Rob Roy/Introduction

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Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 9p. 6-61).


INTRODUCTION
MISE EN TÊTE DE LA PREMIÈRE ÉDITION D’ÉDIMBOURG.


Quand l’auteur conçut le projet de mettre à une nouvelle épreuve la patience d’un public indulgent, il se trouva embarrassé pour le choix d’un titre, un nom connu n’étant guère moins important dans le monde littéraire que dans le monde réel. Le titre de Rob-Roy lui fut suggéré par M. Constable, dont la pénétration et l’expérience prévirent le succès populaire qu’il ferait naître.

Aucune introduction ne saurait mieux convenir à cet ouvrage que quelques détails sur le singulier personnage dont le nom est inscrit sur la première page, et qui, soit en bien, soit en mal, occupe dans les souvenirs du peuple une place importante. Cette importance, on ne peut l’attribuer à la distinction de sa naissance, qui, quoiqu’elle fût celle d’un gentilhomme, ne lui donnait ni un rang éminent, ni un droit bien étendu de commander dans sa tribu ; et les entreprises, les coups de main, les aventures de tout genre, dont a été semée sa vie, n’ont pas égalé ceux de déprédateurs moins connus que lui. Sa célébrité vient en grande partie de ce qu’il résidait sur les frontières des Higlhands[1], où il menait, au commencement du dix-huitième siècle, une existence semblable à celle de Robin Hood[2] au moyen âge ; et cela à quarante milles de Glascow, cité riche et commerçante, siège d’une université renommée pour son savoir. Un tel personnage, réunissant les vertus farouches, l’astuce, la licence effrénée d’un Indien de l’Amérique, vivait en Écosse dans le siècle qu’on a comparé à celui d’Auguste, le siècle de la reine Anne et de George Ier. Addison ou Pope n’auraient probablement pas été peu étonnés en apprenant que dans la même île qu’eux habitait un homme tel que Rob-Roy. Du contraste frappant entre la civilisation qui régnait de ce côté-ci des Highlands, et les entreprises hardies, contraires aux lois, exécutées par un homme qui vivait de l’autre côté de cette ligne de démarcation imaginaire ; de ce contraste, dis-je, naît l’intérêt qui s’attache au nom de Rob-Roy : de là vient qu’aujourd’hui,


De loin comme de près, aux vallons, aux montagnes,
Chacun atteste encor ses prodiges fameux.
Comme un feu remue, dans le sein des campagnes,
Le grand nom de Rob-Roy fait pétiller les yeux.


Diverses circonstances favorisèrent singulièrement Rob-Roy dans le rôle qu’il s’était donné.

La plus importante de toutes, c’est la qualité de descendant et d’allié du clan de Mac-Grégor, si fameux par les infortunes et par l’opiniâtreté indomptable avec laquelle il conserva son organisation, en dépit des lois qui poursuivaient avec une rigueur inouïe tous ceux qui portaient ce nom proscrit. Leur histoire est celle de beaucoup de tribus primitives qui furent détruites par des voisins plus puissants, ou extirpées entièrement, ou réduites à acheter leur conservation en renonçant à leur nom de famille pour prendre celui des conquérants. Ce qui distingue l’histoire des Mac-Grégor, c’est l’obstination avec laquelle ils maintinrent leur existence séparée, et leur union comme clan, au milieu des périls les plus pressants. Nous raconterons, dans les pages suivantes, en peu de mots, l’histoire de la tribu ; mais nous devons prévenir le lecteur que ce récit est emprunté, en grande partie, à la tradition : ainsi, quand à l’appui nous ne citons pas de documents écrits, on peut le considérer, jusqu’à un certain point, comme douteux.

La tribu de Mac-Gregor prétend tirer son origine de Gregor ou Gregorius, troisième fils, à ce qu’on dit, d’Alpin, roi d’Ecosse, qui florissait vers l’année 787. Leur nom patronymique primitif est donc Mac-Alpin, et on les appelle ordinairement le clan Mac-Alpine. Il y a parmi eux une famille qui porte encore ce nom. On les regarde comme un des plus anciens clans dans les Highlands. Cette race, sans aucun doute, d’origine celtique, occupait à une époque fort éloignée, des terres considérables dans les comtés de Perth et d’Argyle, qu’elle continua imprudemment à garder par le coir a glaive, c’est-à-dire par le droit de l’épée. Pendant ce temps, leurs voisins, les comtes d’Argyle et de Breadalbane, se faisaient accorder la concession des terres occupées par les Mac-Gregor, en vertu de chartes qu’ils obtenaient facilement de la couronne ; de cette façon ils créaient un droit légal en leur faveur sans tenir grand compte de l’iniquité de ce procédé. À mesure qu’une occasion se présentait d’affaiblir ou de détruire leurs voisins, ils augmentaient leurs domaines en usurpant, sous le prétexte de ces concessions royales, ceux de leurs voisins moins civilisés. Un sir Duncan Campbell de Lochlow, connu dans les Highlands sous le nom de Donacha Dhu nan Churraichd, c’est-à-dire Duncan le Noir au capuchon, parce qu’il prenait plaisir à se couvrir ainsi la tête, est cité comme s’étant particulièrement agrandi par ses spoliations aux dépens des Mac-Gregor.

Cette tribu malheureuse, se voyant injustement dépouillée de ses possessions, les défendit par la force, et obtint quelquefois des avantages dont elle usa assez inhumainement. Cette conduite, bien naturelle, eu égard au pays et à l’époque, était soigneusement représentée dans la capitale comme le résultat férocité innée et indomptable, qu’on ne pourrait détruire, disait-on, qu’en abattant la tribu de Mac-Gregor, branches et racines.

Par un acte du conseil privé à Stirling, en date du 22 septembre 1503, sous le règne de la reine Marie, commission est donnée aux seigneurs les plus puissants et aux chefs de clans de poursuivre le clan de Gregor avec le feu et l’épée. Un acte semblable, aussi en 1563, non seulement confère les mêmes pouvoirs à sir John Campbell de Glenorchy, le descendant de Duncan au capuchon, mais défend aux vassaux de donner asile ou assistance à aucuns du clan de Gregor, ou de leur fournir, sous quelque prétexte que ce soit, à manger, à boire, ou de quoi se vêtir.

Une atrocité commise par le clan de Gregor en 1589, (je veux parler du meurtre de John Drummond de Drummond-Ernnoch, forestier de la forêt royale de Glenartney), est racontée autre part avec ses horribles circonstances. Les hommes du clan jurèrent sur la tête de la victime, séparée du tronc, que tous se reconnaîtraient coupables du meurtre. Ceci provoqua un acte du conseil privé ordonnant une nouvelle croisade contre l’infâme clan de Gregor, qui continuait de vivre dans le sang, le meurtre, le brigandage et le vol : par cet acte, des lettres de feu et de sang sont lancées contre eux pour l’espace de trois ans. Le lecteur trouvera tous les détails de ce fait dans l’introduction à la Légende de Montrose.

En beaucoup d’autres occasions, les Mac-Gregor firent éclater leur mépris pour les lois dont ils avaient si souvent éprouvé la rigueur, et jamais la protection. Successivement privés de toutes leurs possessions et de tous les moyens ordinaires de pourvoir à leur subsistance, on ne pouvait raisonnablement penser qu’ils se laisseraient mourir de faim, quand ils étaient assez forts pour enlever à des étrangers ce qu’ils regardaient comme leur bien légitime. Ils devinrent donc, à partir de cette époque, des déprédateurs audacieux, et se familiarisèrent avec les meurtres et les assassinats. Leurs ressentiments s’étaient aigris, et il ne fallait pas une grande habileté aux plus puissants d’entre leurs voisins pour les pousser comme avec des chiens (afin d’emprunter une énergique expression écossaise) à des actes de violence dont ces vils instigateurs prenaient avantage pour faire retomber tout le blâme et le châtiment sur les ignorants Mac-Gregor.

Cette politique, qui excita les clans sauvages des Highlands et du Border à troubler la paix du pays, est signalée par un historien de l’époque comme une manœuvre des plus désastreuses destinée à considérer les Mac-Gregor comme toujours prêts à porter atteinte à la tranquillité publique.

Malgré ces dénonciations malveillantes, dont les auteurs tiraient les avantages qu’ils avaient en vue, quelques membres du clan possédaient encore des propriétés, et le chef de la tribu en 1592 est désigné sous le nom d’Allaster Mac-Gregor de Glenstree. La tradition le représente comme un homme actif et brave ; mais, à en juger par sa confession avant de mourir, il paraît avoir pris part à beaucoup de combats désespérés, dont un enfin lui fut fatal et à beaucoup de ses partisans. C’est la fameuse bataille de Glenfruin, à l’extrémité sud-ouest du Loch-Lomond, dans le voisinage duquel les Mac-Gregor continuaient à exercer beaucoup d’autorité par le coir a glaive, ou le droit du plus fort, dont nous avons déjà parlé.

Une longue et sanglante rivalité exista entre les Mac-Gregor et le laird de Luss, chef de la famille de Colquhoun, race puissante de la partie basse du Loch-Lomond. La tradition des Mac-Gregor affirme que la querelle eut lieu pour un sujet bien frivole. Deux Mac-Gregor, surpris par la nuit, demandèrent l’hospitalité dans une maison appartenant à un vassal de Colquhoun ; ils furent refusés. Ils se réfugièrent sous un hangar, prirent un mouton dans la bergerie, le tuèrent, soupèrent avec, puis offrirent de le payer au propriétaire.

Le laird de Luss les fit saisir ; et d’après les moyens de procédure expéditive que les seigneurs féodaux avaient à leur disposition, il les condamna et les fit exécuter. Les Mac-Gregor citent à l’appui de ce récit un proverbe répandu parmi eux, qui maudit l’heure où « le mouton noir à la queue blanche fut mangé, mult dhu an carbail ghil. » Pour venger cet affront, le laird de Mac-Gregor assembla son clan, au nombre de trois ou quatre cents hommes, et marcha vers Luss, des bords du Lac, par un défilé appelé Raidna-gael, ou le Passage du montagnard.

Sir Humphrey de Colquhoun, bientôt instruit de cette incursion, rassembla une troupe deux fois plus nombreuse que celle des envahisseurs. Il avait avec lui des gentilshommes du nom de Buchanan, des Graham, d’autres petits nobles du comté de Lenpox, et un certain nombre de bourgeois de Dumbarton sous le commandement de Smolett, magistrat ou bailli de cette ville, un des ancêtres du célèbre auteur de ce nom.

Les deux petites armées se rencontrèrent dans la vallée de Glenfruin (la vallée des larmes), nom qui semblait pronostiquer l’issue de cette journée, qui, funeste aux vaincus, le fut tellement aussi aux vainqueurs, « que l’enfant à naître du clan d’Alpine eut lieu de s’en repentir. » Les Mac-Gregor, que la vue de forces supérieures aux leurs avait un peu découragés, se précipitèrent à l’attaque, rassurés par un seer ou devin doué de la seconde vue, qui affirma voir leurs principaux adversaires enveloppés de linceuls mortuaires. Le clan chargea avec furie le front de l’armée ennemie, pendant que John Mac-Gregor, avec un détachement nombreux, l’attaquait inopinément en flanc. La majeure partie des forces de Colquhoun consistait en cavalerie qui ne pouvait manœuvrer sur un terrain marécageux. On dit qu’elle disputa vaillamment le terrain, mais qu’elle fut enfin mise complètement en déroute. Les fugitifs furent égorgés sans miséricorde : deux ou trois cents restèrent sur le champ de bataille. Si les Mac-Gregor, comme cela est avéré, ne perdirent que deux hommes tués dans l’action, ils étaient bien peu provoqués à un si affreux carnage. On dit que leur fureur s’étendit sur une troupe de jeunes étudiants en théologie qui étaient venus imprudemment pour être spectateurs de la bataille. Quelque doute existe sur ce fait, l’acte d’accusation contre le chef du clan n’en faisant pas mention, non plus que l’historien Johnston et un professeur Ross qui écrivit une relation de la bataille vingt-neuf ans après qu’elle eut été livrée : mais il est attesté unanimement par les traditions du pays, et par une pierre qui, placée sur le lieu du combat, est appelée leck a mhinisteir, la pierre du ministre ou du clerc.

Les Mac-Gregor l’imputèrent à la férocité d’un seul homme de leur tribu, célèbre par sa taille et sa vigueur, appelé Dugald Ciar-Mhor, ou le grand homme couleur de souris. Il était frère de lait de Mac-Gregor, et le chef l’avait chargé de la garde de ces jeunes gens, lui recommandant d’empêcher qu’on ne leur fît aucun mal, jusqu’à ce que la bataille fût achevée. Soit qu’il craignît qu’ils ne s’échapassent, soit que des sarcasmes lancés par eux contre sa tribu l’eussent irrité, peut-être aussi entraîné par la soif du sang, ce sauvage, pendant que les autres Mac-Gregor étaient occupés à la poursuite, poignarda ses prisonniers sans défense. Quand le chef, à son retour, demanda où étaient les jeunes gens, le Ciar-Mohr (on prononce kiar) tira sa dague sanglante, et lui dit en gaélique : « Demande à ceci que Dieu sauve mon âme ! » Ces dernières paroles faisaient allusion à l’exclamation que répétaient ses victimes pendant qu’il les égorgeait.

Il paraît donc que cette horrible portion de l’histoire est conforme à la vérité, quoique le nombre des jeunes gens ainsi massacrés soit probablement fort exagéré dans les récits des basses terres. Le peuple dit que le sang des victimes de Ciar-Mohr n’a jamais pu être effacé de dessus la pierre. Mac-Gregor, en apprenant leur mort, exprima la plus profonde horreur de cet acte d’inhumanité, et reprocha à son frère de lait d’avoir commis un crime qui amènerait sa ruine et celle de son clan.

Cet assassin était l’aïeul de Rob-Roy, et de la tribu de laquelle celui-ci descendait. Il est enterré dans l’église de Fortingal, où l’on voit encore son sépulcre, recouvert d’une large pierre[3] ; sa force prodigieuse et sa bravoure sont les sujets de mille traditions[4].

Parmi le petit nombre des Mac-Gregor tués, était le frère du chef. Il fut enseveli près du champ de bataille, et le lieu de sa sépulture est marqué par une pierre grossièrement taillée, qu’on appelle la Pierre grise de Mac-Gregor.

Sir Humphrey Colquhoun, étant bien monté, se réfugia dans le château de Banochar ou Benechra. Mais ce n’était pas un asile sûr, car il fut massacré peu après dans une cave du château ; les annales de la famille disent que ce fut par les Mac-Grego ; mais d’autres traditions rejettent le crime sur les Mac-Farlane.

Cette bataille de Glenfruin, et la cruauté dont les vainqueurs avaient usé envers leurs ennemis vaincus, furent rapportées au roi Jacques VI, de la manière la plus défavorable au clan Gregor, à qui sa réputation d’hommes braves mais indisciplinés ne pouvait que nuire en cette circonstance. Afin que Jacques comprît toute l’étendue du massacre, les veuves des morts, au nombre de cent vingt, en habit de deuil, montées sur des palefrois blancs, portant chacune, au bout d’une pique, la chemise ensanglantée de son mari, se présentèrent à Stirling devant le prince, sur qui ce spectacle terrible et lugubre devait faire une profonde impression, demandant vengeance de la mort de leurs maris.

Les mesures auxquelles on eut recours étaient pour le moins aussi cruelles que les barbaries qu’elles étaient destinées à punir. Par un acte du conseil privé, daté du 3 avril 1603, le nom de Mac-Gregor fut aboli ; il fut enjoint à tous ceux qui l’avaient porté jusque là, de prendre un autre surnom : la peine de mort était prononcée contre ceux qui se feraient encore appeler Gregor ou Mac-Gregor ; sous la même peine, tous ceux qui avaient assisté au combat de Glenfruin, ou pris part à d’autres actes de brigandage mentionnés dans l’acte, reçurent défense de porter les armes, excepté un couteau sans pointe, destiné à couper leurs aliments. Par un acte subséquent, du 24 juin 1613, la peine de mort fut prononcée contre toutes les personnes appartenant autrefois à la tribu Mac-Gregor, qui se rassembleraient au nombre de plus de quatre. Enfin un acte du parlement, (1617, chapitre 26) confirma ces lois, qui frappèrent même sur la génération suivante. On s’appuyait sur cette considération, que beaucoup d’enfants de ceux contre qui les actes du conseil privé avaient été dirigés, étaient sur le point d’atteindre l’âge viril, et que s’il leur était permis de reprendre les noms de leurs pères, le clan se retrouverait aussi redoutable qu’auparavant.

L’exécution de ces lois rigoureuses fut confiée dans l’est, principalement au comte d’Argyle, et à la puissante tribu des Campbell ; plus à l’ouest, dans les Highlands du Perthshire, au comte d’Athol et à ses vassaux. Les Mac-Gregor, comme on le pense bien, résistèrent, et avec un courage désespéré ; plus d’une vallée dans le nord et l’ouest des Highlands conserve le souvenir de combats sanglants dans lesquels les proscrits obtinrent quelquefois des avantages passagers, et vendirent toujours chèrement leur vie. À la fin, la fierté d’Allaster Mac-Gregor, le chef du clan, fut tellement abattue par les souffrances de son peuple, qu’il se détermina à se rendre au comte d’Argyle, avec les principaux de sa suite, sous la condition qu’ils seraient envoyés hors d’Écosse. S’il faut s’en rapporter à l’infortuné chef, il avait quelques droits à la protection du comte qui, par des avis et des encouragements secrets, l’avait souvent poussé à des actions pour lesquelles on le punissait alors si cruellement. Mais Argyle, selon l’expression du vieux Birrell, avait fait une promesse de montagnard, douce pour l’oreille, mais nulle pour l’esprit. Mac-Gregor fut envoyé sous bonne escorte jusqu’à la frontière d’Angleterre : étant ainsi, littéralement parlant, hors d’Écosse, Argyle fut censé avoir accompli sa promesse, et la même escorte le ramena à Édimbourg, où il fut jeté en prison.

