes de commis.

Sillery était homme d’expérience, de prudence consommée, écrivant bien et beaucoup, doux, facile, insinuant. Un contemporain le dépeint en quelques traits précis : « il écoute paisiblement, répond doucement, prend hardiment et donne du galimatias longuement. » Son esprit inquiet était encore entravé par l’âge, l’avarice, la timidité et les impuissantes qui viennent de l’extrême vieillesse.

Son fils, Puisieux, était né dans le sérail. Sous Henri IV, le père avait obtenu pour lui, alors qu’il n’avait que dix-sept ans, le titre et les fonctions de secrétaire d’État. Depuis tors, il avait vécu à la Cour, éloigné seulement, pendant quelques mois, au temps du maréchal d’Ancre. En prenant de l’âge et de la pratique, il avait su se rendre utile au duc de Luynes ; il connaissait les affaires étrangères, savait parler aux ambassadeurs, savait surtout les écouter et les renvoyer à demi satisfaits, avec de bonnes paroles inutiles. Si la conduite des affaires extérieures pouvait se réduire à une perpétuelle abstention, il eût été l’idéal des ministres. N’ayant pas une idée à lui, il prenait celles des autres, et comme il en changeait souvent, il paraissait en avoir beaucoup ; il entretenait ainsi sa réputation, par une tactique assez habile de plagiat discret et d’évolutions sournoises. Un pamphlet du temps dit, à propos de ce personnage : « Il faut que vous sachiez que, de tout temps, on a appelé Galbouziers ceux qui prennent le nom de celles qu’ils épousent. » Or, Puisieux était très honoré de l’alliance d’une Étampes de Valençay, et c’était une opinion à la Cour que, si l’on voulait obtenir une faveur, ou un service, ou même une décision, il fallait les demander à « la Puisieuse : » c’est ainsi qu’on l’appelait. Quant au mari, on l’avait baptisé un « hermaphrodite d’État. » C’était, dit Vittorio Siri, un homme irrésolu dans les affaires, inconstant dans les paroles qu’il donnait et plus artificieux que véritablement habile. Certains projets ambitieux et je ne sais quelles espérances du côté de la Cour de Rome le rendirent dépendant du Pape. » Bassompierre dit de lui : « craintif et peureux. » Rohan, dans sa manière sèche, achève le portrait : « Puisieux, dit-il, homme de petit courage et dont l’industrie ne consistait qu’à tromper. »

C’étaient ces deux hommes que la fortune mettait, maintenant en travers de la destinée de Richelieu, comme si elle eût voulu que le Roi Louis XIII fit le tour de toutes les insuffisances, avant d’appeler l’homme que la voix publique désignait. L’évêque, dans le premier moment, ne sut pas contenir son impatience. Son ambition si vive avait déjà la main tendue pour saisir le pouvoir. Laissons-le parler lui-même : « Dès que le Roi fut rentré à Paris, le 28 janvier (c’est-à-dire près de six semaines après la mort du connétable), on proposa d’abord si la Reine aurait entrée dans les Conseils. On dit au Roi qu’il était à propos qu’il eût confiance en elle, mais qu’il ne devait pas l’appeler au maniement de ses affaires, parce que l’amour qu’il avait pour elle ferait que, bientôt, elle partagerait avec lui l’autorité… Cette résolution ayant été communiquée à la Reine, je me chargeai de faire entendre aux ministres que, s’ils désiraient la gloire du Roi, la satisfaction publique et leur utilité particulière (que de choses à la fois !), ils devaient porter le Roi à lui donner cette place due à sa qualité et à l’honneur du Roi. » Mais les ministres ne se laissèrent pas convaincre. « Rien ne put les émouvoir… » Il est vrai, ajoute-t-il aussitôt, « qu’ils ne s’y opposaient pas tant par aversion qu’ils eussent contre elle que par la crainte qu’y étant une fois établie, elle m’y voulût introduire. Ils connaissaient en moi quelque force de jugement, ils redoutaient mon esprit, craignant que, si le Roi venait à prendre quelque connaissance particulière en moi, il me vînt à commettre le principal soin de ses affaires… ils avaient apposté des gens pour lui rendre toutes mes actions suspectes et odieuses… » S’il en était ainsi, il eût pu s’épargner la démarche.

Sa hâte même mit tout le monde en méfiance, et le Roi plus que tout le monde : « À l’égard de la Reine-Mère, dit le nonce Corsini, le Roi est plein de soupçon qu’elle ne veuille l’assujettir comme du temps de Concini. Lorsqu’on voit auprès d’elle l’évêque de Luçon, on peut redouter que celui-ci ne prenne pied trop avant ; car sa cervelle est ainsi faite qu’il est capable de tyranniser la mère et le fils. »

Cependant les ministres avaient bien compris qu’ils n’étaient pas assez forts pour résister seuls à l’intrigue de la Cour et à l’influence de la Reine-Mère, conseillée par un homme tel que l’évêque de Luçon. Ils cherchaient, autour d’eux, des appuis ; ils se rapprochèrent du prince de Condé. Celui-ci était accouru de Berry à Châteauneuf-sur-Charente, aussitôt la mort du connétable, pour saluer le Roi. C’était un homme hardi, ambitieux, impudent, haut à la main, de langage mordant et qui se considérait toujours comme l’héritier du trône, en cas de disparition soudaine du Roi et de Gaston d’Orléans, sans postérité. Après avoir lié partie avec les protestans, pendant la Régence, il s’était, après sa captivité, donné corps et âme au parti catholique et il résumait sa politique présente en une formule très simple : opposition constante à la Reine-Mère. Il devint donc, à la Cour, l’allié naturel des ministres. Mais ils étaient, à ses yeux, de bien petites gens, et il était décidé à les mettre dans sa poche. Il commença par rompre en visière à la Reine-Mère. Ce fut encore le fameux Ruccellaï qui fut la cause active de ces nouveaux dissentimens. Une querelle très vive qu’il sut provoquer rompit toutes les mesures si prudemment prises par l’évêque de Luçon, Marie de Médicis s’emporta, cassa les vitres, prétendit mêler la Reine régente à la querelle, et le Roi dut, avec froideur, la ramener à la raison.

Il fallait donc, au moins pour un temps, s’accommoder de cette situation nouvelle qui n’avait, au fond, qu’une seule raison d’être et de durer : la crainte que l’évêque de Luçon inspirait au monde politique, tandis qu’une opinion universelle l’appelait aux affaires. Il était indispensable, il était inévitable ; mais précisément à cause de cela, il était odieux. Toutes les médiocrités étaient conjurées contre lui. Elles l’eussent emporté, si elles n’eussent été des médiocrités.

Il comprit qu’il fallait attendre encore. Mais il se rendait compte ainsi que la situation était déjà différente de ce qu’elle était du temps du connétable. Personne n’était plus assez fort, ni assez autorisé pour le traiter maintenant en adversaire public. Il fallait le ménager et pactiser avec lui. Il ne songea plus qu’à mettre le sceau à une autorité désormais indéniable, en s’assurant le prestige de la pourpre cardinalice.

Dès le 22 janvier, Marie de Médicis avait posé la question en termes catégoriques à Puisieux. La lettre qu’elle adressait au ministre était aigre et ferme. C’était à prendre ou à laisser ; elle mettait son amitié à ce prix : intervenir franchement à Rome pour obtenir le chapeau. Puisieux avait été le complice de la manœuvre déloyale de Luynes. Mais il n’était pas de taille à reprendre le jeu. Il essaya de s’en tirer en biaisant. Il laissa entendre qu’il assurerait le chapeau à l’évêque, si celui-ci prenait l’engagement d’aller résider à Rome. On eût fait d’une pierre deux coups, puisque, en même temps, on séparait la Reine-Mère de son confident. Richelieu eut l’air de condescendre à ce qu’on réclamait de lui. Puisieux envoya donc à Rome une expédition officielle en faveur de la promotion. Immédiatement, Richelieu prit acte par une lettre écrite à Puisieux : « Cela étant, je recevrai, sans doute, par votre moyen, l’honneur qu’il plaît au Roi me procurer en considération de la Reine sa mère et vous supplie de croire que je cesserai plutôt de vivre que de manquer à embrasser soigneusement toutes les occasions que je pourrai pour me revancher des obligations que je vous aurai. » A la rigueur, on pourrait prendre cela pour un engagement.

