Satires (Juvénal, Raoul)/Texte entier

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Traduction par Louis-Vincent Raoul.
Wouters, Raspoet et cie (p. ---423).

À MES ÉLÈVES.
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C’est pour vous et avec tous que j’ai lu, commenté, traduit tes satires d’Horace, de Perse et de Juvénal. Vos observations m’ont souvent été utiles ; vos essais de version m’ont plus d’une fois donné le sens ou le mot que je cherchais. Ce travail vous appartient donc en partie, et je ne fais, en vous le dédiant, que vous rendre, pour ainsi dires, à vous-mêmes.

L.-V. Raoul.
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SATIRE I.


Me faudra-t-il toujours écouter sans répondre !
Sans pouvoir, sots lecteurs, à mon tour vous confondre !
Quoi ! Codrus s’enrouant jusqu’à perdre la voix,
M’aura de son Thésée assassiné cent fois !
J’aurai pu du Téléphe endurant la lecture,
Pendant tout un grand jour, rester à la torture !
L’un m’aura sans pitié lu ses drames latins !
L’autre, en vers langoureux, soupiré ses chagrins ?
Celui-ci, dans vingt chants, en attendant le reste,
Page, marge et revers, déclamé son Oreste !
Et je le souffrirai ! Non, je suis las enfin
Du bois sacré de Mars, de l’antre de Vulcain,
D’Æacus tourmentant les ombres du Cocyte,
D’Éole, de Jason, des combats du Lapythe,
Dont les noms éternels répétés à grands cris,
De Fronton tous les jours ébranlent les lambris.
Car dans ce cadre usé s’enfermant tous de même,
Du premier au dernier, ils n’ont pas d’autre thème.

Nous aussi nous avons fréquenté les rhéteurs ;
Nous aussi, nous avons, apprentis orateurs,
À Sylla, fatigué de l’empire du monde,
Conseillé de dormir dans une paix profonde.
Pourquoi donc nous contraindre ? et, lorsqu’à nos regards
Tant de poëtereaux s’offrent de toutes parts,

Épargner, dans l’excès d’une sotte indulgence,
Un papier que perdrait cette importune engeance ?

Mais, allez-vous me dire, entre mille sentiers
Dans cette lice immense ouverts à vos coursiers,
Pourquoi suivre le char du poète d’Auronce ?
Êtes-vous de sang-froid ?... écoutez ma réponse.

Quand l’hymen, rougissant d’un opprobre nouveau,
Pour un infâme eunuque allume son flambeau ;
Quand, le sein découvert, échevelée, ardente,
Mævia dans le cirque, amazone impudente,
Le javelot en main, poursuit un sanglier ;
Quand celui dont le rude et frémissant acier
Sur ma barbe incommode errait dans ma jeunesse,
Lui seul à tous nos grands le dispute en richesse ;
Quand des fanges du Nil, sur nos bords transplanté,
Crispinus, un esclave, à Canope acheté,
Rejette sur l’épaule une pourpre insolente,
Et, les doigts en sueur, dans la saison brûlante,
Pour un plus lourd fardeau, mortel trop délicat,
De ses bagues d’été nous étale l’éclat,
Certe, au plus patient des mœurs de cette ville,
De laisser la satire il serait difficile.
Eh ! quel homme, fût-il ou de marbre ou d’airain,
Aux flots de sa colère imposerait un frein,
Quand Mathon, récemment doté d’une litière,
De sa rotondité l’emplit seul tout entière ?
Quand arrive après lui cet autre délateur,
D’un illustre patron cruel persécuteur,
Avide encor du peu qui reste à la noblesse ;
Que Massa par ses dons adoucit et caresse ;
Que redoute Carus, à qui, d’effroi troublé,
Latinus court offrir sa chère Thymelé ?
Quand il nous faut céder nos droits héréditaires
A ces gens que, pour prix de leurs nuits mercenaires,
Une vieille opulente élève jusqu’aux cieux ?

Car c’est là des honneurs le chemin glorieux !
Un douzième à Gillon, et le reste à Procule ;
C’est d’après la vigueur que le legs se calcule.
Les lâches ! laissons-les trafiquer de leur sang,
Plus pâles que celui qui, d’un pied frémissant,
Foule un serpent sous l’herbe, ou que le téméraire
Qui brigue dans Lyon la palme littéraire.

Qui peindrait mon courroux quand je vois ce tuteur,
De l’enfant qu’il dépouille, avare corrupteur,
D’un troupeau de clients embarrasser la ville,
Ou quand ce Marius qu’un vain décret exile,
(Qu’importe l’infamie à qui sauve son or !)
Des dieux même irrités jouit sur son trésor,
Et, la coupe à la main, avant la huitième heure,
Se rit de l’Africain qui triomphe et qui pleure ?

Lampe de Vénusie, à des traits si honteux,
N’est-ce pas le moment de rallumer tes feux ?
Ou bien me faudra-t-il, insipide poète,
Redire le vainqueur du monstre de la Crète,
Hercule, Diomède et Dédale et son fils,
Lorsqu’à table un époux tranquillement assis,
Du rival effronté dont la flamme l’outrage,
Au défaut de sa femme espérant l’héritage,
Ronfle à dessein tout haut, et, les yeux au plafond,
Souffre complaisamment le plus sanglant affront ?
Lorsqu’un jeune insensé qui mit toute sa gloire
A briguer sur son char une indigne victoire,
Pour avoir en chevaux, en harnais précieux,
Consumé follement le bien de ses aïeux,
Et jadis en public, Automédon infâme,
Conduit le monstre impur dont Néron fit sa femme,
Croit pouvoir, par l’éclat de ses brillants exploits,
S’élever dans l’armée aux plus nobles emplois ?

Quel est ce fier Romain qui, dans sa nonchalance,
Sur six Liburniens en litière s’avance,

Et, presque à découvert aux yeux de peuple entier,
D’un Mécène indolent affecte l’air altier ?
Ah ! je le reconnais : c’est ce hardi faussaire
Dont un sceau contrefait répara la misère.
Mes tablettes, enfant, mes crayons sont-ils prêts ?
Donne, qu’à tous les yeux je signale ses traits ;
Mais non, peignons plutôt la matrone opulente,
Dont un époux miné par une fièvre lente,
Accepte sans soupçon un falerne infecté,
Et qui, savante en l’art par Locuste inventé,
Aux femmes qui n’ont point encore assez d’audace,
Montre comment du peuple affrontant la menace,
Elles peuvent, malgré les rumeurs et les cris,
Envoyer au bûcher leurs livides maris.

Voulez-vous parvenir à quelque honneur insigne ?
De Gyare et des fers osez vous montrer digne.
On vante la vertu, mais elle se morfond.
Ces richesses, l’objet d’un respect si profond,
Ces terres, ces jardins, ces superbes portiques,
Et ces tables de prix et ces vases antiques,
Et cette coupe d’or d’où saillit un chevreau,
Comment les obtient-on ? en bravant le bourreau.
Et qui pourrait dormir, quand on voit ce beau-père
Infâme corrupteur d’une bru mercenaire,
Ces hymens monstrueux, ce faible adolescent
Sous la robe prétexte adultère impuissant !
Ah ! l’indignation, au défaut de Minerve,
Inspirerait des vers à la plus froide verve,
Des vers bons ou mauvais et tels que par hasard,
Cluvienus et moi, nous en faisons sans art.

Depuis qu’au gré des flots gonflés par les orages,
Deucalion voguant sur des mers sans rivages,
Au sommet du Parnasse interrogea Thémis,
Et, d’un esprit docile, à l’oracle soumis,
Des pierres que lançait sa compagne fidèle,

Tout à coup vit éclore une race nouvelle,
Tout ce qui meut le cœur des fragiles humains,
Espoir, crainte, colère, amour, plaisirs, chagrins,
L’orgueil et ses projets, la gloire et son délire,
Tel est le vaste champ que m’ouvre la satire.
Et quel siècle jamais dans le vice entraîné,
Vit prendre à la débauche un cours plus effréné ?
L’avarice creuser de plus profonds abîmes,
Et la fureur du jeu conseiller plus de crimes ?
C’est peu que d’exposer sa bourse aux coups du sort :
On fait au rendez-vous traîner son coffre-fort.
Les instruments sont prêts. Ô fureur ! ô démence !
Malheureux ! quoi tu perds ce monceau d’or immense,
Et tu laisses chez toi tes esclaves, l’hiver,
Exposés sans tunique à la rigueur de l’air !

Voyait-on en jardins, en maisons de plaisance,
Nos aïeux étaler tant de magnificence,
Et sept fois, pour eux seuls, Lucullus clandestins,
Renouveler les mets de leurs pompeux festins
Voyait-on leurs clients, au seuil du vestibule,
Venir comme aujourd’hui s’arracher la sportule ?
Encor veut-on connaître, avant de rien livrer,
La figure et les noms de ceux qu’on voit entrer,
Et des fils d’Ilion, se pressant à la porte,
Le patron fait par ordre appeler la cohorte ;
Car des grands avec nous la foule y court à jeun.
Sers d’abord le préteur  : donne ensuite au tribun ;
Mais Dave est le premier et ne doit pas attendre.
Oui, dit-il, c’est ma place et je veux la défendre.
Des rives de l’Euphrate où je fus élevé,
L’oreille encor saignante, en ces murs arrivé,
En vain je le nierais ; mais cinq divers commerces
Me rendent tous les ans quatre cents grands sesterces.
Que me vaudraient de plus la pourpre et les faisceaux,
Quand Titus d’un fermier fait paître les troupeaux ?

Moi, je possède plus que Pallas et Narcisse :
Attendez donc, tribuns, et faites vous justice.
Richesses, triomphez, et vous, vils affranchis,
Naguère parmi nous venus, les pieds blanchis,
Des titres les plus saints bravant l’honneur suprême,
Osez prendre le pas sur le consul lui-même.
L’objet le plus sacré du respect des mortels,
C’est l’or, et s’il n’a point encore ses autels,
Comme la Bonne Foi, la Paix et la Concorde,
Il est d’autres honneurs qu’à lui seul on accorde,
Et dans tout l’univers son culte révéré,
Pour n’être pas public, n’en est pas moins sacré.

Mais si le magistrat, sur sa chaise curule,
Lui-même du produit d’une mince sportule,
Suppute, au bout de l’an, le honteux revenu,
Que fera ce client affamé, demi-nu,
Qui n’attend que de là, dans sa triste misère,
Sa toge, ses souliers, son pain, sa bonne chère ?
De quel œil verra-t-il, pour quelques vils deniers,
Tous ces grands à la file arriver les premiers ?
L’un y traîne sa femme enceinte, languissante :
L’autre, indiquant du doigt, pour son épouse absente,
Une litière close, (artifice impudent
Et qui n’échappe point aux yeux de l’intendant,)
— C’est ma Galla, dit-il ; quel soupçon vous arrête ?
Servez-nous promptement. — Galla, montrez la tête ?
— Que faites-vous ? O Ciel ! et pourquoi ce fracas ?
Elle dort, par pitié, ne la tourmentez pas !

Voici pour cette foule aux affronts destinée,
Dans quel ordre se fait l’emploi de la journée.
La sportule d’abord ; puis le docte Apollon,
Instruit par nos plaideurs dans l’art de Cicéron ;
Puis les marbres des rois et de consuls de Rome,
Et ce juif auprès d’eux placé comme un grand homme,
Mais de qui, sans respect pour son air triomphal,

Chacun peut en passant salir le piédestal.
On rentre, et, maudissant un espoir trop crédule,
Les plus anciens clients quittent le vestibule.
Ils pensaient du patron partager le soupé ;
Hélas ! en ses calculs comme l’homme est trompé !
Ils courent, indignés de se voir éconduire,
Acheter quelques choux et du bois pour les cuire.
Cependant, au milieu de tous ses lits déserts,
Rassemblant les tributs des forêts et des mers,
Le monarque, éloigné d’une foule importune,
Comme un gouffre sans fond, engloutit sa fortune.
Car des tables de cèdre, au contour spacieux,
Que l’artiste enrichit d’un travail précieux,
Une seule, aux gourmands de sa vorace engeance,
Suffit pour dévorer un patrimoine immense.
— Tant mieux. Si tous les grands en usaient comme lui,
Moins de gens compteraient sur la table d’autrui.
— Sans doute ; mais comment souffrir qu’un homme avide,
Se fasse pour lui seul, dans son luxe sordide,
Servir un sanglier, animal monstrueux,
Né pour rassasier des convives nombreux ?
Qu’il tremble toutefois : la nature inflexible
Garde à sa gourmandise un châtiment terrible
Et de cruels tourments l’attendent dans le bain,
Au moment où gonflé d’aliments et de vin,
Il y viendra porter, au sortir de la table,
D’un paon mal digéré le poids insupportable.
De là tant de vieillards, avant leur testament,
D’un trépas imprévu frappés subitement.
Du mort peu regretté la fin inattendue
De souper en souper est bientôt répandue,
Et ses amis frustrés, affectant un vain deuil,
Au bûcher en riant escortent son cercueil.
C’en est fait : le désordre a passé la mesure :
Nos crimes sont au comble : et la race future,

Pour renchérir sur nous, fera de vains efforts.
A la rame, et mettons toutes voiles dehors.
— Bravo ; mais, pour fournir une telle carrière,
Où trouver un génie égal à la matière ?
Où trouver cette ardeur, cette intrépidité
Qui, même sous le fer, dirait la vérité ?
As-tu de nos aïeux la noble indépendance ?
— Qui donc m’imposerait une lâche prudence ?
Craindrais-je de nommer, d’offenser Lævinus ?
— Non ; mais à demi-mot nomme Tigellinus ;
Nomme-le, si tu veux qu’assouvissant sa haine,
Tandis que sur son char il parcourra l’arène,
Ton cadavre empalé lui serve de fanal.
— Quoi ! celui qui, mêlant un breuvage fatal,
De trois oncles d’un coup hâta l’heure dernière,
Sur un moelleux duvet assis dans sa litière,
A peine laissera, d’un air de protecteur,
Tomber sur l’honnête homme un regard contempteur !
Et mon vers... — Imprudent, s’il venait à paraître  !
Ne dis pas seulement le voici  ! car un traître
Est là, comme aux aguets, prêt à te dénoncer.
Sans crainte en l’art des vers prétends-tu t’exercer ?
Chante Achille, Turnus et le père d’Iule,
Et le ruisseau funeste au jeune ami d’Hercule.
De pareils lieux communs n’ont rien que d’innocent.
Mais que d’un saint dépit Lucile frémissant,
Comme d’un glaive armé, tonne contre le crime ;
Aux accents redoutés du poète sublime,
Le coupable rougit ; et, glacé de terreur,
La sueur du remords dégoutte de son cœur.
De là les cris de haine, et la rage, et les larmes.
Réfléchis donc avant de revêtir tes armes.
Quand l’airain une fois a sonné les combats,
Trop tard, le casque en tête, on revient sur ses pas.
— Eh bien ! si les vivants craignent tant la satire,
Voyons contre les morts ce qu’on permet d’écrire.


SATIRE II.


Je fuirais volontiers dans le fond des déserts,
Sur les monts de la Thrace et par delà les mers,
Quand j’entends ces Scaurus, effrontés sycophantes,
Qui prêchent la pudeur et vivent en bacchantes :
Francs charlatans d’abord, malgré tous les portraits
Dans leur bibliothèque assemblés à grands frais ;
Car la perfection pour ces fiers personnages,
C’est d’avoir acheté les bustes des sept sages,
Et de pouvoir montrer un Chrysippe parlant,
Un Cléanthe archétype, un Bias ressemblant.
Que le front est trompeur, et que d’affreux mystères
Se cachent trop souvent sous des dehors austères !
Ô toi, le plus impur de l’obscène troupeau
Qui du divin Socrate endossa le manteau,
Est-ce à toi de tonner contre nos turpitudes ?
De ces membres velus les poils épais et rudes
Promettent, je l’avoue, une mâle vigueur ;
Mais pourquoi déguiser ta secrète langueur ?
Archigène, à l’aspect de cet ulcère immonde,
Rit, au lieu de te plaindre, en y plongeant la sonde.
Voyez-les, ces docteurs, rongés de noirs soucis :
Ils portent les cheveux plus courts que les sourcils :
Ils répondent à peine, et leur haute prudence
S’enferme obstinément dans un profond silence.
Névolus est plus franc : sa démarche, ses traits,
Tout dévoile son mal, tout trahit ses secrets :
C’est le sort qui l’entraîne en ce gouffre funeste.

Et l’on plaint ses pareils plus qu’on ne les déteste.
Mais combien, à mes yeux, il est plus criminel,
Celui qui, de nos mœurs détracteur éternel,
Du sein de la débauche, avec un air rigide,
Usurpe insolemment le langage d’Alcide !
Crois-tu m’intimider, hypocrite Albius,
S’écrie avec raison l’infâme Bæbius ?
Ai-je plus mérité que toi qu’on me flétrisse,
Et ne sommes-nous pas souillés du même vice ?
Que le géant altier insulte au faible nain,
L’homme droit au boiteux, le blanc à l’Africain,
Soit : mais qui pourrait voir, sans une horreur profonde,
Sans confondre l’enfer, le ciel, la terre et l’onde,
Catilina traiter Cimber d’ambitieux,
Les Gracques déclarer la guerre aux factieux,
Milon contre le meurtre exhaler sa colère,
Verrès blâmer le vol, Clodius l’adultère,
Et les trois conjurés, élèves de Sylla,
Pleurer les citoyens que leur maître immola ?
Tel naguère, invoquant la morale publique,
Ce prince encor souillé d’un inceste tragique,
Faisait, nouveau Caton, rappeler une loi
Dont Mars même et Vénus auraient pâli d’effroi,
Quand, d’un coupable amour plus coupable victime,
Julia, pour cacher la trace de son crime,
D’une main forcenée extirpait de ses flancs
Des lambeaux à son oncle encor trop ressemblants.
Faut-il donc s’étonner que les vices extrêmes
Contre ces faux Scaurus se soulèvent eux-mêmes,
Et que, mettant au jour leurs désordres secrets,
Sur eux de leur censure ils rejettent les traits ?

Romains, qu’avez-vous fait de cette loi sévère
Dont le premier César effraya l’adultère ?
Dort-elle, répétait l’un d’entre eux en criant ?
L’heureux siècle, répond Fabulla souriant,

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Où l’on peut à nos mœurs opposer un grand homme !
Allons, que la pudeur reparaisse dans Rome :
Un troisième Caton nous est tombé des cieux.
Pourtant, homme de bien, les parfums précieux
Dont l’odeur vous trahit sous cette barbe épaisse,
Quel marchand les débite, et quelle est son adresse ?
On se plaint du sommeil de la loi Julia !
Mais celle qu’un tribun contre vous publia,
Devrait-elle dormir dans le siècle où nous sommes ?
Examinez d’abord, et scrutez bien les hommes ;
Ils sont pires que nous ; mais, des lois triomphant,
Quoiqu’ils en fassent plus, le nombre les défend,
Et tels qu’une phalange étroitement unie,
C’est la débauche entre eux qui produit l’harmonie.
Vous qui nous reprochez la honte de nos mœurs,
Parlez : nous voyez-vous imiter vos fureurs ?
Voyez-vous Catulla d’une odieuse flamme
Allumer les ardeurs au sein d’une autre femme ?
Comme Hippo qui, brûlant d’un exécrable amour,
Se livre à ses pareils qu’il outrage à son tour,
Et, tourmenté d’un mal qui consume sa vie,
Trahit par sa pâleur cette double infamie ?
Nous voyez-vous plaider, interpréter les lois,
Faire entendre au Forum de glapissantes voix ?
Peu de nous dans le cirque, émules indiscrète,
Vont se nourrir du pain que mangent les athlètes ;
Mais vous, de notre sexe efféminés rivaux,
Tournant mieux qu’Arachné le fil et les fuseaux,
Comme la concubine attachée à la chaîne,
Vous tenez la quenouille et travaillez la laine.
Hister, avant sa mort, fait présent sur présent
À la jeune moitié de l’ami complaisant
Qu’il a de tous ses biens nommé seul légataire.
On en sait la raison : celle qui peut se taire
Près d’un tiers en son lit entré pour son époux,

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Voit bientôt son écrin se remplir de bijoux.
Et c’est sur nous, grands dieux, que la censure tombe !
On fait grâce au corbeau pour vexer la colombe.
Notre stoïcien à ces mots confondu
Ne dit rien et s’enfuit. Qu’aurait-il répondu ?
Mais que ne fera pas le citoyen vulgaire,
Quand tu viens, Créticus, d’une voix si sévère,
En manteau transparent, accuser Fabulla.
— Son désordre est public. — Eh bien ! accuse-la.
Accuse, si tu veux, Procula, Pollinée ;
Mais sache qu’elle-même en public condamnée,
Fabulla n’aurait pas cet excès d’impudeur.
— Je sue, et de juillet ne puis souffrir l’ardeur.
— Plaide nu ; on pardonne un accès de folie.
Qu’eussent dit, aux beaux jours de l’antique Italie,
Ces enfants généreux de Mars et de Cérés,
Tantôt pour le Forum désertant leurs guérets,
Tantôt couverts de sang, au sortir des batailles,
Les palmes à la main, rentrant dans nos murailles,
Si, pour flétrir le vice, ou venger la vertu,
Un censeur eût osé paraître ainsi vêtu ?
D’un juge, d’un témoin en toge diaphane,
Que ne dirais-tu point, toi, le sévère organe,
Le fier vengeur des lois ? et c’est toi cependant
Qui souilles nos regards de ce luxe impudent !
L’exemple t’a perdu : cette fatale peste
Bientôt de l’Italie infectera le reste,
Ainsi que trop souvent on voit d’un seul agneau
Le mal contagieux gâter tout le troupeau.

Mais ce goût insensé pour de molles parures
Bientôt va te conduire à des mœurs plus impures.
L’opprobre a ses degrés ; et, t’appelant chez eux,
Bientôt ils t’admettront à leurs banquets honteux,
Ces infâmes souillés de débauches secrètes,
Qui portent une mitre et de longues aigrettes,

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Chargent leur cou du poids de colliers somptueux,
Dans un ample réseau rassemblent leurs cheveux,
Et pensent, par le sang d’un animal immonde,
Par le vin épanché d’une coupe profonde,
De la mère des dieux désarmer la fureur ;
Mais la mère des dieux a leur culte en horreur.
Par une loi contraire au rit de Bérécinthe,
Ils ont osé bannir les femmes de l’enceinte.
Elles viendraient en vain y réclamer leurs droits.
Profanes, loin d’ici, leur crie à haute voix,
L’infâme qui préside à ces fêtes hideuses ;
Le temple est interdit aux voix de vos chanteuses.
Tels, dans l’ombre des nuits, sous des lambris obscurs,
Fatiguant Cotytto de leurs plaisirs impurs,
Les Baptes, autrefois, dans les remparts d’Athènes,
Célébraient aux flambeaux, leurs mystères obscènes.
L’un, avec des pinceaux légèrement noircis,
Se frotte, en clignotant, les yeux et les sourcils :
L’autre étale aux regards une robe azurée,
Ou d’un léger manteau l’étoffe bigarrée :
Sa coupe est un priape, et le jeune échanson,
À son école instruit, jure aussi par Junon.
Cet autre tient d’Othon le miroir impudique ;
Ce miroir où, brûlant d’une ardeur héroïque,
Le cynique empereur, en costume guerrier,
Comme s’il eût d’Actor porté le bouclier,
Au moment de donner le signal des alarmes,
L’étendard déployé, s’admirait sous les armes.
Un miroir au milieu de l’attirail des camps !
Quel trait à consigner dans les fastes du temps !
Dignes soins en effet d’un chef né pour l’empire !
Teint du sang d’un vieillard, il se farde et se mire,
Et dans le même instant que du peuple romain
Il met dans Bédriac la dépouille en sa main,
Éternel monument d’un sublime courage,

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D’une pâte liquide il enduit son visage !
Ce que tu ne fis point, noble Sémiramis,
Le carquois sur le dos, pressant tes ennemis,
Ni toi, voluptueuse et fière Cléopâtre,
Du revers d’Actium victime opiniâtre.
Dans l’ombre cependant un réduit clandestin
À l’infâme assemblée offre un impur festin ;
Là, d’obscènes discours on fait rougir Cybèle ;
Là, de ces débauchés le maître et le modèle,
Fanatique vieillard, au regard effronté,
Prêche l’intempérance et la lubricité.
Élèves monstrueux des prêtres de Phrygie,
Pour mettre enfin le comble à cette affreuse orgie,
Que n’abandonnez-vous au tranchant du couteau,
D’un sexe dégradé l’inutile fardeau ?