Mac-Gregor de Glenstrae fut traduit devant la cour de justice, le 20 janvier 1604, et déclaré coupable. Il paraît qu’il fut conduit immédiatement du tribunal au gibet, car Birrell, sous la même date, rapporte qu’il fut pendu à la Croix, et, par distinction, plus haut, de toute la hauteur de son corps, que deux de ses parents et amis. Le 18 février suivant, un plus grand nombre de Mac-Gregor furent exécutés après une longue captivité ; quelques autres eurent le même sort au commencement de mars.

Le comte d’Argyle, en forçant à se rendre la race infâme et insolente des Mac-Gregor, race de brigands et de malfaiteurs, en livrant à la justice le chef et bon nombre des principaux de son clan, tous justement mis à mort pour leurs crimes, avait rendu un service qu’un acte du parlement, (1607, chap. 16), reconnaît dans les termes les plus flatteurs, et récompense par un don de vingt fois trente-six boisseaux de froment, à prendre sur les terres de Kintire.

En dépit des lettres de feu et d’épée, malgré les exécutions militaires décrétées contre eux par le parlement d’Écosse, qui semble perdre toute conscience de sa dignité chaque fois qu’il s’agit d’eux, ne nommant jamais sans une sorte de colère ce clan proscrit, les Mac-Gregor se montraient peu disposés à se laisser rayer de la liste des clans. Pour se conformer à la loi, ils adoptèrent le nom des familles voisines parmi lesquelles ils vivaient, se nommant, suivant le hasard ou les convenances particulières, Drummond, Campbell, Graham, Buchanan, Stewart, et autres ; mais, toujours prêts à confondre leurs intérêts, à se prouver leur mutuel attachement, ils étaient encore le clan Gregor, unis ensemble pour la défense comme pour l’attaque, et menaçant d’une vengeance générale quiconque commettrait un acte de violence contre l’un d’entre eux.

Ils continuèrent leurs déprédations avec autant d’audace qu’avant l’époque où la force des lois les avait dispersés et proscrits. C’est ce que prouve le préambule du statut de 1633, (chapitre 30), où il est dit : Que le clan de Mac-Gregor, qui a été dispersé et réduit à la tranquillité par les soins et la prudence du feu roi Jacques, d’éternelle mémoire, a cependant fait une nouvelle irruption dans les comtés de Perth, Stirling, Clakmannam, Monteith, Lennox, Angus et Mearns ; en considération de quoi le statut rétablit les incapacités ci-devant prononcées contre le clan, et donne une nouvelle commission pour faire exécuter les lois contre cette race de brigands et de rebelles.

Malgré les rigueurs inexcusables de Jacques Ier et de Charles Ier contre cette race infortunée, qu’on pendait furieuse en la proscrivant et qu’on punissait d’avoir cédé à des passions excitées avec adresse, les Mac-Gregor, pendant la guerre civile, s’attachèrent au parti de ce dernier monarque. Leurs bardes ont attribué ce dévouement au respect des Mac-Gregor pour la couronne d’Écosse, que leurs ancêtres avaient portée, assertion à l’appui de laquelle ils appellent les armoiries de la tribu, qui sont un pin en sautoir avec un glaive nu dont la pointe supporte une couronne royale. Mais, sans nier l’influence qu’ont pu avoir ces motifs, nous sommes disposés à croire qu’une guerre qui ouvrait les basses terres aux incursions des Mac-Gregor avait plus d’attrait pour eux que la cause des covenantaires, qui leur eût donné pour adversaires des Highlandais, aussi braves et non moins pauvres qu’eux. Patrick Mac-Gregor, leur chef, était fils d’un chef distingué, nommé Duncan Abbarach, auquel Montrose écrivit comme à son fidèle et très-intime ami, lui exprimant sa confiance en son dévouement et sa loyauté, et l’assurant qu’une fois les affaires de Sa Majesté remises sur un pied permanent et durable, les Mac-Gregor obtiendraient le redressement de leurs griefs.

À une époque plus éloignée de ces temps malheureux, nous voyons le clan de Gregor réclamer les privilèges des autres tribus, lorsqu’il reçoit du parlement d’Écosse l’ordre de repousser l’invasion de l’armée républicaine, en 1651. Le dernier jour de mars, même année, une pétition adressée au roi et au parlement par Calum Mac-Condachie Vich Euen, et Euen Mac-Condachie Euen, en leur nom et en celui de tous les Mac-Gregor, représente que, tandis qu’en exécution des ordres du parlement qui enjoignaient à tous les clans de prendre les armes sous leurs chefs respectifs, pour la défense de la religion, du roi et des royaumes, les pétitionnaires conduisaient leurs gens pour garder les passages sur la rivière de Forth, ils avaient rencontré le comte d’Athol et le laird de Buchanan qui avaient requis beaucoup d’hommes du clan de Mac-Gregor de se joindre à leurs troupes. La prétention élevée par ces deux seigneurs venait sans doute du changement de nom des Mac-Gregor qui semblait les autoriser à enrôler les Mac-Gregor sous leurs bannières, comme des Murrays ou des Buchanan. Il ne paraît pas que cette pétition des Mac-Gregor, par laquelle ils demandaient la permission de marcher en corps comme les autres clans, ait reçu aucune réponse. Mais à la restauration, le roi Charles, lors de la première session du parlement écossais sous son règne (statut 164, chap. 195), abrogea les différents actes contre le clan de Gregor, leur rendit le droit de porter leur nom de famille, ainsi que tous les privilèges de sujets fidèles, alléguant comme raison de cet acte de clémence que ceux qui s’appelaient autrefois Mac-Gregor avaient, pendant les derniers troubles, montré tant de loyauté et d’affection envers sa personne, que leurs fautes passées, aussi bien que le souvenir des peines prononcées contre eux, étaient complètement effacés.

Il est digne de remarque que le mécontentement des presbytériens non conformistes s’irrita envoyant abolir à l’égard des Mac-Gregor les mesures tyranniques sous le poids desquelles ils gémissaient ; tant les hommes les plus vertueux, de même que les plus pervers, sont incapables d’apprécier avec impartialité les mêmes mesures, selon qu’elles frappent sur eux ou sur autrui ! Pendant la restauration, une influence ennemie de ce malheureux clan, la même, dit-on, qui fit ordonner dans la suite le massacre, de Glencoe, provoqua le rétablissement des édits de procription contre les Mae-Gregor. On ne donne aucun motif pour renouveler ces lois si rigoureuses ; on n’allègue contre le clan aucun grief récent. Cette clause si fatale aux droits de tant de sujets écossais, et qui n’est mentionnée ni dans le titre ni sous la rubrique de l’acte du parlement où elle est placée, a été glissée comme furtivement à la fin du statut de 1694, chapitre 61, intitulé : Acte pour l’administration de la justice dans les Highlands. Il y a donc lieu de croire qu’elle fut à dessein présentée sous une forme qui la faisait échapper à l’attention publique.

Cependant il ne paraît pas qu’après la révolution les lois contre le clan aient été exécutées sévèrement ; et dans la dernière moitié du dix-huitième siècle, elles parurent comme oubliées. Des commissaires aux subsides furent choisis parmi la race proscrite de Mac-Gregor ; des jugements de cours judiciaires, des actes légaux furent enregistrés sous le même nom. Cependant les Mac-Gregor, tant que les lois subsistaient au livre des statuts, ne pouvaient reprendre un nom qui leur appartenait par droit de naissance, et ils firent diverses tentatives pour en adopter un autre : ceux de Mac-Alpine ou de Grant furent proposés pour désigner à l’avenir toute la tribu. N’ayant pu s’entendre sur ce point, l’on se soumit au mal comme à une nécessité, jusqu’au moment où le parlement d’Angleterre réhabilita complètement cette race antique par un acte qui abolissait pour toujours les édits de proscriptions qui avaient si long-temps pesé sur elle. Ce statut, si bien mérité par les services qu’avaient rendus à leur roi et à leur pays un grand nombre de gentilshommes de ce clan, ayant été publié, le clan se reconstitua avec toute la ferveur de l’esprit des anciens temps, qui avait rendu si douloureuse pour eux une punition que la plupart des autres sujets de sa Majesté Britannique auraient regardée comme peu importante.

Ils reconnurent John Murray de Laurick, esquire[5] (dans la suite, sir John Murray Mac-Gregor, baronnet), pour représentant de la famille de Glencarnock, comme légitimement issu de l’antique race et du sang des lairds et lords de Mac-Gregor ; en conséquence, ils le proclamèrent leur chef, pour agir en cette qualité en justice et dans toutes autres occasions quelconques. Cet acte fut signé par huit cent vingt-six personnes du nom de Mac-Gregor en état de porter les armes. Pendant la dernière guerre, une grande partie de ce clan forma le régiment du Clan-Alpine, levé en 1799, sous le commandement de leur chef et de son frère le colonel Mac-Gregor.

Après avoir brièvement raconté l’histoire de ce clan, histoire qui offre un rare et frappant exemple du caractère indélébile du gouvernement patriarcal, l’auteur doit présenter quelques détails sur le personnage qui a donné son nom à cet ouvrage.

Quand on veut faire connaître un Highlandais, il faut parler d’abord de sa généalogie. Celle de Rob-Roy remontait à Ciar-Mohr, le grand homme couleur de souris, celui que la tradition accuse du meurtre des jeunes étudiants à la bataille de Glenfruin.

Sans nous jeter, non plus que nos lecteurs, dans les ténèbres d’une généalogie highlandaise, il nous suffira de dire qu’après la mort de Mac-Gregor Glenstrae, le clan, découragé par la persécution constante de ses ennemis, paraît n’avoir pu se placer tout entier sous le commandement d’un seul chef. Suivant le lieu de sa résidence et son origine immédiate, chaque famille se mit sous la conduite d’un cheftain, mot qui, dans le langage des Highlandais, signifie l’auteur ou la tête d’une branche de la famille, par opposition à chef, qui commande à toute la tribu.

Les descendants de Dugald Ciar-Mohr habitaient principalement les montagnes entre le Loch-Lomond et le Loch-Katrine ; ils y occupaient une grande étendue de territoire, soit par tolérance, soit par le droit de l’épée, droit qu’il n’était jamais sûr de leur contester, ou par d’autres titres dont il serait inutile de nous occuper. Quoi qu’il en puisse être, ces Mac-Gregor résidaient dans ce lieu, et leurs puissants voisins recherchaient leur amitié, aussi utile à la tranquillité du voisinage pendant la paix, que leur alliance était précieuse pendant la guerre.

Rob-Roy Mac-Gregor Campbell (il portait ce dernier nom par suite des actes du parlement qui avaient aboli le sien) était le fils cadet de Donald Mac-Gregor de Glengyle, qui, s’il faut en croire sa femme, fille de Campbell de Glenfalloch, fut lieutenant-colonel (au service de Jacques II probablement). On désignait Rob lui-même par le nom d’Inversnaid ; mais il paraît avoir eu quelque droit à la propriété de Craig-Royston, domaine couvert de rochers et de forêts, situé à l’est du Loch-Lomond, du côté où ce beau lac s’enfonce dans les sombres montagnes de Glenfalloch.

L’époque de sa naissance et celle de sa mort sont inconnues. Mais il prit, dit-on, une part active aux scènes de guerre et de pillage qui suivirent la révolution ; et la tradition assure qu’en 1691 il commanda en personne une incursion de pillards dans la paroisse de Kippen, comté de Lennox. Cette incursion ne coûta la vie qu’à une seule personne ; mais elle fut accompagnée de si grandes rapines, que long-temps encore on la distingua sous le nom de her’ship (dévastation) de Kippen[6]. Rob-Roy, dit-on encore, survécut à l’année 1733, et mourut fort vieux. Il est donc probable qu’il pouvait avoir vingt-cinq ans à l’époque de la dévastation de Kippen ; ce qui placerait sa naissance au milieu du XVIIe siècle.

Dans les temps plus tranquilles qui suivirent la révolution, Rob-Roy, ou Red-Robert (Robert-le-Rouge), semble avoir exercé son industrie, qui était des plus remarquables, comme conducteur ou marchand de bestiaux. Il est aisé de croire qu’à cette époque aucun habitant des basses terres, et moins encore un marchand anglais, n’eût osé s’engager dans les montagnes. Les bestiaux, qui faisaient toute la richesse des hautes terres, étaient escortés jusqu’aux foires, le long de la frontière, par des montagnards armés, qui néanmoins trafiquaient avec honneur et bonne foi envers leurs pratiques du sud. Une querelle s’engageait bien quelquefois, et alors les Lowlanders[7], ceux de la frontière surtout, qui approvisionnaient les marchés anglais, trempaient leur bonnet dans le plus prochain ruisseau, et, l’entortillant autour de leur main, opposaient leurs gourdins aux sabres nus, qui n’avaient pas toujours l’avantage. J’ai entendu des personnes âgées qui s’étaient trouvées à de pareilles affaires, dire que les Highlandais jouaient toujours beau jeu, n’employant jamais la pointe de leurs épées, moins encore leurs pistolets ou leurs poignards ; si bien que

Des coups vigoureux se donnaient,
Le gourdin et le fer servaient.

Une balafre ou deux, une contusion à la tête, n’empêchaient pas un prompt raccommodement ; et, comme ce commerce était avantageux aux deux parties, ces légères escarmouches ne pouvaient rompre l’harmonie. Il est vrai que la vente des bestiaux était d’un intérêt majeur pour les Highlandais, dont les revenus territoriaux consistaient absolument dans la vente des bœufs et des moutons ; par conséquent un marchand habile et expérimenté enrichissait lui, ses amis et ses voisins, par ses spéculations. Celles de Rob-Roy furent pendant plusieurs années si heureuses, qu’il inspira une confiance générale et gagna l’estime des gens du pays où il demeurait.

Sa fortune fut encore augmentée par la mort de son père, qui fit tomber en ses mains la gestion des biens et la tutelle de son neveu Mac-Gregor de Glengyle ; et dès-lors, il eut sur ce clan toute l’influence due au représentant de Dugald Ciar. Cette influence fut d’autant moins limitée, que cette branche des Mac-Gregor semble avoir refusé de reconnaître Mac-Gregor de Glencarnock, aïeul du présent sir Ewan Mac-Gregor, et conservé une espèce d’indépendance.

À la même époque, Rob-Roy acquit des droits par achat, héritage ou autrement, aux biens de Craig-Royston, dont nous avons déjà parlé. Durant cette période de sa vie, il fut en grande faveur auprès de son proche et très-puissant voisin James, premier duc de Montrose, dont il reçut plusieurs marques particulières d’estime. Sa Grâce consentit à lui donner, ainsi qu’à son neveu, un droit de propriété sur les domaines de Glengyle et d’Inversnaid, qu’ils n’avaient jusque là occupés que comme francs tenancière amiables. Le duc, dans l’intérêt du pays et de ses propres domaines, avança aussi à notre aventurier des sommes d’argent considérables pour le mettre en état d’étendre ses spéculations dans le commerce des bestiaux.

Malheureusement cette espèce de commerce était, comme il l’est encore, sujet à de soudaines fluctuations ; et, par une baisse imprévue dans les marchés (une tradition qui lui est favorable, ajoute : par la mauvaise foi d’un associé nommé Mac-Donald, qu’il avait imprudemment admis à sa confiance, et auquel il avait prêté une somme considérable), Rob-Roy devint insolvable. Il s’enfuit donc… non pas les mains vides, si, comme le portait un mandat d’arrestation lancé contre lui, il est vrai qu’il était possesseur d’une somme de 1,000 livres sterling environ, que lui avaient confiée des nobles et des seigneurs afin d’acheter pour eux des vaches dans les montagnes. Cet avertissement parut en juin 1712, et fut renouvelé plusieurs fois ; il fixe l’époque où Rob-Roy quitta les affaires commerciales pour des spéculations d’un genre bien différent[8].

Il paraît que vers ce temps il abandonna son habitation ordinaire d’Inversnaid pour s’éloigner de dix à douze milles écossais (qui valent le double des milles anglais) plus avant dans les montagnes, et commença la vie de brigand qu’il mena dans la suite.

Le duc de Montrose, se voyant abusé et trompé par Mac-Gregor, employa les moyens légaux pour recouvrer l’argent qu’il lui avait confié. Les propriétés en terres de Rob-Roy furent attaquées suivant toutes les règles de la procédure légale ; ses meubles et ses équipages furent saisis et vendus.

On dit que cette expédition de la loi, comme on l’appelle en Écosse ; cette saisie, comme la nomment plus brièvement les Anglais, fut exécutée avec une sévérité inouïe, et que les suppôts de la justice, qui ne sont pas d’ordinaire les plus aimables personnes du monde, insultèrent la femme de Mac-Gregor d’une manière qui eût déterminé un homme, même plus doux que lui, à en tirer pleine vengeance. Mistress Mac-Gregor était une femme d’un caractère fier et hautain, et il n’est pas improbable qu’elle ait été troubler les officiers publics dans l’exercice de leur charge, et exciter ainsi leurs mauvais traitements, quoique, pour l’honneur de l’humanité, il faille espérer que le récit qu’on en a fait est une exagération populaire. Il est certain qu’elle fut vivement affligée quand on la chassa loin des bords du Loch-Lomond, et qu’elle exhala sa douleur dans un beau morceau de musique pour la cornemuse, encore bien connu des amateurs sous le nom de la Plainte de Rob-Roy.