Sur ces données, on fit une espèce de trêve. La Reine-Mère entra au Conseil, où Condé avait pris ses sûretés contre elle. Il disait « qu’on ne lui donnerait connaissance que de ce qu’on voudrait, et qu’on se servirait d’elle pour autoriser les décisions après des peuples. » Elle fut assez habile pour se tenir coite au début ; cherchant à lire dans les yeux du Roi, s’appuyant sur les plus sages et les plus expérimentés, comme Schomberg. L’évêque de Luçon la dirigeait toujours du dehors.

Mais l’heure arriva où il fallut bien compter avec elle. Cette grave question de l’attitude à prendre à l’égard des protestans était restée en suspens. Le Roi avait quitté le Midi sur un échec ; son autorité était méconnue et bafouée ; il avait laissé le duc d’Elbeuf avec les débris de son armée pour contenir les protestans pendant l’hiver. Mais le retour de la belle saison forçait à prendre un parti.

D’autre part, les affaires du dehors s’aggravaient. Les Espagnols bloquaient Juliers ; la trêve de Hollande était expirée et les Pays-Bas demandaient des secours à la France ; l’occupation de la Valteline par les Espagnols s’éternisait. Ce ne sont pas là des questions que l’on règle par des phrases de Cour et par des propos de diplomate. Le Conseil dut donc en délibérer.

Sur l’avis de Richelieu, la Reine-Mère se prononça franchement contre le projet de reprendre les hostilités à l’intérieur. Le prince de Condé, au contraire, emporté par ses engagemens envers le parti catholique, fit décider que le Roi se mettrait de nouveau en personne à la tête de son armée pour en finir avec les protestans.

Le Roi quitta Paris, le 21 mars, jour de Pâques-Fleuries, presque à la dérobée, en costume de chasse, sans escorte et sans apprêt, « emporté par l’ardeur qu’avait Monsieur le Prince de voir les choses engagées. » La Reine-Mère se décida à l’accompagner. Quinze jours après, Louis XIII était à Nantes ; il marchait contre Soubise qui occupait l’île de Riéz. Étonné de cette marche rapide, Soubise essaya de se dérober, mais le Roi, s’avançant hardiment, quoique ses troupes fussent inférieures en nombre, l’accula à la mer et lui fit éprouver une sanglante défaite. La Reine-Mère tomba gravement malade, de fatigue et de dépit, à Nantes. Le Roi la laissa et, suivant la côte océane, marcha vers le Midi.

Partout, ses armes furent heureuses ; il prit Royan, laissa la Rochelle bloquée par une armée que commandait le comte de Soissons, fit capituler Sainte-Foy, où le vieux La Force vint à composition, ramassa, en passant, toutes les places de Sully dans le Quercy, prit, en huit jours, Négrepelisse, qui fut mise à sac, Saint-Antonin, où la lutte fut si terrible que les femmes mêmes y eurent part et que presque tous les défenseurs se firent tuer sur la muraille. Montauban avait réparé ses fortifications, muni sa garnison et comptait arrêter le Roi. On n’osa pas l’affronter. Par Toulouse, l’armée royale gagna Castelnaudary, Carcassonne, Narbonne, Béziers, et s’avança sur Montpellier, place importante qui commandait les communications entre le Languedoc, les Cévennes et le Dauphiné.

On était déjà vers la fin du mois d’août. Montpellier ne s’attendait pas à être attaquée ; sa muraille était « de papier » (Rohan). Mais la population était décidée à se défendre. Rohan fit faire, à la hâte, des fossés, des levées de terre et quelques fortifications, par un habile ingénieur, M. d’Argencourt. Le vieux Bouillon, qui assistait mélancoliquement à la ruine de tous ses grands projets, lui avait promis un secours du dehors ; en effet, il traitait avec Mansfeld.

Rohan, fidèle à sa tactique antérieure, se tint hors de la place. Mais il avait mis dans la ville ses meilleures troupes, ses meilleurs officiers, et notamment, le consul Dupuy qui avait été un des héros du siège de Montauban. Lui-même se multiplie et déploie une habileté et une activité sans pareille. Il n’avait que 4 000 hommes de pied et 500 chevaux. Il tient tête à une armée de 30 000 hommes commandée par le Roi en personne : « Dénué de tout, traversé par ceux de sa religion qui l’accusaient d’ambition et d’ignorance dans le métier de la guerre, il soutint, à lui seul, son parti presque entièrement abattu… Insensible aux intempéries, accompagné d’une poignée de gens, parfois seul et inconnu, il parcourt les montagnes, réveille les courages, arme les gentilshommes et les paysans, les jette dans la ville d’abord, puis sur les derrières de l’armée du Roi ; sa présence crée des armées. »

Les événemens se reproduisirent à peu près tels qu’ils avaient été, à Montauban, l’année précédente. Au bout de six semaines, on n’avait pas encore d’espoir de prendre la ville. On avait perdu beaucoup de monde par la faim et par les maladies. De grands personnages comme le cardinal de Retz, mouraient. Le duc de Montmorency était blessé ; le duc de Fronsac, Zamet, le marquis de Beuvron, Canillac, Montbrun, l’Estrange, Combalet tués. Les femmes de la ville se battaient sur le rempart. Plusieurs assauts, imprudemment livrés, avaient été repoussés. Condé, qui les avait conseillés, était désemparé. Bassompierre y avait compromis sa réputation auprès du Roi. On pouvait craindre un nouvel échec, et bien plus grave, cette fois, car il eût détruit l’effet d’une si brillante campagne.

Le Roi fut trop heureux d’entendre aux ouvertures de paix qui, dans ces circonstances critiques, lui furent faites, de la part du duc de Rohan ; celui-ci se sentait, de son propre aveu, à bout de ressources. Il eut recours au vieux Lesdiguières qui, depuis quelques semaines, s’était converti et que le Roi, pour aider à la conversion, avait nommé connétable. Son expérience et son autorité tirèrent le Roi et le royaume d’embarras. La paix de Montpellier n’abattait pas encore le parti protestant. Cependant, elle lui portait un coup terrible. Seules, La Rochelle et Montauban restaient places de sûreté. Le Roi entrait dans Montpellier comme s’il eût reçu la ville à composition. Pourtant, une fois encore, il traitait avec ses sujets. Le prince de, Condé s’éleva fortement contre cette transaction. La paix se fit malgré lui et contre lui. Dès qu’il vit les négociations définitivement engagées, par un coup de tête, il quitta la Cour, le 9 octobre, et s’en alla en Italie et à Notre-Dame de Lorette. Il ne pouvait prendre plus mal son temps pour faire ses dévotions.

En effet, dès qu’il fut parti, la cabale adverse monte aux nues. Tout le monde est à la paix ; on ne le traitait plus que comme un boute-feu. La Reine-Mère qui, de Nantes, était allée aux eaux de Pougues, où elle avait passé l’été, revenait vers la Cour, et se rendait auprès du Roi, toute fraîche et ragaillardie. Les articles de la paix furent arrêtés, le 9 octobre. Le 18 octobre le Roi entra dans la ville et il la quitta le 29 octobre. Le rendez-vous général était à Lyon.

Le Roi n’était qu’à demi fier d’un succès qui n’avait pas été complet. Les ministres, furieux contre Condé, ne savaient s’ils devaient se féliciter ou se plaindre de son départ. Dans la période d’incertitude qui avait précédé la conclusion de la paix, ils avaient compris qu’ils n’étaient pas assez forts pour rester entre les deux partis. Brouillés avec le prince, ils devaient nécessairement se rapprocher de la Reine-Mère.