Gracchus épouse un mime et la dot est comptée.
On signe. Vers les dieux la prière est montée.
La pompe des festins consacre un nœud si doux,
Et l’épouse repose au sein de son époux.
Romains, pour expier ces détestables vices,
Est-ce un censeur qu’il faut, ou bien des aruspices ?
Si du sein d’une femme il naissait un taureau :
Si des flancs d’une louve il sortait un agneau :
Serait-ce un plus sinistre, un plus affreux présage ?
Quoi ! ce même Gracchus, ce noble personnage
Qui du temple de Mars descendant les degrés,
Suait sous le fardeau des boucliers sacrés,
C’est lui que nous voyons de l’épouse nouvelle,
Revêtir sans pudeur la robe criminelle !
Dieu d’un peuple berger, Dieu vengeur de nos murs,
Quel génie en nos cœurs souffla ces feux impurs ?
Un citoyen illustre, un magistrat de Rome,
Comme épouse à l’autel conduit par un autre homme !
Quoi ! redoutable Mars, ton peuple, à cet affront,
N’a point vu la fureur éclater sur ton front,

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Ni ta lance frapper cette exécrable terre,
Ni ton bras invoquer les foudres de ton père !
Va, fuis loin de ce champ qui te fut consacré
Et qui perdit l’amour qu’il t’avait inspiré.
— Demain, aux premiers feux de l’aurore nouvelle,
Sur le mont Quirinal une affaire m’appelle.
— Une affaire ! quoi donc ? — Comment l’ignorez-vous ?
Devant quelques amis, Barrus prend un époux.
Je suis un des témoins. —Vivons, vivons encore,
Et bientôt ces hymens que la nature abhorre,
À la face des dieux, par les lois consacrés,
Dans les actes publics seront enregistrés !
Les monstres toutefois éprouvent un supplice.
En vain, de leur fureur rendant le ciel complice,
Ces épouses voudraient, par des gages chéris,
Dans ces nœuds criminels retenir leurs maris :
Le ciel n’obéit point à leurs vœux sacrilèges.
Ni l’épaisse Lydé, par ses noirs sortilèges,
Ni l’agile Luperque en frappant dans leur main,
Ne saurait féconder leur détestable hymen.

Mais un autre Gracchus, descendu dans l’arène,
N’a-t-il point, au mépris de la grandeur romaine,
Naguère surpassé ces prostitutions,
Quand, le trident en main, parmi des histrions,
Rome entière l’a vu, précipitant sa fuite,
De l’adroit Mirmillon éviter la poursuite,
Lui qui des plus puissants de nos patriciens,
Et des Fabricius et des Émiliens,
Et même de celui qui payait sa bassesse,
Ainsi que l’opulence, éclipsait la noblesse ?
Qu’il existe un Cocyte, un royaume des morts ;
Que d’immondes crapauds croassent sur ses bords ;
Que, pour en traverser les flots bourbeux et sombres,
Une barque suffise à tant de milliers d’ombres,
C’est ce qu’un enfant même aujourd’hui ne croit pas ;

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Mais si l’homme en effet survit à son trépas,
Que pensent un Marcel, un Camille, un Valère,
Et les trois cents guerriers moissonnés à Crémère,
Et ceux que, dans un jour encore plus fatal,
Cannes vit succomber sous le fer d’Annibal,
Quand des lieux que jadis illustra leur grande âme,
Arrive devant eux le spectre d’un infâme ?
Sans doute, à cet aspect, pour se purifier,
Ils cherchent des flambeaux, du souffre et du laurier.
Voilà donc, malheureux, dans quel profond abîme,
Nous ont précipités la débauche et le crime !
Qu’importent désormais nos triomphes nouveaux,
Et les climats sans nuit où flottent nos drapeaux,
Et l’aigle des Césars franchissant l’Hybernie ?
Esclaves, mais chargés de moins d’ignominie,
Les vaincus, repoussant l’exemple des vainqueurs,
En acceptant nos fers, ont dédaigné nos mœurs.
Un seul digne de nous, l’Arménien Zalate,
Depuis peu dans nos murs arrivé d’Artaxate,
Et déjà surpassant nos jeunes sénateurs,
A, dit-on, d’un tribun assouvi les fureurs.
Funestes liaisons ! déplorable voyage !
Sur la foi des traités il venait en otage !
C’est chez nous qu’on se forme. Étrangers imprudents,
N’y laissez point vos fils séjourner trop longtemps ;
Car bientôt, oubliant leurs mâles exercices,
Leurs armes, leurs coursiers, ils y prendraient nos vices,
Et ne rapporteraient à leurs concitoyens,
Que la corruption de nos patriciens.

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SATIRE III.


De mon ancien ami, j’approuve le projet ;
Oui, quoique son départ me cause un vif regret,
J’approuve que, cherchant un solitaire asile,
D’un citoyen de plus il dote la Sibylle.
Cumes conduit à Baïe, et ces lieux retirés
Semblent par la nature au repos consacrés.
Pour moi, de Prochyta le séjour misérable
Lui-même au Suburra me paraît préférable.
Quel désert, en effet, quel sauvage réduit
Plus triste qu’une ville où, tremblant jour et nuit,
On ne voit que maisons qui menacent ruine,
Qu’édifices en feu, que meurtre, que rapine,
Sans compter les auteurs dont les rauques accents
Dans la rue au mois d’août poursuivent les passants ?
Tandis que son esclave, apportant le bagage,
Sur un seul charriot range tout le ménage,
À la porte Capène il s’arrête un moment,
Au lieu même où la nuit Numa furtivement
Venait prendre conseil de sa nymphe chérie ;
Maintenant la fontaine et l’autel d’Egérie
Sont loués à des juifs qui, pour tout mobilier,
Ont la botte de paille et le panier d’osier.
Car le peuple romain des arbres de bocage
Fait à ces malheureux payer jusqu’à l’ombrage,
Et contraintes de fuir pour de vils mendiants,
Les Muses ont quitté ces asiles riants.
Je descends avec lui dans, ces grottes sacrées

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Qu’à force d’ornements l’art a défigurées ;
Oh ! qu’aux bords de cette onde, avec bien plus d’amour,
La nymphe se plairait à fixer son séjour,
Si du simple gazon qui faisait leur parure,
Le marbre n’avait pas profané la verdure !
C’est là qu’Umbricius, triste, l’air abattu :
Puisqu’enfin, me dit-il, le talent, la vertu,
Les arts que peut sans honte exercer l’honnête homme,
Ne trouvent plus de place ou languissent à Rome ;
Puisque le peu que j’ai, s’échappant de ma main,
Moindre aujourd’hui qu’hier, diminuera demain,
Je veux m’en exiler ; je veux, avant que l’âge
Des rides à mon front ait prodigué l’outrage,
Pendant que sur mes pieds je me tiens sans fléchir,
Qu’à peine mes cheveux commencent à blanchir,
Qu’il reste à Lachésis de quoi filer encore,
D’une ingrate cité fuir les mœurs que j’abhorre.
Le dessein en est pris ; je cours aux lieux déserts
Où s’arrêta Dédale en descendant des airs.
Adieu donc, ma patrie : adieu, ville funeste :
Que, s’il peut y rester, Arthurius y reste :
Qu’ils y vivent comblés et d’honneurs et de biens,
Ceux qui savent changer, par d’infâmes moyens,
Les vices en vertus et les vertus en vices :
Qui, ramassant de l’or parmi les immondices,
Se chargent de curer les égouts et les ports
De conduire au bûcher la dépouille des morts,
Et pour le moindre gain, prêts à tout entreprendre,
Eux-mêmes à l’encan mettraient leur tête à vendre.
Autrefois dans nos bourgs, on s’en souvient encor,
Ils sonnaient en public du clairon ou du cor.
Aujourd’hui ce sont eux que l’on voit dans l’arène,
Usurpateurs des droits de la pourpre romaine,
Au signe accoutumé d’un peuple frémissant,
De l’athlète vaincu faire couler le sang !

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Suivez-les : au sortir de ces jeux magnifiques,
Ils iront affermer les latrines publiques.
Pourquoi non ? tout métier ne leur convient-il pas ?
Ne sont-ils pas de ceux que, du rang le plus bas,
Quand parfois des mortels la fortune se joue,
Elle porte en riant au plus haut de sa roue ?



Que deviendrais-je ici ! je ne suis point menteur.
Je ne sais ni louer un ridicule auteur,
Ni chercher dans Saturne un sinistre présage,
Ni des flancs d’un reptile extraire un noir breuvage,
Ni d’un père à son fils promettre le trépas,
Et, quand je le saurais, je ne le voudrais pas.
Qu’un autre, secondant une amour criminelle,
Porte un gage adultère à l’épouse fidèle,
On ne me verra point, trafiquant de l’honneur,
Servir dans ses projets un lâche suborneur.
Aussi, tel qu’un perclus, dont la main droite est morte,
D’aucun grand, quand il sort, je ne grossis l’escorte.
Quels clients de nos jours choisit-on pour amis ?
Ceux par qui l’on craindrait de se voir compromis :
Ceux qu’on a fait entrer dans quelque affreux mystère
Qui leur pèse toujours, qu’il leur faut toujours taire.
Mais d’un projet honnête on t’a fait confident ;
On ne craint de ta part, aucun mot imprudent ;
N’espère dans ce cas ni présents ni caresses.
L’intime de Verrès, l’objet de ses largesses,
C’est celui dont un mot pourrait perdre Verrès.
Ah ! s’il venait t’offrir ses coupables secrets,
Pour tout le sable d’or que le Tage en ses ondes,
Roule, sous des berceaux, au sein des mers profondes,
Garde-toi d’accepter cet honneur dangereux :
Tu ne dormirais plus : heureux, cent fois heureux,
Si d’un trouble inquiet son amitié suivie,
Avec tous ses présents ne t’arrachait la vie !
Ceux qui de nos Crésus savent se faire aimer,

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Ceux que je fuis surtout, faut-il te les nommer ?
Je fuis, je ne peux plus supporter une ville
Dont la lie achéenne a fait son domicile.
Que dis-je ? les Grecs seuls n’y blâment point mes yeux.
Et le Tibre, souillé d’un mélange odieux,
Chez nous depuis longtemps a transporté sans honte
Les cymbales, les mœurs, la langue de l’Oronte,
Et le ramas impur de ses viles Phrynés.
Allez, et qu’on vous voie, à leurs pieds prosternés,
Vous que, par les couleurs de sa riche tiare,
Appelle et peut séduire une amante barbare !
Cependant, Quirinus, tes rustiques enfants,
Étalent du lutteur les signes triomphants,
Tandis que tous ces Grecs échappés d’Amydone,
De Tralles, d’Alaband, d’Andros, de Sicyone,
Du Viminal en foule assiégeant les palais,
Y viennent prendre poste et tendre leurs filets.
Génie entreprenant, caractère perfide,
Audace à toute épreuve, éloquence rapide,
Débit plus vif, plus prompt que celui d’Iséus,
Tel est ce peuple entier d’intrigants et d’intrus.
Qu’est-ce en effet qu’un Grec ? un homme souple, habile,
Pour qui rien n’est honteux, à qui tout est facile ;
Grammairien, bouffon, orateur, médecin,
Géomètre, baigneur, peintre, augure, devin,
Que n’est-il pas ? veut-on qu’à la céleste voûte
Il s’élance et se fraie une nouvelle route ?
S’il a faim, il est prêt. Cet homme industrieux
Qui d’un vol si hardi s’éleva jusqu’aux cieux,
Était-ce un habitant des plages africaines,
Un Thrace, un Indien ? Non : il était d’Athènes.



Et je ne fuirai pas ces nouveaux débarqués,
D’un opprobre éternel sous la pourpre marqués !
Je souffrirai qu’à table un misérable esclave !
À la place d’honneur, me supplante et me brave !

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Qu’il signe le premier, lui, parmi des ballots,
Naguère sur nos bords jeté nu par les flots !
Eh ! quoi ! jusqu’à ce point Rome est-elle avilie ?
A-t-on de tous ses droits dépouillé l’Italie ?
Et ne serait-ce plus un bienfait du destin,
Que d’avoir vu le jour sur le mont Aventin ?
Ajoutez que ces gens, en fait de flatterie,
Ne mettent point de borne à leur effronterie.
Tout défaut avec eux se change en qualité,
L’ignorance en savoir, la laideur en beauté ;
Les sous durs et perçants de cette voix plus grêle
Que l’aigre chant du coq mordillant sa femelle,
Il les trouve remplis de grâce et de douceur,
Et cet homme au long col, efflanqué, sans vigueur,
C’est Hercule, en dépit de la terre irritée,
Étouffant dans ses bras le redoutable Antée.
Nous aussi nous pourrions admirer tout cela ;
Mais l’honneur d’être cru n’est que pour ces gens-là.
Et quel comédien leur serait comparable ?
Voyez de ce bouffon le talent admirable ;
Voyez-le tour à tour représenter Chloris,
Jouer une matrone ou nous montrer Doris,
Lorsque du sein des flots elle sort toute nue.
Ce n’est plus l’histrion qui frappe notre vue,
Il a changé de sexe, et, d’un œil curieux,
Le spectateur trompé par cet art merveilleux,
D’une virilité qui ne tient plus de place,
Au-dessous du bas ventre en vain cherche la trace ;
C’est la nature même ! et pourtant Stratoclès,
Hœmus, Antiochus, ces acteurs si parfaits,
Sur le moindre des Grecs n’auraient pas l’avantage.
Tout Grec reçut du ciel l’art du mime en partage.
Riez-vous ? il éclate. Etes-vous affligé ?
Dans un chagrin profond vous le croiriez plongé.
Avez-vous froid ? il tremble. Avez-vous chaud ? il sue.

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D’un combat inégal qui ne craindrait l’issue ?
Il est bien plus adroit celui qui, nuit et jour,
À son riche patron prêt à faire la cour,
Compose sur le sien son geste et son langage,
Lui jette avec amour des baisera au passage,
Le vante à tout propos, et lui fait compliment
S’il a roté sans peine, ou p… largement,
Ou du jet d’une selle à grand bruit expulsée,
Rempli le bassin d’or de sa chaise percée.
Rien de sacré d’ailleurs pour cet homme effronté,
Rien qui soit un obstacle à sa lubricité.
Il ne respectera de toute la famille,
La femme, ni l’époux, ni le fils, ni la fille,
Ni même la grand’mère. Insidieux serpent,
Dans les secrets du maître il se glisse en rampant ;
Et c’est par là bientôt qu’il sait se faire craindre :
Puisqu’il s’agit des Grecs, achevons de les peindre.
Montrons-les revêtus d’un plus grave manteau.
Baréas va tomber sous le fer du bourreau ;
Quel est son délateur ? frémissez de l’entendre :
C’est celui dont la voix aurait dû le défendre,
Le sage Egnatius, ce fier stoïcien,
Ce vieillard au front chauve, au sévère maintien,
Son maître, son ami. Vous m’en croiriez à peine ;
Mais le monstre naquit aux rives d’Hyppocrène.
Gardons-nous de paraître où les Grecs sont admis ;
Ils ne partagent pas le cœur de leurs amis ;
Et dès qu’un Protogène, un Hœmus, un Diphile,
Approchant du patron l’oreille trop facile,
A pu de son pays y verser le poison,
Il nous faut à l’instant déserter la maison.
Adieu tous nos travaux, adieu tous nos services :
On ne s’en souvient plus. De tous les sacrifices,
C’est celui d’un client qu’on regrette le moins.
Mais ne nous flattons pas : quels services, quels soins

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Peut rendre à son patron un client sans fortune ?
Lui ferons-nous valoir cette ardeur importune,
Qui, pour le saluer, prévenant le soleil,
Nous fait tout habitués courir à son réveil ?
Quel prix y mettrait-il, quand, plus agile encore,
Le tribun empressé lui-même, avant l’aurore,
Chez la veuve Albina devance le préteur ?
À peine elle s’éveille et déjà le licteur
De son maître inquiet remplissant le message,
À cette heureuse veuve a porté son hommage.
Ici des gens bien nés, des fils de magistrats
Clients d’un riche esclave, accompagnent ses pas ;
Faut-il nous étonner de cette ignominie,
Lorsque, pour palpiter trois fois sur Calvinie,
Cet esclave lui donne, avec profusion,
Plus d’or que n’en reçoit un chef de légion ?
Toi, que de Cyané la figure te plaise,
Tu passas, sans l’oser déranger de sa chaise.



Supposez le témoin le plus religieux,
Soit l’hôte révéré de la mère des dieux,
Soit Numa, soit celui qui de la flamme ardente,
Courut sur son autel sauver Pallas tremblante ;
Est-il riche en argent, en troupeaux, en guérets ?
A-t-il un train nombreux ? soupe-t-il à grands frais ?
Voilà les seuls garants qu’on veut de sa conduite.
La fortune d’abord, les mœurs viendront ensuite.
Les mœurs sont sans crédit en face de la loi,
Et ce n’est qu’aux écus que l’on ajoute foi.
En vain le pauvre atteste, en donnant sa parole,
Les dieux de Samothrace et ceux du capitole :
On croit toujours qu’il brave et la foudre et les dieux,
Les dieux, de son forfait spectateurs dédaigneux.
Que dis-je ? il est partout un objet de risée :
On rit, si son manteau, si sa toge est usée :
On rit, si son soulier ouvert et grimaçant

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Trahit d’un fil grossier l’artifice récent.
Ce que le sort du pauvre a de plus déplorable,
C’est d’être ridicule aux yeux de son semblable.
Au banc des chevaliers introduit par hasard,
De l’inspecteur des jeux frappe-t-il le regard ?
Lève-toi, malheureux, sors de cette tribune :
Elle ne convient point à ton humble fortune.
Mais vous, du Proxénète impudiques enfants,
Venez vous y montrer pompeux et triomphants.
C’est ici qu’au milieu d’une élite bruyante,
De nos gladiateurs postérité brillante,
Du crieur enrichi l’héritier fastueux
À le droit de s’asseoir et d’applaudir aux jeux.
Ainsi l’a décidé, lorsqu’il marqua nos places,
Le frivole tribun qui nous rangea par classes.
Où voit-on l’indigent hériter d’un vieillard ?
Aux conseils de l’édile en quels lieux prend-il part ?
Quand s’est-il rencontré qu’un père de famille
Ait daigné l’accepter pour l’époux de sa fille ?
Oh ! que les plébéiens auraient fait sagement,
Si, n’écoutant jadis que leur ressentiment,
Et cherchant tous ensemble une terre plus libre,
Ils avaient sans retour quitté les bords du Tibre !
Le mérite, il est vrai, de fortune privé,
Quelques moyens qu’il tente, est partout entravé ;
Il veut surgir en vain ; mais c’est surtout à Rome,
Que de plus durs efforts rebutent l’honnête homme.
Que d’or pour le loyer d’un étroit logement !
Que d’or pour l’estomac d’un esclave gourmand !
Que d’or pour la plus simple et la plus maigre chère !
On rougit de manger dans des vases de terre !
Il n’en rougissait pas, cet illustre Romain,
Qui de son chaume obscur reprenant le chemin,
Pour l’habit du Samnite et sa table frugale,
Courait y déposer la pourpre triomphale.

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Avouons-le pourtant, ces mœurs de l’âge d’or,
Quelques bourgs des Latins les conservent encor.
Là, chaque citoyen, en tunique de laine,
Ne paraît qu’à sa mort sous la toge romaine.
Là, dans un jour de fête, et quand, sur le gazon,
Un exode burlesque assemble le canton ;
Quand un masque hideux, à la bouche béante,
Fait frissonner l’enfant sur sa mère tremblante,
On voit, comme jadis, et le peuple et les grands,
Sans marque distinctive, assis aux mêmes rangs,
Et du vieillard chargé de la magistrature,
Une tunique blanche est la seule parure.
Mais ici plus de borne au luxe des habits :
C’est le vice commun des grands et des petits :
On ne s’arrête plus au simple nécessaire
Ce qui suffit n’est rien ; on emprunte, on s’obère,
Et chacun à grands pas vers sa chute emporté,
D’un faste ambitieux revêt sa pauvreté.
Que te dirai-je enfin ? tout se vend, tout s’achète.
Veux-tu qu’à son lever Cossus un jour t’admette ?
Veux-tu que Véienton, d’un regard protecteur,
Sur toi, sans dire un mot, laisse tomber l’honneur ?
Combien peux-tu donner ? une brillante fête
Chez ces nobles patrons en ce moment s’apprête :
De leur plus bel esclave ils consacrent tous deux,
L’un la première barbe, et l’autre les cheveux.
Que de gens à leur porte empressés de se rendre !
Que de gâteaux offerts ! ils en ont à revendre.
O supplice ! et c’est nous qui sommes obligés
D’enrichir de nos dons ces heureux protégés !



Jamais à Volsinie, à Tibur, à Préneste,
Le paisible habitant, en son réduit modeste,
A-t-il craint de se voir sous son toit écrasé ?
À Rome chaque jour on s’y trouve exposé.
Là, d’étages nombreux qui montent dans la nue,

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Sur de frêles étais à peine soutenue,
La mage incessamment semble près de crouler ;
Et quand du mur qui penche et qu’on sent vaciller,
L’architecte avec art déguisant la menace,
En a légèrement replâtré la surface,
Il veut que désormais, grâce à ses soins prudents,
Nous dormions sans frayeur sous ces débris pendants.
Hâtons-nous de quitter un lieu si peu tranquille ;
Sortons : courons chercher quelque lointain asile,
Où, sans craindre le feu, les voleurs et le bruit,
Avec sécurité l’on passe au moins la nuit.
Quels cris, quelle rumeur dans tout le voisinage !
Ucalégon tremblant emporte son ménage,
Et déjà l’incendie a gagné le premier.
Tu ne soupçonnes rien, toi, près du colombier.
Le pauvre sous la tuile, où le danger l’assiège,
Est brûlé le dernier : c’est là son privilège.



Codrus et Procula n’avaient qu’un méchant lit ;
Encor pour tous les deux était-il trop petit.
Un vieux meuble, étayé d’un Centaure en ruines,
Supportait une amphore et six tasses mesquines,
Et des rats ignorants, ligués avec les vers,
Au fond d’un coffre usé, rongeaient ses doctes vers.
À vrai dire, Codrus n’avait rien ; mais encore,
Ce rien, la flamme, hélas ! tout entier le dévore !
Pour comble de malheur, nu, pressé par la faim,
Réduit à mendier un asile et du pain,
En vain il va partout tramant son infortune.
La ville entière est sourde à sa plainte importune.
Que l’incendie, au lieu du grabat de Codrus,
Ait détruit le palais du riche Asturiens,
Quel désastre ! quel deuil ! les grands sont en alarmes,
Les tribunaux fermés, les matrones en larmes.
C’est alors que du feu l’on maudit les fureurs !
Alors que de la ville on ressent les malheurs !

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La flamme brille encore ; et déjà plein de zèle,
Chacun court réparer cette perte cruelle.
L’un veut fournir le marbre et payer les travaux ;
L’autre offre de donner de précieux tableaux ;
L’autre quelque statue ou quelque buste antique,
Des temples de la Grèce ornement magnifique ;
L’autre enfin la Minerve, ouvrage d’Euphranor,
Et la bibliothèque et tout un boisseau d’or.
Du Crésus sans enfants le palais se relève,
Et sur un nouveau plan si promptement s’achève,
Qu’on dirait, et peut-être avec trop de raison,
Qu’Asturicus exprès a brûlé sa maison.