On croit que le fugitif se réfugia d’abord dans la vallée de Dochart, sous la protection du comte de Breadalbane ; car, bien que cette famille se fût acharnée autrefois à détruire celle des Mac-Gregor, elle avait depuis peu donné asile sur ses antiques domaines à plusieurs de leurs descendants. Le duc d’Argyle fut aussi un des protecteurs de Rob-Roy, et accorda, selon l’expression des montagnards, le bois et l’eau ; c’est-à-dire l’abri qu’on trouve au milieu des forêts, et l’eau des lacs d’un pays inaccessible.

Les gentilshommes des hautes terres, jaloux de conserver ce qu’ils appelaient une suite, c’est-à-dire leurs vassaux militaires, ne désiraient pas moins vivement d’avoir à leur disposition des hommes déterminés, en hostilité avec le monde et avec les lois, et qui pouvaient souvent ravager les terres et assassiner les vassaux d’un mortel ennemi, sans compromettre la responsabilité de leurs patrons.

La querelle entre les Campbell et les Graham, durant les guerres civiles du XVIIe siècle, avait été marquée par de grands désastres et par une haine invétérée. La mort du grand marquis de Montrose d’un côté, la défaite d’Inverlochy et le plus cruel pillage de Lorn de l’autre, étaient des griefs réciproques difficiles à oublier. Rob-Roy était donc sûr de trouver asile sur les terres des Campbell ; d’abord parce qu’il avait pris leur nom comme, allié par sa mère, à la famille des Campbell ; ensuite parce qu’il détestait la maison rivale de Montrose. L’étendue des domaines d’Argyle et la faculté de s’y réfugier en cas de péril l’encouragèrent à exécuter l’audacieux projet de vengeance qu’il avait conçu.

Ce n’était rien moins qu’une guerre de pillage contre le duc de Montrose, qu’il regardait comme l’auteur de son exclusion de la société civile, de la proscription à laquelle on l’avait condamné par lettres de feu et d’épée, de la saisie de ses biens et de la vente de ses domaines. Il se disposa donc à employer contre Sa Grâce, ses tenanciers, amis, alliés et parents, tous les moyens de nuire qui étaient en son pouvoir ; et quoique ce fût un cercle assez large pour exercer un pillage actif, Rob, qui se déclarait jacobite, prit la liberté d’étendre sa sphère d’opérations contre ceux qu’il lui plaisait de considérer comme partisans du gouvernement révolutionnaire et de la plus funeste des mesures… l’union des trois royaumes. Sous l’un ou l’autre de ces prétextes, tous ses voisins des basses terres qui, ayant quelque chose à perdre, refusèrent d’acheter la paix au moyen d’une somme annuelle, furent exposés à ses ravages.

Le pays qu’il fit servir de théâtre à cette guerre privée, à ce système de déprédation, et où l’on n’avait pas encore ouvert de routes, fut extrêmement favorable à son projet. Il était coupé par d’étroites vallées dont la partie habitable n’était nullement en proportion avec les vastes et désertes forêts entourées de rochers, de précipices, remplies de passages impénétrables, de marais, de fortifications naturelles, connus des seuls habitants au milieu desquels un petit nombre d’hommes, joignant à la connaissance des lieux l’adresse la plus ordinaire, étaient capables d’échapper aux poursuites d’un ennemi nombreux.

Les opinions et les habitudes des habitants de la frontière étaient aussi très-favorables aux projets de Rob-Roy. La plupart étaient du clan de Mac-Gregor, et réclamaient les domaines de Balquhidder et autres districts situés dans les montagnes, comme faisant partie des anciennes propriétés de leur tribu, quoique les lois, dont la rigueur leur avait causé de si rudes souffrances, en eussent assigné la possession à d’autres familles. Les guerres civiles du dix-septième siècle avaient habitué ces hommes au maniement des armes ; surtout ils étaient braves et exaspérés par le souvenir de leurs souffrances. Le voisinage d’un district des basses terres, riche en comparaison du leur, augmentait la tentation d’y faire une descente. Grand nombre de montagnards appartenant à d’autres clans, habitués à mépriser l’industrie et à manier les armes, se précipitèrent vers une frontière sans défense, qui promettait un pillage facile. L’état du pays, aujourd’hui si paisible, vérifia à cette époque une opinion que le docteur Johnson n’admettait qu’avec réserve, que les districts les plus indisciplinés des montagnes étaient ceux qui avoisinaient le plus les basses terres. Il n’était donc pas difficile à Rob-Roy, descendant d’une tribu qui était dispersée dans le pays que nous avons décrit, de rassembler et d’entretenir une troupe capable d’accomplir les opérations qu’il se proposait.

Il semble lui-même avoir été singulièrement propre à la profession qu’il voulait exercer. Sa taille n’était pas des plus grandes, mais sa force était peu commune. La largeur de ses épaules, et la longueur de ses bras, tellement disproportionnée, qu’il pouvait, dit-on, dénouer sans se baisser les jarretières de sa culotte de montagnard, qui se placent à deux pouces au-dessous du genou, étaient chez lui deux particularités remarquables. Son visage ouvert, mâle, sombre dans les moments de péril, exprimait la franchise et la gaieté dans ses instants de bonheur. Ses cheveux, d’un rouge foncé, épais, frisés, tombaient en petites boucles autour de son visage. Son habillement laissait voir, suivant l’usage, son genou et le haut de ses jambes, que l’on m’a décrites comme ressemblant à celles d’un taureau des montagnes, couvertes de poils roux, et montrant une force musculaire presque égale à celle de cet animal. À ces caractères particuliers, il faut ajouter son adresse admirable dans le maniement de l’épée des Highlandais, avec laquelle la longueur de son bras lui donnait un grand avantage, outre une connaissance parfaite de toutes les retraites du pays sauvage où il demeurait, ainsi que du caractère des différents individus, amis ou ennemis, avec lesquels il pouvait se trouver en contact.

Quant à ses qualités morales, elles ne semblent pas moins favorables aux circonstances dans lesquelles il était placé. Quoique descendant du sanguinaire Ciar-Mohr, il n’hérita point de la férocité de ses ancêtres. Au contraire, Rob-Roy évitait tout acte de cruauté, et il n’est pas avéré qu’il ait jamais, sans nécessité, répandu le sang, ou tenté sciemment une entreprise qui pût le forcer à en répandre. Ses plans de pillage, mûris dans le secret, conduits avec adresse, exécutés avec autant de rapidité que d’audace, lui réussirent presque toujours. De même que Robin Hood d’Angleterre, il était un voleur humain et sensible, qui, tout en dépouillant les riches, secourait libéralement les pauvres. Peut-être cette conduite n’était-elle pas exempte de quelque politique ; mais la tradition universelle du pays lui assigne un motif plus généreux. Tous les gens à qui j’ai parlé de Rob-Roy, et j’en ai vu plusieurs, dans ma jeunesse, qui l’avaient connu personnellement, lui donnent le caractère d’un homme bienveillant et humain « à sa manière. »

Ses idées, en morale, étaient celles d’un chef arabe ; telles enfin qu’ils les devaient à sa grossière éducation. Si Rob-Roy eût raisonné sur le genre de vie que, par son choix ou par nécessité, il avait adopté, à coup sûr il se serait représenté comme un homme courageux, qui, dépouillé de ses droits naturels par la partialité des lois, s’efforcerait de les reprendre par sa force personnelle. Il est montré raisonnant ainsi, dans les vers de mon excellent ami Wordsworth ;


Disons qu’il était aussi prudent que brave, conséquent dans ses idées autant que hardi dans ses actions ; la loi naturelle était sa loi suprême.

Rob disait : « Qu’est-il besoin de livres ? brûlez les rayons qui les portent. Ils nous irritent contre nos semblables, et souvent contre nous-mêmes.

« Les lois, impuissantes pour nous conduire au bien, sont l’ouvrage des passions humaines ; et cependant, insensés que nous sommes ! nous nous égorgeons pour les défendre.

« Dans leur honteux aveuglement, les hommes oublient les notions du plus simple bon sens ; moi, je trouve dans mon cœur une règle à laquelle je suis fidèle.

« Voyez, les êtres qui courent dans les forêts, ceux qui nagent dans les eaux, ceux qui fendent l’air de leur aile : chez eux point de querelle durable ; leurs jours s’écoulent dans la paix, dans la paix du cœur.

« Pourquoi ? parce que les lois de la nature leur suffisent. À celui qui peut prendre, elles disent : Prends ; à celui qui a la force. Garde.

« Cette leçon est facile à apprendre ; c’est un phare visible à tous les yeux : aussi, parmi eux, le fort n’est-il jamais provoqué à une cruauté inutile ;

« Il réprime les caprices ambitieux ; il abaisse ceux qui tentent de s’élever contre lui ; chacun règle ses désirs sur sa force.

« Toute créature humaine se soutient ou est renversée par la force du courage ou par celle de l’intelligence : c’est une loi de Dieu à laquelle il faut nous soumettre.

« D’après cela, ajoutait Rob, on ne saurait contester mon droit ; et puisque la vie la plus longue s’écoule comme une journée, pour atteindre mon but et maintenir mes droits, je prendrai le plus court chemin. »

Et Rob vécut au milieu des rochers ; il vécut exposé au soleil des étés, à la neige des hivers. L’aigle seul était roi dans les cieux, et Rob était roi dans la plaine.


Nous n’irons pourtant pas jusqu’à supposer que le caractère de ce fameux proscrit fût celui d’un véritable héros, agissant toujours, et en conscience, d’après les principes de morale que l’illustre barde, qui s’est assis près de sa tombe, lui prête pour défendre sa mémoire. Au contraire, et l’on peut en dire autant de tous les chefs barbares, Rob-Roy mêlait à ses beaux principes une bonne dose de fourberie et de dissimulation. Sa conduite durant la guerre civile suffit pour le prouver. On dit encore, et avec raison, que, bien que la politesse fût un de ses traits les plus caractéristiques, il avait parfois une arrogance qu’enduraient difficilement les hommes fiers auxquels il s’adressait, et qui attirait à l’audacieux proscrit de fréquentes querelles d’où il ne sortait pas toujours avec honneur. Delà on a conclu que Rob-Roy était plutôt un fanfaron qu’un héros, ou du moins que, suivant une expression devenue vulgaire, « il était brave un tel jour. » Quelques vieillards, qui l’avaient bien connu, l’ont aussi représenté comme plus brave dans un taichtulzie (combat en pleins champs) que dans un combat corps à corps. Sa vie entière suffit pour repousser cette accusation ; il faut avouer cependant que, dans sa situation, la prudence lui commandait d’éviter des querelles où il n’y avait que des coups à gagner, et qui, fût-il vainqueur, lui auraient suscité de nouveaux et puissants ennemis, dans une contrée où la vengeance passait plutôt pour un devoir que pour un crime. Le pouvoir de commander à ses passions en pareilles circonstances, loin d’être incompatible avec le rôle que Mac-Gregor avait à jouer, était essentiellement nécessaire à l’époque où il vivait ; sinon il n’eût pu suivre sa carrière.

Je dois rapporter ici un ou deux faits qui semblent venir à l’appui de l’accusation dirigée contre Rob-Roy. Mon vénérable ami, feu John Ramsay d’Ochtertyre, non moins célèbre pour ses études classiques que pour la collection des pièces authentiques qu’il a réunies sur l’ancienne histoire et sur les coutumes d’Écosse, m’a raconté qu’à une assemblée publique à l’occasion d’un feu de joie dans la ville de Donne, Rob-Roy offensa James Edmonstone de Newton, le même gentilhomme qui fut malheureusement impliqué dans l’assassinat de lord Rollo (Voyez les Causes criminelles de Mac-Laurin, n° ix), et qu’Edmonstone força Mac-Gregor à sortir sur-le-champ de la ville, sous peine d’être jeté par lui dans le feu de joie. « Je vous ai déjà brisé une côte dans une autre occasion, dit-il, et maintenant, Rob, si vous me défiez davantage, ce sera la tête que je vous casserai. » Mais il faut se rappeler qu’Edmonstone jouait un rôle important dans le parti jacobite, puisqu’il tenait l’étendard de Jacques VII, à la bataille de Sherrif-Muir, et qu’aussi il était presque à la portée de sa maison, et sans doute au milieu de ses amis et vassaux. Pourtant Rob-Roy fit tort à sa réputation en se retirant à une telle menace.

Un autre exemple bien connu est celui de Cunningham de Boquhan.

Henri Cunningham, esquire de Boquhan, était un gentilhomme du Stirlingshire, qui, comme la plupart des merveilleux de notre temps, unissait beaucoup d’énergie naturelle, et un caractère audacieux, à une affectation de recherche dans ses discours et dans ses manières, qui allait jusqu’au ridicule[9]. Il se trouvait par hasard de compagnie avec Rob-Roy, qui, soit mépris pour la mollesse supposée de Boquhan, soit qu’il crût pouvoir, sans aucun danger, lui chercher querelle (considération que ses ennemis l’accusent d’avoir souvent pesée), l’insulta si grossièrement, qu’il s’ensuivît une provocation à un combat singulier. La maîtresse du logis avait caché l’épée de Cunningham, et tandis qu’il fouillait par toute la maison pour trouver la sienne ou une autre, Rob-Roy se rendit à Shieling-Hill, lieu marqué pour le combat, et s’y pavana avec arrogance, attendant son antagoniste. Cependant Cunningham avait déterré une vieille épée, et, descendant au plus vite dans l’arène, se précipita sur le proscrit avec une telle fureur, et le poussa si vivement, qu’il le jeta hors du terrain limité. Pendant quelque temps Rob-Roy ne reparut pas dans le village, M. Mac-Oregor Stirling, dans sa nouvelle édition du Stirlingshire de Nimmo, adoucit un peu cette anecdote, tout en mentionnant la mésaventure de Rob-Roy.

Il éprouva quelquefois des échecs et courut de grands dangers personnels. Dans une circonstance remarquable, il ne fut sauvé que par le sang-froid de son lieutenant Macanaleister ou Fletcher, le Little John[10] de sa troupe, beau et intrépide garçon, renommé comme tireur. Mac-Gregor et sa bande ayant été surpris par un corps nombreux de cavaliers et de fantassins, le chef avait crié : « Dispersez-vous[11]. ». Chacun alors ne songea plus qu’à soi ; mais un hardi dragon s’attacha à la poursuite de Rob, l’atteignit et lui porta un coup de sabre. Une plaque de fer cachée dans son bonnet empêcha Mac-Gregor d’avoir la tête fendue jusqu’aux mâchoires ; mais le coup était si violent qu’il fut terrassé. En tombant il s’écria : « Oh ! Macanaleister, n’a-t-elle plus rien dans le ventre ? » (c’est-à-dire, sa carabine). Le soldat lui disait au même instant : « Le diable vous emporte ! ce n’est pas votre mère qui a tricoté votre bonnet de nuit ! » et levait le bras pour lui porter un second coup quand Macanaleister fit feu et lui logea sa balle dans le cœur.

Quoi qu’il en soit, les succès de Rob-Roy dans sa profession sont ainsi racontés par une personne de bon sens et de talent qui, placée dans le cercle de ses déprédations guerrières, en avait sans doute ressenti les effets. Il est donc naturel qu’elle n’en parle pas avec cet enthousiasme qu’inspire aujourd’hui leur caractère romanesque.

« Cet homme (Rob-Roy Mac-Gregor) avait une rare sagacité, et était aussi rusé qu’adroit. S’étant abandonné à toute espèce de licence, il se mit à la tête des brigands, des vagabonds et des gens sans aveu de ce clan, dans l’extrémité occidentale des comtés de Perth et de Stirling, et désola toutes ces contrées par ses rapines et ses brigandages. De tous ceux qui demeuraient à sa portée, c’est-à-dire à la distance d’une expédition nocturne, peu d’habitants pouvaient se dire en sûreté, ni leurs personnes, ni leurs biens, s’ils ne lui payaient le honteux et pesant tribut du blackmail. Enfin, il en vint à un tel degré d’audace, qu’à la tête d’une troupe d’hommes armés très-considérable, en plein jour, et à la face du gouvernement, il commettait des vols, levait des contributions et engageait des rixes sanglantes[12]. »

L’étendue et le succès de ces déprédations ne doivent pas surprendre, quand nous considérons qu’elles avaient pour théâtre un pays où la loi commune n’obtenait ni force ni respect.

Après avoir rappelé que l’habitude générale de voler des bestiaux aveuglait les gens des meilleures classes elles-mêmes sur l’infamie d’une pareille conduite, et que, comme leur fortune consistait entièrement en troupeaux, ils la voyaient diminuer de jour en jour, M. Grahame ajoute :

« De là résulte qu’il y a peu de terres cultivées, point de pâturages entretenus, et par conséquent ni manufactures ni commerce, bref, point d’industrie. Les habitants ont tous beaucoup d’enfants, de sorte que, d’après l’état actuel du pays, il n’y a pas d’ouvrage pour la moitié de cette nombreuse population. Partout l’on ne trouve que des gens oisifs, habiles à manier les armes, mais paresseux en tout, si ce n’est pour les rapines et les déprédations. Comme le pays est couvert de bouchons ou cabarets, ils y vont tuer le temps, et y dépensent les profits de leur illégale profession. Là les lois n’ont jamais été exécutées, ni l’autorité du magistrat jamais établie. Là l’officier de la loi n’ose ni ne peut remplir son devoir, et, en plusieurs endroits, il n’y a pas même un juge à trente milles à la ronde. En un mot, il n’y a ni ordre, ni autorité, ni gouvernement. »

Lorsque la rébellion de 1715 éclata, la célébrité de Rob-Roy était récente encore. Ses opinions jacobites remportèrent alors sur la reconnaissance qu’il devait au duc d’Argyle pour la protection qu’il avait indirectement obtenue de lui ; mais le désir de mêler le bruit de ses pas au tumulte d’une guerre générale » le poussa à se joindre aux forces du comte de Mar, quoique son patron le duc d’Argyle, fût à la tête de l’armée qui combattait les montagnards insurgés.