Ils avaient un moyen de tout arranger. La mort du cardinal de Retz laissait vacant un des chapeaux attribués à la couronne de France. Il était bien difficile d’empêcher, cette fois, la promotion de l’évêque de Luçon. Richelieu s’était soigneusement tenu à l’écart pendant toute la maladie de la Reine-Mère. S’étant depuis six mois, replié dans le silence, il paraissait moins dangereux. Durant cette période, on l’avait vu se prêter aux tentatives de rapprochement même avec ses adversaires ; il s’était concilié des amitiés précieuses dans le Conseil, et notamment celle du président Jeannin. Le Père Arnoux, qui avait repris quelque influence, lui écrivait des lettres de plus en plus affectueuses. La Sorbonne l’avait nommé son proviseur, le 9 août, et avait ainsi lié à sa fortune tout un monde bruyant et agité. Quant à la Reine-Mère, elle accablait les ministres de ses objurgations. En cas d’échec nouveau, sa passion se changerait en hostilité déclarée, et les Sillery, brouillés avec Condé, ne pouvaient plus se passer d’elle. D’ailleurs, Rome était lasse du double jeu qu’on lui faisait jouer. Le pape déclarait au cardinal de Sourdis qu’il ne ferait plus de promotion sans y comprendre l’évêque de Luçon. Quand les choses sont sur le point de se faire, tout le monde s’y emploie avec ostentation. Le nonce Corsini, qui eût voulu temporiser pour se réserver le chapeau à lui-même, est débordé. Enfin, Louis XIII se déclare : « Le Roi ayant su qu’on cherchait encore à empêcher la promotion de l’évêque de Luçon, s’est mis en colère et a commandé à son ambassadeur, nonobstant tout ce qui a pu être dit au nonce, de faire de vigoureuses instances en faveur de Richelieu. »

Les ministres n’avaient plus qu’à s’incliner. La mort dans l’âme, et sentant bien qu’ils signaient leur perte, ils transmirent les ordres du Roi et demandèrent sans réticence, cette fois, la nomination de Richelieu comme « cardinal de couronne. » Puisieux écrit : « J’ai fait mon office en faveur de l’évêque de Luçon contre l’attente de plusieurs. Mais, vous savez mon humeur qui est, après Dieu, de préférer l’intérêt du Roi à toutes passions et considérations privées.

L’évêque de Luçon fut promu cardinal, le 5 septembre 1622.

La nouvelle annoncée au Roi, par son ambassadeur, le commandeur de Sillery, frère de Puisieux, dans une lettre datée du jour même, fut connue à Avignon, le 14 septembre. Aussitôt, Marillac la transmit à la Reine, qui était en route pour se rendre de Pougues à Lyon « Monseigneur, écrivait-il au nouveau cardinal, la Reine vous dira de sa bouche s’il lui plaît que vous êtes cardinal ; car je n’oserais entreprendre sur Sa Majesté de vous annoncer cette bonne nouvelle. » En effet, c’était bien le moins que Marie de Médicis lui apprît elle-même ce qu’elle avait fait de lui. La lettre fut reçue par la Reine à la Pacaudière, bourg entre La Palisse et Roanne. Nous ne savons rien de ce qui se passa cotre la veuve de Henri IV et le nouveau cardinal. Mais il est permis d’imaginer les effusions intimes d’une femme déjà sur le déclin au moment où elle assurait la fortune de l’homme jeune et supérieur qu’elle avait su choisir.

Une fois assuré de l’avenir, le nouveau cardinal montre ce qu’il est : un homme fait pour commander aux hommes. Le voilà, soudain, dans son naturel. Il entre dans son personnage avec une dignité et une aisance parfaite. Pas un mot d’édification ; aucune affectation, aucune mômerie. La pourpre, c’est, pour lui, la consécration de la situation qu’il occupe dans le monde, dans l’État ; c’est l’entrée dans les Conseils et la voix dans les délibérations importantes. C’est une situation éclatante, une autorité indiscutée, une ressource peut-être, en cas de péril ; pas autre chose. Observez que pas une fois dans tout le reste de sa carrière, ce cardinal de l’Église romaine n’a manifesté l’intention d’aller à Rome. Il négligea complètement le voyage ad limina. À quelque temps de là, il y eut un conclave : personne n’eut l’idée de l’y envoyer tenir sa place ; il était convenu que cet homme n’était pas de ceux dont le suffrage se mêle avec celui des autres. Parmi ceux qui le félicitent, Balzac traduit, en termes excellens, une impression qui est celle de tous : ce qu’on attend de lui, ce sont des actes. Ce bon La Cochère, heureux et fier de son succès, écrit de Rome : « Il me semble que je n’ai plus rien à désirer en ce monde, puisque M. de Luçon est cardinal… Il faut bien que Dieu le destine à la continuation des grandes actions auxquelles il s’est déjà plusieurs fois employé, puisqu’il l’a élevé à la dignité qu’il mérite, contre les plus puissans empêchemens qui se soient peut-être jamais rencontrés à une pareille occasion… » Dès la première heure, pour tous et pour lui-même, il est reconnu et consacré « Cardinal d’État.»

À peine nommé, il se met, par un mouvement naturel, à sa vraie place, c’est-à-dire parmi les grands seigneurs-nés. Sa dignité nouvelle ne fait qu’achever sa nature. Il a trente-sept ans maigre, élancé, la barbe et les cheveux bruns, l’œil clair et pénétrant, il est encore beau, si la beauté est compatible avec une si évidente et si intimidante supériorité. Il a le teint mat des hommes que les veilles consument, que les pensées rongent et qui souffrent. Il est, exactement, de ceux dont on dit que la lame use le fourreau : et, en effet, long, mince et flexible, il semble une épée. Il met le bonnet rouge de cardinal sur sa tête triangulaire. Il s’enveloppe des plis abondans de sa pourpre. Ainsi il entre, tout rouge, dans l’histoire, réalisant la plus complète et la plus puissante physionomie de « cardinal » que l’imagination et l’art aient jamais pu rêver.

Aussitôt qu’il eut appris la nouvelle de son élévation à la pourpre, Richelieu quitta la Reine pour aller remercier le Roi. Il descendit, encore une fois, ce cours du Rhône qui le vit si souvent aller et venir, selon les diverses phases de sa fortune. Il trouva le Roi à Tarascon, le suivit à Avignon, où il retrouva les souvenirs si récens des mois d’exil et de disgrâce, puis à Lyon, qui fut pour lui, à partir de cette date, la ville des grands évèmens. La remise de la barrette eut lieu le 10 décembre. À Rome, on s’était disputé l’honneur d’apporter le bonnet au nouveau cardinal ; ce fut le comte Giulio qui s’acquitta de cette mission.

La cérémonie se fit dans la chapelle de l’archevêché. Selon la coutume, ce fut le Roi qui remit le bonnet. Richelieu remercia dans une harangue qui passa, en son temps, pour une pièce admirable et qui est, surtout, un morceau très travaillé. Sur la minute de ce discours qui a été conservée, on voit que le cardinal avait, tout d’abord, préparé un paragraphe à l’adresse de la Reine-Mère. Il le remplaça, dans la cérémonie publique, par un beau geste. Il se dirige, tout à coup, vers la Reine, il met à ses pieds le bonnet rouge et il lui dit : « Madame, cette pourpre dont je suis redevable à la bienveillance de Votre Majesté me fera toujours souvenir du vœu solennel que j’ai fait de répandre mon sang pour votre service. »

Le soir, le cardinal de Richelieu prit possession de sa nouvelle situation à la Cour en offrant un magnifique festin où la Reine elle-même assista et où les princes et les seigneurs se firent un devoir de figurer.


III. — LA CHUTE DES SILLERY

La paix de Montpellier venait de mettre fin aux complications intérieures. L’attention publique était absorbée presque exclusivement par les affaires extérieures. Tout le monde comprenait que, parmi les grands événemens qui se développaient en Europe, la France devait avoir les mains libres pour intervenir au besoin.

La France est chassée de l’Allemagne, ses droits, ses intérêts, les engagemens sont méprisés dans la Valteline. Ses deux adversaires l’emportent partout ; pour la première fois, le cercle de fer de la domination austro-espagnole s’est fermé autour d’elle ; ses alliés sont ruinés, abattus ou hésitans ; et les deux ministres, Sillery et Puisieux, absorbés et affolés par l’intrigue de Cour, ne songent qu’à sauver, par les plus basses compromissions, les restes d’une autorité qui s’effondre.