O mon cher Juvénal, que n’as-tu le courage
De venir loin du cirque avec moi vivre en sage !
Pour le prix que dans Rome un patron rigoureux
Exige tous les ans d’un cachot ténébreux,
Tu pourrais, ou dans Sore ou dans Fabraterie,
Acheter un manoir avec sa métairie.
Là, cultivant toi-même un modeste jardin,
Souvent on te verrait, d’une onde avec la main
Sans corde et sans fatigue à sa source puisée,
Répandre sur tes fleurs la féconde rosée.
Quel plaisir de pouvoir offrir à cent amis,
Les mets que Pythagore aux mortels a permis,
Et d’être, n’importe où, du moindre coin de terre
Et le cultivateur et le propriétaire !



Les malades ici, dans leur repos troublés,
Succombent la plupart d’insomnie accablés.
C’est leur faute, il est vrai, c’est l’excès de la table
Qui chargeant l’estomac d’un poids insupportable,
Y fait naître, y nourrit un feu séditieux ;
Mais fût-on plus frugal, en dormirait-on mieux ?
Les maisons à loyer n’ont pas de nuit tranquille :
Ce n’est qu’à prix d’argent qu’on dort en cette ville.
Voilà ce qui nous tue. À peine le matin,

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De fatigue épuisé, je m’assoupis enfin,
Que vingt chars accrochés s’arrêtent à ma porte :
Aux cris des muletiers que la fureur transporte,
Aux clameurs dont je sens tout mon grabat trembler,
Les phoques et Drusus cesseraient de ronfler.
Qu’un riche ait à sortir : soudain sa chaise est prête :
Il part : la foule cède, et sans que rien l’arrête,
Par six liburniens rapidement porté,
Sur les têtes du peuple il court en sûreté.
Chemin faisant, il lit, il écrit, ou repose.
Rien n’invite au sommeil comme une chaise close.
Cependant il achève un voyage si doux,
Et, sens même y songer, il arrive avant nous.
Mais moi, quand je me hâte, une foule grossière
M’arrête par devant, me presse par derrière :
L’un, pour me devancer, me coudoie en passant ;
L’autre, du choc d’un ais, me laisse tout en sang ;
Ici l’on me renverse : ailleurs on m’éclabousse ;
Et tandis qu’en jurant je m’esquive et me pousse,
Mes pieds par des brutaux meurtris à chaque pas,
Rapportent au logis les clous de nos soldats.



Regardez ces clients que, sous le vestibule,
Conduit vers le patron l’odeur de la sportule :
J’en compte plus de cent, et, dès qu’il est servi,
Chacun de son dîner se retire suivi.
Que de mets ! Corbulon ploierait sous cette pile
Qu’emporte, sans broncher, sur sa tête immobile,
Ce petit malheureux suant, mourant de chaud,
Qui rallume en courant le feu de son réchaud,
Et dont, à chaque pas, sur la place publique,
La foule par lambeaux arrache la tunique.
Comment parviendra-t-il ? là, barrant le chemin,
S’avance lentement un immense sapin :
Plus loin, un chariot, d’une poutre branlante
Trahie péniblement la longueur vacillante :

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Ces deux énormes trônes, sur le peuple éperdu,
Tiennent à tout moment le trépas suspendu.
Ceci n’est rien encor ; mais si, dans la bagarre,
L’essieu que font crier les marbres de Carrare,
Se rompt, et tout à coup sur les passants surpris,
Du rocher ambulant verse les lourds débris,
Où retrouver les corps de cette populace ?
Comme un souffle léger, disparus sur la place,
Il n’en restera plus un seul membre, un seul os.
Cependant au logis, le reste des marmots,
Sans se douter de rien, dispose les assiettes,
Ranime le foyer, prépare les serviettes.
Le linge, les frottoirs, l’huile qui sert au bain,
Tout est prêt ; mais, hélas ! ils s’agitent en vain ;
Leur pauvre compagnon, à cette heure fatale,
Piteusement assis sur la rive infernale,
À l’aspect imprévu du sombre nautonnier,
Se désole, en pensant que faute du denier
Qu’au mettre de la barque il doit pour le péage,
Il ne pourra franchir le bourbeux marécage.



De la nuit maintenant vois les périls divers ;
Vois du haut de ce toit qui se perd dans les airs,
Ces cristaux mutilés, ces débris de vaisselle
Du passant dans la rue entamer la cervelle,
Et de leurs durs éclats écrasant le pavé,
Y laisser de leur chute un monument gravé.
Certes, il montrerait bien peu de prévoyance,
Celui qui, dans la ville, avec insouciance,
Sans avoir pour sa mort réglé tout en sortant,
Irait souper le soir chez l’ami qui l’attend.
Chaque bouge éclairé, chaque fenêtre ouverte
Le mettrait, dans sa route, à deux doigts de sa perte ;
Heureux si mille fois à périr exposé,
Par faveur singulière, il n’était qu’arrosé !



Un jeune furieux, en qui le vin fermente,

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S’arrache les cheveux, s’agite, se tourmente,
Et, couché sur le ventre, ou roulant sur le dos,
De l’ami de Patrocle imite les sanglots.
Qu’a-t-il donc ? d’où lui vient cette rage obstinée ?
Il n’a battu personne encor de la journée,
Et s’il ne trouve enfin à qui rompre les bras,
Mécontent de lui-même, il ne dormira pas.
Il en est qu’au sommeil ce prélude dispose.
En aveugle pourtant ne crains pas qu’il s’expose,
Ni qu’il aille attaquer celui dont les faisceaux,
La pourpre, le cortège et les nombreux flambeaux,
Tout querelleur qu’il est, lui conseillent la fuite.
C’est à moi qu’il en veut, à moi qu’il voit sans suite,
Eclairé par la lune ou ma lanterne en main,
D’un air tranquille et doux, suivre en paix mon chemin.
Veux-tu savoir comment notre débat s’engage,
S’il faut nommer débat un assaut plein de rage,
Ou sans cause entre nous la discorde éclatant,
L’un est le seul battu, l’autre le seul battant ?
D’abord les yeux hagards, la menace à la bouche :
— Halte-là, me dit-il d’un air sombre et farouche.
À ce brusque discours, saisi, glacé d’effroi,
J’obéis ; car enfin il est plus fort que moi.
D’où viens-tu ? poursuit-il d’un ton plus redoutable ;
Quel savetier t’a fait les honneurs de sa table ?
Qui t’a gonflé de choux et gorgé de poireaux ?
Tu ne dis rien ! réponds, ou… le pied suit ces mots.
Parle donc ? en quel bouge as-tu ton domicile ?
Quelle est la synagogue où l’on te donne asile ?
Je réplique ou me tais, c’est tout un ; le brutal
Frappe encor, puis se fâche et court au tribunal.
Et moi, pour éviter un destin plus funeste,
Pour garder de mes dents la moitié qui me reste,
Meurtri, roué de coups, l’implore sa bonté.
Du pauvre, en ce pays, telle est la liberté !

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Autre risque à courir à l’heure pacifique
Où d’un triple verrou chacun clôt sa boutique,
Vous ne manquerez pas de voleurs effrontés,
Pour détrousser les gens en cent lieux apostés.
Que dis-je ? des brigands, portant plus loin l’audace,
De force quelquefois envahiront la place,
Quand des marais pontins par la garde chassés,
La faim vers nos remparts les aura repoussés.
Que de fers cependant, que de chaînes pesantes,
Fabriqués à grand bruit dans nos forges brûlantes !
La matière s’épuise, et, faute de métaux,
Nos guérets vont manquer de socs et de râteaux.
Règne de l’innocence ! Age heureux de nos pères !
Que n’avons-nous vécu dans ces siècles prospères
Quand, pour l’effroi du crime et le maintien des lois,
Une seule prison suffisait à nos rois ?
Plus d’un autre motif à la fuite m’engage ;
Mais la nuit tombe ; il faut partir ; mon équipage
M’attend, et de son fouet, dont l’air a retenti,
Le muletier déjà m’a deux fois averti.
Adieu donc : souviens-toi d’une amitié fidèle,
Et si jamais Aquin sur ses bords te rappelle,
Mande-le-moi ; j’accours, dans tes champs toujours frais,
Honorer ta Diane, et fêter ta Cérès,
Et du glaive d’Horace armé contre le vice,
Si tu m’en juges digne, avec toi j’entre en lice.

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SATIRE IV.


Le voilà ! c’est lui-même : oui, je le reconnais,
Et mes crayons souvent reproduiront ses traits ;
C’est Crispinus, ce monstre énervé de délices,
Dont aucune vertu ne rachète les vices.
Rongé d’un mal secret, d’adultères désirs
Réveillent seuls en lui l’aiguillon des plaisirs,
Et la veuve est sans charme à ses yeux impudiques.
Qu’importe qu’à l’abri de ses vastes portiques,
Qu’à l’ombre de ses bois façonnés en berceaux,
Sans sortir du Forum, il lasse ses chevaux ?
Le ciel pour le méchant n’a point de jour prospère :
Il n’en a point surtout pour un lâche adultère,
Pour un incestueux dont la coupable ardeur,
D’une vestale sainte outragea la pudeur,
Au risque de la voir, vierge déshonorée,
En sortant de ses bras toute vive enterrée.
Je l’accuse aujourd’hui d’un fait moins révoltant,
D’un fait dont néanmoins, s’il en eût fait autant,
Tout autre, un Séius même aurait porté la peine,
Mais que dans Crispinus on remarquait à peine.
Que faire, s’agit-il d’un trait plus monstrueux,
Lorsque le personnage est encor plus hideux ?
Il a d’un surmulet donné six grands sesterces.
Il est vrai, s’il faut croire aux histoires diverses
Où sur le merveilleux on va renchérissant,
Que c’était un poisson de six livres pesant.
Je ne le blâme point si, par ce sacrifice,

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D’un vieillard sans enfants caressant l’avarice,
Et sur son testament s’inscrivant le premier,
Il a su du Crœsus supplanter l’héritier ;
Et, s’il l’a fait pour plaire à cette riche amie
Qu’en litière fermée on promène endormie,
Je le blâme encor moins ; mais rien de tout cela ;
Le mets est pour lui seul ; les Romains jusque-là,
N’avaient rien vu de tel ; et, près d’un pareil homme,
Ce pauvre Apicius fut vraiment économe.
Comment ! un misérable à Canope acheté,
Un gueux que l’on a vu sur nos bords transplanté,
D’un léger papyrus entrer vêtu dans Rome,
C’est lui qui d’une écaille offre une telle somme !
Il en eût coûté moins d’acheter le pêcheur :
Une terre en province aurait moins de valeur ;
Et, donnant à choisir dans ses plus riches plaines,
La Pouille, à meilleur compte, adjuge des domaines.
Des banquets de César quels étaient donc les frais,
Quand le plus impudent des bouffons du palais,
Ce Mécène, jadis revendeur de marée,
Qui courait, en criant, colporter sa denrée,
Aux moindres jours, parmi cent mets plus chers encor,
A souper dans un plat engloutissait tant d’or ?
Calliope… Mais non, ce n’est point d’une fable,
C’est d’un fait qu’il s’agit et d’un fait véritable :
Racontes-le, parlez, vierges de l’Hélicon ;
Vierges, vous me devez le prix d’un si beau nom.

 

Du monde épouvanté d’indignes funérailles,
Le dernier Flavien déchirait les entrailles,
Et ce chauve Néron tenait Rome en ses fers,
Lorsque, non loin d’Ancône où sur le bord des mers
Du temple de Vénus s’élève le portique,
Tout à coup un pécheur du golfe Adriatique,
Dans les lianes élargis de ses rets spacieux,
Sentit l’énorme poids d’un turbot monstrueux.

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Vous qui par le repos engraissés sous la glace,
Tombez tout engourdis dans les mers de la Thrace,
Quand Phœbus vient du Nord dissoudre les frimas,
Turbots du Tanaïs, vous ne l’égalez pas.
Le pêcheur le destine au pontife suprême.
A qui le vendrait-il ? le rivage lui-même
N’était-il pas aussi tout plein de délateurs ?
Bientôt environné de mille inquisiteurs
Qui de le dépouiller se feraient une joie,
Il se verrait forcé de leur laisser sa proie.
Aux dépens de César, nourri depuis longtemps,
Ce turbot, diraient-ils, a fui de ses étangs,
Et les lois à son maître ordonnent de le rendre.
Quel autre que César oserait y prétendre ?
Armillatus l’a dit, et l’oracle est certain :
Tout ce que l’Océan renferme dans son sein
De plus beau, de plus rare, en quelque endroit qu’il nage,
Est au fisc, de plein droit, dévolu sans partage.
A qui contre le fisc iriez-vous recourir ?
De peur qu’on ne l’arrache, il faudra donc l’offrir.
C’était vers la saison où la riche Pomone,
A l’aspect de l’hiver, fuyant avec l’automne,
De la fièvre fidèle au quatrième jour,
Fait à plus d’un malade attendre le retour.
Les autans précurseurs de la triste froidure
Protégeaient du pêcheur la récente capture.
Il se hâte pourtant, comme si de l’Auster,
Au plus fort de l’été, le souffle embrasait l’air.
A peine des murs d’Albe il découvre les restes,
Et ce lac où Vesta, sous des lambris modestes,
Nourrit encor le feu de l’antique Ilion :
A l’aspect imprévu du superbe poisson,
Quelque temps en extase on s’arrête, on admire :
Bientôt avec respect la foule se retire ;
On ouvre ; et, s’avançant vers le chef de l’État,

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Le turbot annoncé passe avant le sénat.
Alors le Picentin : Prince, agréez l’hommage
D’un poisson par les dieux réservé pour votre âge,
Et que, débarrassé de tout autre fardeau,
Votre estomac sacré lui serve de tombeau.
Trop rare, trop exquis pour un foyer vulgaire,
Il n’était destiné qu’au maître de la terre,
Et du ciel aujourd’hui remplissant les décrets,
Il s’est jeté lui-même en mes heureux filets.
Quelle dérision ! le despote crédule
En conçoit cependant un orgueil ridicule.
D’un grand, par ses flatteurs au rang des dieux placé,
Quel si grossier encens fut jamais repoussé ?
Mais, pour un tel poisson, il faut un vase immense :
Où le trouver ? ce point mérite qu’on y pense.
Au nom de l’Empereur, les grands sont assemblés,
Les grands qu’il détestait, et qui, pâles, troublés,
Sur un front inquiet où se peint la contrainte,
D’une illustre amitié laissent percer la crainte.
A ces mots du Liburne : Entrez, il est assis :
Pégasus le premier, dévoré de soucis,
Arrive en rajustant, d’une main empressée,
Les plis de sa tunique à la hâte endossée.
Nouveau fermier de Rome, (et quel nom en effet
Convenait mieux alors à l’emploi de préfet ?)
Bien qu’en ces jours de sang, sa prudente indulgence
Crût devoir de Thémis désarmer la vengeance,
Il n’en était pas moins son plus solide appui,
Et nul autre ne fut plus intègre que lui.
Crispus le suit, Crispus dont la vieillesse aimable
Respire une douceur à ses discours semblable.
Quel ami plus utile à celui dont vingt rois
Et la terre et les mers reconnaissaient les lois,
S’il eût été permis, sous une telle peste,
Sous ce fléau, ce monstre au genre humain funeste,

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De blâmer les rigueurs d’un règne désastreux,
Et d’oser faire entendre un conseil généreux ?
Mais quoi de plus cruel, de plus inexorable
Que l’oreille d’un maître à tel point irritable,
Qu’il suffisait d’un mot sur la pluie ou l’hiver,
Pour lui faire immoler son ami le plus cher ?
Incapable d’aller, aux dépens de sa vie,
Défendre ouvertement la vérité trahie,
Crispus contre le flot ne roidit point les bras.
Voilà comme, au milieu de tant d’assassinats,
Tranquille et sans danger au bord des précipices,
Il parvint à compter quatre fois vingt solstices.
Egalement discret et d’un âge pareil,
Glabrion sur ses pas accourait au conseil :
Son fils l’accompagnait, son fils qui, jeune encore,
Quand de la vie à peine il voit briller l’aurore,
Sans doute se croit loin de son terme fatal ;
Mais sa tête est promise au glaive impérial.
Dans la noblesse alors on ne vieillissait guère,
Et j’eusse des géants aimé mieux être frère.
Infortuné jeune homme, hélas ! c’est donc en vain
Que dans l’arène d’Albe, une lance à la main,
Pour calmer du tyran la fureur homicide,
On t’a vu lutter seul contre un lion numide.
Cette feinte démence admirée autrefois,
Dans un siècle ignorant pouvait tromper les rois ;
Mais, Brutus, quel Tarquin, s’y méprenant de même,
Serait dupe aujourd’hui de ton vieux stratagème ?

 

Rubrius, quoique né dans le rang le plus bas,
D’un air non moins troublé, précipitait ses pas.
Coupable d’une offense ancienne et qu’il faut taire,
Il ne s’en montre pas un censeur moins austère ;
Tel naguère un tyran, monstre d’impureté,
Lançait contre nos mœurs un libelle effronté.
Montane entre à son tour et s’avance avec peine,

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Chargé d’un embonpoint dont le fardeau le gène.
Puis paraît Crispinus, dès l’aube parfumé :
Vous diriez les odeurs d’un cadavre embaumé.
Ensuite vient Rufus dont la sourde imposture,
D’un mot qu’avec mystère à l’oreille il murmure,
Sait dans l’ombre et sans bruit égorger ses rivaux ;
Et ce Cornélius qui, loin de nos drapeaux,
Instruit dans sa campagne au grand art des batailles,
Sur l’Hémus aux vautours doit porter ses entrailles ;
Et l’adroit Véienton, et Catullus enfin,
Cet aveugle flatteur, ce perfide assassin,
Qui, dans la folle ardeur de son âme éperdue,
Adore une beauté que jamais il n’a vue,
Monstre insigne parmi tant de monstres divers,
Et remarquable même en ce siècle pervers.
D’ignoble mendiant il devint satellite,
Et le sort l’eût traité par delà son mérite,
Si d’Aricie encore, avec d’humbles regards,
De baisers gracieux il poursuivait les chars.
Personne plus que lui, ravi d’un tel spectacle,
N’affecte en ce moment de crier au miracle.
Le turbot est à droite, et, d’un air étonné,
A gauche justement Catullus est tourné.
C’est ainsi qu’autrefois, juge absurde et risible,
Au cirque et sur la scène à ses yeux invisible,
Il portait jusqu’aux cieux et le jeu de l’acteur
Et l’art du machiniste et les coups du lutteur.
Mais tel qu’un fanatique agité par Bellone,
A de plus grands transports Véienton s’abandonne.
Prince, écoutez, dit-il, les arrêts du destin.
Voici d’un grand triomphe un présage certain.
Le monstre n’est point né dans les mers d’Étrurie.
Voyez-vous de ses dards les pointes en furie,
Et cet aspect sauvage et ce dos hérissé ?
C’est du trône breton Arviragus chassé,

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C’est quelque roi captif. — Bien, Véienton, courage !
Apprends-nous son pays, dis-nous encor son âge.
— Quel est donc votre avis ? sera-t-il dépecé ?
— Ah ! seigneur, est-ce vous qui l’avez prononcé ?
Loin de lui, dit Montane, un si sanglant outrage !
Qu’avec zèle plutôt on se mette à l’ouvrage,
Et que, pour l’enfermer dans ses minces parois,
Un immense bassin se creuse à votre voix :
C’est ici qu’il nous faut un nouveau Prométhée.
La roue est-elle prête, et l’argile apportée ?
Mais ordonnez, seigneur et que de nos Césars,
Des potiers désormais suivent les étendards.
Il dit : et cet avis, digne du personnage,
De l’auguste assemblée entraîne le suffrage.
Montane se souvient des banquets de la cour,
De ces nuits de débauche où, jusqu’au point du jour,
Transformant son palais en impure taverne,
Néron, gonflé de mets, écumant de Falerne,
Savait renouveler et sa soif et sa faim.
Quel autre de nos jours eut le goût aussi fin ?
De Rutupe ou Circée, irrécusable arbitre,
Au premier coup de dent, il reconnaissait l’huitre,
Et, sur la simple vue, à sa forme, à sa chair,
Disait le bord natal d’un hérisson de mer.
César quitte son siège, et chacun se retire.
Voilà ce qu’il voulait aux princes de l’empire ;
Voilà l’ordre important au salut de l’état,
Qui faisait en tumulte accourir le sénat,
Comme si tout à coup, sur ses rapides ailes,
Une lettre apportant de fâcheuses nouvelles,
L’empereur eût appris qu’au fond de leurs déserts,
Le Catte et le Sicambre avaient brisé leurs fers.
Que n’a-t-il consumé dans ces extravagances,
Un règne où, se livrant à d’horribles vengeances,
On le vit dans le sang des plus nobles Romains,

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Tremper impunément ses parricides maies !
Il périt à son tour ; mais ce fut quand sa rage
Aux plus vils artisans eut donné de l’ombrage.
C’est là ce qui du trône, enfin le renversant,
Des Lamia sur lui fit retomber le sang.

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SATIRE V.


Si tu ne rougis pas du métier que tu fais :
Si la table d’autrui t’offre encor des attraits ;
Si tu n’as pas cessé d’y voir le bien suprême ;
Et ces dédains amers que chez Auguste même,
Sarmentus et Galba n’auraient pu tolérer,
Si d’un esprit content, tu peux les endurer,
Ton serment, dès ce jour, m’est suspect d’imposture :
Qui ne rougit de rien est bien près du parjure.
Que faut-il à la faim ? le plus frugal repas.
Mais ce peu qu’il lui faut, quand tu ne l’aurais pas,
N’avons-nous plus de quais ? n’est-il plus de portique,
De pont, où, revêtu d’un lambeau de tunique,
Au lieu de mendier un festin insolent,
Il vaudrait mieux ronger un pain noir en tremblant ?
D’abord, sois convaincu, malheureux parasite,
Qu’un grand, lorsqu’à souper par hasard il t’invite,
Des soins les plus constants par là te croit payé.
Un mets est tout le fruit de sa noble amitié !
Encor cette faveur accordée à ton zèle,
En tient-il quoique rare un registre fidèle.
Si donc après deux mois d’un entier abandon,
Venant en sa mémoire à rappeler ton nom,
Il daigne, pour remplir une dernière place,
Sur son troisième lit te faire asseoir par grâce
S’il te dit : Avec moi venez souper ce soir :
Un tel excès d’honneur doit combler ton espoir,
Et c’en est bien assez pour qu’on te voie encore,
Prévenant ses flatteurs et devançant l’aurore,

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Quand le Bouvier tardif traîne son char glacé,
En hâte, à son réveil, courir demi-chaussé.
Quel souper cependant ! Un vin plat dont à peine
On voudrait se servir pour dégraisser la laine !
Le convive bientôt troublé par ce poison,
Corybante en fureur, va perdre la raison :
Des querelles d’abord ; puis volent les assiettes.
Votre sang qu’on étanche a rougi les serviettes,
Et clients, affranchis, de coups mortels atteints,
Roulent sur les débris des vases sagontins.
Lui, d’un vin pressuré du temps de Rome libre,
Quand les peuples latins campaient aux bords du Tibre,
Il boit, mais d’un ami faible et convalescent,
N’en réchaufferait pas l’estomac languissant.
Demain il goûtera d’un nectar de Sétine,
Si vieux qu’on n’en voit plus le nom ni l’origine,
Et tel que, pour fêter Brutus et Cassius,
Thraséas en buvait avec Helvidius.
La coupe du patron, avec art façonnée,
Est faite d’ambre pur et de béryls ornée ;
Tes doigts ne touchent point un si rare trésor :
Ou bien, s’il t’est permis de boire aussi dans l’or,
Un gardien insolent aposté par derrière,
Sous tes ongles aigus en compte chaque pierre.
Ne t’en offense point : le jaspe en est si beau !
Car Virron amateur de ce faste nouveau,
Ne porte plus au doigt sa pierre la plus belle,
Il en orne sa coupe ; et c’est là qu’étincelle.
Le rare diamant que, sur son baudrier,
Aimait à faire voir le jeune et fier guerrier,
En dépit de Junon, sur la plage africaine,
Au jaloux Iarbas préféré par la reine.
Pour toi, tu videras le calice grossier,
Qu’illustra de son nom Vatin le savetier,

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Vieux vase à quatre becs, qui, par mainte fêlure,
Du souffre avec instance appelle la soudure.
Le patron se sent-il, après un long festin,
L’estomac échauffé par les mets et le vin ?
D’une eau pure à l’instant la glace toute prête
Dissipe les vapeurs qui lui troublent la tête.
Je trouvais indécent qu’on ne vous servit pas,
Des vins du même crû qu’au maître du repas.
L’eau même est différente ; et le coureur numide,
Qui te verse la tienne, est si noir, si livide,
Que l’on craindrait, la nuit, dans un lieu détourné,
De voir venir à soi ce spectre décharné.
Un esclave, la fleur des enfants de l’Asie,
Aux ordres de Virron, lui verse l’ambroisie ;
Tout l’or de nos sept rois n’aurait pu l’acheter.
Songe donc, quand la soif te viendra tourmenter,
Que c’est à ton Gétule à te donner à boire.
L’esclave de Virron, jeune, brillant de gloire,
Et du prix qu’il coûta justement orgueilleux,
Ne doit pas, ne sait pas servir des malheureux ; •
Tu l’appelles en vain. Superbe Ganymède,
Il ne te versera l’eau fraîche ni l’eau tiède,
Et ce qui contre toi le révolte surtout,
C’est que tu sois, assis quand il se tient debout.
N’attends de ses pareils ni soins, ni prévenance ;
Les esclaves des grands en ont l’impertinence.
Un autre en murmurant te jette avec dédain
Quelques restes moisis d’un pain dur et malsain ;
Mais ce gâteau léger, aussi blanc que la neige,
Garde.toi d’y porter une main sacrilège.
C’est un gâteau pétri de la fleur du froment :
C’est le pain du patron. Touches-y seulement,
Si tu veux que tout haut gourmandant ta méprise,
Un esclave aux aguets te fasse lâcher prise.
Convive audacieux, te dirait-il soudain,

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Qui t’a donné le droit de toucher à ce pain ?
Est-ce au tien que l’on trouve une couleur pareille,
Et ne devrais-tu pas distinguer ta corbeille ?
Voilà donc, malheureux, pour quel noble repas,
M’arrachant à ma femme et courant à grands pas,
On m’a vu tant de fois, par les vents et les pluies,
Gravir, au point du jour, les froides Esquilles !