Les Mac-Gregor, un grand nombre d’entre eux du moins, les hommes de Ciar-Mohr, ne furent pas en cette occasion commandés par Rob-Roy, mais par son neveu, déjà mentionné dans cette introduction, Mac-Gregor, autrement nommé James Grahame de Glengyle, et encore mieux connu par l’épithète gallique de Ghlune Dhu, c’est-à-dire genou noir à cause d’une tache noire qu’il avait au genou et que son costume d’Highlandais permettait d’apercevoir. On ne peut cependant douter que Glengyle, étant fort jeune alors, n’agît presque toujours d’après les avis et la direction d’un chef aussi expérimenté que son oncle.

Les Mac-Gregor, assemblés en grand nombre, commencèrent à menacer les Lowlanders vers l’extrémité inférieure du Loch-Lomond. Ils s’emparèrent tout à coup des barques qui étaient sur le lac, et, probablement pour s’en servir dans une entreprise par eux conçue, les traînèrent à travers champs jusqu’à Inversnaid, afin d’intercepter le passage à un corps nombreux de royalistes de l’ouest qui, armés pour le gouvernement, s’avançaient dans cette direction.

Les royalistes firent une excursion pour reprendre leurs bateaux. C’étaient des volontaires de Paisley, de Kilpatrick et d’autres comtés qui, avec le secours d’une troupe de marins, remontèrent la rivière Leven dans des chaloupes appartenant à des vaisseaux de guerre qui étaient à l’ancre dans la Clyde. À Luss, ils furent rejoints par sir Humphrey Colquhoun et James Grant, son gendre, accompagnés de leurs vassaux portant tous le costume de l’époque, qui a été décrit d’une manière pittoresque[13].

Les deux partis se rencontrèrent à Craig-Royston, mais les Mac-Gregor refusèrent le combat. S’il faut en croire le récit de l’expédition donné par l’histoirien Rae, les royalistes débarquèrent sur la côte de Craig-Royston avec la plus grande intrépidité ; l’ennemi ne se présenta pas pour les repousser ; et par le bruit de leurs tambours qui battaient sans discontinuer, par la décharge de leur artillerie et de leurs armes à feu, ils épouvantèrent tellement les Mac-Gregor qu’ils n’osèrent sortir de leurs retraites que pour fuir vers le camp général des Highlandais, à Strath-Fillan[14]. Les hommes des basses terres réussirent à s’emparer de leurs barques, après une grande dépense de bruit et de courage, mais sans grand péril.

Après cette expulsion momentanée de son ancienne retraite, Rob-Roy fut envoyé par le comte de Mar à Aberdeen, pour soulever, à ce que l’on croit, le clan de Gregor établi dans ce pays. Ces hommes étaient de sa famille (la race du Ciar-Mohr) : c’étaient les descendants d’environ trois cents Mac-Gregor que le comte de Murray, vers l’année 1624, y fit passer de ses domaines du Monteith, pour les opposer à ses ennemis les Mac-Intosh, tribu aussi hardie, aussi turbulente que les Mac-Gregor.

Mais, dans la ville d’Aberdeen, Rob-Roy rencontra un parent d’un genre et d’un caractère bien différents de ceux qu’il venait exciter à prendre les armes : c’était le docteur James Gregory (Mac-Gregor d’origine), le patriarche d’une dynastie de professeurs célèbres pour leurs talents littéraires et scientifiques et qui est le grand’père de feu Grégory d’Édimbourg, fameux médecin et littérateur accompli. Ce savant était alors professeur de médecine au collège du roi à Aberdeen. Son père, le docteur James Gregory, s’est distingué dans les sciences comme inventeur du télescope à réflexion. On peut croire que notre ami Rob-Roy avait peu de rapports avec une telle famille ; mais la guerre civile est un genre de misère qui opère quelquefois d’étranges rapprochements. À une époque tellement critique, le docteur Gregory crut que la prudence lui ordonnait de réclamer la parenté d’un homme si terrible et d’une si grande influence. Il invita Rob-Roy à venir le voir, et le traita avec tant de bonté, qu’il excita dans son cœur généreux un sentiment de reconnaissance qui faillit avoir des effets fort peu agréables.

Le professeur avait un fils de huit à neuf ans, bel enfant, et vigoureux pour son âge. Sa bonne mine frappa notre Robin Hood des montagnes. La veille du jour fixé pour son départ, Rob-Roy, qui avait long-temps réfléchi à la manière dont il devait reconnaître les bontés de son cousin, prit à part le docteur Gregory, et lui parla de cette façon : « Mon cher parent, j’ai cherché comment je pourrais me montrer reconnaissant de votre hospitalité. Eh bien, vous avez un beau et brave garçon de fils, dont vous ruinez les heureuses dispositions en le bourrant de la science inutile que vous prenez dans vos livres, et je me suis décidé, pour vous témoigner ma vive affection ainsi qu’à tous les vôtres, de l’emmener avec moi et d’en faire un homme. » À cette agréable proposition de son belliqueux parent, faite d’un ton qui ne permettait pas de douter qu’elle ne fût et ne dût être acceptée avec la plus vive reconnaissance, le savant docteur resta comme anéanti. S’excuser, remercier, était une tâche des plus délicates, et il pouvait être extrêmement dangereux de laisser voir à Rob-Roy que la faveur dont il menaçait le fils était aux yeux du père le plus court chemin pour la potence. En effet, toutes les excuses qu’il put imaginer… telles que la crainte d’embarrasser son ami avec un jeune homme élevé dans les basses terres, et d’autres semblables… ne firent qu’augmenter le désir du capitaine d’emmener avec lui son jeune parent ; car elles ne lui paraissaient qu’une simple formule de politesse. Pendant quelque temps il se refusa à rien entendre, parlant même d’user d’une douce violence et d’emmener l’enfant, que son père y consentît ou non. Enfin le professeur, de plus en plus embarrassé, allégua que son fils était bien jeune, d’une santé bien chancelante, et trop peu capable encore de supporter les fatigues d’une vie de montagnard ; mais que dans une année ou deux il espérait que, sa santé étant raffermie, il pourrait sans danger accompagner son brave parent, et marcher dans la brillante carrière dont il lui montrait le chemin. Cet argument réussit, et les cousins se séparèrent, Rob-Roy promettant sur l’honneur d’emmener son jeune parent avec lui dans les montagnes, à son plus prochain voyage à Aberdeen, et le docteur Gregory demandant à Dieu, du fond de son cœur de ne jamais revoir la face de Rob le montagnard.

James Gregory, qui échappa ainsi au péril d’être une recrue de son parent et probablement à celui de finir ses jours à la potence, fut dans la suite professeur de médecine au collège, et, comme presque toute sa famille, se distingua dans les sciences. Il était d’un caractère irritable et obstiné, et ses amis disaient ordinairement lorsqu’il s’abandonnait à ce défaut : « Ah ! cela vient de ce qu’il n’a pas été élevé par Rob-Roy. »

La liaison de Rob-Roy et de son classique parent ne finit pas avec sa puissance. Long-temps après l’année 1715, il se promenait bras dessus bras dessous avec son hôte, le docteur James Gregory, sur la place du château d’Aberdeen, quand tout à coup les tambours battirent aux armes, et l’on vit les soldats sortir armés de la caserne. « Si ces drôles mettent le nez à l’air, dit Rob à son cousin avec le plus grand sang-froid, il est temps que je songe à ma sûreté. » À ces mots il enfila une rue étroite, et, comme dit John Bunyan, il suivit son chemin, et ne reparut pas[15].

Nous avons déjà dit que la conduite de Rob-Roy fut très-équivoque durant l’insurrection de 1715. Il était en personne avec ses gens dans l’armée des Highlandais, mais il était de cœur avec le duc d’Argyle. Pourtant les insurgés étaient obligés de se confier à lui, et il leur servit de guide quand ils marchèrent de Perth vers Dumblane dans l’intention de passer le Forth à l’endroit que nous appelons les gués de Frew, quoiqu’ils avouassent eux-mêmes qu’on ne pouvait compter sur lui.

Ce mouvement des insurgés vers l’ouest amena la bataille de Sherriff-Muir, qui fut, à la vérité, sans résultats immédiats, mais dont le duc d’Argyle tira de grands avantages. On se rappelle qu’à cette bataille l’aile droite des Highlandais rompit et tailla en pièces l’aile gauche de l’armée d’Argyle, tandis que les clans qui occupaient la gauche dans l’armée de Mar, quoique composés de Hewart, de Mac-Kenzil et de Cameron, furent mis en déroute complète. Au milieu de cette confusion, fuite d’une part, poursuite à outrance de l’autre, Rob-Roy resta immobile sur une éminence au centre de la position qu’avaient occupée les Highlandais ; et quoiqu’en chargeant il eût, dit-on, décidé de la journée, on ne put lui persuader de le faire. Ce fut un malheur pour les insurgés ; car le commandement d’une partie des Mac-Pherson avait été confié à Mac-Gregor. Incapable par son âge, par ses infirmités, de conduire son clan en personne, ce chef avait chargé son héritier présomptif, Mac-Pherson de North, de le remplacer dans cette occasion ; de sorte que sa tribu, ou du moins une partie, fut réunie à leurs alliés les Mac-Gregor. Tandis que Rob-Roy laissait passer sans en profiter le moment d’attaquer avec avantage, Mar lui envoya l’ordre positif de se porter en avant. Mais il répondit froidement : « Non, non, s’ils ne peuvent le faire sans moi, ils ne peuvent le faire avec moi. » Un des Mac-Pherson, nommé Alexandre, qui exerçait la profession primitive de Rob, c’est-à-dire celle de marchand de bestiaux, plein de vigueur et de courage, fut si irrité de l’inaction de son commandant temporaire, qu’il se débarrassa de son plaid, tira son épée, et cria à ses compagnons : « Ne le souffrons pas plus long-temps ! s’il ne veut pas vous conduire, je vous conduirai, moi. » Rob-Roy répondit avec un grand sang-froid : « S’il s’agissait de mener des bœufs ou des moutons de montagne, Sandie, je reconnaîtrais votre habileté supérieure ; mais comme ce sont des hommes qu’il faut conduire, on avouera que je m’y entends mieux que vous. — S’il s’agissait de mener des bœufs de Glein-Eigas, répondit le Mac-Pherson, Rob-Roy marcherait à la tête et non à la queue. » Irrité de ce sarcasme, Mac-Gregor tira son épée, et ils se fussent battus sur le lieu même si leurs amis ne les eussent séparés. Mais le moment d’attaquer fut complètement perdu. Rob ne négligea point son intérêt dans cette occasion. Profitant de la confusion d’une bataille indécise, il enrichit ses hommes des dépouilles des morts des deux partis.

La jolie et vieille ballade satirique sur la bataille de Sherriff-Muir ne manqua pas de noter d’infamie la conduite de notre héros en cette mémorable occasion.


Rob-Roy sur la colline était en sentinelle
Pour piller le butin ;
Car à tenir ce poste ayant borné son zèle,
Il ne le quitta point que tout ne fût à fin.


Malgré l’espèce de neutralité que Rob-Roy avait gardée pendant l’insurrection, il n’échappa point aux punitions qui la suivirent. Il fut compris dans l’acte d’attainder (mandat d’amener), et la maison de Breadalbane, qui lui servait d’asile, fut brûlée par le général lord Cadogan, lorsque, la rébellion terminée, ce général parcourut les montagnes pour désarmer et punir les clans rebelles. Mais s’étant rendu à Inverary avec quarante ou cinquante de ses hommes, Rob obtint sa grâce en feignant de livrer toutes ses aimes au colonel Patrick Camphell de Finnah, qui accoida sa protection au chef et à sa bande. Se trouvant ainsi à peu près à l’abri des vengeances du gouvernement, Rob-Roy établit sa résidence à Creig-Royston, près du Loch-Lomond, au milieu de ses parents, et s’occupa bientôt de recommencer sa querelle privée avec le duc de Montrose. Dans cette intention il mit sur pied autant d’hommes, et aussi bien armés, que ceux qu’il avait commandés autrefois. Il était toujours accompagné d’une escorte de dix à douze hommes choisis, et pouvait aisément en porter le nombre à cinquante ou soixante.

Le duc employa tous les moyens possibles pour se débarrasser d’un adversaire si incommode. Sa Grâce s’adressa au général Carpenter, commandant de l’armée d’Écosse, et par son ordre, trois forts détachements furent dirigés de trois points différents, Glascow, Stirling, et Finlarig près Killin. M. Graham de Kiilearn, parent et régisseur du duc de Montrose, de plus shérif-député du Dumbarton-shire, accompagna les troupes, afin qu’elles pussent agir au nom de l’autorité civile et être dirigées par un guide sûr et connaissant parfaitement les montagnes. On avait l’intention de faire arriver ces trois colonnes en même-temps dans le voisinage de la résidence de Rob-Roy, afin de l’y surprendre, lui et les siens. Mais une pluie abondante, la difficulté des chemins, et les renseignements certains qui parvenaient toujours d’avance au proscrit, firent manquer un plan si bien combiné. Les troupes, voyant les oiseaux envolés, s’en vengèrent en détruisant le nid. Elles brûlèrent la maison de Rob-Roy, mais non impunément ; car les Mac-Gregor, cachés parmi les buissons et les précipices, tirèrent sur elles et tuèrent un grenadier.

Rob-Roy se vengea de la perte qu’il avait éprouvée en cette occasion par un acte d’une audace singulière. Vers le milieu de novembre 1716, John Graham de Killearn, régisseur, comme nous l’avons dit, des domaines de Montrose, se rendait dans un endroit appelé Chapel-Errock, où les vassaux du duc avaient reçu l’ordre de se rendre aussi pour payer leurs redevances. Le régisseur avait déjà reçu en argent une somme de 300 livres quand Rob-Roy entra dans l’appartement à la tête d’une troupe armée. John Graham voulut sauver l’argent du duc en jetant le livre de compte et les espèces dans un grenier, croyant qu’on ne s’en apercevrait pas. Mais le pillard avait trop d’expérience pour laisser échapper une telle aubaine. Il découvrit le livre et la caisse, se mit tranquillement à la place du receveur, examina les comptes, empocha l’argent, et en donna reçu au nom du duc, disant qu’il compterait avec le duc de Montrose en déduisant la valeur des pertes qu’il avait éprouvées par la faute de Sa Grâce, et dans lesquelles il comprenait l’incendie de sa maison par le général Cadogan, ainsi que la dernière expédition contre Craig-Royston. Il dit ensuite à M. Graham de le suivre. Il ne paraît pas qu’il ait usé de rudesse ou de violence envers lui, quoiqu’il l’eût informé qu’il le regardait comme un otage, le menaçant même d’un traitement plus dur s’il était poursuivi ou en danger d’être atteint. Jamais projet plus audacieux ne fut exécuté. Après avoir conduit rapidement son prisonnier dans différents endroits (et la fatigue semble avoir été le seul mal dont M. Graham ait eu à se plaindre), il le mena enfin dans une île du Loch-Katrine, d’où il le força d’écrire au duc que sa rançon était fixée à 3400 marcs, somme que Mac-Gregor prétendait lui être encore due, déduction faite de ce qu’il avait pris.

Cependant, après avoir retenu M. Graham cinq ou six jours prisonnier dans l’île, qui est encore appelée de nos jours la Prison de Rob-Roy, et qui ne devait pas être une habitation fort agréable pendant les nuits de novembre, le proscrit, désespérant sans doute de recueillir de plus grands avantages de son audacieuse entreprise, laissa partir le régisseur avec les livres de compte et les billets souscrits par les vassaux, mais retenant avec soin l’argent comptant[16].

On raconte de Rob d’autres expéditions qui attestent autant d’audace et de sagacité que celle de Chapel-Errock. Le duc de Montrose, lassé de son insolence, se procura une grande quantité d’armes, et les distribua à ses tenanciers, afin qu’ils pussent se défendre contre de nouvelles violences. Mais elles ne restèrent pas dans les mains auxquelles on les destinait. Les Mac-Gregor attaquèrent successivement toutes les maisons des vassaux, les désarmèrent les uns après les autres ; il faut supposer que ce ne fut pas sans le consentement de la plupart d’entre eux.

Comme une grande partie des revenus du duc étaient payables en nature, il y avait des greniers construits pour garder les grains, tant au moulin que partout ailleurs, sur les domaines de Buchanan. Rob-Roy avait coutume de se rendre à ces magasins avec une force suffisante, lorsqu’on s’y attendait le moins, et se faisait livrer d’énormes quantités de grains, tantôt pour son propre usage, tantôt pour secourir les gens du pays, donnant toujours un reçu en son propre nom, et prétendant qu’il tiendrait compte au duc des sommes qu’il recevait.

Cependant un fort fut construit par ordre du gouvernement, et on peut encore en voir la ruine à mi-chemin entre le Loch-Lomond et le Loch-Katrine, sur les domaines d’Inversnaid, ancienne propriété de Rob-Roy ; mais ce poste militaire ne pouvait pas davantage arrêter l’indomptable Mac-Gregor. Il parvint à surprendre le petit fort, désarma les soldats, et le détruisit. Ce fort fut ensuite relevé et repris par les Mac-Gregor sous le neveu de Rob-Roy, Ghlune Dhu, avant l’insurrection de 1745-6 ; enfin il fut reconstruit pour la troisième fois après l’extinction des discordes civiles. Et quand nous voyons le célèbre général Wolf y commander, l’imagination est vivement affectée par la diversité des époques et des événements que cette circonstance ramène simultanément à la mémoire. Il est aujourd’hui tout à fait ruiné[17].