De la France entière, une immense huée commence à s’élever contre eux. Ce que tout le monde comprend, c’est que ces ministres sont là, non pas en raison de leur mérite, mais uniquement pour empêcher l’arrivée au pouvoir de l’homme qui, seul, dans ces circonstances difficiles, serait capable de conduire les affaires. On sait que le Roi, jeune, ignorant et obstiné, est entretenu, savamment, dans l’idée que cet homme sera, pour lui, non un ministre, mais un maître. On sait que toute la Cour appréhende le retour aux affaires du personnage dévoué uniquement au bien public, qui planera au-dessus de tous les intérêts louches, de toutes les intrigues basses et qui mettra, s’il le faut, tout le monde à la raison. Les médiocrités restent coalisées contre lui et font bloc dans cet étroit espace qui s’appelle la Cour. Ce qu’elles détestent en lui, c’est sa capacité, son intégrité, cette âme altière qui ne veut pas dépendre. Les quelques mois qui s’écoulent maintenant ne sont rien autre chose que la lutte entre l’ascension fatale d’un génie nécessaire et la résistance lamentable d’une coalition qu’épouvante sa marche irrésistible. Il l’écrivit lui-même, plus tard, rappelant les temps médiocres : « J’ai eu ce malheur que ceux qui ont pu beaucoup dans l’État m’en ont toujours voulu, non pour aucun mal que je leur eusse fait, mais pour le bien qu’on croyait être en moi, Ce n’est pas d’aujourd’hui que la vertu nuit à la fortune et les bonnes qualités tiennent lieu de crimes. On a remarqué de tout temps que, sous de faibles ministres, la trop grande réputation est aussi dangereuse que la mauvaise et que les hommes illustres ont été en pire condition que les coupables. » C’est encore un mot qu’il faut lui emprunter « il n’y avait qu’à laisser faire le temps et à se consoler en cette attente.

Autour de lui, les vœux et les témoignages abondent ; son grand adversaire d’autrefois, le Père Arnoux, s’écrie : « Quand donc prendrez-vous le timon ? » Balzac signale ces « capacités que Dieu promet longtemps aux hommes avant que de les faire naître. » Voici, maintenant, l’avis de Malherbe dans une lettre qu’il écrivait un peu plus tard, dans l’intimité, à son ami Racan : « Vous savez que mon humeur n’est ni de flatter ni de mentir, mais je vous jure qu’il y a, en cet homme, quelque chose qui excède l’humanité et que, si notre vaisseau doit jamais vaincre la tempête, ce sera tandis que cette glorieuse main en tiendra le gouvernail. »

Voici la voix publique, qui s’exprime en termes naïfs et sincères :


Monseigneur de Luçon, vous êtes la lumière.
C’est vous qui par sagesse et qui par bonne foi,
Vos offices rendant, nous donnerez la loi.

Si que chacun crie au seigneur de Luçon
Après ténèbres, viens. J’espère en ta leçon.
Post tenebras spero lucem.

Voici l’avis de ceux qui le défendent : « Pour le cardinal de Richelieu, les courtisans le tiennent raffiné jusqu’à vingt-deux carats, et les clairvoyans ont opinion que son naturel courageux l’engagera à bien faire pour avoir de la gloire… Issu d’un père bon Français, il imitera un si brave cavalier… Sans s’arrêter aux intérêts de l’Espagne, ni des cagots, il embrassera ceux de Votre Majesté comme un autre cardinal d’Amboise, afin de relever cet État menacé de ruine évidente… sa prudence et sa dextérité incomparable au maniement des affaires ont été les échelons qui l’ont fait monter à ces hauts degrés d’honneur et de gloire qu’il tient en l’Église et en l’État… il conjoint une si grande solidité de jugement à une si grande vivacité que jamais qualités contraires ne se virent tempérées par une si puissante harmonie… il est comme le flambeau qui, pour éclairer, se consume lui-même, attendu que l’État, recueillant les fruits de son travail et de ses veilles, il ne fait que ruiner le peu de santé qu’il a, comme une hostie immolée pour le salut public… »

Voici, maintenant, la voix de ses ennemis déclarés : « Plusieurs personnes le connaissoient homme d’un esprit subtil et qu’on ne peut aisément surprendre, parce qu’il est toujours en garde, qu’il dort peu, travaille beaucoup, pense à tout, est adroit, parle bien et est assez instruit des affaires étrangères. » Il faut une singulière force dans la vérité pour arracher de tels éloges.

Voici, enfin, l’opinion des diplomates étrangers. Témoins attentifs et intéressés, ils disent ce qui est nécessaire à l’instruction de leurs gouvernemens. Ce sont leurs correspondances secrètes qui nous font assister au drame qui se joue autour de la faveur royale, au cours de cette année suprême, où les derniers efforts sont faits pour barrer la route au génie. Le nonce écrit en janvier 1622 : « les anciens ministres, devenus tout-puissans, redoutent son cerveau trop actif (cervello fosse troppo gagliardo del vescovo di Lusson). » Il répète en janvier 1623 : « Le cardinal de Luçon ne pourra jamais s’entendre avec eux, tant ils redoutent son intelligence et son talent. » L’ambassadeur vénitien témoigne de sa réserve (mars 1623) : « Les conseils se tiennent dans la chambre de la Reine-Mère et le cardinal de Richelieu affecte de plus en plus de s’éloigner du gouvernement. »

Voulons-nous saisir au naturel le jeu des subalternes et même de la valetaille : tout ce qui entoure la Reine-Mère vient faire ses confidences au résident florentin. Ce diplomate n’aime pas le cardinal. Il écrit : «  J’ai été mis au courant par le moyen des femmes de chambre et de l’apothicaire, étant très familier avec ces gens de mon pays : Ils viennent souvent exhaler confidentiellement avec moi leur passion et particulièrement celle que fait naître en eux la domination superbe et intéressée du cardinal qui veut tenir bas, soit par ambition, soit par avarice, tous les autres serviteurs de la Reine… Ils me dirent que ce cardinal seroit encore la cause d’une nouvelle ruine pour la Reine, parce que le Roi ne pouvoit pas le souffrir ;… ils me dirent aussi que le Roi avoit, à ce propos, lancé de la belle façon quelque brocard à la Reine ; mais qu’elle ne veut pas comprendre. » Et voici un seul mot qui, à lui seul, résumerait tout : « M. le cardinal de Richelieu qui, pour sa valeur personnelle, est très redouté… » Il faut finir par cette phrase écrite encore par le résident florentin, le 16 février 1624, et qui prouve que, jusqu’au dernier moment, la cabale n’a pas désarmé : « Le Roi, dit-il, voudrait bien que la Reine sa mère acceptât que le cardinal de Richelieu s’en allât pour quelque temps à Rome et qu’elle voulût bien se servir pour principal ministre de M. de Brèves ou d’un personnage semblable… C’est là la raison qui met encore quelque obstacle à une entente complète entre le Roi et sa mère ; car, il est très certain qu’aujourd’hui, il n’y a plus de mésintelligence entre eux ; mais le Roi ne peut pas s’empêcher d’avoir en tête certains scrupules relatifs non pas à la fidélité, mais à l’esprit altier et dominateur du cardinal. »

La preuve est faite : mais il fallait faire cette preuve. Jamais un homme en passe du pouvoir ne fut mieux compris, mieux deviné, plus impatiemment attendu par ses contemporains ; jamais un homme n’eut, autour de lui, un tel cortège d’estime, de vœux et d’applaudissemens ; jamais un homme ne fut, dans toute la force du terme, « appelé » comme le fut Richelieu. Il avait été ministre quelques mois à peine, dans les temps troubles de la faveur du maréchal d’Ancre ; sa conduite, pendant les longues années qui séparent sa chute de son second ministère, avait pu paraître suspecte ; tout le monde savait que le Roi, qui l’estimait peut-être, ne l’aimait pas. Cependant l’éclat de son intelligence était tel qu’il éblouissait les yeux et forçait les suffrages. On savait pertinemment qu’il avait un génie extraordinaire, avant qu’il l’eût déployé. Son regard pénétrait les esprits. Une sorte de magnétisme rayonnait de lui. D’une main souple, il dénouait les difficultés et les humeurs. Sa présence était active. Il parlait : c’était une sirène. Il avait toujours raison c’était un maître,

Cette année est, d’ailleurs, une des plus pitoyables de notre histoire. Elle se consume en luttes vaines, en intrigues médiocres, en un confus amas d’erreurs, de fautes et de manèges mesquins, tandis qu’autour de la France, les événemens les plus graves se développaient et montaient comme une puissante et désastreuse marée.