  

 Vois ce poisson superbe, avec solennité
Sur les bras d’un esclave en triomphe porté :
Vois comme, en sa longueur, dans un bassin immense,
D’asperges couronné sur la table il s’avance,
Insultant de sa queue au reste du festin ;
Tandis que sans honneur et sur un plat mesquin,
On ne te glisse à toi qu’un maigre coquillage,.
Misérable repas pour les morts en usage.
D’une huile de Vénafre épanchée à grand flot,
Le monarque à tes yeux inonde son turbot ;
Mais pour le chou fané qu’il a soin qu’on te serve,
Celle que, par son ordre, aux clients on réserve,
Une barque de joncs, en des vases impurs,
Des bords de Micipsa l’apporta dans nos murs ;
C’est une huile de lampe, exhalant à la ronde,
Une odeur si fétide et si nauséabonde.
Qu’à l’aspect d’un Numide on déserte les bains,
Et qu’elle ferait fuir les serpents africains.
Virron mange un rouget de Corse ou de Sicile.
D’en chercher sur nos bords il serait inutile ;
Nos bords sont épuisés, depuis que les pêcheurs
Nuit et jour déployant leurs filets destructeurs,
Et pressés d’assouvir notre gloutonnerie,
N’en laissent plus grossir dans les mers d’Étrurie.
C’est donc à la province à fournir nos marchés
De ces mets délicats par Lénas recherchés,
Lénas, adroit flatteur d’une veuve opulente,
Qui les reçoit de lui, pour les remettre en vente.

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Une murène ensuite est servie au patron.
Des gouffres de Sicile elle vient pour Virron ;
Car à peine l’Auster, loin des plaines liquides,
Vient sécher les frimas de ses ailes humides,
Que l’on voit des pécheurs les esquifs imprudents
Affronter de Scylla les abîmes grondants.
Quant à vous, malheureux, troupe abjecte et honteuse,
N’attendez de sa main qu’une anguille douteuse,
Ou quelque vil poisson dans le Tibre nourri,
Animal dégoûtant, par la glace meurtri,
Et qui, sous les égouts, dans une fange impure,
Remontait en rampant au quartier de Suburre.

 

J’ai deux mots à lui dire : Écoutez-moi, Virron.
Nous ne prétendons pas qu’imitant un Pison,
Un Sénèque, un Cotta, comme eux, de vos richesses
A vos moindres clients vous fassiez des largesses,
Ni que vous préfériez, comme en des jours si beaux,
La gloire de donner, aux titres, aux faisceaux :
Non : mais dans vos banquets traitez-nous sans outrage.
A ce prix, j’y consens, réglez-vous sur l’usage ;
Et puisque chez les grands, c’est un système admis,
Soyez riche pour vous, pauvre pour vos amis.

 

Vis-à-vis du patron, près d’un pâté de foie,
Avec une poularde aussi grosse qu’une oie,
On sert un sanglier digne du fier chasseur
Dont le bois d’Erymanthe admira la valeur ;
Et pour lui seul encor, de l’Afrique apportée,
A ces mets succulents la truffe est ajoutée,
Quand, au gré de nos vœux, la pressant de mûrir,
Le tonnerre, au printemps, la fait assez grossir.
Terre de Jugurtha, par qui Rome est nourrie,
Dételle tes taureaux, cherche une autre industrie :
Ce n’est plus du froment, s’écrie Allédius,
C’est des truffes qu’il faut à nos Apicius.
Regarde, pour aigrir et redoubler ta bile,

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De quel zèle en sautant court cet esclave agile,
Et comme, armé d’un fer qui vole sous ses doigts,
Du grand art de son maître il observe les lois.
Certes, ce n’est pas lui qui confond la manière
De découper le lièvre ou le coq de bruyère !

 

Ose, tel qu’un Romain qui porte un triple nom,
Dire un mot seulement au banquet de Virron ;
Soudain, nouveau Cacus, frappé de la massue,
Tu seras par les pieds emporté dans la rue.
Quand Virron t’offre-t-il la coupe du festin ?
Quand, pour boire à son tour, la prend-il de ta main ?
Et qui de vous, rompant un timide silence,
Aurait assez de front, assez d’impertinence,
Pour lui dire : Buvez. Aux gens le plus hardis,
Sous un habit troué que de mots interdits !
Mais qu’un dieu plus propice, un être aux dieux semblable,
Jetant sur ta misère un regard favorable,
Du cens des chevaliers te dote en cet instant :
Comme tu vas, de rien, devenir important !
Comme déjà Virron te chérit, te révère !
— Donnez à Mamercus, vite, servez mon frère :
Servez donc Mamercus. — Ecus, divins écus,
C’est à vous qu’il s’adresse, et non à Mamercus :
Son frère, c’est vous seuls. Veux-tu, vil parasite,
Voir Virron tout à coup frappé de ton mérite,
Te saluer des noms de maître et de roi ?
Qu’il ne trouve en ta cour, folâtrant près de toi,
Ni de petit Enée, espoir de ta vieillesse,
Ni de fille plus douce encore à ta tendresse.
D’une femme stérile on adore l’époux ;
Mais il est des enfants dont il n’est pas jaloux.
Que ta jeune Mycale, en un jour trois fois mère,
Verse à la fois trois fils dans le sein de leur père,
Il se réjouira de sa fécondité.
Et caressant ton faible avec dextérité,

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De ces jeunes marmots, gazouillant à sa table,
Il feindra de trouver le babil agréable,
Et même, sous tes yeux, leur fera quelquefois
Donner un habit vert, un as ou quelques noix.

 

Aux convives obscurs et du dernier étage,
Des champignons suspects sont donnés en partage.
On en garde aux Virrons, de meilleurs, de plus sains,
Tels que Claude en mangeait avant que, de ses mains,
Sa femme, lui servant ce régal si délectable,
En fit le dernier mets qui parut sur sa table.
Enfin viennent des fruits d’un parfum délicat,
Dont vous ne jouissez, vous, que par l’odorat ;
Des fruits pareils à ceux que la riche Pomone,
Sous le ciel toujours pur d’un éternel automne,
Prodiguait dans Corcyre au sage Alcinoüs,
Et qu’on croirait ravis aux filles d’Hespérus.
Pour toi, tu recevras quelque pomme flétrie,
Ainsi que dans les camps et loin de sa patrie,
Eu ronge ce soldat qu’un farouche guerrier,
Le sarment à la main, forme à son dur métier.

 

Peut-être diras-tu que c’est par avarice
Que Virron te condamne à ce honteux supplice.
Non : il veut s’amuser de tes lâches douleurs.
Quel mime plus parfait qu’un parasite en pleurs ?
Tout est donc calculé, s’il faut qu’on te le dise,
Pour tromper ton espoir, vexer ta gourmandise,
Te faire, de dépit, pleurer, grincer les dents.
Tu crois que de Virron amis indépendants,
Tes pareils, en égaux, sont admis à ses tables !
Il vous regarde, lui, comme des misérables,
Des bouffons alléchés par l’odeur d’un repas, -
Et, dans sa conjecture, il ne se trompe pas.
Quel Romain, en effet, assez dans l’indigence,
Si de la bulle d’or il orna son enfance,
Si l’humble nœud de cuir le para seulement,

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Pour supporter deux fois un pareil traitement ?
Au fond de votre cœur je lis ce qui se passe.
Au moins, vous dites, il nous fera la grâce
De nous faire passer ce reste de filet,
Ce jambon entamé, ces débris de poulet,
Et tous, l’œil aux aguets, d’un air d’impatience,
Votre pain à la main, vous restez en silence.
Oh ! qu’il a bien raison de vous traiter ainsi !
Qui peut tout endurer, doit tout permettre aussi.
Va donc, et de Virron devenu la risée,
Offre aux coups son dos et ta tête rasée,
Et montre toi, d’un cœur dans l’opprobre affermi,
Digne d’un tel festin, digne d’un tel ami.

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SATIRE VI.


Oui, je le crois, du temps de Saturne et de Rhée,
On a vu la Pudeur sur la terre honorée,
Et même elle y put faire un assez long séjour,
Lorsque d’une caverne à peine ouverte au jour,
Inutile rempart contre l’âpre froidure,
L’asile étroit, formé des mains de la nature,
Sous un même couvert, dans les flancs d’un coteau,
Réunissait les dieux, les maîtres, le troupeau,
Et qu’au sommet des monts, une épouse sauvage,
Se composant un lit de peaux et de feuillage,
Auprès de son mari rassasié de glands,
Des flots de sa mamelle abreuvait ses enfants :
Différente de vous, amante de Catulle,
Et de vous, tendre objet des soupirs de Tibulle,
Dont les beaux yeux troublés par l’excès des douleurs,
Pour la mort d’un moineau se gonflèrent de pleurs.
Né de chênes brisés, ou sorti de la terre,
L’homme vivait alors sans vice héréditaire :
De cette chasteté, l’honneur du siècle d’or,
On put sous Jupiter voir quelque trace encor ;
Mais c’était Jupiter en sa tendre jeunesse,
Quand le parjure était inconnu dans la Grèce,
Quand chacun, pour ses fruits ne craignant nul larcin,
Dormait en sûreté sans clore son jardin.
Depuis, loin des mortels, dans les cieux retirés,
La Pudeur s’est enfuie avec sa sœur Astrée.

SATIRE VI




Antiquum et velus est alienum, Postume, lectum
Concutere, atque sacri genium contemnere fulcri.
Omne aliud crimen mox ferrea protulit aetas :
Viderunt primes argentea saecula moechos.
Conventum tamen et pactum, et sponsalia nostra 1
Tempestate paras ; jamque a tonsore magistro
Pecteris, et digito pignus fortasse dedisti.
Certe sanus eras. Uxorem, Postume, ducis !
Dic, qua Tisiphone, quibus exagitare colubris ?
Ferre potes dominam, salvia tot restibus, ullam ?
Quum pateant altae caligantesque fenestrae ?
Quum tibi vicinum se praebeat Aemilius pons ?
Aut si de multis nullus placet exilus, illud
Nonne putas melius quod tecum pusio dormit ? 2
Pusio qui noctu non litigat, exigit a te
Nullajacçns illic munuscula, nec queritur quod
Et lateri parcas, nec, quantum jussit, anhales.
Sed placet Ursidio lex Julia tollere dulcem 3
Cogitat heredem, cariturus turture magno,
Mullorumque jubis et captatore macello.
Quid fieri non posse putes, si jungitur ulla
Ursidio ? si moechorum notissimos olim
Stulta maritali jam porrigit ora capistro,
Quem toties texit perituri cista Latini ? 4



Non, mon cher Posthumus, ce n’est pas d’aujourd’hui
Qu’un profane adultère insulte au lit d’autrui.
Ce crime est déjà vieux. Tous les autres, peut-être
C’est le siècle de fer qui les a vus paraître ;
Mais la fidélité dans l’amour conjugal,
N’alla pas jusqu’au temps du troisième métal.
De l’hymen, cependant, tu prépares la fête ;
D’un habile coiffeur le peigne orne ta tête,
Et peut-être déjà, pressant un jour si beau,
Au doigt de ta future as-tu placé l’anneau.
On vantait ton bon sens, et tu prends une femme !
Dis, quelle Tisiphone a donc saisi ton Ame ?
Quels serpents ont soufflé leur poison dans ton sein ?
Tandis qu’un bout de corde à tes jours mettrait fin ;
Quand du haut de ces toits qui montent vers la nue,
Tu peux, la tête en bas, te jeter dans la rue,
Lorsque le pont d’Émile est à deux pas de toi,
D’un maître en ta maison tu vas subir la loi !
Si de tous ces moyens aucun ne peut te plaire,
Ne vaudrait-il pas mieux laisser à l’ordinaire
Dormir auprès de toi ce bel adolescent
Qu’un sordide intérêt ne rend point caressant,
Et qui, si ton ardeur vient la nuit à s’éteindre,
De ta langueur du moins n’a pas droit de se plaindre ?
Mais non, Ursidius heureusement changé,
Sous la loi Julia désormais s’est rangé ;
D’un fils en espérance il caresse l’image,
Dût-il des captateurs de son riche héritage,
Perdre et les surmulets et les grands tourtereaux,
Et tout ce qu’ils lui font de précieux cadeaux.
Quoi d’incroyable, alors qu’Ursidius prend femme,
Alors qu’un débauché, qu’un adultère infâme,
Obligé tant de fois, pour tromper un mari,
A chercher dans un coffre un ridicule abri,
Lui-même, travaillant à son propre esclavage,

Quid, quod et antiquis uxor de moribus illi
Quaeritur ? O medici ! mediam pertundite venam.
Delicias hominis ! Tarpeium limen adora
Pronus, et auratam Junoni caede juvencam,
Si tibi contigerit capitis matrona pudici.
Paucae adeo Cereris vittas contingere dignae, 5
Quarum non timeat pater oscula. Necte coronam
Postibus, et densos per limina tende corymbos. 6
Unus Iberinae vir sufficit ! Ocius illud
Extorquebis, ut haec oculo contenta sit uno.
Magna tamen fama est cujusdam rure paterno
Viventis. Vivat Gabiis ut vixit in agro ;
Vivat Fidenis, et agello cedo paterno.
Quis tamen affirmat nil actum in montibus, aut in
Speluncis ? Adeo senuerunt Jupiter et Mars ? 7

Porticibusne tibi monstratur femina voto
Digna tuo ? cuneis an habent spectacula totis
Quodsecurus ames, quodque inde excerpere possis ?
Cheironomon Ledam molli saltante Bathyllo,
Tuccia vesicae non imperat ; Appula gannit

Présente un front stupide au joug du mariage ?
Que dis-je ?… Ursidius en ses chastes amours,
Exige les vertus, les mœurs des anciens jours :
On les cherche pour lui. Venez, fils d’Archigène,
Et qu’au milieu du front on lui frappe la veine,
Il a perdu la tète. Homme délicieux !
Immole une génisse à la mère des dieux,
Cours du mont Tarpéïen adorer le portique,
S’il t’échoit en partage une femme pudique.
Quelle vierge, ô Cérès ! en ces jours criminels,
Est digne de toucher tes bandeaux solennels ?
Et combien en voit-on dont la bouche adultère
Ne fît, en le baisant, rougir le front d’un père ?
N’importe : de lauriers ombrage ton palais.
La chaste Ibérina va combler tes souhaits :
Un homme lui suffit. —Un homme ! l’impudente !
Avec un œil plutôt elle vivrait contente.
—J’en sais une pourtant qui, prônée en tous lieux,
Vit au simple village où sont nés ses aïeux.
—Qu’à Fidène, à Gable, elle soit aussi sage,
Et je crois aux vertus de son simple village.
Encor qui répondra que sur le haut des monts,
À l’ombre des forêts, dans les antres profonds,
Son austère pudeur n’a pas reçu d’outrage ?
Mars est-il décrépit, et Jupiter hors d’Age ?

Parcours, ô Posthumus, ces portiques nombreux ;
Dans le cirque avec moi viens assister aux jeux,
Et de tant de beautés, dans l’assemblée entière,
Dis celle qui te plaît, à qui tu voudrais plaire,
Que tu pourrais aimer avec sécurité,
Et sur laquelle enfin ton choix s’est arrêté.
L’efféminé Bathylle, en une danse obscène,
Sous les traits de Léda paraît-il sur la scène ?
Tous les cœurs embrasés frémissent de désir :
Chloris se pâme : Églé pousse un cri de plaisir.

Sicut in amplexu. Subitum, et miserabile lougum 8
Attendit Thymele ? Thymele tunc rustica discit.
Ast aliae, quoties aulaea recondita cessant,
Et vacuo clausoque sonant fora sola theatro,
Atque a plebeiis longe Megalesia, tristes 9
Personam Thyrsumque tenent et subligar Acci. 10
Urbicus exodio risum movet atellanae 11
Gestibus Autonoes ; hunc diligit Aelia pauper.
Solvitur bis magno comoedi fibula. Sunt quae 12
Chrysogonum cantare vetent. Hispulla tragoedo
Gaudet : an exspectas ut Quintilianus ametur ?
Accipis uxorem, de qua citharoedus Echion
Aut Glaphyrus fiat pater, Ambrosiusque choraules.
Longa per angustos figamus pulpita vicos,
Ornentur postes et grandi janua lauro,
Ut testudineo tibi, Lentule, conopeo 13
Nobilis Euryalum mirmillonem exprimat infans.
 
Nupta Senatori comitata est Hippia ludium
Ad Pharon et Nilum, famosaque moenia Lagi,
Prodigia et mores Urbis damnante Canopo.
Immemor fila domus, et conjugis atque sororis,
Nil patriae induisit, plorantesque improba gnatos,
Utque magis stupeas, ludos Paridemque reliquit. 14

Thymelé, d’une danse encor plus expressive,
Vient-elle déployer la mollesse lascive ?
Demain nos moindres bourgs auront leur Thymelé.
Mais quand des jeux publics le temps est écoulé,
Lorsque du barreau seul la lutte opiniâtre
Remplace par ses cris le fracas du théâtre,
Et qu’il faut, dans l’ennui, des fêtes du printemps,
A celles de novembre, attendre encor longtemps,
Accius les console avec son jeu burlesque,
Son thyrse, sa ceinture et son masque grotesque.
Dans un exode, ensuite, Urbicus le bouffon,
Les fait rire en jouant la mère d’Actéon.
De l’indigente Aelie aussitôt le cœur brûle :
Mais ce n’est qu’à grands frais qu’on le désinfibule.
Il en est dont le chant fixe avant tout le choix,
Et qui de Chrysogon ont ruiné la voix.
Hispulla que transporte une ardeur héroïque,
Réserve ses faveurs pour un acteur tragique.
Voudrais-tu, par hasard, qu’un cœur tel que le sien,
Se laissât enflammer pour un Quintilien !
Tu prétends contracter un hymen légitime :
Tu veux un fils : eh bien ! Ambrosius le mime,
Le harpiste Ecbion, Glaphyrus le flûteur
Te donneront ce fils où tu mets ton bonheur.
Dresse des échafauds, décore ton portique,
Pour que, sur le duvet d’un berceau magnifique,
Quelque jour, Lentulus, un noble rejeton,
Vienne offrir à tes yeux les traits d’un mirmillon.

Oubliant à la fois sa maison, sa patrie,
N’a-t-on pas vu naguère aux murs d’Alexandrie,
Du noble Véïenton l’épouse sans pudeur,
Hippia, sur le Nil, suivre un gladiateur,
Et de Canope même excitant la censure,
Y faire des Romains détester la luxure ?
Rien ne put l’arrêter, son époux ni ses fils,

Sed quanquam in magnis opibus, plumaque paterna
Et segmentatis dormisset parvula cunis,
Gonternpst pelagus : famam cotempserat olim,
Cujus apud molles minima est jactura cathedras.
Tyrrhenos igitur fluctus, lateque sonantem
Pertulit Ionium constanti pectore, quamvis
Mutandum toties esset mare. Justa pericli
Si ratio est et honesta, timent pavidoque gelantur
Pectore, nec tremulis possunt insistere plantis :
Fortem animum praestant rebus quas turpiter audent.
Si jubeat conjux, durum est conscendere navim ;
Tunc sentina gravis, tunc summus vertitur aer.
Quae moechum sequitur, stomacho valet. Illa maritum
Convomit : haec inter nautas et prandet, et errat
Per puppim, et duras gaudet tractare rudentes.
 

Qua tamen exarsit forma, qua capta juventa
Hippia ? quid vidit, propter quod ludia dici
Sustinuit ? Nam Sergiolus jam radere gutturt 15
Coeperat, et secto requiem sperare lacerto.
Praeterea multa in facie deformia ; sicut
Attritus gales, mediisque in naribus ingens
Gibbus, et acre malum semper stilantis ocelli.

Ni sa sœur, je dis plus, le cirque, ni Pâris ;
Et bien que née au sein d’une molle opulence,
Elle eût sur l’édredon dormi dans son enfance,
Elle affronta la mer, défia les autans,
Ainsi qu’on l’avait vue, à la fleur de ses ans,
Fouler aux pieds l’honneur, cette vaine chimère
Dont, en un rang pareil, la perte est si légère.
Elle supporta donc les flots thyrréniens,
Les rochers et le bruit des bords Ioniens,
Et ne s’effraya pas, si loin de nos rivages,
De voguer chaque jour vers de nouvelles plages.
Qu’un honnête motif de braver le danger,
Force une épouse à fuir sous un ciel étranger ;
Elle pâlit d’effroi, son courage chancelle,
Et ses genoux tremblants se dérobent sous elle.
Ce n’est que lors qu’il faut oser son déshonneur,
Que le cœur d’une femme est exempt de terreur.
L’époux ordonne-t-il ? on n’obéit qu’à peine ;
Au moment du départ, tout déplaît et tout gêne.
La sentine fait mal, le ciel tourne ; on vomit.
Sur les pas d’un amant le cœur se raffermit.
La plus timide alors affronte les orages ;
Ses mains ne craignent pas de toucher les cordages ;
Elle parcourt le pont, se plait à voir les flots,
A causer, à manger avec les matelots.

Mais est-il donc si beau, si brillant de jeunesse,
Celui dont Hippia daigne être la maîtresse ?
Qu’a-t-elle vu dans lui, pour supporter l’horreur
De s’entendre nommer la femme d’un lutteur ?
Déjà Sergiolus a droit à la réforme :
Vieux et privé d’un bras, une tumeur énorme,
Du milieu de son front de rides sillonné,
S’aplatit sous son casque et descend sur son né,
Et de ses yeux que ronge une humeur épaissie,
Distille incessamment une immonde chassie.