Ce n’était plus, à proprement parler, comme déprédateur de profession que Rob-Roy, dirigeait alors ses opérations, mais comme percepteur au nom du gouvernement, ou, selon l’expression écossaise, comme receveur de la rente noire. La nature de cette contribution a été expliquée dans le roman de Waverley et dans les notes de cet ouvrage. On peut citer ici l’explication qu’en donne M. Graham de Gartmore :

« La confusion et le désordre du pays étaient si grands, le gouvernement s’en occupait si peu, que les gens modérés étaient contraints d’acheter la tranquille possession de leurs biens par les infâmes et ignominieuses contributions de la rente noire. Une personne qui entretenait une correspondance suivie avec les brigands préservait du pillage, d’après une convention et pour une somme annuellement payée, les terres ainsi taxées. Ce revenu servait à payer une moitié des brigands pour ramener les bestiaux volés, et l’autre moitié pour les dérober, afin de rendre nécessaire le maintien de la rente noire. Les domaines de ceux qui refusent de payer ou de favoriser ce hideux commerce sont rançonnés par la partie pillarde des gens de ce guet, qui veulent ainsi les forcer à acheter leur protection. Leur chef s’intitule capitaine du guet, et ses bandits prennent ce nom qui leur donne une espèce d’autorité pour traverser le pays, ce qui les met à même de commettre tous les brigandages. Ces bandes, dispersées dans les montagnes, forment un corps considérable d’hommes endurcis dès leur enfance aux plus grandes fatigues, et capables dans l’occasion de faire l’office de soldats.

« Des gens ignorants et enthousiastes qui vivent dans une dépendance absolue de leur chef ou seigneur, dont les consciences sont dirigées par des prêtres catholiques ou des ecclésiastiques insermentés, qui enfin ne possèdent rien, sont propres à prendre le rôle qu’on veut leur donner. Ils ne craignent pas le danger, parce qu’ils n’ont rien à perdre ; on peut donc sans peine les décider à tout entreprendre. Rien ne peut rendre leur condition pire. Les temps de confusion et de trouble leur permettent de s’abandonner à des licences qui améliorent quelque peu leur sort[18]. »

Comme l’usage d’exiger la rente noire encourageait ouvertement le brigandage et entravait beaucoup la marche de la justice, un arrêt, 1567, chap. xxi, déclara coupable de crime capital et celui qui levait et celui qui payait cette taxe. Mais la nécessité de la payer empêcha que cette loi sévère ne fût exécutée, même une seule fois, je crois ; et les propriétaires aimèrent mieux encourir une amende illégale que de s’exposer à tout perdre ; de même qu’il est difficile ou impossible aujourd’hui d’empêcher ceux à qui on a dérobé une somme considérable d’argent, de composer avec les voleurs, pour obtenir d’eux la restitution d’une partie de leur prise.

Quel était le taux du black-mail que levait Rob-Roy ? je ne l’ai jamais su. Mais il existe encore un contrat par lequel son neveu, en 1741, convient avec différents propriétaires des comtés de Perth, de Stirling et de Dumbarton, de leur ramener les bestiaux qu’on leur volera, ou de leur en payer la valeur sous six mois, à dater du jour du vol, si on lui en donnait avis avec promptitude, à raison de 5 livres sterling pour 100 livres du revenu, ce qui n’était pas, à coup sûr, un très-lourd droit d’assurance. Le contrat n’était pas exécutoire pour les petits vols ; mais le vol d’un cheval, d’une bête à cornes, ou de plus de six moutons, rentrait dans le marché.

Ces exactions produisaient à Rob-Roy un revenu considérable en argent et en bestiaux, et il en faisait un usage populaire ; car il était aussi libéral en public que bienfaisant en particulier. Le ministre de la paroisse de Balquhidder, qui s’appelait Robinson, menaça un jour la paroisse de demander une augmentation de salaire. Rob-Roy profita d’une occasion pour l’assurer qu’il ferait bien de s’abstenir de cette nouvelle exaction, avis que le ministre ne manqua point de comprendre. Mais pour l’indemniser un peu, Mac-Gregor lui fit présent chaque année d’une vache et d’un mouton gras ; et l’on ne dit pas que des scrupules sur la manière dont le donateur se les procurait aient affecté jamais la conscience du révérend ministre.

Le fait suivant, que l’on raconte de Rob-Roy, à l’égard d’un de ceux qui avaient traité avec lui, m’a causé le plus vif intérêt. Il m’a été conté par un vieil habitant du comté de Lennox, témoin oculaire de l’expédition. Mais comme il n’y a rien d’étonnant ni de merveilleux dans cette anecdote, et que je ne puis la donner aux lecteurs avec les regards demi-épouvantes, demi-stupéfaits, dont le narrateur accompagnait ses souvenirs, elle perdra probablement beaucoup de son effet par sa transcription sur le papier.

Le narrateur, à l’âge de quinze ans, vivait avec son père sur les domaines d’un gentilhomme de Lennox dont j’ai oublié le nom, tous deux en qualité de bergers. Un beau matin, vers la fin d’octobre, époque où l’on avait à redouter le plus de tels brigandages, ils trouvèrent que les bandits des hautes terres s’étaient précipités sur leurs troupeaux, et avaient emmené dix à douze têtes de bétail. On envoya aussitôt chercher Rob-Roy, qui vint avec sept ou huit hommes armés. Il écouta gravement le récit de toutes les circonstances du vol, et annonça qu’il espérait que les bergers fous[19] n’étaient pas encore loin avec leur butin, et qu’il pourrait les rattraper. Il demanda que deux hommes des basses terres vinssent avec lui ; car il ne fallait pas s’attendre à ce qu’aucun des hommes de sa suite voulût se donner la peine de ramener ces bestiaux, quand ils seraient retrouvés. Mon narrateur et son père furent désignés. Cette commission ne leur plaisait guère ; pourtant ils prirent quelques vivres, et, suivis d’un chien pour conduire plus aisément le bétail, ils partirent avec Mac-Gregor. Ils marchèrent toute la journée dans la direction de la montagne Benvoirlich, et passèrent la nuit dans une hutte en ruine. Le lendemain, dès le jour, ils continuèrent leur route à travers les montagnes, Rob-Roy se dirigeant d’après des signes et des marques empreintes sur la bruyère auxquelles mon narrateur ne comprenait rien.

Vers midi, Rob ordonna à ses gens de faire halte et de se coucher dans la partie la plus épaisse de la bruyère. « Vous et votre fils, dit-il au plus vieux Lowlander, gravissez sans crainte la montagne ; vous apercevrez au dessous de vous, dans le vallon opposé, les bestiaux de votre maître, paissant avec d’autres peut-être. Rassemblez les vôtres, gardez-vous de toucher aux autres, et amenez-les ici.

— Mais s’ils nous maltraitent, s’ils nous tuent ? « dit le paysan lowlander, qui n’était nullement charmé de jouer, lui et son fils, le rôle d’ambassadeurs.

« S’ils vous font le moindre mal, dit Rob, je ne leur pardonnerai de ma vie. »

L’homme des basses terres ne fut nullement tranquillisé par cette assurance ; mais il se souvint qu’il pouvait être dangereux de résister aux ordres de Rob.

Son fils et lui gravirent donc la montagne, et trouvèrent une vallée profonde où ils virent, comme Rob l’avait prédit, un troupeau considérable ; ils trièrent avec précaution les bestiaux que leur maître avait perdus, et se mirent en mesure de leur faire gravir la montagne. Mais, au même instant ils entendirent des cris de fureur ; surpris et épouvantés, ils regardèrent autour d’eux et aperçurent une femme qui semblait être sortie de terre et qui criait après eux en gaélique. Ayant réussi pourtant à lui faire comprendre de leur mieux dans la même langue les ordres de Rob-Roy, elle se tut, et se retira sans leur chercher plus longtemps querelle. À leur retour, le chef écouta leur rapport, et parla avec beaucoup de complaisance de son talent pour rétablir chacun dans ses droits sans plus de bruit. La troupe se mit alors en route pour s’en retourner ; les dangers, sinon les fatigues de l’expédition, finirent là.

Ils marchèrent jusqu’à la nuit, sans presque se reposer ; alors Rob proposa de s’arrêter dans une lande sauvage, à travers laquelle un vent froid du nord-est, poussant avec force un givre épais, sifflait sur l’air de Strath-Dearn[20] Les montagnards, enveloppés dans leurs plaids, ne furent pas encore trop mal couchés dans la bruyère ; mais les hommes des basses terres n’avaient rien pour se couvrir : ce dont Rob s’apercevant, il ordonna à un des gens de sa troupe de partager son manteau avec le vieillard : « Quant à ce jeune gaillard, dit-il, il peut se tenir chaud en marchant et en surveillant les bestiaux. » Mon narrateur n’entendit cet arrêt qu’avec le plus vif désespoir ; et, comme le vent devenait de plus en plus piquant, il crut que son sang allait se glacer dans ses veines. Il avait été toute sa vie exposé aux intempéries du ciel, disait-il, mais il ne put jamais oublier le froid de cette nuit-là ; dans l’amertume de son cœur, il maudissait la lune qui donnait tant de lumière et point de chaleur. À la fin, il se trouva tellement engourdi, tellement fatigué, qu’il se détermina à déserter son poste pour chercher un abri. Dans cette intention, il se coucha derrière un des plus corpulents montagnards, le lieutenant de la troupe ; mais, non content de l’abri que lui donnaient ses larges épaules, il convoita une partie de son plaid, et, le tirant peu à peu, il finit par s’entortiller dans un des coins. Comparativement, il était alors dans le paradis, et dormit d’un sommeil profond jusqu’à la pointe du jour. Lorsqu’il s’éveilla, il fut terriblement épouvanté de voir qu’il avait entièrement découvert le cou et les épaules du sans-culotte, lesquels, dépouillés du manteau qui devait les protéger, s’étaient couverts de givre. Le jeune berger se leva avec la crainte d’être battu, au moins, quand on découvrirait avec quel luxe il s’était accommodé aux dépens du principal personnage de la troupe. Toutefois le bon lieutenant ouvrit les yeux, se secoua, ôtant le givre avec son plaid, et se plaignant à voix basse de la fraîcheur de la nuit. Ils se remirent en marche, et les bestiaux furent rendus au propriétaire, sans autre aventure.

Ce qu’on vient de lire ne peut guère s’appeler une anecdote ; mais cependant il y a là de quoi inspirer le poète et le peintre.

Ce fut peut-être vers le même temps que, par une marche rapide dans les montagnes de Balquhidder, à la tête d’un corps de ses propres tenanciers, le duc de Montrose surprit Rob-Roy, et le fit prisonnier ; on le mit en croupe derrière un des vassaux du duc, nommé James Stewart, et on l’attacha au cavalier par une longe. Ce James Stewart était le grand-père de l’homme intelligent qui tenait une auberge dans le voisinage du Loch-Katrine et servait de guide aux curieux qui venaient visiter ce magnifique paysage. Cet homme a cessé de vivre. C’est lui qui m’a conté cette histoire bien des années avant d’être aubergiste ; alors il ne servait encore de guide qu’aux chasseurs de bécassines. C’était le soir, pour en revenir à mon histoire, et le duc faisait doubler le pas, afin de loger dans un endroit sûr un prisonnier qu’il avait si long-temps poursuivi en vain, lorsqu’en traversant le Teith, ou le Forth, j’ai oublié lequel, Mac-Gregor se mit à conjurer Stewart, par tous les liens d’une vieille connaissance et d’un bon voisinage, de lui donner quelque chance d’échapper à une mort certaine. Stewart, touché de compassion, peut-être aussi par un sentiment moins généreux, desserra la courroie, et Rob, se laissant glisser de la croupe du cheval, plongea, nagea, et s’échappa avec la même adresse qu’il est dit dans ce roman. Quand James Stewart fut arrivé sur le bord, le duc s’empressa de lui demander où était son prisonnier ; ne recevant pas de réponse claire, il le soupçonna aussitôt d’avoir favorisé l’évasion du proscrit ; et, tirant un pistolet de sa ceinture, il lui en déchargea sur la tête un coup si violent, que jamais, dit son petit-fils, il n’en fut complètement remis.

Le bonheur de s’être soustrait si souvent aux poursuites de son puissant ennemi rendit Rob-Roy fanfaron et facétieux ; il adressa au duc une provocation en style burlesque : cette pièce circula parmi ses amis, qui s’en amusèrent en vidant bouteille. Le lecteur trouvera cette pièce à l’Appendice ; l’écriture en est belle, et l’on n’y remarque que peu de fautes contre la grammaire et l’orthographe. Nos lecteurs du sud doivent se rappeler que c’était une boutade, une farce enfin, de la part du proscrit, qui était trop raisonnable pour proposer réellement une pareille rencontre : cette lettre fut écrite dans l’année 1719.

L’année suivante, Rob-Roy écrivit une autre épître, mais fort peu à son honneur, puisqu’il y assure qu’il a toujours trahi ses alliés dans la guerre civile de 1715. Elle est adressée au général Wade, alors occupé à désarmer les clans d’Highlandais et à percer des routes militaires dans le pays. Cette lettre est une composition remarquable ; on y voit que ce brigand avait un désir véritable et sincère d’offrir ses services au roi George ; mais il fut retenu par la crainte d’être jeté en prison pour dettes par le duc de Montrose. Ainsi empêché de prendre la bonne voie, il se précipita dans la mauvaise, d’après ce principe de Falstaff, que — « puisque le roi avait besoin d’hommes et les rebelles de soldats, il était encore plus honteux de rester inactif dans un monde si agité que d’épouser la cause de la rébellion. — « Rob-Roy s’efforce dans cette lettre d’établir, comme une proposition inattaquable, l’impossibilité de rester neutre au milieu de ces sanglants débats ; et, tout en reconnaissant qu’il a pris part à la rébellion contre le roi George, il affirme que non seulement il a évité de causer du dommage aux troupes de Sa Majesté, mais qu’au contraire il leur faisait parvenir tous les renseignements qu’il était en son pouvoir de leur donner. Il invoque en ceci le témoignage de Sa Grâce le duc d’Argyle. Nous n’avons pu savoir quelle influence ces allégations produisirent sur le général Wade.

Rob-Roy paraît avoir continué son genre de vie habituel. Cependant sa renommée dépassait les limites du pays où il demeurait : une prétendue histoire de lui parut à Londres de son vivant même, sous le titre du Brigand montagnard. C’est une de ces publications à tirer l’argent du public, ayant pour frontispice une espèce d’ogre avec une barbe longue d’un pied. Les actions du héros y sont aussi exagérées que sa taille. On y raconte quelques unes de ses aventures les plus connues, mais sans aucun respect pour la vérité, et la plus grande partie de cette publication est une pure fiction. On doit regretter qu’un si beau sujet ne soit pas tombé dans les mains d’un De Foë, qui traitait à cette époque des sujets presque semblables, quoique inférieurs en dignité et en intérêt.

À mesure qu’il avança en âge, Rob-Roy prit des habitudes de plus en plus pacifiques, et son neveu Ghlune Dhu, avec beaucoup de ses alliés, renonça à ces querelles avec le duc de Montrose dans lesquelles son oncle s’était tant distingué. La politique de cette grande famille consistait alors à s’attacher cette tribu redoutable par des bienfaits plutôt que par des violences inutiles, sinon nuisibles. Moyennant de modiques redevances, on accorda des terres à la plupart des Mac-Gregor qui avaient eu jadis des possessions sur les domaines du duc dans les montagnes, mais comme simples tenanciers ; et Glengyle (Genou-Noir), qui continuait de lever la rente noire, fut conservé par le gouvernement dans son titre de capitaine du guet des montagnes. On dit qu’il s’abstint rigoureusement des déprédations illégales que son oncle avait exercées.

Ce fut probablement après avoir obtenu cet état de repos momentané que Rob-Roy commença à songer à son avenir. Élevé dans le culte protestant, il était resté long-temps attaché à cette secte ; mais, dans ses dernières années, il embrassa la foi catholique romaine, peut-être d’après le principe de Cole, parce que c’est une religion commode pour les gens de sa profession. On dit qu’il allégua, comme motif de conversion, le désir de satisfaire la noble famille de Perth, dont tous les membres étaient alors de sévères catholiques. Après avoir, observait-il, pris le nom du duc d’Argyle, son premier protecteur, il ne pouvait rendre au comte de Perth un hommage digne de lui qu’en adoptant sa religion. Rob ne prétendait pas, lorsqu’on le serrait vivement sur ce sujet, justifier tous les préceptes du catholicisme, et reconnaissait que l’extrême-onction lui avait toujours paru une inutile consommation d’huile[21].

Dans les dernières années de la vie de Rob-Roy, son clan s’engagea dans une dispute avec un autre clan plus puissant que lui. Stewart d’Appin, chef de la tribu de ce nom, était propriétaire d’une petite ferme située au milieu des landes de Balquhidder, et appelée Invernenty. Les Mac-Gregor de la tribu de Rob-Roy la réclamèrent comme l’ayant jadis possédée, et déclarèrent que personne ne s’établirait dans la ferme, sinon un Mac-Gregor ; les Stewart s’y rendirent au nombre de deux cents hommes bien armés, afin de se faire justice de vive force ; les Mac-Gregor s’apprêtèrent à soutenir la lutte, mais ne purent mettre sur pied des forces aussi nombreuses, ce qui engagea Rob-Roy à demander une entrevue, dans laquelle il représenta que les deux clans étaient amis du roi, et que, ne voulant pas les voir s’affaiblir par d’inutiles querelles, il cédait à Appin le territoire tant disputé d’Invernenty. Il faisait de nécessité vertu. Appin y établit donc comme tenanciers, moyennant une somme modique, les Mac-Larens, famille dépendante des Stewart, et dont la force et la bravoure donnaient à espérer qu’ils sauraient maintenir leurs droits contre les Mac-Gregor.