Le Roi est rentré à Paris. Il y vit dans l’inaction et dans la mauvaise humeur, dégoûté de lui-même et des autres, Assez soucieux de son devoir de roi pour sentir qu’il y a mieux à faire que ce qu’on fait, trop inexpérimenté et trop timide pour discerner et décider ce qu’il convient de faire, il cherche des conseils qu’il ne se résout pas à suivre, Sa méfiance est toujours en éveil. D’ailleurs, il n’est pas heureux, son ménage ne va pas. La reine Anne trompée par des amis imprudens se prête mal volontiers à ses fantaisies d’enfant triste et exigeant ; elle est jeune ; elle voudrait rire, s’ébrouer ; elle cherche des jeunesses pareilles à la sienne. Lui, survient parmi ces gaîtés ; renfrogné et morose il boude dans un coin. Sa présence est une gêne ; il le sent ; il le voit ; il souffre. Et puis, on dirait que l’approche de la femme l’effraye.

D’ailleurs, la jeune Reine ne l’encourage pas : deux fois, elle devient grosse ; deux fois par imprudence, par jeu, par gaminerie, elle se blesse, c’est comme un sort jeté sur le ménage royal. Le Roi est un mari médiocre ; la Reine, qui s’est formée tardivement, appartient à cette famille d’Espagne si affinée, si épuisée, qu’on se demande si l’arbre peut encore porter des rejetons. Le frère du Roi, Monsieur, Duc d’Anjou grandit. On s’habitue à voir, en lui, l’héritier présomptif. Le Roi commence à le prendre en jalousie ; la jeune Reine regarde avec quelque attention ce jeune beau-frère, joli gamin, noir, vicieux et hardi ; elle se plaît en sa compagnie. Quant à la Reine-Mère, elle couve, d’une tendresse maternelle, l’avenir de cet autre enfant ; elle est Médicis ; en cas l’accident, la destinée de sa grand’tante Catherine, qui, pendant cinquante ans, grâce aux régences, a été reine de France, ne lui déplairait pas.

Le Journal d’Héroard nous raconte, jour par jour, la vie du Roi : c’est toujours cette chasse obstinée, effrénée qui, par l’exagération niaise, volontaire, têtue, a quelque chose d’attristant. Cet homme ne peut donc pas se trouver en face de lui-même ? Le roi de France n’a-t-il donc d’autre fonction publique que de courir le cerf ou le renard ? « Le 6 mars, mercredi, il va à Versailles à la chasse, revient au galop, comme il étoit allé ; va chez la Reine sa mère. — Le 8, vendredi ; il va à la chasse à Versailles, prend un renard, fait la curée. — Le 9, samedi. Il entre en carrosse et va pour la chasse à Versailles, y dîne ; après, monte à cheval, va courir un cerf, le prend, revient, de bonne heure et prend un renard. Après souper, il va en sa chambre, fait faire son lit, qu’il avoit envoyé quérir de Paris, y aide lui-même. — Le 10, dimanche. Il va à la messe, puis courir un renard, après-dîner, monte à cheval et arrive à Paris. Il va chez la Reine sa mère, au sermon, puis va jouer à la paume. »

Voulez-vous une autre journée un peu moins monotone, celle du 20 février 1623, par exemple : « Il va à la volerie plénière par les plaines du Roule, vers celle de Saint-Denis ; les Reines et les Dames y vont aussi. Elles s’en reviennent et lui, sans découvrir son dessein à personne, va au Bourget, loge à une hôtellerie, y fait lui-même tout. Il étoit en eau, de peine, change de chemise, soupe, à six heures, de la viande qu’un poulaillier de Senlis portait à des conseillers et à Messieurs des Comptes à Paris ; mange peu. Il n’avait aucuns officiers qu’un porte-manteau ; M. le grand écuyer Bellegarde lui fait son lit ; il s’enveloppe dans sa mandille doublée de panne de soie, et se met sur le lit. » À quoi pense-t-il l’adolescent songeur, les yeux grands ouverts, étendu dans sa cape espagnole ? Il se dit, peut-être, que Luynes lui manque bien. Il est seul ; ses ministres sont assommans et ridicules. Il se moque d’eux, tout le premier. Il n’a personne ; il ne lui reste que sa mère.

Celle-ci, par l’autorité de l’âge, du sang, reprend de l’influence ; elle l’entoure d’une assiduité attentive ; sortant de son naturel, elle se lève plus tôt ; surtout qu’on la réveille si le Roi la demande, en partant pour ses chasses. Elle est toujours prête. C’est qu’elle a la pensée constante de son ami ; les femmes ont des nerfs d’acier pour le service de leurs passions. Le Roi, dominé par ce travail de captation réfléchie, se serait déjà laissé faire et abandonné à la volonté maternelle, s’il n’entrevoyait parfois, derrière une tenture, cette figure triangulaire et ce regard noir qui l’observent.

Alors, il se dérobe brusquement. Les ministres profitent de ces alternatives, de ces boutades, de ces bourrasques. Ils font leur main sur tout, s’enrichissent effrontément, poussent les leurs dans les places, dans les ambassades, éloignent les capacités qu’ils soupçonnent de leur nuire ; c’est ainsi que Schomberg, surintendant des finances depuis 1619, homme sûr, expérimenté, bon au conseil, et bon à la guerre, est éloigné, le 20 février 1623, par une brusque résolution du Roi qui est passé maître, décidément, dans l’art de renvoyer les ministres. Louis XIII, il est vrai, n’a consenti à ce renvoi que sur l’insistance de ces ministres. Il leur en garde rancune. Cette décision, de leur part, est doublement une faute, elle mécontente le Roi et remplace Schomberg, qui est sûr, par un courtisan habile qui les,trahira, La Vieuville.

Le Roi marque, une première fois, son dépit contre Sillery en accordant la préséance dans le Conseil au cardinal de La Rochefoucauld sur le connétable et sur le chancelier. Les gens avisés voient poindre, sous cette intrigue, les ambitions prochaines de l’autre cardinal, toujours dans la coulisse, et qui, d’avance, marque sa place. Cependant le Roi dissimule encore ; une nouvelle prétention des Sillery met le comble à leur fortune et rapproche, en même temps, l’heure de la catastrophe. Caumartin, qui avait reçu les sceaux à la mort du duc de Luynes, vient à mourir. Le vieux Sillery qui ne s’était jamais consolé de les avoir perdus, les réclame, avec la maladresse d’un vieillard obstiné et intéressé. Le Roi les lui abandonne comme un jouet. Mais il trouve ces gens bien envahissans ; il a désormais l’oreille ouverte à toutes les critiques.

La Cour, l’opinion, sentaient que cette faveur, qui se croit si assurée du lendemain, est déjà minée. Une violente campagne de pamphlets s’engage contre les ministres. On dirait que l’on entend la voix de Richelieu. D’ailleurs, ces pamphlets ont été écrits sous son inspiration. Ils viennent de son entourage ; on dit qu’ils sont de Fancan. Ils traduisent les sentimens de l’opinion. Ils portent ; les ministres sont touchés ; ils ne savent comment se défendre.