Sed gladiator erat ; facit hoc illos Hyacinthos.
Hoc pueris patriaeque, hoc praeetulit illa sorori
Atque viro. Ferrum est, quod amant. Hic Sergius idem,
Accepta rude, coepisset Vejento videri. 16
Quid privata domus, quid fecerit Hippia, curas ?
Respice rivales Divorum Claudius audi
Quae tulerit. Domire virum quum senserat tuxor,
Ausa Palatino tegetem praeferre cubili,
Sumere nocturnos meretrix augusta cucullos,
Linquebat, comite ancilla non amplius una :
Sed, nigrum flavo crinem abscondente galero,
Intravit calidum veteri centone lupanar,
Et cellam vacuam atque suam. Tunc nuda papillis
Prostitit auratis, titulum mentita Lyciscae,
Ostenditque tuum, generose Britannice, ventrem.
Excepit blanda intrantes, atque aera poposcit,
Et resupina jacens multorum absorbuit ictus.
Mox lenone suas jam dimittente puellas,
Tristis abit : sed, quod potuit, tamen ultima cellam
Clausit, adhuc ardens rigidœ tentigine vulvae,
Et lassata viris, sed non satiata, recessit ;
Obscurisque genis turpis, fumoque lucernae
Foeda, lupanaris tulit ad pulvinar odorem.
 
Hippomanes carmenque loquar, coctumque venenum, 17
Privignoque datum ? Faciunt graviora coactae
Imperio sexus, minimumque libidine peccant.

Il est vrai ; mais que dire ? il est gladiateur ;
Le fer remplace tout, beauté, grâce, fraîcheur ;
C’est au gladiateur qu’Hippia sacrifie
Son époux, ses enfants, sa sœur et sa patrie.
Sans ce titre, il n’est plus qu’un homme indifférent,
Qu’un autre Véïenton. Hippia te surprend ;
Mais regarde plus haut : vois, sous le diadème,
Quels rivaux sont donnés à l’empereur lui-même ;
Vois les affronts de Claude : à peine il s’assoupit :
Sa femme qui l’observe et que l’ombre enhardit,
Seule avec une esclave, auguste courtisane,
S’échappe, et, pour cacher un rang qui la condamne,
Sans bruit, le front voilé, trompant tous les regards,
Préfère un lieu d’opprobre au palais des Césars.
Noble Britannicus, c’est là que toute nue,
D’un simple réseau d’or la gorge retenue,
Sous un nom supposé, dans sa loge, à son tour,
Elle étale les flancs qui t’ont donné le jour.
Tous ceux qu’elle aperçoit, son regard les dévore ;
Elle ose les combattre et les défie encore ;
Et lorsqu’au point du jour il faut enfin sortir,
Lorsque le Proxénète ordonne de partir,
La dernière, à regret, par l’heure poursuivie,
Elle sort fatiguée et non pas assouvie ;
Pâle, les yeux éteints, elle rentre au palais,
Et du réduit impur, témoin de ses excès,
De la lampe fétide au plafond suspendue,
L’odeur à son retour sur ses pas répandue,
Jusque sur l’oreiller du stupide empereur,
De son infâme nuit va révéler l’horreur.


Dirai-je les transports d’une mère jalouse,
Préparant l’hippomane au fils d’une autre.épouse ?
Dirai-je ses poisons, philtres enchantés ?
Des coupables écarts aux femmes imputés,
La débauche n’est pas le plus digne de haine ;

Optima sed quare Cesennia, teste marito ?
Bis quingenta dedit ; tanti vocat ille pudicam :
Nec pharetris Veneris macer est, aut lampade fervet ;
Inde faces ardent, veniunt a dote sagittae
Libertas emitur : coram licet innuat atque
Rescribat ; vidua est, locuples quae nupsit avaro.
Cur desiderio Bibulae Sertorius ardet ?
Si verum excutias, facies, non uxor, amatur.
Tres rugae subeant, et se cutis arida laxet,
Fiant obscuri dentes, oculique minores :
Collige sarcinulas, dicet libertus, et exi ; 18
Jam gravis es nobis. Ut saepe emungeris ! exi
Ocius, et propera ; sicco venit altera naso.
Interca calet et regnat, poscitque maritum
Pastores et ovem Canusinam, ulmosque Falernas.
Quantulum in hoc ! pueros omnes, ergastula tota ;
Quodque domi non est et habet vicinus, ematur.
Mense quidem brumae, quo jam mercator Iason
Clausus, et armatis obstat casa caudida nautis,

A de plus grands excès leur sexe les entraîne.
— Comment Césennia, citée à tout propos,
Aux yeux de son époux est-elle sans défauts ?
—Comment ! c’est pour sa dot qu’il la trouve si sage :
Un million comptant vaut bien un tel hommage.
Oui, si d’un trait de flamme il fut jamais blessé,
Ce trait par Cupidon ne lui fut point lancé,
Il part du coffre-fort : à ce prix il l’admire,
La laisse librement tout entendre et tout dire,
Et ne s’offense pas de la voir chaque jour
Lire des billets doux, en écrire à son tour.
Près d’un époux avare, heureuse en mariage,
Une femme opulente a les droits du veuvage.
— Pourquoi Sertorius, toujours plus amoureux,
Est-il pour Bibula si constant dans ses feux ?
— Si tu veux réfléchir à cet amour extrême,
Ce n’est point Bibula, c’est sa beauté qu’il aime.
Que l’émail de ses dents perde de sa blancheur,
Ses yeux de leur éclat, son teint de sa fraîcheur :
Qu’une ride survienne, et que ce beau visage,
Des ans, par quelque trace, annonce le ravage :
Allons, viendra lui dire un impudent laquais,
Vite pliez bagage et faites vos paquets.
Depuis assez longtemps vous nous êtes à charge :
Plus de délais, vous dis-je, et qu’on gagne le large.
Vous êtes si ridée ! et vous vous mouchez tant !
Partez : un nez plus sec nous arrive à l’instant.
Belle et jeune, elle règne : et, dès qu’elle demande,
Il faut qu’à tous ses vœux son époux condescende,
Qu’il lui donne des prés, des vignes et des bois ;
Qu’un nombreux domestique obéisse à ses lois ;
Que, s’il est chez quelque autre un meuble de toilette,
Un bijou qui lui manque, à l’instant on l’achète.
Même au mois de janvier, lorsque d’un long hiver
Les frimes aux marchands ont interdit la mer ;

Grandia tolluntur cristallina, maxima rursus
Murrhina, deinde adamas notissimus, et Berenices 19
In digito factus pretiosior : hunc dedit olim
Barbarus incestae, dedit hunc Agrippa sorori,
Observant ubi festa mero pede sabbata rages,
Et vetus indulget senibus clementia porcis.
 
Nullane de tantis gregibus tibi digna videtur ?
Sit formosa, decens, dives, fecunda ; vetustos
Porticibus disponat avos ; sit castior omni
Crinibus effusis bellum dirimente Sabina,
Rara avis in terris, nigroque simillima cycno,
Quis ferat uxorem cui constant omnia ? Malo,
Malo Venusinani, quam te, Cornelia mater
Gracchorum, si cum magnis virtutibus affers
Grande supercilium, et numeras in dote triumphos.
Tolle tuum, precor, Annibalem, victumque Syphacem

Lorsque le matelot, que la froidure assiège,
Se voit dans sa cabane enfermé par la neige,
Elle veut qu’en dépit et des vents et des flots,
On courre lui chercher les plus rares cristaux,
Les murrhins les plus grands, les perles de l’aurore,
Et ce beau diamant plus précieux encore,
Depuis que d’Agrippa, complice de ses feux,
Bérénice en reçut le don incestueux,
Chez ce peuple où les rois, comme la foule obscure,
Aux fêtes du sabbat assistent sans chaussure,
Et mieux que leurs sujets traitant de vils troupeaux,
Laissent paître sans trouble et vieillir leurs pourceaux.

Quoi ! dans un si grand nombre, eu ville, à la campagne,
Je ne trouverai pas une digne compagne !
— Je veux que le destin t’en ait fait une exprès
Dont l’aimable décence égale les attraits ;
Qui joigne à la beauté les vertus domestiques ;
Qui soit riche, féconde, et qui, sous ses portiques,
Avec magnificence étale à tous les yeux
Les bustes triomphants de ses nobles aïeux :
Une femme en un mot pareille à ces Sabines
Qui, les cheveux épars, pudiques héroïnes,
Coururent au milieu d’un combat plein d’horreur,
Désarmer des époux, des pères en fureur :
Phénomène, à coup sûr, peu commun en cet âge,
Et non moins merveilleux qu’un cygne au noir plumage ;
Ce phénix, cette épouse accomplie en tout point,
Qui pourrait la souffrir ? moi, je n’en voudrais point,
Et, dédaigneux du lit d’une patricienne,
J’irais plutôt chercher quelque Vénusienne,
Que de vous épouser, vous, mère des Gracchus,
Si, gonflant votre dot de toutes vos vertus,
Sans cesse vous veniez, des exploits de vos pères,
Le sourcil rehaussé, m’opposer les chimères.
Laissez-moi, vous dirais-je, avec votre Annibal,

In castris, et cum tota Carthagine migra.

Parce, precor, Paean, et tu, dea pone sagittas ;
Nil pueri faciunt ; ipsam configite matrem,
Amphion clamat : sed Paean contrahit arcum.
Extulit ergo greges natorum, ipsamque parentem,
Dum sibi nobilior Latonae gente videtur,
Atque eadem scrofa Niobe fecundior alba.
Quae tanti gravitas ? quae forma, ut se tibi semper
Imputet ? Hujus enim cari summique voluptas
Nulla boni, quoties animo corrupta superbo,
Plus aloes quam mellis habet. Quis deditus autem
Usque adeo est,ut non illam, quam laudibus effert,
Horreat, inque diem septenis oderit horis ?
 


Quaedam parva quidem, sud non toleranda mentis.
Nam quid rancidius, quam quod se non putat ulla
Formosam, nisi quae de Tusca Graecula facta est,
De Sulmonensi mera Cecropis ? omnia Graece,
Cum sit turpe magis nostris nescire latine.
Hoc sermone pavent ; hoc iram, gaudia, curas,
Hoc cuncta effundunt animi secreta. Quid ultra ?
Concumbunt graece. Dones tamen ista puellis :
Tunc etiam, quae sextus et octogesimus annus
Pulsat, adhuc graece ? non est hic sermo pudicus
In vetula, quoties lascivum intervenit illud

Votre Syphax vaincu, votre char triomphal,
Et, sans venir ici m’étourdir davantage,
Retournez en Afrique avec votre Carthage.

Grâce pour mes enfants, grâce, dieu de Délo,
Et toi, Diane aussi, laisse tes javelots,
Mes enfants n’ont rien fait, n’immolez que leur mère,
S’écriait Amphion ; mais, sourd aux cris d’un père,
L’immortel a saisi son arc et son carquois ;
La flèche part : il frappe, il immole à la fois
Et ce troupeau d’enfants et leur mère elle-même,
Niobé qui se croit, en son orgueil extrême,
Plus noble que Latone et sa postérité.
A quoi sert la vertu ? qu’importe la beauté,
Lorsqu’une épouse altière, abusant de ses charmes,
S’en fait, pour te vexer, un prétexte et des armes,
Et que, par des discours pleins d’aigreur et de fiel,
De ces dons précieux elle corrompt le miel ?
Aussi, quel homme épris des vertus de sa femme,
Sentit jamais pour elle une assez vive flamme,
Pour n’être pas tenté sept fois au moins par jour,
De maudire en secret l’objet de son amour ?


Il est des torts moins grands, des travers à la mode,
Dont pourtant avec peine un mari s’accommode.
Quoi de plus fatiguant que cette vanité,
Qui, croyant que le grec sied seul à la beauté,
Tourne en petite grecque une campanienne,
Ou change une toscane en pure athénienne ?
Toujours du grec, lorsque sous le toit d’un Romain,
Il est bien plus honteux d’ignorer le latin !
Crainte, colère, amour, chagrin, secrets de l’âme,
Tout en grec ; c’est en grec qu’une amante se pâme.
Qu’à de jeunes beautés on passe un tel travers ;
Mais soupirer en grec après soixante hivers !
Vieille infâme, crois-tu que l’on puisse à ton âge
Te permettre en public cet obscène langage,

Zoé kai Psukê : modo sub lodice relictis
Uteris in turba. Quod enim non excitat inguen
Vox blanda et nequam ? digitos habet, ut tamen omnes
Subsidant pennae. Dicas haec mollius Hoemo
Quanquam et Carpophoro, facies tua computat annos.
 

Si tibi legitimis pactam junctamque tabellis
Non es amaturus, ducendi nulla videtur
Causa : nec est quare coenam et mustaces perdas, 20
Labente officio, crudis donanda, nec illud
Quod prima pro nocte datur, cum lance beata
Dacicus et scripte radiat Germanicus auro 21
 

Si tibi simplicitas uxoria, deditus uni
Est animus : submitte caput, cervice parata
Ferre jugum : nullam invenies quae parcat amanti.
Ardeat ipsa licet, tormentis gaudet amantis,
Et spoliis. Igitur longe minus utilis illi
Uxor, quisquis erit bonus optandusque maritus.
Nil unquam invita donabis conjuge : vendes,
Hac obstante, nibil ; nihil, haec si nolet, emetur.
Haec dabit affectus : ille excludetur amicus
Jam senior, cujus barbam tua janua vidit.
Testandi cum sit lenonibus atque lanistis
Libertas, et juris idem contingat arenae,

Ce Zoé kai Psuké, dans un hideux conflit,
Récemment étouffé sous le drap de ton lit ?
On sait tout ce que peut sur la faiblesse humaine,
La dangereuse voix d’une impure syrène.
Plus prompts que le toucher, ses lubriques accents
De l’impuissance même éveilleraient les sens ;
Mais, va ! ce doux refrain des amoureux mystères,
Plus mollement qu’Emus en vain tu le profères,
De dix lustres complets entassés sur ton front,
Tu n’en portes pas moins l’ineffaçable affront.

Si l’amour ne doit pas survivre à l’hyménée,
A quoi bon, Posthumus, en presser la journée ?
A quoi bon ce banquet, ces gâteaux délicats,
Friandise indigeste à la fin du repas ;
Et ce riche bassin, prix d’une ardeur pudique,
Où brille en pièces d’or le vainqueur germanique ?


Mais si, de ton épouse amant respectueux,
Tu veux bien consentir à combler tous ses vœux,
Au joug, d’un cœur soumis, cours présenter ta tête.
Toute femme prétend régner sur sa conquête :
Toutes, insultant même à l’amour d’un époux,
Se font de son tourment le plaisir le plus doux.
Et quand même la tienne à son devoir fidèle,
Répondrait à l’ardeur dont tu brûles pour elle,
Tu n’en serais pas moins pillé, persécuté :
L’amant le plus docile est le plus maltraité.
Oui, ta femme à son gré fera tout sans ton ordre :
Rien de ses volontés ne la fera démordre :
Elle seule aura droit de vendre, d’acquérir :
Elle te prescrira ceux que tu dois chérir :
L’ami que ta maison a connu dès l’enfance,
De paraître chez toi recevra la défense ;
L’histrion, le lutteur, dans ses droits respecté,
Dispose de ses biens en pleine liberté :
Toi, contraint de souscrire un codicile infâme,

Non unus tibi rivalis dictabitur heres.
Pone crucem servo. Meruit quo crimine servus
Supplicium ? quis testis adest ? quis detulit ? audi ;
Nulla unquam de morte hominis cunctatio longa est.
O demens ! ita servus homo est ? nil fecerit, esto ;
Hoc volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas.
Imperat ergo viro : sed mox haec regna relinquit,
Permutatque domos, et flamea conterit : inde
Advolat, et spreti repetit vestigia lecti.
Ornatas paulo ante fores, pendentia linquit
Vela domus, et adhuc virides in limine ramos.
Sic crescit numerus, sic fiunt octo marlti
Quinque per autumnos : titulo nos digna sepulchri. 22
 


Desperanda tibi salva concordia socru :
Illa docet spoliis nudi gaudere mariti :
Illa docet, missis a corruptore tabellis,
Nil rude, nec simplex rescribere : decipit illa
Custodes, aut aere domat. Tunc corpore sano
Advocat Archigenen, onerosaque pallia jactat.
Abditus interea latet et secretus adulter,
Impatiensque morae pavet, et praeputia ducit.
Scilicet exspectas ut tradat mater honestos,
Atque alios mores quam quos habet ? Utile porro
Filiolam turpi vetulae producere turpem.
 

Tu légueras les tiens aux amants de ta femme.
—Vite qu’à cet esclave un gibet soit dressé.
— Quel crime a-t-il commis ? qui vous l’a dénoncé ?
Avez-vous des témoins ? il faut au moins l’entendre.
Pour mettre un homme à mort, on ne peut trop attendre.
— Un homme ! l’imbécile ! est-ce un homme en effet
Qu’un misérable esclave ? au reste, il n’a rien fait :
Soit : mais il périra : je le veux, je l’ordonne ;
Et ma seule raison, c’est l’ordre que j’en donne.
Ainsi tu fléchirais sous le joug conjugal ;
Mais non ; elle renonce au voile nuptial,
Court porter chez un autre un amour infidèle,
Et bientôt, désertant cette maison nouvelle,
Ces bandeaux, ces festons, ces portiques sacrés
D’un feuillage encor vert récemment décorés,
Elle fuit, et chez toi revient avec audace,
Dans ton lit méprisé redemander sa place.
Voilà comme, en cinq ans, une femme chez nous,
Beau sujet d’épitaphe, a souvent huit époux !


Plus de repos pour toi, plus de paix sur la terre,
Si ta femme près d’elle a conservé sa mère.
Sa mère lui dira par quels adroits moyens,
On outrage un époux, on dissipe ses biens ;
Comment, en femme habile et sans se compromettre,
On fait à son amant parvenir une lettre ;
Et s’il faut endormir d’incommodes argus,
C’est elle qui bientôt les aura corrompus :
Près de sa fille alors elle appelle Archigène,
Écarte un drap trop lourd qui lui pèse et la gène ;
L’adultère introduit, de désirs palpitant,
S’excite dans un coin au plaisir qui l’attend.
Penses-tu qu’à l’honneur cette mère infidèle,
Puisse engager ta femme à vivre autrement qu’elle ?
D’une mère sans mœurs l’amour-propre blessé,
A corrompre sa fille est trop intéressé.


Nulla fere causa est, in qua non femina litem
Moverit. Accusat Manilia, si rea non est.
Componunt ipsae per se formantque libellos,
Principium atque locos Celso dictare paratae.
 
Endromidas Tyrias, et femineum ceroma
Quis nescit ? Vel quis non vidit vulnera pali, 23
Quem cavat assiduis sudibus, scutoque lacessit,
Atque omnes implet numeros ? dignissima prorsus
Florali matrona tuba, nisi si quid in illo 24
Pectore plus agitat, veraeque paratur arenae.
Quem praestare potest mulier galeata pudorem,
Quae fugit a sexu, vires amat ? Haec tamen ipsa
Vir nollet fieri ; nam quantula nostra voluptas !
Quale decus rerum, si conjugis auctio fiat,
Balteus et manicae, et cristae, crurisque sinistri 25
Dimidium tegmen ! Vel si diverse movebit
Praelia, tu felix, ocreas vendente puella !
Hae sunt quae tenui sudant in cyclade, quarum
Delicias et panniculus bombycinus urit.
Aspice quo fremitu monstratos perferat ictus,
Et quinto galeae curvetur pondere, quanta
Poplitibus sedeat ; quam denso fascia libro ;
Et ride, positis scaphium cum sumitur armis.
Dicite, vos, neptes Lepidi, Coecive Metelli,
Gurgitis aut Fabii, quae ludia sumpserit unquam



Il est peu de procès où l’ardente chicane
D’un sexe querelleur n’ait emprunté l’organe.
Manilie au barreau vient discuter les lois :
Accusée ou plaignante, elle y soutient ses droits,
Et seule rédigeant ses moyens de défense,
Donnerait à Celsus des leçons d’éloquence.

Qui n’a pas vu souvent des femmes sans pudeur
Usurper l’endromide et l’huile du lutteur ?
Qui n’a point, sur le psi en butte à leurs atteintes,
Remarqué de l’épieu les profondes empreintes ?
Art sublime et vraiment digne des jeux Floraux,
A moins que, méditant de plus rudes assauts,
En plein amphithéâtre, athlètes formidables,
Elles n’aillent livrer des combats véritables !
De quoi pourrait rougir, sous un casque effronté,
Celle qui, préférant la force à la beauté,
Pour sa seule vigueur prétend qu’on la renomme ?
Ne croyez point pourtant qu’elle voulût être homme.
Femme expérimentée, elle sait trop combien
Le plaisir d’un amant est moins vif que le sien ;
Le bel honneur pour toi, lorsque, dans une enchère,
Le crieur Machéra, d’une épouse si fière,
Adjuge au plus offrant, l’attirail tout entier,
Son cimier, ses jambarts, ses gants, son baudrier !
Ou que, dans d’autres jeux athlète plus savante,
Elle met en public ses bottines en vente !
Et voilà ces beautés qu’on voit si mollement
Succomber sous le poids du moindre vêtement,
Que d’un fil de Bombyx la simple trame écrase,
Que brûle, que dévore une légère gaze !
Regarde cependant ces habits retroussés,
Ce casque, ce jarret, ces coups sûrs et pressés,
Et ris, lorsqu’en un coin détachant leur ceinture,
Certain besoin les force à quitter leur armure.
Filles des Fabius, parlez : un histrion

Hos habitus ? quando ad palum gemat uxor Asyli ?
 

Semper habet lites alternaque jurgia lectus
In quo nupta jacet : minimum dormitur in illo.
Tunc gravis illa viro, tunc orba tigride pejor,
Cum simulat gemitus occulti conscia facti,
Aut odit pueros, aut ficta pellice plorat,
Uberibus semper lacrymis, semperque paratis
In statione sua, atque exspectantibus illam,
Quo jubeat manare modo. Tu credis amorem ;
Tu tibi tunc, curruca, places, fletumque labellis
Exsorbes : quae scripta, et quas lecture tabellas,
Si tibi zelotypae retegantur scrinia moechae !
Sed jacet in servi complexibus aut equitis. Dic,
Dic aliquem, sodes, dic. Quintiliane, colorem. 26
Haeremus. Dic ipsa : « Olim convenerat, inquit,
Ut faceres, tu, quod velles ; nec non ego possem
Indulgere mihi : clames licet, et mare coelo
Confundas, homo sum. » Nihil est audacius illis 27
Deprensis. Iram atque animos a crimine sumunt.
 

Unde haec monstre tamea, vel quo de fonte requiris ?

Livrerait-il sa femme à cette abjection ?
Et jamais a-t-on vu, contre un pieu, dans l’arène,
L’épouse d’Asylus s’escrimer hors d’haleine ?

Théâtre de discorde et de transports jaloux,
La couche nuptiale est l’enfer des époux :
On n’y saurait dormir ; et c’est lorsqu’une femme
De quelque tort secret s’accuse au fond de l’âme,
Qu’on la voit s’emporter comme un tigre en fureur,
Chez elle sans raison prendre tout en horreur ;
Tantôt persécuter ton affranchi fidèle ;
Tantôt te supposer une amante nouvelle ;
Et pour te mieux trahir, les yeux noyés de pleurs,
En soupirs de commande exhaler ses douleurs.
Sot époux ! ses soupirs ont pour toi mille charmes :
Tu crois que c’est l’amour qui fait couler ses larmes ;
Tu le crois, et ces pleurs longtemps étudiés,
Par tes lèvres déjà je les vois essuyés.
Oh ! que si tu pouvais, de cette digne épouse
Adultère à la fois effrontée et jalouse,
Ouvrir le portefeuille et lire les billets,
La belle découverte, et les touchants secrets !
Tu la surprends aux bras d’un insolent esclave ;
Au sein d’un chevalier tu la vois qui te brave ;
—Parle, si tu le peux, parle, Quintilien,
Parle, et pour l’excuser, cherche quelque moyen.
— Je n’en saurais trouver. — Eh bien ! parle toi-même.
— Moi ! dit-elle, affectant une assurance extrême ;
Quoi ! ne sommes-nous pas convenus entre nous,
Toi, de vivre à ton gré ; moi, de suivre mes goûts !
Pousse des cris, confonds et le ciel et la terre ;
Je suis homme ! Telle est leur audace ordinaire.
Prenez-les sur le fait, la honte dans leur cœur
Ne fait que redoubler la haine et la fureur.