Quand tout fut arrangé à l’amiable, en présence des deux clans armés, près de l’église de Balquhidder, Rob-Roy, craignant sans doute que sa tribu ne crût avoir cédé trop aisément en cette occasion, s’avança, et dit que, puisque tant de galants hommes étaient réunis sous les armes, il serait honteux de se quitter sans lutter d’adresse, et qu’ainsi il prenait la liberté d’inviter un brave quelconque des Stewart présents à échanger quelques coups avec lui, pour l’honneur de leurs clans respectifs. Le beau-frère d’Appin et second chef du clan, Alaster Stewart d’Invernahyle, accepta le défi, et les combattants, armés de l’épée et de la targe, s’avancèrent entre les deux clans[22]. Le combat finit dès que Rob eut reçu une légère blessure au bras : c’était l’usage lorsque l’on se battait sans haine et pour l’honneur seulement. Rob-Roy félicita son adversaire d’avoir été le premier homme qui lui eût jamais tiré une goutte de sang ; le vainqueur généreux reconnut que, sans l’avantage de la jeunesse et l’agilité qui l’accompagne, il n’aurait probablement pas eu cet honneur.

Cet exploit fut sans doute un des derniers de Rob-Roy. L’époque de sa mort est incertaine ; mais on dit généralement qu’il vécut au-delà de l’année 1738 et mourut très-âgé. Quand il vit approcher l’heure fatale, il montra quelque contrition pour certaines particularités de sa vie : sa femme sourit de ces scrupules de conscience, et l’exhorta à mourir en homme comme il avait vécu. En réponse, Rob lui reprocha ses passions violentes et les conseils qu’elle lui avait donnés. « Vous m’avez mis en guerre, dit-il, avec les meilleures gens du pays, et maintenant vous voulez me mettre en guerre avec Dieu. »

Une tradition rapporte, et, d’après ce qui précède, ce fait n’est pas incroyable, qu’à son lit de mort il apprit qu’un de ses plus violents ennemis se proposait de le venir voir : « Levez-moi sur mon lit, dit-il ; jetez-moi mon plaid sur les épaules, apportez-moi ma claymore, ma dague, mes pistolets… Il ne sera point dit qu’un ennemi ait jamais vu Rob-Roy Mac-Gregor sans défense et sans armes. » Cet homme, qui était probablement un des Mac-Larens dont il a été fait mention, et que nous verrons encore, entra, et lui fit ses compliments, s’informant de la santé de son formidable voisin. Rob-Roy, durant cette courte entrevue, observa une politesse froide et fière, et dès que l’étranger fut sorti : « À présent, dit-il, tout est fini… Dites au joueur de flûte de jouer Ha til mi tulidh (nous ne reviendrons plus) ; » et il expira, dit-on, avant que l’air fût achevé.

Cet homme singulier mourut dans son lit et sa propre maison, dans la paroisse de Balquhidder. Il fut enterré dans le cimetière de cette paroisse, où son tombeau n’est remarquable que par une épée qu’y a gravée une main peu habile.

Le caractère de Rob-Roy serait difficile à tracer. Sa sagacité, son audace, sa prudence, qualités si nécessaires pour réussir à la guerre, devinrent chez lui presque des vices par la manière dont il les employa. Toutefois son éducation grossière peut excuser en partie ses transgressions contre les lois. Quant à ses tergiversations politiques, il peut invoquer l’exemple d’hommes bien plus puissants, qui furent moins excusables en devenant le jouet des circonstances, que le pauvre et désespéré proscrit. D’un autre côté, il déploya toujours des vertus d’autant plus méritoires, qu’elles semblent incompatibles avec sa position. Chef d’une bande de pillards, ou, pour employer l’expression moderne, capitaine de bandits, Rob-Roy était modéré dans ses vengeances et humain dans le succès. Sa mémoire n’est entachée d’aucun acte de cruauté ; il ne répandit jamais le sang ailleurs que dans les combats. Ce formidable proscrit était l’ami du pauvre et, autant qu’il le pouvait, le soutien de la veuve et de l’orphelin, sa parole était sacrée : il mourut pleuré dans son sauvage pays, où les cœurs étaient reconnaissants de ses bienfaits, quoique les esprits ne fussent pas suffisamment éclairés pour bien apprécier ses erreurs.

L’auteur devrait peut-être s’arrêter ici ; mais le sort d’une partie de la famille de Rob-Boy est assez extraordinaire pour l’engager à continuer cette Introduction déjà bien longue. C’est offrir au lecteur plusieurs pages intéressantes non seulement quant aux mœurs des Highlandais, mais encore le contraste d’une tribu ancienne et presque sauvage encore, mise en contact avec les différentes classes d’un peuple dont la civilisation et les mœurs ont atteint le plus haut degré de perfection.

Rob eut cinq fils, Coll, Donald, James, Duncan et Robert. On ne sait rien de remarquable sur trois d’entre eux. Mais James, qui était un fort bel homme, semble avoir hérité en grande partie des penchants de son père, et le manteau de Dugald Ciar était descendu sur les épaules de Robin-Oig, c’est-à-dire du jeune Robin. Peu après la mort de Rob-Roy, la mésintelligence qui régnait toujours entre les Mac-Gregor et les Mac-Larens éclata de nouveau, à l’instigation, dit-on, de la veuve de Rob, qui semble mériter ainsi le caractère que lui avait prêté son mari, celui d’une femme altérée de sang et de carnage. Robin-Oig, cédant à ses conseils, jura que dès qu’il serait capable de porter un certain fusil qui avait appartenu à son père, et qu’il envoya à Doune pour le faire raccommoder, il tirerait sur Mac-Larens pour le punir d’avoir osé s’établir sur les terres de sa mère[23]. Il tint parole, et tira sur Mac-Larens, tandis qu’il labourait, un coup de fusil qui le blessa mortellement.

On alla quérir un médecin highlandais, qui sonda la blessure avec un fragment de tige de chou. Le savant Esculape déclara qu’il n’osait rien ordonner, attendu qu’il ne pouvait savoir avec quelle balle le patient avait été blessé. Mac-Larens mourut ; vers la même époque, on ravagea ses terres de la manière la plus barbare.

Après ce meurtre, qu’un de ses biographes appelle un malheureux coup de fusil, Robin-Oig revint à la maison de sa mère se vanter d’avoir le premier versé le sang dans cette querelle. À l’approche d’un corps des Stewart qui venaient prendre la défense de leur allié, Robin-Oig disparut, et échappa à toutes les poursuites.

Le médecin dont nous avons parlé, et qui se nommait Callam Mac-Inleister, fut, avec James et Donald, frères du meurtrier, soumis à un interrogatoire. Mais ils parvinrent à démontrer que ce crime avait été commis par cet audacieux drôle de Robin, tout seul, et qu’ils n’en étaient nullement complices. Le jury déclara que leur complicité n’était pas prouvée. On les accusait aussi d’avoir pillé et tué les bestiaux des Mac-Larens ; mais il n’y eut pas non plus de preuves convaincantes. Néanmoins comme les deux frères Donald et James étaient regardés comme voleurs de profession, on les condamna à fournir un cautionnement de 200 livres, qui garantît leur bonne conduite pendant sept ans[24].

L’esprit de clan était si fort alors (et l’on doit y ajouter le désir de s’assurer pour partisans des hommes vigoureux et robustes, enfin, selon l’expression écossaise, de jolis hommes), que le représentant de la noble famille de Perth consentit à se déclarer le patron des Mac-Gregor, et les protégea en effet dans leur procès. On l’a du moins assuré à l’auteur, et c’est feu Robert Mac-Intosh, écuyer-avocat. Cette circonstance peut toutefois n’avoir eu lieu qu’après l’année 1736, époque où le premier procès fut intenté.

Robin-Oig servit quelque temps dans le 42e régiment, et assista à la bataille de Fontenoy, où il fut fait prisonnier et blessé. Ayant été échangé, il revint en Écosse et obtint son congé. Il reparut ensuite ouvertement sur les domaines des Mac-Gregor, et, malgré sa proscription, épousa une fille de Graham de Drunkie, propriétaire assez riche. Sa femme mourut peu d’années après.

L’insurrection de 1745 appela bientôt après les Mac-Gregor aux armes. Robert Mac-Gregor de Glencarnoch, généralement regardé comme le chef de la tribu, et grand-père de sir John, leva un régiment de Mac-Gregor, à la tête duquel il se rangea sous les drapeaux du Chevalier. Les guerriers de Ciar-Mohr toutefois, affectant l’indépendance, ne rejoignirent pas leurs parents, mais s’unirent aux levées du duc titulaire de Perth, jusqu’à ce que William Mac-Gregor Drummond de Bohaldie, qu’ils regardaient comme chef de leur branche du clan Alpine, fût revenu de France pour cimenter l’union. Suivant la coutume des Highlands, James quitta le nom de Campbell et prit celui de Drummond pour flatter le lord Perth. Il fut aussi appelé James-Roy, à cause de son père, et James-Mohr ou le gros James, à cause de sa corpulence. Son régiment, reste de la bande de son père, se conduisit avec la plus grande intrépidité ; avec douze hommes seulement, il réussit à surprendre et à brûler pour la seconde fois le fort d’Inversnaid, construit tout exprès pour tenir en respect les Mac-Gregor.

Quel fut le rang ou le grade de James Mac-Gregor ? on l’ignore. Il se donne lui-même le titre de major ; et le chevalier Johnstone l’appelle capitaine. Il devait tenir rang au-dessous de Ghlune Dhu ; mais son caractère actif et audacieux l’éleva au-dessus de tous ses frères. Beaucoup de ses gens étaient sans armes ; il suppléa aux fusils et aux épées par des faux plantées droit au bout de leurs manches.

À la bataille de Preston-Pans, James-Roy se distingua. « Sa compagnie, dit le chevalier Jonhstone, fit un grand ravage avec les faux. » Ils coupaient les jambes des chevaux, et les cavaliers par le milieu du corps. Mac-Gregor était brave et intrépide, mais en même temps quelque peu fantasque et bizarre. En chargeant l’ennemi à la tête de sa compagnie, il reçut cinq blessures, dont deux par des balles qui lui traversèrent le corps de part en part. Couché à terre, la tête appuyée sur une main, il criait de toutes ses forces à ses gens : « Mes amis, je ne suis pas mort ; par Dieu ! je verrai bien si quelqu’un ne fait pas son devoir. » La victoire, comme on sait, fut remportée en peu d’instants.

Dans plusieurs lettres curieuses de James-Roy, on apprend qu’il eut en cette occasion l’os de la cuisse fracassé, et que néanmoins il rejoignit l’armée avec six compagnies, et fut présent à la bataille de Culloden. Après cette défaite, le clan Mac-Gregor se réunit, et ne se dispersa que lorsqu’il fut rentré dans son pays. Ils emmenèrent James-Roy avec eux dans une litière, et on lui permit, sans trop de peine, de résider dans le pays de Mac-Gregor avec ses autres frères.

James Mac-Gregor Drummond fut accusé de haute trahison tramée avec des personnages plus importants. Mais il paraît qu’il avait entretenu des intelligences avec le gouvernement, puisque, dans les lettres déjà mentionnées, il parle d’un passe-port du lord-secrétaire de la justice en 1747, qui était pour lui une protection suffisante. Cette circonstance n’est qu’obscurément énoncée dans une de ces lettres, mais, jointe à d’autres particularités, elle autorise le soupçon que James, comme son père, regardait les cartes des deux côtés. Le calme ne se rétablissant pas dans le pays, les Mac-Gregor, comme des renards qui ont dérouté les chiens, retournèrent dans leurs anciennes demeures, et y vécurent en repos. Mais un outrage atroce, auquel prirent part les fils de Rob-Roy, attira enfin sur toute la tribu la vengeance des lois.

James-Roy était marié et avait quatorze enfants. Mais son frère Robin-Oig, qui était veuf, résolut d’arrondir sa fortune en épousant quelque femme riche des basses terres, dût-il l’enlever de force.

L’imagination des Highlandais à demi civilisés fut moins choquée à l’idée de ce genre nouveau de violence qu’on n’aurait pu s’y attendre d’après la douceur avec laquelle ils traitaient toujours les personnes du sexe le plus faible qui étaient de leur famille. Mais la pensée qu’ils vivaient dans un état de guerre était le mobile habituel de leurs actions, et dans de telles conjonctures, depuis le siège de Troie jusqu’au moment où Prévisa fut prise[25] les femmes furent toujours pour des vainqueurs non civilisés la plus précieuse partie du butin.

Les riches sont tués, les beautés épargnées.

Il n’est pas besoin de se reporter à l’enlèvement des Sabines ou au livre des Juges, pour prouver que de tels actes de violence ont été commis sur une plus vaste échelle. De fait, cette sorte d’entreprise était si commune sur la frontière des hautes terres, qu’elle fait le sujet d’une foule de chansons et de ballades[26]. Les annales de l’Irlande aussi bien que celles d’Écosse montrent que ce crime n’était pas rare dans les pays les plus sauvages de ces deux contrées ; et toute femme qui avait le bonheur de plaire à un homme de courage et de bonne maison, quand il avait quelques amis sûrs et une retraite dans les montagnes, n’avait pas la permission de lui dire Non. Bien plus, il paraîtrait que les femmes elles-mêmes, très-intéressées aux privilèges de leur sexe, avaient coutume, dans les rangs inférieurs, de regarder de tels mariages comme ceux que l’on nomme aujourd’hui « mariages à la mode de la jolie Fanny, ou plutôt à la mode de Donald avec la jolie Fanny. » Il n’y a pas encore bien long-temps qu’une femme respectable, occupant dans la société un certain rang, a reproché chaudement à l’auteur d’avoir pris la liberté de censurer la conduite des Mac-Gregor en semblable occasion. Elle disait « qu’il n’était pas convenable de laisser, en pareil cas, les jeunes filles choisir : que les mariages les plus heureux étaient toujours ceux qui s’étaient ainsi conclus de force. » Enfin elle avoua « que sa propre mère n’avait jamais vu son père avant la nuit où il l’avait enlevée dans le Lennox avec dix têtes de bétail, et qu’il n’y avait jamais eu dans le pays de plus heureux ménage. »

James Drummond et son frère partageaient tout à fait les opinions de la vieille connaissance de l’auteur ; et avisant au moyen de redonner à leur clan les richesses qu’il avait perdues, ils résolurent de faire la fortune de leur frère Robin-Oig en concluant un mariage avantageux entre lui et une Jeanne Key, ou Wright, jeune femme à peine âgée de vingt ans, et que la mort de son mari laissait veuve depuis deux mois. Ses biens pouvaient être évalués à 16 ou 18,000 marcs, et il paraît que ce fut une tentation assez forte pour leur faire entreprendre un si grand crime.

La malheureuse et jeune victime demeurait avec sa mère dans sa maison à Édinbilly, paroisse de Balfron, comté de Stirling. Ce fut dans la nuit du 3 décembre 1750 que les fils de Rob-Roy, et particulièrement James Mohr et Robin-Oig, se précipitèrent contre la maison qui renfermait l’objet de leur attaque, présentèrent fusils, épées et pistolets aux hommes de la famille, et épouvantèrent les femmes en les menaçant de briser les portes si on ne leur livrait pas sur-le-champ Jeanne Key, son frère, disait James Roy, étant un jeune gaillard déterminé à faire fortune. Ayant poursuivi la malheureuse victime de leur infâme entreprise jusqu’au lieu où elle s’était réfugiée, ils l’arrachèrent des bras de sa mère, la placèrent sur un cheval devant un homme de leur bande, et l’entraînèrent malgré ses cris et ses gémissements, qui furent encore entendus long-temps après que les spectateurs, épouvantés de cette violence, eurent perdu de vue la troupe qui se retirait dans l’obscurité. En cherchant à s’échapper, la pauvre jeune femme tomba du cheval sur lequel on l’avait placée, et se blessa au côté. Ils la mirent alors sur le pommeau de la selle, et l’emmenèrent ainsi par les landes et les marais, jusqu’à ce que la douleur qu’elle ressentait de sa chute et l’incommodité de sa position la forçassent à se redresser. Dans le cours de leur cruelle entreprise, ils s’arrêtèrent dans plus d’une maison, mais nul habitant n’osa s’opposer à leur attentat. Au grand nombre des personnes qui les virent, fut le fameux littérateur, le docte professeur feu William Richardson de Glasgow, qui avait coutume de raconter comme un songe terrible leur violente et bruyante entrée dans la maison où il se trouvait alors. Les Highlandais remplirent la petite cuisine, brandissant leurs armes, demandant ce qu’il leur plaisait, et recevant tout ce qu’ils demandaient. James Mohr, disait-il, était grand, et d’un aspect dur et farouche. Robin-Oig avait un air plus agréable, le teint frais, mais un peu rembruni ; c’était un jeune sauvage d’une taille avantageuse. Leur victime, les cheveux épars et les vêtements en désordre, était si pâle, qu’il était difficile de dire si elle était morte ou vivante.

La troupe emmena la malheureuse femme à Rowerdennan, où un prêtre fut assez peu scrupuleux pour célébrer le mariage, tandis que Robin-Oig retenait de force sa fiancée devant lui ; et le prêtre proclama l’union de ce couple, bien que la victime protestât contre l’infamie de sa conduite. Avec la même violence dont ils avaient usé jusqu’alors, la pauvre victime fut contrainte à habiter avec l’époux qu’on lui avait ainsi imposé malgré elle. Ils osèrent même la mènera l’église de Balquhidder, où l’ecclésiastique qui officiait (le même qui avait été pensionnaire de Rob-Roy) leur demanda seulement s’ils étaient mariés. Robert Mac-Gregor répondit affirmativement ; la femme épouvantée ne répondit pas.