Puisieux, selon sa méthode habituelle, pense qu’il suffit de s’emparer des idées des autres. Cette affaire de la Valteline encombre sa route. Tout le monde crie. Il suffit de trouver un expédient qui fasse taire les plaintes… comme si cela arrangeait les affaires ! Il s’avise donc d’une procédure, déjà indiquée, sous main, par les Espagnols eux-mêmes, et qui consistait à remettre en dépôt La Valteline, sous la garde d’une puissance tierce. Même son frère, l’ambassadeur à Rome, le commandeur de Sillery, va plus loin et s’engage, par écrit, à remettre toute l’affaire au jugement du Pape. L’Espagne est enchantée ; voici donc une des parties satisfaites. Quant aux ennemis de l’Espagne, on leur donnera une autre satisfaction. On bâcle, rapidement, une sorte de ligue en faveur de la Valteline avec la Savoie, Venise, et on laisse le protocole ouvert pour le Pape, les Suisses, la Grande Bretagne, les princes d’Allemagne et d’Italie. Les articles très détaillés de la convention constituaient un véritable programme d’action. Mais, il était ruiné d’avance par la décision prise de remettre la Valteline en dépôt entre les mains du Pape. Comme le dit l’un des signataires, l’ambassadeur de Venise, c’était « une manifestation sur le papier (7 février 1623). »

Après cet effort, l’énergie des Sillery retombe au plus bas. Ils ont annoncé de grands effets. On a remué des phrases et on a gagné du temps. Voilà tout. La Cour s’épuise en intrigues obscures ; on danse au carnaval, le Roi chasse. Si, pourtant, un changement s’est produit : « le Roi a substitué à la chasse avec des oiseaux la poursuite avec des petits chiens pour le renard.» L’ambassadeur vénitien se hâte d’informer son gouvernement.

La peste sévit à Paris ; on répand des prédictions sinistres. La vie est triste. La Cour quitte la ville. Le Roi se rapproche de sa mère. À Saint-Germain, à Fontainebleau, on remarque de longues conférences entre la mère et le fils. Où cela tend-il ? tout le monde est aux écoutes. Richelieu s’éloigne ; on dit qu’il va s’établir chez lui, en Anjou. On dit encore qu’il y a mésintelligence entre Sillery le père et Puisieux le fils ; ce qui est certain, c’est qu’ils sont en pleine rupture avec leur créature, La Vieuville. Quand les cabales se querellent, c’est que le péril approche. En effet, une personne de qualité affirme « qu’on verra du nouveau dans quelques semaines. »

Les imaginations travaillent. Bientôt, elles sont fixées. Le soir du jour de l’an, — attention charmante, — le Roi dit, à brûle-pourpoint, au vieux Sillery de lui rendre les sceaux. Celui-ci se récrie. Paroles vives. Pour en finir, le Roi donne l’ordre. Les pauvres gens mettent une nuit à se décider, et Puisieux rapporte les sceaux, le lendemain matin. Il faut laisser, à l’ambassadeur de Venise, la responsabilité d’une anecdote bien singulière : « Des trois sceaux dont on se sert, dit-il, à savoir de la couronne de France, de la Navarre, et du Dauphiné, il se trouvait qu’il manquait celui de France ; le Roi le réclame Puisieux l’avait gardé… On assure que ce manque de mémoire a fortement accru la bourse de Puisieux au moyen de sceaux secrets. C’est un procédé de domestique à l’égard du roi son maître. »

Puisieux essaye de se raccrocher aux branches. Il tient bon sous les camouflets. Il se fait petit. Les Sillery, selon que le visage du Roi s’ouvre ou se ferme, se redressent ou s’effondrent. Puisieux eut un moment d’espoir, sinon pour son père, du moins pour lui-même. Enfin, le 3 février, le Roi envoie son secrétaire. Tronçon, leur dire qu’ils aient se retirer dans leur terre de Champagne : cependant, s’ils le désirent, il les entendra. Ils se voient perdus. Le visage du Roi est terrible à ces âmes tremblantes : ils partent. Personne ne les accompagne ; personne ne les plaint (3-5 février 1624).


IV. LES TROIS MOIS DE LA VIEUVILLE. — RICHELIEU PREMIER MINISTRE

Cette fois, est-ce le tour du cardinal ? Pas encore. Le Roi, pour qui cet homme devenait une obsession, ne cessait de répéter que c’était un fourbe et qu’il n’en voulait pas. Il disait, tout bas, au maréchal de Praslin, en voyant le cardinal passer dans la cour du château : « Voilà un homme qui voudrait bien être de mon Consei1 ; mais je ne puis m’y résoudre, après tout ce qu’il a fait contre moi. » Cependant, d’ores et déjà, on ne prend plus une décision importante sans le consulter, soit directement, soit par l’intermédiaire de la Reine-Mère. Le Roi veut encore se cacher à lui-même qu’il est déjà sous sa domination. L’ambassadeur vénitien très perspicace, explique bien la situation : « Monsieur le cardinal de Richelieu, dit-il, est, ici, le contrepoids de tout ce que font les ministres ; il met toute son étude à s’élever dans l’esprit du Roi, à s’assurer de son affection, en lui suggérant des idées de gloire et de grandeur pour la Couronne ; je l’ai pleinement instruit de toutes les nécessités ; je l’ai pénétré de toutes les raisons que comporte l’affaire de la Valteline ; il m’a promis de trouver, avec la Reine-Mère, l’occasion de parler au Roi et de lui faire comprendre toute l’importance de ces passages ; car, viendra certainement le jour où la France montrera sa vigueur. »

Cependant, malgré cette influence occulte déjà si puissante, la coalition espère toujours. Elle jette à la traverse une nouvelle ambition, une audacieuse et folle prétention qui, sans passé, sans titre et sans autorité, essaye encore de barrer le chemin. Il n’y a plus que des enfans perdus qui puissent tenter une pareille aventure : celui-ci doit de vivre, dans l’histoire, à l’honneur qu’il a eu d’être, pendant trois mois, le concurrent heureux du cardinal de Richelieu, il eut aussi l’honneur et le malheur, tout ensemble, de lui ouvrir la porte. Il s’appelle La Vieuville.

C’était un personnage d’importance médiocre mais il ne manquait pas d’esprit, et il avait de l’allant. Ayant tâté du métier des armes, il était d’épée. Comme Luynes, il avait fait son chemin par la fauconnerie. Bel homme, il avait épousé la fille d’un certain Beaumarchais, qui était un des traitans les plus prodigieusement riches de ce temps. La fortune de son beau-père lui avait donné du lustre et une manière de compétence dans les affaires d’argent. On attache volontiers, à une richesse démesurée, une sorte de capacité mystérieuse.

Au moment où les Brulart cherchaient un successeur à Schomberg, La Vieuville étant de leurs amis et mêlé à leurs intrigues, on le bombarda surintendant général. Quand il fut là, la confiance lui vint. Dirigé probablement par son beau-père, il entreprit quelques réformes utiles dans les affaires de finances. Il prétendit mettre de l’ordre dans le chaos des comptes royaux ; il se montra très économe, très serré, notamment, sur le chapitre des pensions. Les hommes riches sont souvent peu généreux, parce qu’ils ne savent pas ce que c’est que de manquer d’argent. Il traitait de haut les gentilshommes solliciteurs, et leur disait qu’il s’appelait M. d’Argencourt ; ou bien encore Monsieur Octobre, quand on lui demandait quelque avance pour le terme de janvier. Les courtisans n’admettent les quolibets que quand une sauce de bienfaits les assaisonne. Ils apprécient peu l’économie rudanière. La Vieuville se fit de terribles ennemis, en jouant à l’homme d’État.

Quand les Sillery perdirent l’équilibre, il leur donna le croc-en-jambe. Cette trahison le consacra. À défaut d’autres, on tourna les yeux vers lui ; et il trouva cela tout naturel. Le voilà ministre dirigeant, et assuré (du moins le croit-il) de la confiance du Roi. La Reine-Mère et le cardinal de Richelieu s’étaient unis à lui contre les Brûlart. Ils furent surpris quand ils le virent prendre son vol, tout seul.

Icare n’eut pas une plus prompte et plus tragique carrière La Vieuville fut un premier ministre absolu pendant six semaines. Il eut le temps de croire qu’il préparait de grandes choses ; car il avait le cœur assez résolu, et son intempérance même donnait quelque hardiesse à ses conceptions. Il était donc dans l’empyrée, quand une brusque secousse le ramena sur la terre.

Autour de lui, il entendit un grondement universel. Des pamphlets circulaient : Le Mot à l’oreille, la Voix publique au Roi. Son beau-père, Beaumarchais, est pris cruellement à partie. La France n’a jamais aimé les traitans. Toute la bande est traquée par la polémique qui devient féroce. C’est la « Chasse aux Larrons ; » il n’est plus question que de leur faire rendre gorge. Jamais la Cour n’a été aussi austère que depuis qu’on a touché aux pensions.