D’où provient, diras-tu, cette horrible licence ?
Dans quelle source impure a-t-elle pris naissance ?

Praestabat castas humilis fortuna Latinas
Quondam, nec vitiis contingi parva sinebant
Tecta labor, somnique breves, et vellere Tusco
Vexate duraeque manus, ac proximus urbi
Annibal, et stantes Collina in turre mariti.
Nunc patimur longae pacis mala : saevior armis
Luxuria incubuit, victumque ulciscitur orbem.
Nullum crimen abest facinusque libidinis, ex quo
Paupertas Romana perit. Hinc fluxit ad istos.
Et Sybaris colles : hinc et Rhodos, et Miletos,
Atque coronatum, et petulans, madidumque Tarentum.
 

Prima peregrinos obscena pecunia mores
Intulit, et turpi fregerunt saecula luxu
Divitiae molles. Quid enim Venus ebria curat ?
Inguinis et capitis quae sint discrimina, nescit,
Grandia quae mediis jam noctibus ostrea mordet,
Cum perfusa mero spumant unguenta Falerno, 28
Cum bibitur concha, cum jam vertigine tectum
Ambulat, et geminis exsurgit mensa lucernis.
I nunc, et dubita qua sorbeat aëra sanna
Tullia, quid dicat note collactea Maurae,
Maura Pudicitiae veterem cum praeterit aram.
Noctibus hic ponunt lecticas, micturiunt hic,

Le voici, Posthumus ; la médiocrité
Jadis de tout péril sauvait la chasteté ;
Et si le Latium eut des femmes pudiques,
Les veilles, le travail, les besoins domestiques,
Annibal sous nos murs plantant ses étendards,
Les maris nuit et jour debout sur les remparts,
Voilà ce qui d’un peuple, armé pour sa défense,
Sous le chaume longtemps conserva l’innocence.
Maintenant accablés du plus grand des fléaux,
D’une trop longue paix nous subissons les maux.
Le luxe, les plaisirs, plus cruels que la guerre,
Ont enfin subjugué les maîtres de la terre :
Ils ont vengé le monde ; et le Tibre indompté
A vu fuir ses vertus avec sa pauvreté.
Rhodes et Sybaris, et Milet et Tarente
les roses, les festins, l’ivresse pétulante,
Apportant parmi nous des exemples impurs,
De la ville aux sept monta ont infecté les murs.

Infâme argent ! c’est toi qui, servant la mollesse,
De nos antiques mœurs énervas la rudesse !
C’est toi qui dans le sein d’un peuple de bergers
Répandis ce torrent de vices étrangers !
Et quels excès craindrait de commettre une femme,
Lorsqu’au milieu des nuits, dans une orgie infâme,
Elle peut, sans horreur, mêlant, confondant tout,
Des plus sales plaisirs affronter le dégoût,
Et que, d’huîtres gorgée, invoquant les bacchantes,
D’un falerne arrosé d’essences enivrantes,
Elle boit jusqu’à l’heure où les flambeaux doublés,
Se lèvent en tournant à ses regards troublés ?
Eh bien ! doute à présent des exploits de Tullie,
Des discours qu’elle tient à sa chère Julie,
De ses gestes lascifs, de son rire moqueur,
Quand elle voit l’autel de l’antique Pudeur !
C’est là que, dans la nuit, leur litière s’arrête :

Effigiemque Deae longis siphonibus implent,
Inque vices equitant, ac, luna teste, moventur.
Inde domos abeunt : tu calcas, luce reversa,
Conjugis urinam, magnos visurus amicos.
 

Nota bonae secreta Deae, cum tibia lumbos
Incitat, et cornu pariter vinoque feruntur
Attonitae, crinemque rotant, ululantque Priapi
Maenades. O quantus tunc illis mentibus ardor
Concubitus ! quae vox saltante libidine ! quantus
Ille meri veteris per crura madentia torrens !
Lenonum ancillas posita Saufeia corona
Provocat, et tollit pendentis praemia coxae :
Ipsa Medullinae frictum crissantis adorat :
Palmam inter dominas virtus natalibus aequat.
Nil ibi per ludum simulabitur ; omnia fient
Ad verum, quibus incendi jam frigidus aevo
Laomedontiades, et Nestoris hernia possit.
Tunc prurigo more impatiens, tunc femina simplez,
Et toto pariter repetitus clamor ab antro ;
Jam fas est, admitte viros. Jam dormit adulter ?

C’est là qu’à s’escrimer, l’une et l’autre s’apprête.
Au pied de l’autel même à la hâte on descend :
Et, comme d’un syphon, tout à coup jaillissant,
Un double filet d’eau, prompt effet de l’ivresse,
Inonde la statue et souille la déesse.
Alors on se défie, on s’étreint tour à tour,
Et Diane est témoin de cet horrible amour.
Chacune rentre ensuite, et, d’une audace égale,
Regagne effrontément la maison conjugale.
Et toi qui, devançant le lever du soleil,
Cours de tes protecteurs saluer le réveil,
Tu foules en chemin, sur la pierre glissante,
De ces obscénités la trace encor récente.

De la bonne déesse on connaît les secrets ;
On connaît de l’airain les rapides effets,
Lorsqu’aux accents du cor, des femmes éhontées,
Par les sons et le vin tout à coup transportées,
En tourbillons épars, avec des cris affreux,
Ménades de Priape, agitent leurs cheveux.
Quels désirai quels élans ! quels immondes vestiges,
Sur le parquet sali, trahissent leurs vertiges !
Des plus viles Phrynés provoquant les transports,
L’ardente Sauféia les saisit corps à corps ;
Elle emporte le prix, puis, devant Médulline,
En extase à son tour elle tombe et s’incline.
Entre elles la vigueur, en ce choc glorieux,
Égale la victoire à l’éclat des aïeux.
Ce n’est plus de l’amour une vaine peinture ;
Elles savent si bien imiter la nature,
Qu’elles enflammeraient et l’infirme Nestor,
Et les sens engourdis du vieux père d’Hector.
Mais l’ardeur est au comble, et ne peut plus attendre.
De tous les coins de l’antre, un cri se fait entendre ;
Un cri de rage : Ouvrez, Cybèle l’a permis ;
Ouvrez, et qu’à nos yeux les hommes soient admis.

Illa jubet sumpto juvenem properare cucullo.
Si nihil est, servis incurritur. Abstuleris spem
Servorum, veniet conductus aquarius hic si
Quaeritur et desunt homines : mora nulla per ipsam,
Quo minus imposito clunem submittat asello. 29
 
Atque utinam ritus veteres, et publics saltem
His intacta malis agerentur sacra ! Sed omnes
Noverunt Mauri atque Indi, quae psaltria penem 30
Majorem quam sunt duo Caesaris Anticatones 31
Illuc, testiculi sibi conscius unde fugit mus,
Intulerit, ubi velari pictura jubetur,
Quaecumque alterius sexus imitata figuram est.
Et quis tunc hominum contemptor numinis ? aut quis
Simpuvium ridere Numae, nigrumque catinum,
Et vaticano fragiles de monte patellas
Ausus erat ? Sed nunc ad quas non Clodius aras ?
Audio quid veteres olim moneatis amici :
Pone seram : cohibe. Sed quis custodiet ipsos
Custodes ? Cauta est, et ab illis incipit uxor.
 
Jamque eadern summis pariter minimisque libido :
Nec melior silicem pedibus quae conterit atrum,
Quam quae longorum vehitur cervice Syrorum.
Ut spectet ludos, conducit Ogulnia vestem ;
Conducit comites, sellam, cervical, arnicas,
Nutricem, et flavam, cui det mandata, puellam.
Haec tamen argenti superest quodcumque paterni

Que vient-on m’annoncer ? quoi ! mon amant sommeille !
Allez, que par mon ordre à l’instant on l’éveille,
Qu’il accoure. Il hésite ! esclaves soyez prêts.
Point d’esclaves ! eh bien, un rustre, un porte-faix.
Point d’homme ! En son dépit, Pasiphaé nouvelle,
Un époux mugissant pourrait approcher d’elle.

Plût au ciel que du moins ces transports odieux
N’eussent jamais souillé les autels de nos dieux !
Mais, des bords africains aux rivages du Gange,
Qui n’a point su comment une chanteuse étrange,
Du signe triomphant de sa virilité,
Surprit l’asile saint de la pudicité ;
Cet asile où, fidèle à de chastes usages,
D’un sexe différent on voile les images,
Et dont le rat timide et prompt à se cacher,
Avec un testicule aurait peur d’approcher ?
Quel mortel autrefois, quel railleur incrédule
Eût tourné de nos dieux le culte en ridicule ?
Quel impie eût osé du second de nos rois
Mépriser l’humble argile et les vases de bois,
Et la soucoupe noire, où, dans les sacrifices,
De la liqueur sacrée il versait les prémices ?
Maintenant quel autel n’a pas son Clodius ?
J’entends, mes vieux amis : des barreaux, des argus !
Mais par qui ferez-vous garder vos sentinelles ?
Une femme est adroite et commence par elles.



De la corruption qui gagne tous les rangs,
L’opprobre n’admet plus de degrés différents.
Plébéiennes à pied, matrones en litière,
Toutes de la décence ont franchi la barrière.
Voyez Ogulnia : pour assister aux jeux,
Elle prend à loyer des habits somptueux,
Une chaise, un cortège, et jusqu’à l’intrigante,
De ses ordres galants messagère élégante !
Du bien de ses aïeux ce qui lui reste encor,

Levibus athletis, ac vasa novissima donat.
Multis res angusta domi ; sed nulla pudorem
Paupertatis habet, nec se metitur ad ilium
Quem dedit haec posuitque modum. Tamen utile quid sit
Prospiciunt aliquando vin : frigusque famemque,
Formica tandem quidam expavere magistra,
Prodiga non sentit pereuntem femina censum :
Ac, velut exhausta redivivus pullulet arca
Nummus, et e pleno tollatur semper acervo,
Non unquam reputat quanti sibi gaudia constent.
 

Sunt quas eunuchi imbelles, ac mollia semper
Oscula delectent, ac desperatio barbae,
Et quod abortivo non est opus, Illa voluptas
Summa tamen, quod jam calida matura juventa,
Inguina traduntur medicis, jam pectine nigro.
Ergo exspectatos, ac jussos crescere primum
Testiculos, postquam coeperunt esse bilibres,
Tonsoris damno tantum, rapit Heliodorus.
Conspicuus longe, cunctisque notabilis intrat
Balnea, nec dubie custodem vitis et horti
Provocat, a domina factus spado. Dormiat ille
Cum domina ; sed tu jam durum, Posthume, jamque
Tondendum eunucho Bromium committere noli.
 


Si gaudet cantu, nuilius fibula durat
Vocem vendentis praetoribus : organa semper
In manibus : densi radiant testudine tota
Sardonyches : crispe numerantur pectine chordae,
Quo tener Hedymeles operam dedit : hunc tenet, hoc se

Sa vaisselle d’argent, son dernier vase d’or,
D’un imberbe histrion tout devient le partage.
La plupart à l’étroit vivent dans leur ménage ;
Mais de la pauvreté conservant la pudeur,
Aucune de ses vœux ne modère l’ardeur.
Les hommes quelquefois, songeant à la vieillesse,
Prennent de la fourmi des leçons de sagesse ;
La femme ne prévoit ni la soif ni la faim :
L’or, sans qu’elle le sente, échappe de sa main ;
Et, quand il faut jouir, ardente, insatiable,
Comme si, dans les flancs d’un coffre inépuisable,
Les écus renaissaient au gré de ses désirs,
Elle ne compte pas le prix de ses plaisirs.

D’autres, dans leurs amours, consultant la prudence,
A l’eunuque impuissant donnent la préférence ;
Ses baisers que sans crainte elles peuvent goûter,
Ne les exposent point à se faire avorter.
Le plaisir n’y perd rien ; et quand d’Héliodore,
Au moment attendu, l’acier le déshonore,
C’est qu’à leurs yeux déjà l’homme est fait tout entier,
Et l’opération ne fait tort qu’au barbier.
L’esclave ainsi traité par sa belle maîtresse,
Eclatant de fraîcheur, rayonnant de jeunesse,
Attire tous les yeux, en entrant dans nos bains,
Et délierait le dieu qui préside aux jardins.
Qu’au lit de ton épouse il aille prendre place ;
Mais sache, ô Posthumus, de sa lubrique audace
Sauver ton Bromius dont le poil déjà noir,
Indice de vigueur, appelle le rasoir.

Le goût de la musique a-t-il saisi ta femme ?
Plus de chanteur gagé qui résiste à sa flamme :
Plus d’anneau qui ne cède et ne tombe à sa voix.
Les instruments toujours résonnent sous ses doigts ;
Et la riche cithare, où la perle étincelle,
Ne répond qu’à l’archet de son cher Hédymèle.

Solatur, gratoque indulget basia plectro.
Quaedam de numero Lamiarum, ac nominis alti
Cum farre et vino Janum vestamque rogabat,
An Capitolinam deberet Pollio quercum 32
Sperare, et fidibus promittere. Quid faceret plus
Aegrotante viro ? medicis quid tristibus erga
Filiolum ? Stetit ante aram, nec turpe putavit
Pro cithara velare caput ; dictataque verba
Pertulit, ut mos est, et aperta palluit agna.
Dic mihi nunc, quaeso, dic, antiquissime Divum,
Respondes his, Jane pater ? Magna otia coeli !
Non est, ut video, non est, quod agatur apud vos.
Haec de comoedis te consulit : illa tragoedum
Commendare volet : varicosus fiet aruspe.
 
Sed cautet potius quam totem pervolet urbem
Audax et coetus possit quam ferre virorum ;
Cumque paludatis ducibus, praesente marito,
Ipsa loqui recta facie, strictisque mamillis.
Haec eadem novit quid toto fiat in orbe,
Quid Seres, quid Thraces agant : secreta novercae
Et pueri : quis amet, quis decipiatur adulter.
Dicet quis viduam praegnantem fecerit, et quo
Mense : quibus verbis concumbat quaeque, modis quot.
Instantem regi Armenio, Parthoque cometen
Prima videt : famam, rumoresque illa recentes

Cet archet précieux, sa joie et son trésor,
Elle le tient, le baise et le rebaise encor.
C’est ainsi qu’à nos yeux, aux yeux de Rome entière,
Une patricienne, une matrone altière,
D’offrandes et de sang remplissant les autels,
Naguère de ses vœux lassait les immortels ;
Et pourquoi ? pour savoir si le bel Hermogène
Obtiendrait au concours la couronne de chêne.
Qu’eût-elle fait de plus pour un époux souffrant,
Pour un père en danger, pour un fils expirant ?
Debout, devant l’autel, se donnant en spectacle,
C’était pour un chanteur qu’elle invoquait l’oracle,
Et que, le front voilé, de l’agneau palpitant,
Elle venait, tremblante, interroger le flanc !
Éternels habitants de la voûte céleste,
Vous avez, je le vois, bien des moments de reste !
Pauvre Janus ! ô toi des dieux le plus ancien !
L’une vient t’implorer pour un comédien !
L’autre pour un chanteur, l’autre… tes aruspices,
Trop longtemps sur leurs pieds, gagneront des varices.

Mais laisse la chanter plutôt que de souffrir
Qu’on la voie en tous lieux par la ville courir,
Et, le sein découvert, l’œil armé d’impudence,
Avec nos généraux parler en ta présence.
Pour une telle femme il n’est point de secrets :
Du Thrace et du Persan elle sait les projets ;
Elle sait ce qu’on dit dans les bains, au théâtre ;
Quel fils, au fond du cœur, brûle pour sa marâtre ;
Quelle veuve est enceinte, et quel est son amant ;
Quand ils se sont parlé ; combien de fois ; comment.
La première elle a vu, sous la voûte céleste,
La comète sanglante au roi parthe funeste ;
Et tout ce qu’on se plaît à semer sur nos bords,
De discours alarmants, d’infidèles rapports,
Au pied de nos remparts, debout, en sentinelle,

Excipit ad portas : quosdam facit. Isse Niphaten
In populos, magnoque illic cuncta arva teneri
Diluvio, nutare urbes, subsidere terras,
Quocumque in trivio, cuicumque est obvia, narrat.

 
Nec tamen id vitium magis intolerabile, quam quae
Vicinos humiles rapere, et concidere loris
Exorata solet ; nal si latratibus alti
Rumpuntur somni, fustes huc ocius, inquit,
Afferte, atque illis dominum jubet ante feriri,
Deinde canem. Gravis occursu, teterrima vultu,
Balnea nocte subit : conchas et castra moveri
Nocte jubet : magno gaudet sudare tumultu,
Cum lassata gravi ceciderunt brachia massa, 33
Callidus et cristae digitos impressit aliptes,
Ac summum dominae femur exclamare coegit.
Convivae miseri interes somnoque fameque
Urgentur. Tandem illa venit rubicundula, totum
Oenophorum sitiens, plena quod tenditur urna, 34
Admotum pedibus, de quo sextarius alter
Ducitur ante cibum, rabidam facturus orexim.
Dum redit, et loto terram ferit intestino,
Marmoribus rivi properant, aut lata Falernum
Pelvis olet : nam sic, tanquam alta in dolia longus
Deciderit serpens, bibit et vomit. Ergo maritus 35

Nulle autre n’en apprend les détails avant elle.
Elle invente au besoin. Tantôt du Niphat
Les flots ont entraîné troupeaux, moissons, guérets :
Tantôt la terre, ouvrant ses profondes entrailles,
A d’une ville entière englouti les murailles :
Des lacs ont disparu, des peuples sont détruits,
Et c’est elle partout qui va semer ces bruits.

Je tolère encor moins la cruelle mégère,
Qui, dans l’emportement d’une aveugle colère,
Enlève à ses foyers un voisin sans appui,
Et, lorsqu’on est venu la supplier pour lui,
Pour montrer que son cœur est sensible aux prières,
Le fait tout simplement passer par les lanières.
Qu’un chien, l’interrompant dans son profond sommeil,
En jappant à sa porte, ait hâté son réveil :
Holà ! Dave, Syrus ; des bâtons : courez vite ;
Courez, frappez le maître, et l’animal ensuite.
Faut-il aller au bain ? elle s’y rend la nuit.
Au cortège nombreux dont l’attirail la suit,
Vous diriez une armée emportant son bagage.
Le tumulte, l’effroi, règnent sur son passage.
Il s’agit de suer, c’est un plus grand fracas ;
Et, quand le plomb massif a fatigué son bras,
L’adroit baigneur approche, et d’une main lubrique,
La frotte, en homme instruit des goûts de la cynique
Chez elle cependant tout souffre et meurt de faim :
Tout succombe au sommeil : elle revient enfin,
Rubiconde, brûlant d’une soif si pressante,
Que l’œnophore entier qu’à ses pieds on présente,
La bacchante, en entrant, des yeux seuls l’engloutit.
Deux fois, pour redoubler son avide appétit,
Elle boit : et deux fois le vin qu’elle rejette,
Inonde le parquet ou remplit sa cuvette ;
Car, telle qu’un serpent tombé dans un tonneau,
Elle boit et vomit ; à ce hideux tableau,

Nauseat, atque oculis bilem substringit opertis.
 
Illa tamen gravior, quae, cum discumbere coepit,
Laudat Virgilium, periturae ignoscit Elisa :
Committit vates et comparat ; inde Maronem,
Atque alia parte in trutina suspendit Homerum.
Cedunt grammatici, vincuntur rhetores, omnis
Turba jacet, nec causidicus, nec praeco loquatur,
Altera nec mulier ; verborum tanta cadit vis !
Tot pariter pelves, tot tintinnabula dicas
Pulsari. Jam nemo tubas, nemo aera fatiget :
Una laboranti poterit succurrere Lunae.
Imponit finem sapiens et rebus honestis. 36
Nam quae docte nimis cupit et facunda videri,
Crure tenus medio tunicas succingere debet,
Caedere Sylvano porcum, quadrante lavari 37
Non habeat matrona, tibi quae juncta recumbit,
Dicendi genus ; aut curtum sermone rotato
Torqueat enthymema, nec historias sciat omnes :
Sed quaedam ex libris et non intelligat. Odi

Sentant à s’échapper sa bile toute prête,
L’époux ferme les yeux et détourne la tête.

Le supplice, à mon gré, le plus rude de tous,
Le plus propre à vexer un malheureux époux,
C’est une femme auteur, bavarde insupportable,
Qui du chantre d’Enée, en prenant place à table,
Commence par vanter le poème divin ;
S’attendrit sur Didon et son triste destin,
Compare les écrits, les juge en maître habile,
Et, la balance en main, pèse Homère et Virgile.
Tout fléchit devant elle et baisse pavillon :
Les rhéteurs sont vaincus ; les clients, le patron,
A ces cris qu’on prendrait pour un son de clochette,
Demeurent interdits et la bouche muette ;
Et de ce carillon tel est le bruit confus,
Que l’huissier, l’avocat, le plaideur, je dis plus,
Qu’une autre femme en vain voudrait se faire entendre.
Phoebé, toi que des cieux un charme a fait descendre,
A quoi bon ces bassins, ces clairons, ces tambours ?
Elle seule au besoin viendrait à ton secours.
Ce n’est pas encor tout ; philosophe nouvelle,
Le portique n’a rien qui soit caché pour elle.
Car, sitôt qu’une femme a la prétention
De briller par le style et l’érudition,
Elle peut bien aussi, discourant sur l’honnête,
Marquer le point précis où le juste s’arrête,
Se baigner pour un as, retrousser son manteau,
Et faire au dieu des bois l’offrande d’un pourceau.
Garde-toi, Posthumus, d’admettre dans ta couche,
La femme qui, toujours de grands mots à la bouche,
Rougirait de parler avec simplicité ;
Qui décoche avec art l’enthymème écourté ;
Qui sait tout, juge tout, histoire, vers et prose ;
Il est bon qu’une femme ignore quelque chose.
Pour moi, je ne saurais souffrir le vain jargon

Hanc ego, quae repetit volvitque Palaemoms artem.
Servata semper lege et ratione loquendi,
Ignotosque mihi tenet antiquaria versus ;
Nec curanda viris opicae castigat amicae
Verbe. Soloecasmum liceat fecisse marito.

Nil non permittit mulier sibi : turpe putat nil,
Cum virides gemmas collo circumdedit, et cum
Auribus extensis magnos commisit elenchos.
Intolerabilius nihil est quam femina dives.
Interea foeda aspectu, ridendaque multo
Pane tumet facies, aut pinguia Poppaeana
Spirat, et hinc miseri viscantur labra menti.
Ad moechum lota veniunt cute. Quando videri
Vult formosa domi ? Moechis foliata parantur :
His emitur quidquid graciles huc mittitis, Indi.
Tandem aperit vultum, et tectoria prima reponit :
Incipit agnosci, atque illo lacte fovetur,
Propter quod secum comites educit asellas 38,
Exul hyperboreum si dimittatur ad axem.
Sed quae mutatis inducitur, atque fovetur
Tot medicaminibus, coctaeque siliginis offas
Accipit et madidae, fades dicetur, an ulcus ?
Est pretium curae penitus cognoscere, toto
Quid faciant agitentque die. Si nocte maritus
Aversus jacuit, periit libraria ; ponunt

De celle qui ne fait qu’invoquer Palémon ;
Qui ne dit pas un mot sans citer la grammaire ;
Qui vient, à tout propos, ennuyeuse antiquaire,
Habile à déterrer des écrits vermoulus,
M’assommer de vieux vers que personne n’a lus ;
Et qui, dans son amie élevée au village,
Reprend avec aigreur des fautes de langage,
Que même dans un homme ou ne remarque pas.
La grammaire est fort bonne, et j’en fais très grand cas,
Mais je veux qu’une épouse, oubliant son purisme,
Parfois à son mari permette un solécisme.