Mais le pays était alors trop sévèrement soumis à l’exercice de la loi pour que ce crime produisît tout l’avantage que ses auteurs en espéraient. Des détachements furent envoyés dans toutes les directions pour saisir les Mac-Gregor, qui furent forcés, pendant deux ou trois semaines, de se sauver d’un lieu dans un autre, au milieu des montagnes, emmenant toujours avec eux l’infortunée Jeanne Key. Cependant la cour suprême de justice civile rendit un arrêt qui, séquestrant les biens de Jeanne Key ou Wright, enleva aux auteurs du crime le prix qu’ils en attendaient. Ils espéraient pourtant que la pauvre femme, perdant courage, préférerait se résigner à sa condition, plutôt que d’encourir la honte de comparaître pour un pareil motif devant un tribunal. C’était en effet une affaire délicate ; mais leur parent Glengyle, chef immédiat de la tribu, avait en horreur ces infâmes violences[27] ; et comme les amis de la captive avaient imploré son assistance, les Mac-Gregor craignirent de perdre sa protection, s’ils refusaient de mettre leur prisonnière en liberté.

Les frères se résolurent donc à relâcher la malheureuse femme, mais auparavant ils essayèrent de tous les moyens imaginables pour l’amener, soit par crainte, soit autrement, à s’avouer l’épouse de Robin-Oig. De vieilles sorcières de la montagne lui administrèrent des drogues qui devaient agir sur elle comme des philtres, mais elles eurent sans doute un effet contraire. James Mohr la menaça un jour, si elle ne reconnaissait pas la validité de son mariage, de lui faire voir qu’il y avait assez de braves gens dans les montagnes pour lui apporter les têtes de deux de ses oncles qui poursuivaient l’affaire comme parties civiles. Un autre jour il tomba à ses genoux, confessant qu’il avait été complice dans la violence qu’on lui avait faite, mais la suppliant de ne pas causer la ruine de sa femme innocente et de sa nombreuse famille. On la contraignit à jurer qu’elle ne poursuivrait point ses ravisseurs, et à signer une déclaration que c’était à sa demande qu’on l’avait enlevée.

James Mohr Drummond conduisit donc sa prétendue belle-sœur à Édimbourg, où, pendant quelque temps, elle fut transférée d’une maison dans une autre, surveillée par ceux chez qui elle logeait, ne pouvant ni sortir seule, ni même s’approcher de la fenêtre. Le tribunal considérant la particularité du cas, et regardant Jeanne Key comme encore exposée à de mauvais traitements, se chargea de pourvoir à sa sûreté, et ordonna qu’elle demeurerait dans la famille de M. Wightman de Mauldsey, homme fort respectable, qui avait épousé une de ses proches parentes. Deux sentinelles veillèrent nuit et jour à la porte de la maison, précaution qui ne parut pas inutile, puisqu’il s’agissait des Mac-Gregor. On lui permettait d’aller partout où elle voulait, de voir tous ceux qu’il lui plaisait de voir, aussi bien que les gens de loi qui plaidaient pour ou contre dans le procès. Lorsqu’elle vint chez M. Wightman pour la première fois, elle avait l’air si accablé d’effroi et de souffrances, ses traits étaient si changés, que sa mère eut peine à la reconnaître ; Jeanne elle-même avait l’esprit si troublé, qu’elle ne la reconnut que difficilement. Il se passa bien du temps avant qu’elle pût se persuader qu’elle était tout à fait en sûreté ; mais, lorsqu’elle fut enfin certaine de sa délivrance, elle fit par-devant les juges une déclaration où elle raconta l’histoire de ses malheurs, imputant à la crainte le silence qu’elle avait d’abord gardé, et annonçant que son intention était de ne pas poursuivre ceux qui l’avaient outragée, par respect pour le serment qu’elle avait été contrainte de prêter. Elle fut relevée de ce serment, prêté de force, par les formules de la jurisprudence écossaise, plus équitable, sous ce rapport, que celle d’Angleterre, les poursuites pour crime se faisant toujours aux frais et dépens du roi, sans qu’il en coûte rien aux particuliers lésés. Mais la malheureuse victime ne vécut pas assez pour accuser ceux qui l’avaient si indignement outragée, ni pour témoigner contre eux.

James Mohr Drummond avait quitté Édimbourg dès qu’on eut arraché de ses griffes sa proie à demi morte. Mistress Key ou Wright fut délivrée de l’espèce d’emprisonnement où elle y était retenue, et conduite à Glasgow, sous escorte de M. Winghtman. En traversant la montagne de Shott, son protecteur eut l’imprudence de dire : « Voilà un lieu bien sauvage ; si les Mac-Gregor allaient se précipiter sur nous ? — Dieu nous en garde ! répondit-elle aussitôt, leur vue seule me ferait mourir. » Elle continua de demeurer à Glasgow, sans oser revenir chez elle à Édinbilly. Son prétendu mari essaya différentes fois d’obtenir une entrevue d’elle, mais elle refusa toujours fermement. Elle mourut le 4 octobre 1751. L’information dressée par l’autorité civile porterait à croire que sa mort fut la suite des mauvais traitements qu’elle avait reçus ; mais on dit généralement qu’elle mourut de la petite vérole.

Cependant James Mohr ou Drummond tomba dans les mains de la justice. Il était regardé comme l’instigateur de toute l’affaire : la jeune femme avait même raconté à ses amis que la nuit de son enlèvement, Robin-Oig, touché de ses cris et de ses larmes, avait presque consenti à la relâcher, lorsque James arriva, un pistolet à la main, et, demandant à son frère s’il était assez lâche pour abandonner ainsi une entreprise où il avait tout risqué pour faire sa fortune, le força à persister dans son crime. Le procès de James eut lieu le 13 juillet 1752, et fut conduit avec autant de modération et d’impartialité que possible. Plusieurs témoins, tous de la tribu des Mac-Gregor, jurèrent que le mariage avait été conclu avec toute apparence de consentement de la part de la femme, et trois ou quatre autres témoins, entre autres le shérif-substitut du comté, jurèrent qu’elle eût pu s’échapper si elle l’eut voulu ; le magistrat même ajouta qu’il lui avait offert son assistance. Mais quand on lui demanda pourquoi il n’avait pas, usant de son autorité, arrêté les Mac-Gregor, il ne put que répondre qu’il n’avait pas des forces suffisantes pour l’essayer.

Les déclarations de Jeanne Key ou Wright attestaient la violence dont on avait usé envers elle, et ses amis les confirmèrent en rapportant ce qu’elle leur avait dit dans des conversations particulières ; sa mort ne les rendait d’ailleurs que trop évidentes. Il est vrai que le fait de son abduction[28] (pour employer un terme de loi écossais) était complètement prouvé par un témoignage irrécusable : la malheureuse femme avait avoué qu’en plusieurs occasions elle avait feint de se résigner à son sort, n’osant profiter des offres qui lui étaient faites de favoriser son évasion, même de celles du substitut du shérif.

Le Jury déclara, dans son verdict, que Jeanne Key ou Wright avait été enlevée de chez elle, et que l’accusé ne prouvait pas qu’elle eût été consentante à cet acte outrageant, mais que le mariage forcé et les autres violences n’étaient pas prouvés. Sur le premier chef d’accusation, il reconnaissait comme circonstance atténuante, que Jeanne Key s’était dans la suite résignée à sa condition. Quatorze jurés, au nombre desquels quatre étaient absents, adressèrent à la cour suprême une lettre dans laquelle ils disaient que leur intention et leur désir, en rendant un verdict si particularisé, avait été que le cas présent ne fût pas rangé au nombre des crimes capitaux.

Des considérations savantes sur l’énoncé de ce verdict, qui était, il faut l’avouer, des plus doux pour la circonstance, furent exposées devant la cour suprême de justice. Ce point fut savamment débattu dans les plaidoiries par M. Grant, avocat de la couronne, et le célèbre M. Lockhar pour le prisonnier ; mais James Mohr n’attendit pas la décision de la cour.

Il avait été renfermé au château d’Édimbourg, sur le bruit d’une tentative d’évasion. Il parvint toutefois à s’échapper de cette forteresse même. Sa fille eut l’adresse d’entrer dans la prison, déguisée en savetier, et comme pour rapporter de l’ouvrage, à ce qu’elle prétendait. Son père s’affubla de ce déguisement des pieds à la tête. Les gardiens entendirent la femme et la fille du prisonnier gronder le prétendu savetier d’avoir mal fait son ouvrage, et l’homme s’en alla, son chapeau sur les yeux, murmurant comme irrité des reproches qu’il venait de recevoir. De cette manière le prisonnier passa devant toutes les sentinelles sans éveiller de soupçons, et partit pour la France. Il fut peu après mis hors la loi par arrêt de la cour qui procéda au jugement de Duncan Mac-Gregor ou Drummond, son frère, le 15 janvier 1753. L’accusé faisait incontestablement partie de la troupe qui avait enlevé Jeanne Key ; mais comme nul témoignage ne se rapportait à lui personnellement et directement, le jury le déclara non coupable, et l’on ne sait rien de plus sur sa vie.

Quant au sort de James Mac-Gregor, qui, par ses talents et par son activité, sinon par son âge, peut être regardé comme le chef de la famille, il est resté longtemps peu connu, puisque l’on voit dans la relation des causes criminelles, et encore ailleurs, que sa sentence de mise hors la loi fut révoquée, et qu’il revint mourir en Écosse. Mais des lettres curieuses, publiées dans le Blashwood’s Magazine, numéro de décembre 1817, montrent que c’est une erreur. La première de ces pièces est une pétition à Charles-Édouard. Elle est datée du 20 septembre 1753, et fait valoir ses services pour la cause des Stuarts, imputant son exil aux persécutions du gouvernement hanovrien, sans parler le moins du monde de l’affaire de Jeanne Key, ni de la cour de justice. Il paraît qu’elle fut présentée par Mac-Gregor Drummond de Bohaldie, que James, à ce que nous avons vu, reconnaissait pour chef.

Il ne semble pas que cette pétition ait produit tout l’effet qu’il en attendait ; peut-être James obtint-il quelques secours momentanés. Mais bientôt après, cet audacieux aventurier s’engagea dans une sombre intrigue contre un exilé de son pays, qui se trouvait presque dans la même situation que lui. Il convient de citer ici en peu de mots un événement remarquable arrivé dans les hautes terres. M. Campbell de Glenure, nommé régisseur pour le gouvernement des domaines confisqués de Stewart d’Ardshiel, fut assassiné au milieu du bois de Lettermore : il sortait du bac de Ballichulish. Un gentilhomme nommé James Stewart, frère naturel du propriétaire dépouillé, fui condamné et exécuté comme complice de cet assassinat, sans aucunes preuves certaines. La plus forte était que l’accusé, après le meurtre commis, avait donné de l’argent à un de ses neveux, nommé Allan Breck Stewart, pour qu’il put s’échapper. Mécontents de cette réparation, qui fut obtenue d’une manière peu honorable pour les tribunaux de cette époque, les amis du défunt désiraient ardemment s’emparer de la personne d’Allan Breck Stewart, que l’on regardait comme le véritable meurtrier. James Mohr Drummond fut secrètement chargé d’attirer Stewart sur la côte de la mer, puis de l’amener en Angleterre à une mort certaine. Drunmond avait des liaisons de parenté avec le défunt Glenure ; et de plus, les Mac-Gregor et les Campbell étaient amis depuis longtemps, tandis que le premier de ces clans et les Stewart avaient été récemment en guerre, comme nous l’avons vu. Enfin, Robert-Oig était alors en prison à Édimbourg, et James était bien aise de rendre quelque service qui pût sauver son frère. D’après la manière dont James envisageait le bien et le mal, ces différents motifs suffirent pour justifier à ses yeux sa conduite dans une entreprise qu’il ne pouvait mener à fin sans la plus infâme trahison. Mac-Gregor demanda la permission de revenir en Anglelerre, promettant d’y ramener Allan-Breck avec lui ; mais celui qu’il voulait perdre, prévenu par deux compatriotes qui soupçonnèrent les intentions de James, était sur ses gardes. Allan échappa à ce traître après lui avoir volé dans son porte-manteau, dit Mac-Gregor, quelques habillements et quelques tabatières. Mais un tel vol, il faut l’observer, ne pouvait avoir eu lieu si les deux parties n’eussent vécu sur le pied d’une intimité qui leur permettait de fouiller dans les bagages l’un de l’autre.

Quoique James Drumnond eût manqué son coup dans l’affaire d’Allan Breck Stewart, il usa de la permission qui lui était donnée d’aller faire un voyage à Londres, et eut une entrevue avec lord Holdernesse. Sa Seigneurie et le sous-secrétaire lui firent mille questions embarrassantes, et lui offrirent, à ce qu’il assure, une place qui l’aurait mis au service du gouvernement. Cette place était avantageuse pour les appointements ; mais, dans les opinions de James, l’accepter eût été déshonorer sa naissance, et devenir un fléau pour son pays. Si cette offre engageante et ce ferme refus ne sont point de son invention, il s’agissait sans doute de quelque plan d’espionnage contre les jacobites, que le gouvernement espérait exécuter au moyen d’un homme qui, dans l’affaire d’Allan Breck Stewart, n’avait pas montré une conscience bien scrupuleuse. James Drummond Mac-Gregor pouvait, dit-il, accepter un emploi digne d’un homme d’honneur, mais rien autre. Cette réponse, comparée à certaines actions de sa vie passée, rappellera au lecteur le vieux Pistol[29] s’excusant sur sa réputation.

S’étant ainsi montré rebelle aux propositions de lord Holdernesse, dit notre autorité, James Drummond reçut l’ordre de quitter sur-le-champ l’Angleterre.

À son retour en France, sa position fut, à ce qu’il paraît, des plus misérables. Saisi par la fièvre, attaqué de la gravelle, il tomba dans un profond accablement de corps et d’esprit. Cet état n’empêcha pas Allan Breck Stewart de le menacer de lui donner la mort pour se venger du complot qu’il avait formé contre lui[30]. Le clan Sterwart avait pour lui la haine la plus vive, et sa dernière expédition à Londres avait été accompagnée de plusieurs circonstances propres à éveiller des soupçons ; entre autres, celle d’avoir caché son dessein à son chef Bohaldie. On soupçonnait encore ses relations avec lord Holdernesse. Les Jacobites, comme don Bernard de Castel Blazo dans Gil Blas, n’étaient pas fort bien disposés envers ceux qui faisaient société avec les alguazils. Macdonnell de Lochgarry, homme toujours fidèle à l’honneur, fit une déposition contre James Drummond par-devant le grand-bailli de Dunkerque, l’accusant d’espionnage : il lui fallut quitter la ville et s’enfuir à Paris, n’ayant que treize livres pour toute fortune, et pour perspective la plus affreuse misère.

Nous ne présenterons pas ce hardi pillard, complice de l’assassinat de Mac-Larens, et instigateur de la violence faite à Jeanne Key, comme un objet de compassion ; mais si les dernières convulsions d’un loup ou d’un tigre, formidables ennemis de notre espèce, inspirent quelque pitié, la détresse absolue de cet homme, dont les fautes doivent être attribuées à l’influence d’une éducation sauvage sur un caractère hardi, excitera quelque pitié chez le lecteur. Dans sa dernière lettre à Bohaldie, datée de Paris, 25 septembre 1754, il peint son état de dénûment absolu, et dit qu’il consentirait volontiers, en attendant mieux, à tirer parti de son habileté à dompter et à élever les chevaux, ou de son talent comme chasseur et oiseleur. Un Anglais peut sourire, mais un Écossais soupirera en lisant le post-scriptum où le pauvre exilé mourant de faim demande à son patron de lui prêter une cornemuse, afin qu’il puisse jouer quelques airs mélancoliques des Highlands. Mais la musique tire ses effets de nos sympathies, et des sons qui feraient crisper les nerfs d’un habitant de Londres ou de Paris, rappellent au montagnard ses sombres montagnes, ses airs sauvages, et les exploits de ses pères de la vallée. Pour prouver combien Mac-Gregor a droit à la compassion du lecteur, nous citerons la fin de la lettre dont nous parlons :

« Il semble véritablement que je sois né pour le malheur, mes infortunes ne paraissent pas devoir jamais finir. Tel est le misérable état où je me trouve réduit, que je ne sais plus où aller ni que faire en ce monde ; mon corps et mon âme sont également privés de nourriture ; tout l’argent que j’ai apporté ici se monte à treize livres, et j’ai repris une chambre dans mon ancien quartier, à l’hôtel Saint-Pierre, rue des Cordiers. Je vous prie de me faire savoir par le porteur de cette lettre si vous serez bientôt en ville, pour que j’aie le plaisir de vous y voir ; car je ne puis m’adresser à personne autre qu’à vous : telle est ma détresse, que, s’il vous était possible de me trouver une occupation qui me mît à l’abri de la mendicité, je m’estimerais fort heureux. C’est probablement un cas qui présente de grandes difficultés ; mais, s’il en était autrement, peut-être ne vous en occuperiez-vous point, car votre forte tête aime à conduire des affaires beaucoup moins aisées et bien plus importantes que celle-ci. Si vous faisiez part de ma demande à M. Butler, peut-être pourrait-il me trouver une place, puisque je sais élever et monter les chevaux aussi bien que personne en France, sans compter que je suis habile chasseur soit à cheval, soit à pied. Jugez de ma détresse, puisqu’aucun emploi ne me paraît trop bas s’il vient seulement diminuer mes maux. Je suis fâché d’être obligé de vous donner tant de peine, mais j’espère que vous croirez à la sincérité de ma reconnaissance pour tout ce que vous avez fait pour moi, et je vous établis juge de ma pitoyable situation.

« Je suis et je serai toujours, mon cher chef,

« Votre soumis serviteur,
« J. Mac-Gregor. »

« P. S. Si vous m’envoyiez votre cornemuse et toutes les autres petites pièces qui en dépendent, je les arrangerais moi-même et jouerais quelques airs bien tristes, bien adaptés, puis-je dire, à ma pénible situation. Excusez-moi si je ne me présente pas moi-même chez vous ; mais, quoique je ne craigne pas de paraître devant vous, j’éprouve quelque répugnance à me montrer à mes amis et connaissances dans le misérable état où je suis réduit. »

Tandis que Mac-Gregor écrivait cette épître mélancolique, la mort, triste, mais sûr remède des maux de ce monde, la mort qui tranche tous les doutes et toutes les incertitudes, planait au-dessus de sa tête. Une note écrite au dos de la lettre fait savoir qu’il mourut huit jours après l’avoir écrite, en octobre 1754.