D’ailleurs, les affaires extérieures se compliquent encore. L’Espagne, par un coup très habile, avait confié au Pape le dépôt des forts de la Valteline. Elle discutait sur la portée de cet engagement et marchandait la remise de Chiavenne et de la Rive. Par contre, Jacques Ier, froissé de n’avoir pu conclure le mariage de son fils avec une infante d’Espagne, se rapprochait de la France et demandait, maintenant, une des filles de Henri IV, Henriette-Marie. Son ambassadeur venait d’arriver à Paris. Une autre ambassade, non moins importante, était également en instance auprès du Roi : c’était celle des Hollandais, venus pour presser le secours contre l’Espagne. Mansfeld, flairant le vent, était accouru à son tour ; il s’était avancé jusqu’à Compiègne et avait sollicité une audience du Roi ; il offrait son épée et son armée. Ainsi, de toutes parts, l’heure des grands événemens approchait. Il s’agissait de la guerre ou de la paix. Mais ce ne sont pas là des résolutions qu’un Roi ou un pays abandonne à la décision d’un faiseur de quolibets.

La Vieuville se réveille, épouvanté.

Alors, il se retourne vers ce cardinal, toujours froid, avec lequel il avait cru pouvoir se mesurer. Il s’imagine qu’il est encore possible de l’employer dans une position secondaire, à mi-côte du pouvoir et de la confiance du Roi. Il propose d’établir un « Conseil des dépêches, » qui serait chargé des Affaires étrangères et il offre à Richelieu la direction de ce Conseil.

À cette proposition, le cardinal haussa les épaules, et il amusa sa plume ironique à polir une réponse qui nous est parvenue : « Le cardinal ne sauroit assez remercier M. de La Vieuville de l’estime qu’il fait de lui et de la bonne volonté qu’il lui porte. Il tâchera, en toutes occasions, d’en prendre revanche, en sorte qu’il connoîtra que ses intérêts lui seront aussi chers que les siens propres. Mais, il jugera que la proposition faite, en ce qui regarde ledit sieur cardinal, ne seroit ni utile au service du Roi, ni bonne pour entretenir l’intelligence qui doit être entre Sa Majesté et la Reine-Mère et qu’elle seroit périlleuse pour le dit sieur cardinal… Non utile pour le service du Roi, pour le peu de connaissance que ledit sieur cardinal a des affaires étrangères passées depuis quelques années, et pour la faible complexion de sa personne ; ce qui lui fait préférer une vie particulière à un si grand emploi. Au reste, pour y travailler, il faut prendre des résolutions si généreuses et prudentes qu’elles ne peuvent être attendues que du Roi et du Conseil qui est auprès de Sa Majesté. Autrement, pendant qu’on prendroit une résolution au Conseil des dépêches, on en pourroit prendre une autre au Conseil, en présence du Roi. »

La Vieuville eut alors l’idée de lui offrir l’ambassade d’Espagne, puis celle de l’envoyer à Rome remplacer le commandeur de Sillery que l’on venait de rappeler. Mais ce diable d’homme refusait tout, avait réponse à tout. La Reine-Mère n’admettait qu’une solution, l’entrée au Conseil, et elle avait repris tout son empire sur l’esprit de son fils, Elle ne le quittait plus : à Saint Germain, à Monceaux, lui répétant toujours la même antienne. Enfin, un jour, à Compiègne, elle prend La Vieuville à part et lui met le marché à la main : « Madame, lui dit-il, vous voulez une chose qui causera infailliblement ma ruine. Et je ne sais si Votre Majesté ne se repentira pas un jour d’avoir tant avancé un homme qu’elle ne connaît pas bien encore. » Mais, à bout de ressources, il s’incline. Il propose donc, lui-même, au Roi, l’entrée de Richelieu dans le Conseil. Il est vrai qu’il essaya encore de restreindre l’autorité du cardinal. Celui-ci n’assisterait au Conseil que « pour donner son avis. » C’est prodigieux à quel point la fatuité politique affole des gens qui, d’ailleurs, ne sont pas inintelligens !

Richelieu se fit prier. Alléguant, surtout, sa mauvaise santé, il exposa au Roi, dans une lettre très forte, la gravité de la résolution qui allait être prise et les conséquences qui devaient s’ensuivre. Le cardinal n’entendait pas être nommé pour faire nombre. Il savait qu’il aurait des résolutions importantes à prendre, qu’il « allait déplaire au tiers et au quart ; » il se ferait de nombreux ennemis. Le Roi, « qui avait eu quelque ombrage de lui dans le passé, » se déciderait-il à le soutenir toujours et quand même ?… « Si, nonobstant ses considérations, Sa Majesté s’affermit en sa résolution, le cardinal ne peut avoir d’autre réplique que l’obéissance. Seulement, il supplie Sa Majesté d’avoir agréable que vaquant, concurremment avec ceux de son Conseil, aux affaires qui concernent le général de son État, il soit délivré des visites et sollicitations des particuliers qui, faisant consommer inutilement le temps qu’on doit employer à son service, achèveraient de ruiner entièrement sa santé ; et, de plus, que, comme il entre en cette fonction sans la rechercher ni la désirer, mais par pure obéissance, Sa Majesté sache qu’il n’aura ni ne peut avoir d’autres desseins que la prospérité et la grandeur de son État, et soit si ferme en cette croyance véritable que le cardinal soit assuré que tous les artifices des malins ne pourront avoir aucune force auprès de Sa Majesté au préjudice de sa sincérité. »

C’était une sorte d’engagement d’honneur qu’il demandait personnellement au Roi. La « tyrannie » commençait. Il fallut écouter ces observations si fières pour un sujet, et en passer par ses conditions. La Vieuville, lui-même, était pressé d’en finir. Le 29 avril 1624, le cardinal de Richelieu prit séance dans le conseil du Roi.

Finissons-en avec La Vieuville. Il se félicitait d’avoir fait entrer Richelieu par la petite porte.

Le lendemain, par un coup inattendu et qu’il avait longuement préparé, celui-ci, rappelant le précédent qui avait été jugé, du temps de Sillery, en faveur du cardinal de La Rochefoucauld, réclama la préséance en sa qualité de cardinal. Un long mémoire dans ce sens fut remis au Roi, bourré d’exemples accablans. Les cardinaux précèdent les princes du sang et autres princes, après lesquels le connétable et le chancelier prennent place et, à plus forte raison, le surintendant des finances. Celui-ci marchait de déboires en déboires. Déboires au sujet de la négociation si grave du mariage d’Angleterre ; déboires au sujet des affaires de Hollande. On lui fait dire le contraire de ce qu’il voudrait dire. On le mène, par des sentiers qu’il ne connaît pas, vers un but qu’il ignore ; il est toujours surpris, et en vient lui-même à supplier le cardinal de le ménager et de lui expliquer d’avance les avis donnés au Conseil, pour qu’il n’ait pas l’air trop balourd devant les autres.