Une femme peut tout, fait tout impunément,
Lorsque d’un précieux et rare diamant,
Son collier à nos yeux étale les merveilles,
Ou que de lourds pendants allongent ses oreilles.
Qu’une épouse opulente est un pesant fardeau !
Du soin d’entretenir la fraîcheur de sa peau,
Chez elle à tout moment on la trouve occupée ;
Son visage est enduit des pâtes de Poppée :
Elle en est rebutante, et l’époux caressant,
A la glu, sur sa bouche, est pris en l’embrassant
Elle se nettoiera, si son amant l’appelle.
Qu’importe à la maison qu’on soit plus ou moins belle ?
Ce n’est que pour l’amant qu’on soigne ses attraits,
Que des parfums de l’Inde on s’inonde à grands frais
Alors le masque tombe, on lève les compresses ;
Elle entre dans un bain fourni par des ânesses
Dont, fût-elle exilée aux plus rudes climats,
Elle ferait traîner un troupeau sur ses pas.
D’emplâtres, de parfums dégoûtant assemblage,
Que dire ? est-ce un ulcère ? ou bien est-ce un visage
Mais depuis le matin suivons-la jusqu’au soir.
L’époux a-t-il, la nuit, trompé son tendre espoir ?
Gare aux femmes d’atour ! intendante, coiffeuse,
Toutes vont lui payer cette injure odieuse.

Cosmetae tunicas ; tarde venisse Liburnus
Dicitur, et poenas alieni pendere somni
Cogitur. Hic frangit ferulas, rubet ille flagello,
Hic scutica. Sunt quae tortoribus annua praestent.
Verberat atque obiter faciem unit ; audit amicas,
Aut latum pictae vestis considerat aurum,
Et caedit ; longi relegit tranversa diurni,
Et caedit, donec, lassis caedentibus : Eri
Intonet horrendum, jam cognitione peracta.
Praefectura domus sicula non mitior aula !
Nam si constituit, solitoque decentius optat
Ornari, et properat, jamque exspectatur in hortis,
Aut apud Isiacae potius sacraria lenae : 39
Disponit crinem, laceratis ipsa capillis,
Nuda humeros Psecas infelix, undisque mamillis.
Altior hic quare cincinnus ? Taurea punit
Continuo flexi crimen facinusque capilli.
Quid Psecas admisit ? quaenam est hic culpa puellae,
Si tibi displicuit nasus tuus ? Altera laevum
Extendit, pectitque comas, et volvit in orbem.
Est in concilio matrona, admotaque lanis
Emerita quae cessat acu : sententia prima
Hujus erit : post banc, aetate atque arte minores
Censebunt, tanquam famae discrimen agatur,
Aut animae : tanta est quaerendi cura decoris !
Tot premit ordinibus, tot adhuc compagibus altum
Aedificat caput : Andromachen a fronte videbis ;

Le Liburne est venu trop tard : malheur à lui !
Il sera châtié pour le sommeil d’autrui.
L’un rougit de son sang les verges ;
L’autre, tunique bas, reçoit les étrivières ;
Celui-là du bâton se sent meurtrir le dos.
On en voit, à l’année, employer des bourreaux.
On frappe ! elle relève un journal de dépense,
On fait à son amie admirer l’opulence
D’un tissu rehaussé de larges franges d’or.
On frappe. Elle se farde. On frapperait encor ;
Mais les bourreaux sont las. Allons, c’est fait, dit-elle,
Sortez. De Phalaris la cour fut moins cruelle.
Veut-elle, en nos jardins, au milieu des Laïs,
Ou devant les autels de la commode Isis,
Se montrer plus parée encor qu’à l’ordinaire ?
Une Psécas tremblante, empressée à lui plaire,
La sein nu, les cheveux assemblés au hasard,
Accourt pour lui prêter le secours de son art.
Misérable ! pourquoi cette mèche trop haute ?
Soudain le nerf de bœuf a puni cette faute.
Ce crime qui jamais ne peut être expié,
Cet horrible forfait d’un cheveu mal plié !
Cette pauvre Psécas ! quel excès d’injustice !
Si ton nez te déplaît, faut-il qu’elle en pâtisse ?
Le côté gauche enfin, sous des doigts plus savants,
Se démêle, se roule en longs anneaux mouvants,
Là se trouve et préside une vieille édentée,
De l’aiguille aux fuseaux avec l’âge montée.
Elle opine d’abord, et les jeunes après,
Comme lorsqu’il s’agit, en un grave procès,
De sauver d’un client ou l’honneur ou la vie !
Tant elle a de briller une indomptable envie !
Au port de cette femme, à ses cheveux bouclés,
En étages nombreux sur son front assemblés,
En face vous diriez d’Hector la veuve altière ;

Post minor est : credas aliam. Cedo, si breve parvi
Sortita est lateris spatium, breviorque videtur
Virgine Pygmaea, nullis adjuta cothurnis,
Et levis erecta consurgit ad oscula planta.
Nulla viri cura interea, nec mentio fiet
Damnorum : vivit tanquam vicina mariti.
Hoc solo propior, quod amicos conjugis odit,
Et servos : gravis est rationibus.
 

Ecce furentis
Bellonae, matrisque deum chorus intrat, et ingens
Semivir, obsceno facies reverenda minori,
Molla qui rupta secuit genitalia testa
Jampridem, cui rauca cohors, cui tympana cedunt
Plebeia, et phrygia vestitur bucca tiara ;
Grande sonat, metuique jubet Septembris et Austri
Adventum, nisi se centum lustraverit ovis,
Et xerampelinas veteres donaverit ipsi, 40
Ut quidquid subiti et magni discriminis instat,
In tunicas est, et totum semel expiet annum.
Hybernum fracta glacie descendet in amnem ;
Ter matutino Tiberi mergetur, et ipsis
Vorticibus timidum caput abluet : inde Superbi
Totum Regis agrum nuda ac tremebunda cruentis
Erepet genibus. Si candida jusserit Io,
Ibit ad Aegypti finem, calidaque petitas

Mais quelle différence à la voir par derrière !
Je le crois aisément, puisque, sans brodequin,
Ce n’est plus qu’un pygmée, un ridicule nain,
Et que, pour embrasser l’objet de sa tendresse,
Sur la pointe des pieds il faut qu’elle se dresse !
Cependant elle court au lieu du rendez-vous,
Néglige sa maison, laisse là son époux.
Avec lui désormais elle vit en voisine ;
La seule affinité, c’est qu’elle le ruine,
Et que, pour l’affliger, se croyant tout permis,
Elle bat ses valets et chasse ses amis.

Des prêtres de Bellone et des chœurs de Cybèle,
Vois-tu l’impur essaim fondre en foule chez elle ?
Vois-tu ce grand eunuque, objet de leur respect !
Le cynique troupeau s’incline à son aspect ;
Et, la tiare en tête, en avant du cortège,
Seul de régler la marche il a le privilège.
Du ton d’un inspiré dans la fourbe enhardi :
De septembre, dit-il, et des vents du midi,
Profanes, redoutez les noires influences,
A moins que par cent œufs expiant vos offenses,
Vous n’ayez désarmé la céleste rigueur,
Ou que, pour détourner quelque soudain malheur,
Le don accoutumé de vos vieilles parures,
N’ait de l’année entière effacé les souillures.
Le matin dans le Tibre, au plus fort de l’hiver,
Trois fois, malgré la glace et la rigueur de l’air,
Elle courra plonger sa tête frémissante.
De là, s’il le prescrit, demi-nue et tremblante,
Autour du champ de Mars, que son sang rougira,
Sur ses genoux meurtris elle se traînera ;
Et s’il lui dit : Partez, la blanche Io l’ordonne :
Vous la verrez, soumise à l’ordre qu’on lui donne,
D’un voyage en Égypte affrontant le péril,
Après avoir franchi les rivages du Nil,

A Meroë portebit aquae, ut spargat in aedem
Isidis, antiquo quae proxima surgit ovili :
Credit enim ipsius dominae se voce moneri.
En animam et mentem, cum qua Di nocte loguantur !
Ergo hic praecipuum summumque meretur honorem,
Qui grege linigero circumdatus et grege calvo,
Plangentis populi currit derisor Anubis.
Ille petit veniam, quoties non abstinet uxor
Concubitu, sacris observandisque diebus ;
Magnaque debetur violato poena cadurco, 41
Et movisse caput visa est argentea serpens.
Illius lacrymae meditataque murmura praestent
Ut veniam culpae non abnuat, ansere magno
Scilicet et tenui popano corruptus Osiris.
 

Quum dedit ille locum, cophino foenoque relicto,
Arcanam Judaea tremens mendicat in aurem,
Interpres legum Solymarum, et magna sacerdos
Arboris, ac summi fida internuntia coeli.
Implet et ille manum, sed parcius. Aere minuto,
Qualiacumque voles, Judaei somnia vendunt.

Spondet amatorem tenerum, vel divitis orbi
Testamentum ingens, calidae pulmone columbae

De l’île Méroë rapporter l’onde sainte,
Et du temple d’Isis en arroser l’enceinte,
Non loin du champ modeste où le Tibre autrefois
Vit bondir les troupeaux du premier de nos rois.
Pourrait-elle hésiter, quand d’Isis elle-même
Elle croit accomplir la volonté suprême ?
Quand elle croit l’entendre ? Esprit digne en effet
Qu’un dieu pendant la nuit l’entretienne en secret !
Aussi quelle terreur, quel respect ridicule
Ne sait point inspirer à la foule crédule,
Ce fourbe environné d’un fanatique essaim
De ministres tondus et revêtus de lin,
Qui, d’un peuple abusé redoublant les alarmes,
Sous les traits d’Anubis, court et rit de ses larmes !
C’est lui dont la prière importunant les dieux,
Par des pleurs solennels et des élans pieux,
D’Osiris en fureur désarme la vengeance,
Quand de jeunes beautés, aux jours de continence,
Près d’elles par faiblesse ont admis un époux.
Quel châtiment cruel près de fondre sur vous !
Tremblez, car du serpent la tête vous menace ;
Il dit ; mais, à sa voix, Osiris leur fait grâce,
Osiris que ses pleurs et qu’un gâteau sacré,
A cet heureux pardon ont déjà préparé.
 

Une juive, laissant son foin et sa corbeille,
Vient ensuite en tremblant et mendie à l’oreille.
De Sion près d’un arbre interprétant les lois,
C’est de là que le ciel nous répond par sa voix.
Elle reçoit aussi le prix de ses prestiges ;
Mais on lui donne peu. Voulez-vous des prodiges ?
Parlez au premier juif : il vous en fournira
Au prix le plus modique, et tels qu’il vous plaira.

Un prêtre d’Arménie, espèce d’aruspice,
Aux flancs d’une colombe offerte en sacrifice,
Entrevoit, pour ta femme, un jeune et tendre amant,

Tractato, Armenius vel Commagenus aruspex.
Pectora pullorum rimabitur, exta catelli,
Interdum et pueri : faciet qod deferat ipse.

Chaldaeis sed major erit fiducia : quidquid
Dixerit astrologus, credent a fonte relatum
Ammonis, quoniam Delphis oracala cessant,
Et genus humanum damnat caligo futuri.
Praecipuus tamen est horum, qui saepius exul,
Cujus amicitia conducendaque tabella,
Magnus civis obiit, et formidatus Othoni.
Inde fides arti, sonult si dextera ferro,
Laevaque, si longo castrorum in carcere mansit.
Nemo mathematicus genium indemnatus habebit :
Sed qui pene periit, cui vix in Cyclada mitti
Contigit, et parva tandem caruisse Seripho.
Consulit ictericae lento de funere matris,
Ante tamen de te, Tanaquil tua : quando sororem
Efferat et patruos ? an sit victurus adulter
Poet ipsam ? quid euh majus dare numina possunt ?
 

Haec tamen ignorat quid sidus triste minetur
Saturni, quo laeta Venus se proferat astro,
Quis mensis damno, quae dentur tempora lucro.

Ou d’un riche vieillard l’immense testament.
D’un chien, d’un enfant même il fera sa victime,
Et c’est lui qui sera le délateur du crime.
 

Mais de ces imposteurs à l’envi consultés,
Ce sont les Chaldéens qui sont le plus ventés,
Et leurs oracles seuls de nos jours ont la vogue.
Qu’un mot soit prononcé par leur moindre astrologue,
On le croira sorti de la bouche d’Ammon ;
D’Ammon, car négligeant le trépied d’Apollon,
Sur l’avenir caché dans une nuit profonde,
Delphes à l’ignorance a condamné le monde.
Le premier de la troupe est ce fourbe obstiné,
Qui plus souvent qu’un autre à l’exil condamné,
D’un crayon complaisant, sur sa planche vénale,
De l’ennemi d’Othon traça l’heure fatale,
On ne croit à leur art que si de fers chargés,
Longtemps dans un cachot ils se sont vus plongés
Ce sont les fers en eux, le cachot qu’on vénère ;
Un imposteur absous n’est qu’un homme ordinaire.
Mais si des criminels près de subir l’arrêt,
Trop heureux par l’exil d’échapper au gibet,
Il s’est fait reléguer dans l’étroite Gyare,
Alors c’est un génie et chacun s’en empare.
Nouvelle Tanaquil, ton épouse d’abord
Ira l’interroger sur l’instant de ta mort ;
Sur le trépas trop lent d’une mère ictérique,
Sur le jour ou, suivant un convoi magnifique,
D’une sœur ou d’un oncle elle prendra le deuil.
Doit-elle précéder son amant au cercueil ?
Ah ! qu’il vive après elle ! une faveur si grande
Est tout ce qu’aux autels sa tendresse demande.

Elle ignore du moins sous quel signe en courroux
S’annoncent les fléaux près de fondre sur nous :
Quand Saturne est sinistre et Vénus favorable :
Quel mois porte bonheur : quel jour est redoutable

Illius occursus etiam vitare memento,
In cujus manibus, ceu pinguia succina, tritas
Cernis ephemeridas ; quae nullum consulit, et jam 42
Consulitur ; quae, castra viro patriamque petente,
Non ibit pariter, numeris revocata Thrasylli.
Ad primum lapidem vectari quum placet, hora
Sumitur ex libro : si prurit frictus ocelli
Angulus, inspecta genesi, collyria poscit.
Aegra licet jaceat, capiendo nulla videtur
Aptior hora cibo, nisi quam dederit Petosiris.


Si mediocis erit, spatium lustrabit utrumque
Metarum, et sortes ducet, frontemque manumque
Praebebit vati crebrum poppysma roganti. 43
Divitibus responsa dabunt Phryx augur et Indus
Conductus : dabit astrorum mundique peritus,
Atque aliquis senior, qui publica fulgura condit.
Plebeium in circo positum est et in aggere fatum.
Quae nudis longum ostendit cervicibus aurum,
Consulit ante Phalas delphinorumque columnas,
An saga vendenti nubat, caupone relicto.
 
Hae tamen et partus subeunt discrimen, et omnes
Nutricis tolerant, fortuna urgente, labores :

Souviens-toi, Posthumus, d’éviter en chemin
Celle qu’on voit toujours, ses tablettes en main,
Tourner et parcourir avec des yeux avides,
Les feuillets presque usés de ses éphémérides ;
Qui ne consulte plus, mais qu’on vient consulter ;
Qui, lorsque son époux, contraint de se hâter,
Doit rejoindre le camp ou regagner la ville,
Si le jour est contraire aux nombres de Thrasylle,
Ne pourra se résoudre à partir avec lui.
Veut-elle, pour tromper son indolent ennui,
Se faire transporter à cent pas de la porte ?
Son grimoire lui dit quand il faut qu’elle sorte.
Sent-elle au coin de l’œil une démangeaison ?
C’est son thème natal qui, pour la guérison,
Lui montre la recette en ce cas exigée.
Est-elle dans son lit au régime obligée ?
Pour l’heure qui convient aux aliments prescrits,
Elle n’ajoute foi qu’à son Pétosiris.

Celle qui n’appartient qu’à la classe commune,
Court, aux bornes du cirque, apprendre sa fortune ;
Elle tire les sorts, et l’habile devin
On lui touche le front, ou lui palpe la main.
Elle consent à tout et se prête sans honte
Aux baisers indécents qu’il lui demande à compte.
La plus riche interroge un prêtre phrygien,
Un habile astrologue, un augure indien,
Ou le vieillard chargé d’enfouir sous la terre
Les objets qu’en tombant profana le tonnerre.
Pour celui dont la foule apprend son vil destin,
On va le consulter dans le champ de Tarquin ;
Et celle qui, la tête et le cou sans parure,
Par un simple fil d’or retient sa chevelure,
Entre deux artisans incertaine en son choix,
Trouve aussi son oracle, auprès des tours de bois.


Mais la femme du moins, en cette classe obscure,

Sed jacet aurato vix ulla puerpera lecto ;
Tantum artes hujus, tantum medicamina possunt,
Quae steriles facit, atque homines in ventre necandos
Conducit ! Gaude, infelix, atque ipse bibendum
Porrige quidquid erit : nam si distendere vellet
Et vexare uterum pueris salientibus, esses
Aethiopis fortasse pater ; mox decolor heres
Impleret tabulas, nunquam tibi mane videndus.

Transeo suppositos, et gaudia votaque saepe
Ad spurcos decepta lacus, atque inde petitos 44
Pontifices Salios, Scaurorum nomina falso
Corpore laturos. Stat Fortuna improba noctu,
Arridens nudis infantibus ; hos fovet ulnis,
Involvitque sinu : domibus tunc porrigit altis,
Secretumque sibi mimum parat : hos amat, his se
Ingerit, utque suos ridens producit alumnos.
 

Hic magicos affert cantus, hic thessala vendit
Philtra quibus valeant mentem vexare mariti,
Et solea pulsare nates. Quod desipis, inde est ;

N’apprend point à tromper le vœu de la nature,
Et, pliant sous le joug de la nécessité,
Se soumet aux devoirs de la maternité.
L’hymen est plus commode où la richesse abonde.
Une couche dorée est rarement féconde,
Tant a fait de progrès dans son art inhumain,
Celle qui d’un breuvage exprimé de sa main,
Instruite à préparer la coupe délétère,
Sait tuer les enfants dans le sein de leur mère !
Applaudis-toi pourtant, époux infortuné ;
Et, loin de t’opposer au remède ordonné,
Toi-même à l’infidèle apporte le breuvage ;
Car, si de la nature accomplissant l’ouvrage,
De son flanc déchiré le fruit voyait le jour,
Elle ne remettrait peut-être à ton amour,
Qui sait ? qu’un Africain, monstre d’affreux présage,
Admis à partager un jour ton héritage,
Et dont, tous les matins, le visage odieux
De son horrible aspect te blesserait les yeux.

Je ne te parle pas de la femme impudente
Qui, trompant d’un époux la trop crédule attente,
Lui donne des enfants qu’elle n’a point portés ;
Malheureux orphelins sur la rive jetés,
Qui, dans l’éclat pompeux des dignités romaines,
Un jour, malgré le sang qui coule dans leurs veines,
Sous le nom des Scaurus marcheront triomphants.
La Fortune, parfois, sur ces faibles enfants,
La nuit, jette en passant un regard de tendresse,
Les réchauffe eu son sein, les berce, les carrosse,
Et de ses jeux secrets mystérieux acteurs,
Les élève en riant au faîte des grandeurs.

Un autre leur vendra des paroles magiques ;
Un autre, des poisons, des philtres thessaliques
Qui, d’un mari stupide offusquant les esprits,
Le livrent sans défense aux plus sanglants mépris

Inde animi caligo, et magna oblivio rerum
Quas modo gessisti. Tamen hoc tolerabile, si non
Et furere incipies, ut avunculus ille Neronis,
Cul totam tremuli frontem Caesonia pulli
Infudit. Quae non faciet quod principis uxor ?
Ardebant cuncta, et, fracta compage, ruebant
Non aliter quae fessicet Juno maritum
Insanum. Minus ergo nocens erit Agrippinae
Boletus, siquidem unius praecordia pressit
Ille senis, tremulumque caput descendere jussit
In coelum, et longam manantia labra salivam.
Haec poscit ferrum atque ignes ; haec potio torquet ;
Haec lacerat mistos equitum cum sanguine patres.
Tanti partus equae ! tanti una benefica constat !

 
Oderunt natos de pellice : nemo repugnet,
Nemo vetet ; jam jam privignum occidere fas est.
Vos ego, pupilli, moneo, quibus amplior est res,
Custodite animas, et nulli credite mensae
Livida materno fervent adipata veneno.
Mordeat ante aliquis, quidquid porrexerit illa
Quae peperit ; timidus praegustet pocula pappas.
 

Fingimus haec, altum satira sumente cothurnum Sciilicet : et, finem egressi legemque priorutu,
Grande sophocleo carmen bacchamur hiatu,

Alors comme égaré dans la nuit la plus noire,
Il n’aperçoit plus rien, il n’a plus de mémoire ;
Heureux s’il n’en vient pas jusques à la fureur,
Comme ce forcené, ce féroce empereur
A qui Césonia, par un secret breuvage,
Inspira tout à coup moins d’amour que de rage.
Ce qu’une impératrice a bien osé tenter,
Quelle femme aujourd’hui craindra de l’imiter ?
L’empire était en feu : tout allait se dissoudre :
Ou eût dit que Junon, du maître de la foudre
Venait de déranger le sublime cerveau.
Certes, le champignon qui mit Claude au tombeau,
N’a point d’un tel désastre effrayé nos murailles ;
D’un infirme vieillard déchirant les entrailles,
Il n’a fait que hâter son destin glorieux,
Et le précipiter à la table des dieux.
Mais l’oncle de Néron, altéré de carnage,
A peine du poison a senti le ravage,
Il brûle, il assassine et des petits, des grands,
Pêle-mêle égorgés, le sang coule à torrents.
Voilà l’effet cruel d’une coupe amoureuse !
Voilà les maux produits par une empoisonneuse !


Que d’une concubine, objet de sa fureur,
Une épouse trahie ait le sang en horreur :
J’y consens ; c’est l’usage ; et sa haine jalouse
Peut même ôter la vie au fils d’une autre épouse ;
Mais toi, riche pupille, à ses soins confié,
C’est toi que j’avertis ; crains sa fausse amitié ;
Crains la coupe, les mets apprêtés par ta mère ;
Que ta bouche jamais n’y touche la première,
Et qu’un tuteur tremblant entre elle et toi placé,
Goûte d’abord le vin qu’elle t’aura versé.

Loin du sentier battu per nos vieux satiriques,
Je poursuis, diras-tu, des monstres chimériques ;
Je chausse le cothurne, et rhéteur boursouflé,

Montibus ignotum Rutulis coeloque Latino.
Nos utinam vani ! sed clamat Pontia : Feci, 45
Confiteor, puerisque meis aconita paravi,
Quae deprensa patent : facinus tamen ipsa peregi.
Tune duos una, saevissima vipera, coena ?
Tune duos ? Septem, si septem forte fuissent.
Credamus tragicis, quidquid de Colchide torva
Dicitur et Procne. Nu contra conor, et illae
Grandia monstra suis audebant temporibus ; sed
Non propter nummos. Minor admiratio summis
Debetur monstris, quoties facit ira nocentem
Hunc sexum : rabie jecur incendente feruntur
Praecipites, ut saxa jugis abrupta, quibus mons
Subtrahitur, clivoque latus pendente recedit.
Illam ego non tulerim, quae computat, et scelus ingens
Sana facit. Spectant subeuntem fata mariti
Alcestim ; et, similis si permutatio detur,
Morte viri cupiant animam servare catellae.
Occurrent multae tibi Belides atque Eriphylae :
Mane Clytemnestram nullus non vicus hahebit.