Il ne me reste plus maintenant qu’à parler du sort de Robin-Oig, car les autres fils de Rob-Roy n’ont eu aucune célébrité. Robin fut saisi par une troupe de soldats du fort d’Inversnaid, au pied du Gartmore, et conduit à Édimbourg, le 26 mars 1753. Après un délai qui fut prolongé peut-être par suite des négociations de James pour livrer Allan Breck Stewart à condition qu’on relâcherait son frère, Robin-Oig fut, le 24 décembre 1753, amené à la barre de la cour suprême de justice, et appelé sous le nom de Robert Mac-Gregor, alias Campbell, alias Drummond, alias Robert Oig ; l’accusation portée contre lui ressemblait beaucoup à celle qu’avait développée l’avocat de la couronne dans le dernier procès. Robert était en quelque sorte dans une position plus favorable que celle de son frère ; car bien qu’il eût joué le principal rôle dans ce mariage forcé, il pouvait alléguer qu’il s’était montré disposé à laisser partir Jeanne Key, s’il n’eût été influencé par les reproches et les menaces de son frère James. De plus, quatre années s’étaient écoulées depuis la mort de la victime, circonstance toujours favorable à l’accusé ; car en fait de crime il y a une espèce de perspective, et ceux qui remontent à une époque quelque peu éloignée, semblent moins odieux que ceux qui ont été récemment commis. Mais malgré ces considérations, le jury ne témoigna nullement le désir de sauver la vie à Robert, comme il avait fait pour James : il fut déclaré coupable du rapt de Jeanne Key[31].

Robin-Oig fut condamné à mort, et exécuté le 14 février 1756. Il se conduisit, sur la place de l’exécution, en homme de cœur, déclara qu’il mourait catholique, imputa tous ses malheurs à ce qu’il avait abandonné la véritable église, deux ou trois années auparavant : il avoua toutes les violences qu’il avait employées à regard de Mistress Key ou Wright, ajoutant qu’il espérait que sa mort arrêterait toute poursuite contre son frère James.

Les feuilles publiques rapportent que son corps, après être resté au gibet le temps prescrit, fut remis à ses proches qui l’emportèrent dans les montagnes. L’auteur rapporte une particularité qu’il tient d’un vénérable ami qui vient de nous être enlevé dans une extrême vieillesse, et qui était alors écolier à Linlithgow : une troupe de Mac-Gregor, beaucoup trop nombreuse pour être admise dans Édimbourg, reçut dans ce lieu la dépouille de Robin avec des gémissements et tous les autres signes de deuil en usage chez les Highlandais, puis le conduisit à Balquhidder. Ainsi, nous pouvons terminer les longs détails sur Rob-Roy et sa famille, par la phrase classique : Ite, conclamatum est.

J’ai seulement à ajouter que tout ce que j’ai cité a été recueilli dans un grand nombre d’anecdotes sur Rob-Roy, anecdotes qui étaient et qui sont peut-être encore très-répandues dans les montagnes qu’il habitait, mais dont je suis loin de garantir l’authenticité. L’esprit de clan a bien pu animer les plumes et les langues aussi bien que diriger les claymores et les pistolets, et les détails d’une narration sont étonnamment adoucis ou exagérée, selon que le conteur est un Campbell ou un Mac-Gregor.



  1. Hautes terres. a. m.
  2. Outlaw, célèbre dans l’histoire d’Angleterre. Nous le verrons figurer dans le roman d’Ivanhoe. a. m.
  3. On m’a raconté qu’il n’y a pas bien long-temps on avait eu le dessein d’enlever la large pierre qui recouvre le tombeau de Dugald Ciar-Mohr pour en faire un linteau de fenêtre, un seuil de porte, ou quelque chose de pareil. Un homme du clan Mac-Gregor, dont la raison était un peu dérangée, prit feu à cette insulte faite à sa tribu ; et quand les ouvriers allèrent pour enlever la pierre, il se plaça dessus, une large hache à la main, jurant qu’il ferait sauter la cervelle du premier qui oserait toucher au monument. Comme il était taillé en athlète, et assez insensé pour ne tenir aucun compte des conséquences de ses actions, on trouva plus sage de condescendre à son caprice, et le pauvre homme se tint en sentinelle sur la pierre, nuit et jour, jusqu’à ce que le projet de l’enlever fût entièrement abandonné.
  4. Les détails qu’on vient de lire sont tirés d’une histoire du clan Mac-Gregor que j’ai pu consulter, grâce à la bienveillance de Donald Mac-Gregor, décédé major du 33e régiment. On avait pris beaucoup de peine pour réunir dans ce manuscrit toutes les traditions et les documents écrits concernant cette famille. Mais une tradition ancienne et constante qui s’est conservée parmi les habitants du pays, et particulièrement parmi les Mac-Farlane, décharge Dugald Ciar-Mohr de l’assassinat des jeunes clercs, et en fait retomber tout l’odieux sur un certain Donald ou Duncan Leon, qui accomplit cet acte de cruauté avec l’aide d’un jeune garçon qui l’accompagnait, et qu’on appelait Charlioch ou Charlie. On dit que les assassins n’osèrent plus rejoindre leur clan, mais qu’ils menèrent une vie sauvage et solitaire, comme des outlaws, dans une partie déserte du territoire des Mac-Farlane. On les y laissa pendant quelque temps en paix, jusqu’à l’instant où ils commirent un acte horrible de brutalité sur deux femmes sans défense, la mère et la fille, appartenant au clan de Mac-Farlane. Pour venger cette atrocité, les Mac-Farlane les chassèrent comme des bêtes sauvages et tirèrent dessus. On dit que le jeune brigand Charlioch aurait pu s’échapper, étant d’une agilité extraordinaire à la course ; mais son crime fut la cause de son châtiment, car la femme qu’il avait outragée s’était défendue avec un courage désespéré, et l’avait blessé avec sa propre dague à la cuisse. Il boitait donc par suite de sa blessure ; c’est pourquoi il fut plus facile de l’atteindre et de le tuer. Je suis porté à croire que cette seconde version de l’histoire est la véritable, et que le crime fut imputé à Ciar-Mhor comme à un homme plus considérable. Il est encore possible que ces deux hommes d’un rang inférieur n’aient fait qu’exécuter ses ordres. (Note traduite sur la nouvelle édition d’Édimbourg.) A. M
  5. Écuyer. a. m.
  6. Voyez la Description statistique de l’Écosse, vol. xviii, page 132, paroisse de Kippen.
  7. Habitants des plaines ou basses terres.
  8. Voyez Appendice n° 1
  9. Son courage et son affectation du ridicule étaient unis à une grande modestie naturelle, ce qui arrive fort rarement. Voici son portrait dans les vers satiriques de lord Binning, intitulés Argyle’s Levee :
    « Harry avait salué six fois sans être aperçu, avant d’oser avancer. Le duc alors, regardant autour de lui avec complaisance, dit : « Vous avez été en France ; je n’avais jamais vu jusqu’ici un homme plus poli et plus gracieux. » Alors Harry salua, rougit, et gagna la porte, bouffi d’orgueil.
    Voyez une collection de poésies originales, par des gentlemen écossais ; vol. II, page 125. a. m.
  10. Le Petit-Jean, ou le page de Robin-Hood. a. m.
  11. Split and swquander, dispersez-vous, c’est-à-dire, éparpillez-vous de manière à pouvoir vous réunir tous au premier appel. a. m.
  12. Origine de l’insurrection des montagnards, par M. Grahame de Gartmore. Voyez les Lettres de Burt sur le nord de l’Écosse, édition de Jamieson, appendice, vol. II, page 348. a. m.
  13. « Ils arrivèrent de nuit à Luss, où ils furent joints par sir Humphrey Colquhoun de Huss et James Grant de Plascander, son gendre, suivis de quarante à cinquante vigoureux gaillards en culotte courte, avec leurs plaids attachés autour de la ceinture. Chacun d’eux était armé d’un fusil qu’il portait sur l’épaule, et avait au bras gauche une belle et solide large au milieu de laquelle était vissée une pointe en acier d’un pied et demi de long ; une excellente claymore au côté, avec un ou deux pistolets, un poignard et un couteau à la ceinture. » Histoire de l’insurrection, par Rae, page 287.
  14. L’expédition de Loch-Lomond a été jugée digne d’une brochure particulière que je n’ai jamais eue sous les yeux, mais qui, d’après les citations de l’historien Rae, doit être précieuse : « Le matin du jeudi 13, ils partirent pour leur expédition, et arrivèrent à midi environ à Inersnaid, l’endroit périlleux, où les hommes de Paisley, ceux de Dumbarton et quelques autres de leur compagnie, au nombre d’une centaine, s’élancèrent sur la côte avec la plus grande intrépidité, s’avancèrent jusqu’au pied des montagnes, et firent une longue pause, battant toujours du tambour. N’apercevant pas l’ennemi, ils se mirent à chercher leurs barques, que les insurgés avaient prises. Ayant vu par hasard des cordages et des rames qu’on avait jetées dans les broussailles, ils trouvèrent enfin leurs barques, qu’on avait entraînées assez loin dans les terres, et qu’ils ramenèrent à force de bras vers le lac, celles du moins qui n’étaient pas endommagées ; car, pour celles-ci, ils les défoncèrent et les mirent en pièces. Ils revinrent la même nuit à Luss, et le jour suivant à Dumbarton, d’où ils étaient partis, ramenant avec eux toutes les barques qu’ils trouvèrent de l’autre côté du lac et dans les anses des îles, et qu’ils amarrèrent sous le canon du château. Durant cette expédition, le feu continuel des chaloupes canonnières, les décharges successives de la mousqueterie, répètes par les nombreux échos des hautes montagnes qui s’élèvent sur les deux rives du lac, firent un tel vacarme que les Mac-Gregor épouvantés s’enfuirent rejoindre le reste des rebelles, campés à Strath-Fillan. » Histoire de l’Insurrection, par Rae, in-4o page 287.
  15. La première de ces anecdotes où le plus, haut degré de civilisation est mis en contact avec un état de société à demi-sauvage, m’a été contée par le célèbre docteur feu Gregory. Ses parents ont eu la bonté de comparer mon histoire avec leurs souvenirs et leurs traditions de familles, et de me fournir des détails authentiques. La seconde a pour fondement la mémoire d’un vieillard qui était présent lorsque Rob prit tranquillement congé de son savant cousin en entendant battre le tambour, et qui communiqua cette anecdote à M. Alexandre Forbes, parent par mariage du docteur Gregory, et encore vivant.
  16. Le lecteur trouvera à l’appendice n° II, deux lettres originales du duc de Montrose, avec celle que M. Graham de Killearn lui adressa de sa prison sur l’ordre du proscrit.
  17. Vers 1792, l’auteur, en passant de ce côté un jour qu’il voyageait dans les montagnes, trouva encore une garnison à Inversnaid ; mais elle ne se composait que d’un seul vétéran. Le vénérable gardien s’occupait à moissonner son petit champ d’orge en toute paix et tranquillité ; et quand nous lui demandâmes a entrer pour nous reposer, il nous dit que nous trouverions la clef du fort sur la porte.
  18. Lettres sur le nord de l’Écosse, vol. 11, p. 314-5.
  19. Bergers fous, nom donné aux voleurs de bestiaux. a. m.
  20. On appelle ainsi des vents qui soufflent dans une vallée sauvage du Badenoch.
  21. Ce mot est attribué au brigand Donald Bean Lean, dans Waverley. a. m.
  22. D’après certains récits, Appin lui-même eût été l’adversaire de Rob-Roy en cette occasion. Autant que je me rappelle le récit d’Invernahyle, ce fut, comme je le dis, le beau-frère d’Appin. Mais le temps où l’on m’a communiqué ces renseignements est aujourd’hui si éloigné, qu’il est possible que je me trompe. Invernahyle n’était pas grand, mais bien fait, fort comme un athlète, et très-habile à manier l’épée.
  23. Ce fatal fusil, qu’on prit à Robin-Oig quand il fut fait prisonnier, bien des années après, resta long-temps entre les mains des magistrats chez lesquels on l’avait apporte comme pièce de conviction, et il fait maintenant partie d’une petite collection d’armes appartenant à l’auteur. C’est un fusil d’Espagne ; on lit sur le canon les trois lettres R. M. C., ce qui signifie Robert Mac-Gregor Campell.
  24. L’auteur ne sait trop s’il est utile de dire qu’il a eu personnellement occasion de remarquer, même de son temps, que l’autorité royale n’obtenait pas soumission parfaite dans les braes de Balquhidder. Des sommes considérables etaient dues par Stewart Alpin, principalement à la famille de l’auteur, et il était probable qu’elles seraient perdues pour les créanciers s’ils ne pouvaient exercer leurs droits sur cette même ferme d’Invernenty, théâtre du meurtre consommé sur Mac-Larens.
    Sa famille, composée de plusieurs braconniers expérimentés, restait toujours en possession de la ferme, en vertu d’un très-long bail, moyennant une rente très-modique. Il n’était pas probable que personne achetât la ferme avec un tel bail. Une transaction fut passée avec les Mac-Larens, qui, désirant émigrer en Amérique, consentirent à résilier leur bail aux créanciers pour 300 livres, et à vider les lieux au terme de la Pentecôte ; mais, soit qu’ils se repentissent de leur marché ou qu’ils désirassent en faire un meilleur, peut-être aussi par pur point d’honneur, les Mac-Larens déclarèrent qu’ils ne laisseraient point exécuter contre eux une sentence de déguerpissement, ce qui était une formalité indispensable pour la perfection légale du marché. On était si généralement persuadé qu’ils étaient capables de résister à force ouverte à l’exécution des lois, qu’aucun officier royal ne voulut instrumenter contre eux sans l’assistance d’une force militaire. Une escorte composée d’un sergent et de six hommes fut fournie par un régiment highlandais en quartier à Stirling, et l’auteur, à cette époque apprenti écrivain, ce qui équivaut à l’honorable fonction de clerc de procureur, fut investi de la direction en chef de l’expédition, étant chargé principalement de veiller à ce que l’officier du roi accomplît exactement ses fonctions, et que le brave sergent ne sortît pas des siennes par quelque acte de violence ou de pillage. Ainsi, par une circonstance assez bizarre, l’auteur entra pour la première fois sur la scène romantique de ce Loch-Katrine, dont il a peut-être contribué à étendre la réputation, chevauchant avec la dignité d’un homme qui remplit une mission quelque peu périlleuse, avec une arrière-garde et une avant-garde, et des armes chargées. Le sergent était un véritable Sergent Kilt des hautes terres, la tête pleine d’histoires sur Rob-Roy et sur lui-même, et un très-bon compagnon. Nous fîmes un paisible voyage, et arrivés à Invernenty, nous trouvâmes la maison abandonnée ; nous y prîmes nos quartiers pour la nuit, et nous soupâmes avec quelques provisions qui se trouvèrent là ; le lendemain nous nous en retournâmes aussi tranquillement que nous étions venus.
    Les Mac-Larens, qui probablement n’avaient jamais pensé sérieusement à s’opposer à la loi, reçurent leur argent, et partirent pour l’Amérique. Ayant contribué à les chasser de leur paupera regna, j’espère sincèrement qu’ils prospéreront dans ce pays. La rente d’Invernenty s’éleva sur-le-champ de 10 à 70 ou 80 liv., et quand la ferme fut mise en vente, elle fut achetée à un prix plus haut que les parties n’avaient lieu de l’espérer d’après l’augmentation du nouveau bail.
  25. Childe Harold, chant II. a. m.
  26. Voyez l’Appendice, note V. a. m.
  27. Tel était, en général au moins, son caractère ; car comme James Dohr, lors de l’attentat d’Édinbilly, afin d’intimider sa victime, appelait Glenpyle, voulant faire croire qu’il était sur la bruyère avec cent hommes pour l’assister dans son entreprise, Jeanne Key lui dit qu’il mentait ; qu’elle était bien sûre que Glengyle ne prêterait jamais son appui à une si criminelle violence.
  28. Rapt. a. m.
  29. Personnage d’une tragédie de Shakspeare. a. m.
  30. Allan Breck Stewart était homme, en pareille circonstance, à tenir sa parole. James Drummond, Mac-Gregor et lui, de même que Katherine et Petruchio, auraient été nommés avec raison « une couple de braves gens. » Allan Breck vécut jusqu’au commencement de la révolution française. En 1789, un de mes amis, résidant alors à Paris, fut invité à voir passer une procession qui devait probablement l’intéresser, des fenêtres d’un appartement occupe par un prêtre écossais de l’ordre de Saint-Benoît. Il trouva assis au coin du feu un grand homme maigre, décharné, l’air refrogné, la croix de Saint-Louis à sa boutonnière ; sa mâchoire et son menton extrêmement saillants, donnaient à son visage une expression singulière ; ses yeux étaient gris ; on voyait que sa chevelure grisonnante avait été rouge ; sa peau était hâlée et d’une teinte singulièrement rousse. Ce vieillard et mon ami échangèrent quelques propos en français ; ils vinrent à parler des rues et des places de Paris, lorsque le vieux militaire, car il en avait la tournure et il l’était en effet, dit en poussant un profond soupir et avec un accent highlandais bien marqué : « Le diable m’emporte si aucune vaut la grande rue d’Édimbourg ! » Mon ami apprit que cet admirateur d’Audl Reckie (Édimbourg), qu’il ne devait plus jamais revoir, était Allan Breck Stewart.
  31. Le procès des fils de Rob-Roy, avec des anecdotes sur lui-même et sa famille, a été publié à Édimbourg en 1818. a. m.