Le cardinal promet avec candeur : « Il songeoit peu aux affaires publiques ; son esprit n’étoit occupé qu’aux moyens de se maintenir, et le pauvre homme prenoit des voies du tout capables de le perdre ; il prenoit jalousie de son ombre… » « Il étoit haï de toute la Cour ; on l’appeloit la Véronique de Judas, La polémique des pamphlets se faisait terrible. Celle de Fancan aiguisait toutes ses pointes : « On dit, Sire, que La Vieuville fait le maréchal d’Ancre, le Luynes et le Puisieux tout ensemble ; présumant tant de lui que de votre conseil, il entreprend de résoudre tout, se fâchant si les secrétaires rapporteurs ne concluent aux fins de cet unique sénateur. Il ne faut qu’un fou, dit le proverbe, pour troubler toute la fête. » On rapporte le mot du palefrenier qui reprochait à son compagnon de sangler son cheval tout de travers « comme la cervelle de La Vieuville… » « On veut persuader qu’il est habile homme mais personne n’y veut ajouter foi, non plus qu’aux nouvelles de l’arrivée de la flotte d’Espagne. Il est copieux en de telles conceptions ; mais sa tête ressemble à ces cavales des pays méridionaux qui ne conçoivent que du vent. »

Le beau-père, Beaumarchais, commence à prendre peur pour ses millions. Les grandes fortunes aiment le silence. Or, les voilà, lui et ses pareils, en plein tapage : « Il n’y a aujourd’hui financier qui ne vive en seigneur et en prince ; la plupart d’entre eux, pour s’exempter du gibet, étant alliés aux principales familles du royaume. N’est-ce pas chose horrible de voir un Jacquet épouser la nièce du duc de Mayenne ? la fille de Feydeau le comte du Lude ? celle de Beaumarchais le maréchal de Vitry ? celle de Montmor le fils du maréchal de Thémines ?… Et Villautrais qu’on croyoit devoir être pendu après avoir dérobé un million au siège de Montpellier, a marié sa fille au neveu du cardinal de La Rochefoucauld pour s’appuyer de l’écarlate. De manière que la science de dérober est l’unique chemin de s’anoblir maintenant en France… »

Tous les actes de La Vieuville sont passés au crible, son humeur bizarre et bourrue, son esprit léger et malfaisant, ses terreurs, « son agitation perpétuelle. » On reproche à Richelieu d’endurer tout ce qui se passe, « sous prétexte qu’il est homme de compagnie et qu’il veut vivre en société avec tous. » Il s’agit bien de cela. Il s’agit des intérêts de la France. Il s’agit des grandes décisions à prendre. Avant tout, il faut, dans le conseil, la gravité, l'autorité, l’unité. Il n’y aura rien de tel tant qu’il sera dirigé par cet homme qui n’a ni sens, ni conduite, qui n’entend rien aux affaires extérieures, qui n’a d’accointance qu’avec les traitans, qui pille le prince et le trésor « aliène la cour et la noblesse » et n’est qu’un charlatan incapable de trouver « les remèdes salutaires à la guérison des plaies de la France.

La main de Richelieu se retrouve dans ce remarquable libelle, qui lui est, d’ailleurs, attribué : « C’est pourquoi Votre Majesté doit résoudre hardiment les choses qui regardent sa conservation ; elle doit voir librement Mansfeld, maintenir ses anciens alliés, sans s’arrêter aux spéculations des moines, ni du nonce, lesquels ne prêchent que l’intérêt du Pape et non celui de votre service. Si chacun ne se mêlait que de son métier, les vaches en seraient bien mieux gardées.

La Vieuville est affolé. Il se contredit, cherche des issues diverses, songe à appeler le prince de Condé, puis le vieux Sully. « Ses extravagances devinrent si grandes que toutes ses entreprises se contredisoient les unes les autres, et, comme un ivrogne, il ne faisoit plus un pas sans broncher. » Son voisin, vêtu de rouge, le regardait s’avancer en trébuchant et prenait la peine de lui indiquer parfois où il devait mettre les pas.

Le Roi, lassé de tout ce bruit qui se faisait autour d’un homme qu’il n’avait aucune raison particulière d’aimer, prit conseil du cardinal de Richelieu et du garde des sceaux. Celui-ci, d’Aligre, était une créature du cardinal. Les deux compères donnèrent au Roi le conseil de réfléchir mûrement avant de changer, une fois encore, de ministres. Le Roi demande au cardinal de lui exposer franchement ses idées au sujet du nouveau personnel qu’il convenait de choisir. Richelieu fit quelque résistance, puis il prononça les noms de ses amis, Schomberg, Marillac, Champigny, Molé. Ces choix étaient excellens, ces noms respectés. Le Roi approuva tout. Le cardinal pria encore le Roi de réfléchir mûrement et de tout peser : « Après avoir fait une énumération aussi entière que possible, des désordres passés du gouvernement de son État, il lui représente que, si, à l’avenir, en l’établissement de son conseil, il fait encore une pareille faute, elle seroit sans remède ; qu’il étoit facile de détruire, mais difficile d’édifier, que l’un étoit Diable et l’autre Dieu… » Le Roi était à bout de patience ; il n’avait plus de volonté devant ce fascinateur qui l’enveloppait de si longs et si sages discours : il n’avait plus qu’une envie : en finir au plus vite, et partir pour la chasse.

Richelieu était trop ami de La Vieuville pour ne pas l’avertir sous main. D’ailleurs, celui-ci avait remarqué les longs entretiens du Roi et de sa mère ; il n’avait pas besoin de ces avis pour être perdu d’inquiétude. Il se jette dans la gueule du loup. Il va voir le cardinal qui, selon ses propres paroles, « sachant bien taire la vérité, mais non la violer, ne put jamais lui répondre avec telles précautions qu’il n’odorât quelque chose de ce qui devoit lui arriver.

La Vieuville alla lui-même porter sa tête. Il se rendit à Ruel où le Roi était en visite près de la Reine sa mère ; il dit au Roi « qu’il connaissoit bien qu’il ne vouloit plus se servir de lui. » Le Roi se tut ; La Vieuville reprit quelque espoir et demanda au Roi de l’autoriser à venir le lendemain, auprès de lui, à Saint-Germain. Le Roi le lui permit. Il arrive à l’heure dite. Il entre. Le Roi lui dit qu’il est démissionnaire, écoute ses plaintes un instant, puis le fait sortir. Dans la cour du château, La Vieuville voit venir vers lui M. de Tresmes, capitaine des gardes du corps, qui lui dit quelques mots, le pousse dans le petit carrosse de Sa Majesté ; accompagné d’un certain nombre d’archers, il est conduit au galop jusqu’à Amboise.

Le Roi réunit aussitôt son Conseil. Il expose le parti qu’il venait de prendre et déclare en s’adressant au cardinal de Richelieu qu’il entendait reconstituer le Conseil.

Si l’on en croit le cardinal, il prononça un discours très étudié, où il développait au Roi tout un programme de gouvernement. Il approuva grandement la mesure prise à l’égard de La Vieuville : « Si Votre Majesté faisoit encore un choix pareil à celui-là, vos affaires seroient perdues en sorte qu’il seroit impossible de les remettre jamais sur pied… La mémoire de ses fautes s’oubliera, mais les actions de ceux qui entreront à sa place dureront autant qu’ils y seront. « Il conseilla au Roi » de constituer un Conseil uni, de n’entendre aucune plainte en particulier contre tel ou tel ministre ; il lui conseilla d’entretenir les Grands et de faire caresse à tout le monde. » Il parla de l’autorité qui appartenait naturellement à la Reine-Mère et de la bonne harmonie et familiarité qui devait exister avec la Reine régnante. Il rappela dans quel état se trouvaient les affaires intérieures et les affaires extérieures : « Le mariage d’Angleterre est en mauvais termes par la faute de La Vieuville ; l’affaire de la Valteline a été conduite avec tant d’extravagance et de contrariétés qu’il est à craindre que vous y perdiez votre réputation et vos finances. Sire, il faut vous gouverner de telle sorte que tout le monde reconnaisse que Votre Majesté pense elle-même à ses affaires comme il est à désirer. » Les caresses étaient prodiguées à tout le monde. Le trait final faisait appel à l’honneur du Roi.

Le Roi répondit brièvement. Il approuva ce que le cardinal venait de dire. Il se plaignit de ses ministres, même de Luynes, mais surtout de Puisieux et de La Vieuville. Il déclara aussitôt, que, désormais, il verrait ses affaires avec plaisir, puisqu’elles seraient conduites avec ordre ; et il chargea, par ces mots, le cardinal de Richelieu d’en prendre désormais la direction.

C’était un contrat solennel, passé devant le Conseil attentif. Le jour même, 13 août 1624, « jour d’éternelle mémoire, » le cardinal devenait premier ministre.

L’ambassadeur vénitien, qui annonce la nouvelle à son gouvernement, écrit : « Autant qu’il est possible de prévoir humainement l’avenir, ce nouvel édifice ne s’écroulera pas aussi facilement que les autres. »


GABRIEL HANOTAUX.

  1. Voyez la Revue des 1er janvier, 1er et 15 février.