Je viens, du ton pompeux d’un Sophocle ampoulé,
Conter avec emphase à mea lecteurs crédules,
Des excès inconnus sur les monts des Rutules,
Des crimes que jamais les Latins n’ont commis.
Plût au ciel, Posthumus ! mais écoute et frémis.
Oui, te dit Pontia, le crime est véritable
C’est moi qui fis périr mes enfants à ma table :
Du poison par mes mains le vase fut rempli :
Je l’ai fait, on m’a vue, et je n’ai point péri.
— Quoi ! deux fils innocents, détestable vipère,
Ont péri de ta main, de la main d’une mère !
Deux en un seul festin ! —Sept, dans un seul festin !
Si j’en avais eu sept, seraient morts de ma main !
— Du barbare Térée épouse parricide,
Et toi, monstre odieux qu’enfanta ta Colchide,
A vos plus noirs complots nous croyons maintenant ;
Vos meurtres, vos poisons n’ont plus rien d’étonnant ;
Tout est vrai ; mais du moins, si vous fûtes cruelles,
L’or n’a point mis le glaive en vos mains criminelles.
La femme que transporte un accès de fureur,
Quel que soit son forfait, m’inspire moins d’horreur ;
C’est un roc menaçant dont la masse ébranlée,
Du mont dont il s’arrache, au fond de la vallée
Tombe et se précipite et roule avec fracas.
Le plus tache, à mes yeux, de tous les attentats,
C’est celui qu’une avare et perfide mégère
Médite froidement et commet sans colère.
Tous les jours sur la scène, attendrissant les cœurs,
Alceste, en s’immolant, nous fait verser des pleurs :
Offrez à nos beautés la même alternative :
Dites à cette épouse au spectacle attentive,
De choisir d’un Admète ou d’un chien favori ;
Son choix est déjà fait : périsse le mari.
Vous trouverez partout quelque sœur d’Hypermnestre,
Et demain chaque rue aura sa Clytemnestre.

Hoc tantum refert, quod Tyndaris illa bipennem
Insulsam et fatuam dextra laevaque tenebat ;
At nunc res agitur tenui pulmone rubetae :
Sed tamen et ferro, si praegustarit Atrides
Pontica ter victi cautus medicamina Regis 46
 

Mais du moins Clytemnestre en un transport soudain,
Exécuta son crime une hache à la main :
Les nôtres n’ont besoin que d’un simple breuvage,
Du glaive toutefois prêtes à faire usage,
Si leur Agamemnon redoutant le trépas,
A leurs perfides soins ne s’abandonnent pas,
Et qu’imitant ce roi vaincu dans trois batailles,
A l’abri du poison il eût mis ses entrailles.

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SATIRE VII.


César seul est l’espoir, le soutien du talent ;
Seul, en ce siècle ingrat, d’un regard bienveillant,
Il a rendu la vie aux Muses inquiètes,
Lorsqu’on voyait déjà nos plus fameux poètes,
Des bains, des fours publics se faire les fermiers,
S’abaisser sans rougir à des emplois d’huissiers,
Et la triste Clio, réduite à la détresse,
Pour les palais des grands désertant le Permesse.
Dans le fait, pauvre auteur, si le docte vallon
Ne donne pas un as aux enfants d’Apollon,
Que ne vas-tu plutôt adjuger des tablettes,
Des urnes, des trépieds, de vieilles cassolettes,
La Thèbes de Faustus, son drame de Progné,
Et les vers en paquet du chantre d’Evadné ?
Ne vaudrait-il pas mieux, compagnon de Machère,
Exposer, comme lui, des haillons à l’enchère,
Que d’aller, d’un témoin trahissant le devoir,
Dire au préteur : J’ai vu, ce que tu n’as pu voir ?
Laisse cette ressource à ces nobles d’Asie,
Qui, de la Cappadoce et de la Galatie,
Nu-pieds dans nos remparts débarquant par milliers,
Y font voir tous les ans de nouveaux chevaliers.

 

Mais les temps sont changés, et l’homme de génie
A des vers éloquents mariant l’harmonie,
Le poète divin qui mordit le laurier,
N’aura plus à rougir d’un indigne métier.


Nemo tamen studiis indignum ferre laborem
Cogetur posthac, nectit quicumque canons
Eloquium vocale modis, laurumque momordit. 3
Hoc agite, o juvenes ! circumspicit et stimulat vos,
Materiamque sibi ducis indulgentia quaerit.
Si qua aliunde putas rerum exspectanda tuarum
Praesidia, atque ideo croce membrana tabellae
Impletur, lignorum aliquid posce ocius, et, quae
Componis, dona Veneris, Thelesine, marito ;
Aut claude, et positos tinea pertunde libellos.
Frange miser calamos, vigilataque praelia dele,
Qui facis in parva sublimia carmina cella,
Ut dignus venias hederis et imagine macra. 4
Spes nulla ulterior : didicit jam dives avarus
Tantum admirari, tantum laudare disertos,
Ut pueri Junonis avem. Sed defluit aetas
Et pelagi patiens, et cassidis, atque ligonis :
Taedia tunc subeunt animos ; tunc seque suamque
Terpsichoren odit facunda et nuda senectus.

Accipe nunc artes, ne quid tibi confenat iste
Quem colis, et Musarum et Apollinis aede relicta.
Ipse facit versus, atque uni cedit Homero
Propter mille annos. At, si dulcedine famae

Courage, jeunes gens, les couronnes sont prêtes,
Et César, qui vous voit, en veut ceindre vos têtes.
Si, comptant par hasard sur tes doctes écrits,
Tu crois pouvoir d’ailleurs en recevoir le prix ;
Si c’est dans ce dessein que ta fertile plume
Ne cesse d’entasser volume sur volume :
Fais apporter du bois, mon cher Thélésinus,
Et livre ton ouvrage à l’époux de Vénus,
Ou laisse-le, caché dans quelque armoire obscure,
Et du temps et des vers devenir la pâture.
Toi surtout, malheureux, qui, dans un noir réduit,
A de sublimes vers travailles jour et nuit,
Efface ces combats, triste fruit de tes veilles ;
Romps ta plume et renonce à ces doctes merveilles.
Que t’en reviendra-t-il ? un buste décharné,
D’une branche de lierre à demi couronné.
Tout autre espoir est nul. Le talent le plus rare,
Quelque prisé qu’il soit d’un opulent avare,
Trompeuse illusion des plus grands écrivains !
N’en recevra jamais que des éloges vains !
Telle d’enfants légers une troupe volage,
De l’oiseau de Junon admire le plumage.
Tous les jours cependant, l’âge fait des progrès ;
Tous les jours moins habile aux travaux de Cérès,
Aux fatigues de Mars, aux courses de Neptune,
On se dégoûte enfla d’une vie importune !
Et, vieillards éloquents, mais nus et sans appui,
Nous détestons Phœbus et nous-mêmes avec lui !

Du patron qui t’arrache à l’asile des Muses,
Client trop dévoué, maintenant vois les ruses :
Il fait aussi des vers ; et, pour payer les tiens,
Croit te donner assez en te lisant les siens ;
Car, s’il veut bien céder le pas au seul Homère,
C’est grâce à ses mille ans. Mais la gloire t’est chère ;
Et, parmi nos lecteurs tu veux te faire un nom.

Succensus recites, Maculonus commodat aedes
Ac longe ferrata domus servire jubetur,
In qua sollicitas imitatur janus portas. 5
Scit dare libertos extrema in parte sedentes
Ordinis, et magnas comitum disponere voces.
Nemo dabit regum, quanti subsellia constent,
Et quae conducto pendent anabathra tigillo,
Quaeque reportandis posita est orchestra cathedris. 6
Nos tamen hoc agimus, tenuique in pulvere sulcos
Ducimus, et littus sterili versamus aratro.
Nam si discedas, laqueo tenet ambitiosi
Consuetudo mali, tenet insanabile multos
Scribendi cacoethes, et aegro in corde senescit.

Sed vatem egregium, cui non sit publica vena,
Qui nil expositum soleat deducere, nec qui
Communi feriat carmen triviale moneta ;
Hunc qualem nequeo monstrare, et sentio tantuin,
Anxietate carens animus facit, omnis acerbi
Impatiens, cupidus silvarum, aptusque bibendis
Fontibus Aonidum. Neque enim cantare sub antro
Pierio, thyrsumve potest contingere sana
Paupertas ; atque aeris inops, quo nocte dieque
Corpus eget. Satur est, quum dicit Horatius, Euoe !
Quis locus ingenio, nisi quum se carmine solo
Vexant, et dominis Cirrhae Nysaeque feruntur

Parle, Maculonus te prête sa maison,
Maison toute de fer, dont on prendrait la porte
Pour celle d’une ville ou d’une place forte.
A venir t’applaudir ses clients empressés,
Ses esclaves nombreux, aux derniers rangs placés,
De tes vers accueillis par un bruyant murmure,
Du geste et de la voix soutiendront la lecture ;
Mais les planches, les bancs, les fauteuils à loyer,
Nul Mécène pour toi ne voudra les payer.
Nous persistons pourtant, et d’un soc inutile,
Ne cessons de creuser un rivage stérile.
Des filets dont la gloire a su nous enlacer,
En vain nous essayons de nous débarrasser :
L’habitude l’emporte, et rien ne peut détruire
Ce mal ambitieux, cette rage d’écrire,
Qui, chez le plus grand nombre augmentant par degré,
S’envenime et vieillit dans un cœur ulcéré.


Mais aussi, que faut-il pour former un poète
Qui dédaigne la voie où la foule se jette ?
Qui, laissant tout sujet commun et trivial,
Frappe au coin du génie un vers original ?
Un poète, en un mot, tel que dans ma pensée,
S’il n’en existe pas, l’image en est tracée ?
C’est un esprit exempt de tout pénible soin,
Ne formant nul désir, n’éprouvant nul besoin,
Ne cherchant que les bois, les eaux et l’harmonie,
Et digue de puiser aux sources d’Aonie.
La froide pauvreté, triste, mourant de faim,
N’a jamais, la cithare ou le thyrse à la main,
D’un génie inspiré senti l’heureux délire.
Horace a bien dîné quand il monte sa lyre.
Que peut en son essor un poète arrêté,
Si du dieu seul des vers son cœur n’est tourmenté ?
Si, laissant d’autres soins se partager son âme,
D’accord avec Bacchus, Apollon ne l’enflamme ;

Pectora nostra duas non admittentia curas ?
Magnae mentis opus ; nec de lodice paranda
Attonitae, currus, et equos, faciesque deorum
Aspicere, et qualis Rutulum confundat Erinnys.
Nam si Virgilio puer, et tolerabile deesset
Hospitium, caderent omnes a crinibus hydri ;
Surda nihil gemeret grave buccina. Poscimus, ut sit
Non minor antiquo Rubrenus Lappa cothurno,
Cujus et alveolos et laenam pignerat Atreus ?
Non habet infelix Numitor quod mittat amico ;
Quintiliae quod donet, habet nec defuit illi,
Unde emeret multa pascendum carne leonem
Jam domitum : constat leviori bellua sumptu
Nimirum, et capiunt plus intestina poetae.

 
 

Contentus fama jaceat Lucanus in hortis
Marmoreis ; at Serrano tenuique Saleio
Gloria quantalibet quid erit, si gloria tantum est ?
Curritur ad vocem jucundam, et carmen amicae
Thebaïdos, laetam fecit quum Statius urbem,
Promisitque diem, tanta dulcedine captos
Afficit ille animos, tantaque libidine vulgi
Auditur ! sed quum fregit subsellia versu,

Si, lorsque, s’élançât au milieu des hasards,
Il veut peindre les dieux, leurs coursiers et leurs chars,
Ou l’horrible Erinnys, d’un accent plein de rage,
Du superbe Turnus étonnant le courage,
Le besoin d’un habit réprimant son transport,
De son esprit tendu vient briser le ressort ?
Virgile, sans esclave, en proie à l’indigence,
De sa fière Gorgone excitant la vengeance,
Eût-il d’affreux serpents hérissé ses cheveux,
Et, comblant de limon les implacables vœux,
Le bruit sourd du cornet qui sema tant d’alarmes,
Eût-il fait accourir tant de peuples en armes ?
Et l’on veut que Lappa, plein d’une noble ardeur,
Rende au cothurne grec son antique splendeur,
Lui qui, pour subsister, comptant sur son ouvrage,
Emprunte sur sa toge et met sa coupe en gage !
Pour venir au secours du poète indigent,
Numitor, son ami, n’a point assez d’argent ;
Mais à Quintilia prodiguant les largesses,
Il en a bien assez pour payer ses tendresses ;
Il en a bien assez pour nourrir à grands frais,
Ce lion que pour lui l’on dompta tout exprès.
En effet, un lion, quelque prix qu’on l’achète,
Coûte moins, et surtout mange moins qu’un poète !

Que le riche Lucain, dans ses jardins pompeux,
Vive heureux de l’honneur qui suit un nom fameux ;
Qu’importe à Rubrenus une gloire éclatante,
Si de la gloire seule il faut qu’il se contente ?
Au public amoureux de ses brillants concerts,
Pour un jour désigné, Stace a promis ses vers.
Rome est dans l’allègresse et, de plaisir avide,
La foule impatiente attend sa Thébaïde :
Tant le chantre divin, par un charme vainqueur,
Sait, en flattant l’oreille, arriver jusqu’au. cœur !
Mais ces cris convulsifs d’un public idolâtre,

Esurit, intactam Paridi nisi vendat Agaven. 7
Ille et militi multis largitur honorem,
Semestri vatum digitos circumligat auro. 8
Quod non dant proceres, dabit histrio. Tu Camerinos
Et Bareas, tu nobilium magna atria curas !
Praefectos Pelopea facit, Philomela tribunos.
Haud tamen invideas vati, quem pulpita pascunt.
Quis tibi Maecenas ? quis nunc erit aut Proculeius,
Aut Fabius ? quis Cotta iterum, quis Lentulus alter ?
Tunc par ingenio pretium, tunc utile multis
Pallere, et vinum toto nescire decembri.
 

Vester porro labor fecundior, historiarum
Scriptores ; petit hic plus temporis, atque olei plus :
Namque oblita modi millesima pagina surgit
Omnibus, et crescit multa damnosa papyro.
Sic ingens rerum numerus jubet, atque operum lex.
Quae tamen inde seges ? terre quis fructus apertae ?
Quis dabit historico, quantum daret acta legenti ?
Sed genus ignavum, quod lecto gaudet et umbra.
 

Dic igitur, quid caussidicis civilia praestent
Officia, et magno comites in fasce libelli ?

Qui brise, en trépignant, les bancs de son théâtre,
Qu’en va-t-il retirer ? rien : et mourant de faim,
La misère bientôt à ses jours mettra fin,
Si Pâris, prévenant un destin si funeste,
Pour les jeux du préteur n’achète son Oreste ;
Pâris qui, transformant les auteurs en guerriers,
Leur donne l’anneau d’or, en fait des chevaliers !
Ce que les grands n’ont droit d’accorder à personne,
Ce qu’ils ne donnent pas, un histrion le donne.
Pourquoi des Baréas mendier les bienfaits ?
Progné fait des tribuns, Agave des préfets.
Gardons-nous toutefois d’envier au poète,
Un pain que le talent à si grands frais achète.
Dans Rome maintenant où sont les Laelius,
Les Pison, les Cotta, les Proculéius ?
La récompense alors égalait le génie :
Alors s’abandonnant à sa docte manie,
Le poète sevré du vin et des plaisirs,
Voyait fructifier ses immortels loisirs.

Du grave historien le labeur plus utile.
Sans doute à nos auteurs ouvre un champ moins stérile ?
L’histoire veut du temps, de l’assiduité ;
C’est là qu’avec effort, longuement enfanté,
Sous l’austère burin, un éternel ouvrage
Enfle, augmente, s’élève à la millième page ;
C’est là qu’un écrivain se ruine en papier.
Que lui vaut, cependant, cet aride métier ?
En connaît-on un seul, à qui, pour son salaire,
On voulût accorder ce qu’on paye au notaire ?
Mais ce genre d’ouvrage, à l’ombre, sur un lit,
Dans un calme indolent, sans fatigue s’écrit.

Passons donc au Forum : voyons quelle fortune
A ceux que des plaideurs la cohue importune,
Rapportent du barreau les éloquents débats,
Et ces sacs de papiers qu’ils traînent sur leurs pas.

Ipsi magna sonant ; sed tunc, quum creditor audit,
Precipue : vel si tetigit latus acrior illo,
Qui venit ad dubium grandi cum codice nomen.
Tunc immensa cavi spirant mendacia folles,
Conspuiturque sinus. Veram deprendere messem
Si libet, hinc centum patrimonia caussidicorum,
Parte alia solum russati pone Lacernae. 9
 
Consedere duces surgis tu pallidus Ajax
Dicturus dubia pro libertate, Bubulco 10
Judice. Rumpe miser tensum jecur, ut tibi lasso
Figantur virides, scalarum gloria, palmae.
Quod vocis praetium ? siccus petasunculus, et vas 11
Pelamidum, aut veteres, Afrorum epimenia, bulbi,
Aut vinum Tiberi devectum, quinque lagenae.
Si quater egisti, si contigit aureus unus,
Inde cadunt partes ex foedere pragmaticorum.
Aemilio dabitur quantum petet ; et melius nos
Egimus. Hujus enim stat. currus aheneus, alti
Quadrijuges in vestibulis, atque ipse feroci
Bellatore sedens curvatum hastile minatur
Eminus, et statua meditatur praelia lusca.
Sic Pedo conturbat, Matho deficit ; exitus hic est 12

Ils font grand bruit, surtout lorsqu’avec défiance,
Un client inquiet assiste à l’audience,
Ou qu’un autre, plaidant sur un titre douteux,
Armé d’un long journal, vient s’asseoir auprès d’eux.
Alors de leurs poumons, gonflés comme une éponge,
Ils expriment le fiel, ils souillent le mensonge,
Et l’écume à grands flots se répand sur leur sein.
Eh bien ! te plairait-il d’apprécier leur gain ?
Choisis cent avocats des mieux famés de Rome ;
De leurs biens réunis d’un côté mets la somme,
De l’autre, les biens seuls d’un cocher en faveur,
Et de ces deux métiers vois quel est le meilleur.

Les juges sont assis. Toi, pâle de colère,
D’un client que menace un puissant adversaire,
Tu viens, nouvel Ajax, venger la liberté.
Au siège du préteur Bubulcus est monté :
Allons ! malheureux, parle, échauffe-toi, fulmine ;
Que des cris déchirants te brisent la poitrine,
Pour voir, à ton retour, un futile laurier
Orner de ta maison le rapide escalier.
Que va t’offrir l’ingrat qui te doit d’être libre ?
Cinq bouteilles d’un vin arrivé par le Tibre,
De vieux oignons d’Égypte, un jambon desséché,
Ou quelque vil poisson dans la bourbe pêché ;
Et si, par quatre fois, ta sublime défense,
D’un brillant plaidoyer a rempli l’audience,
Et qu’une pièce d’or te tombe par hasard,
Songe qu’au procureur il en faut une part.
— D’où vient qu’Aemilius, avec moins d’éloquence,
Obtient tout ce qu’il veut ? —Voici la différence :
C’est que, sous son portique, un quadrige pompeux,
Et sa statue équestre, et ce front belliqueux,
Et ce dard qu’il dirige au loin, d’un œil oblique,
Attirent le respect et la faveur publique.
Ce faste a ses dangers : il endetta Paulus,

Tongilli, magno cum rhinocerote lavari
Qui solet, et vexat lutulenta balnea turba,
Perque forum juvenes longo premit assere Moesos,
Empturus pueros, argentum, murrhina, villas :
Spondet enim Tyrio stlataria purpura fluo.
Et tamen est illis hoc utile ; purpura vendit
Caussidicum, vendunt amethystina ; convenit illis
Et strepitu, et facie majoris vivere census.
Sed finem impensae non servat prodiga Roma.
 

Fidimus eloquio ? Ciceroni nemo ducentos
Nunc dederit nummos, nisi fulserit annulus ingens.
Respicit hoc primum qui litigat, an tibi servi
Octo, decem comites, an post te sella, togati
Ante pedes. Ideo conducta Paulus agebat
Sardonyche, atque ideo pluris quam Gallus agebat,
Quam Basilus. Rara in tenui facundia panno.
Quando licet Basilo flentem producere matrem ?
Quis bene dicentem Basilum ferat ? Accipiat te
Gallia, vel potius nutricula caussidicorum

Il ruina Mathon, il perdra Tongillus,
Ce Tongillus qu’on voit, dans son luxe sans borne,
D’un grand rhinocéros faire porter la corne,
Quand d’esclaves crottés qui le suivent au bain,
Arrive avec son huile un turbulent essaim.
Voyez-vous au Forum, sous sa masse grossière,
Suer ses Moesiens et ployer sa litière ?
On dirait qu’à pleins sacs puisant dans son trésor,
Il va tout acheter, esclaves, coupes d’or,
Murrhins, maisons de ville et maisons de campagne.
A son manteau de pourpre, au train qui l’accompagne,
On n’exige de lui nulle autre sûreté :
La pourpre et l’améthyste ont leur utilité,
Et cet éclat trompeur d’une fausse opulence,
Du plus mince avocat fait vendre l’éloquence ;
Mais à Rome aujourd’hui montrant un front d’airain,
La prodigalité ne connait plus de frein.

Sur l’art de bien parler vous compteriez peut-être ?
Mais, lui-même, au forum, s’il venait à renaître,
Cicéron, sans un gros et riche diamant,
A deux fois cent écus prétendrait vainement.
Avez-vous huit porteurs, dix clients, une escorte ?
Votre riche litière attend-elle à la porte ?
Voilà tout ce qu’il faut pour gagner un procès ;
Voilà comment Gallus obtient tant de succès ;
Comment, à la faveur d’une agathe empruntée,
Éblouissant les yeux de la foule enchantée,
Il supplante Paulus et plaide plus souvent.
Sous un mauvais habit on n’est guère éloquent.
En effet, quand voit-on d’une mère en alarmes,
Gallus au tribunal faire parler les larmes ?
Qui souffrirait Gallus quelque bien qu’il plaidât ?
Laisse donc le barreau, malheureux avocat ;
Et si tu veux, enfin, mettre à profit ta langue,
Pour recevoir le prix d’une docte harangue,

Africa, si placuit mercedem ponere linguae.
 

Declamare doces, o ferrea pectora Vetti !
Quum perinhit saevos classis numerosa tyrannos.
Nam quaecumque sedens modo legerat, haec eadem stans
Proferet, atque eadem cantabit versibus isdem.
Occidit miseros crambe repetita magistros.
Quis color, et quod sit causae genus, atque ubi summa
Quaestio, quae veniant diversae forte sagittae,
Scire velint omnes ; mercedem solvere nemo.
Mercedem appellas ? quid enim scio ? Culpa docentis
Scilicet arguitur, quod laeva in parte mamillae 13
Nil salit Arcadico juveni, cujus mihi sexta
Quaque die miserum dirus caput Annibal implet,
Quidquid id est, de quo deliberat, an petat Urbem
A Cannis, an post nimbos et fulmina cautus 14
Circumagat madidas a tempestate cohortes.
Quantumvis stipulare, et protinus accipe, quod do,
Ut toties ilium pater audiat. Haec alii sex,
Vel plures, uno conclamant ore sophistae,
Et veras agitant lites, raptore relicto ;
Fusa venena silent, malus ingratusque maritus,
Et quae jam veteres sanant mortaria caecos.

Va trouver le Gaulois ou plutôt l’Africain.
Eux seuls, à tes pareils, donnent au moins du pain.

Et toi qui sur les bancs d’une nombreuse école,
Exerçant des enfants à l’art de la parole,
Leur apprends à combattre un tyran inhumain,
As-tu donc des poumons ou de fer ou d’airain ?
Ce qu’ils ont lu debout, assis pour le relire,
Cent fois sur le même air ils vont te le redire.
Qui tiendrait, Vettius, à la satiété
D’un si fade aliment si souvent répété ?
Chacun voudrait savoir, en traitant une cause,
Expliquer avec art le but qu’il se propose,
En observer le genre, en exposer les faits,
Et lançant à propos d’inévitables traits,
Se garantir des coups d’un adroit adversaire.
Un seul obstacle arrête, un seul ; c’est le salaire.
— Qu’appelles-tu salaire ? et qu’ai-je appris chez toi ?
— Si tu naquis stupide, est-ce ma faute, à moi ?
En ai-je moins souffert l’ennui périodique
Et de tes arguments et de ta rhétorique,
Lorsque tous les six jours, dans un style banal,
Tu me rompais la tête avec ton Annibal :
« Doit-il, fier du succès de trois grandes batailles, »
De Cannes en vainqueur marcher vers nos murailles ? »
Doit-il, interprétant la volonté des dieux,
» Au fracas de la foudre et des vents furieux, »
Averti du danger qui menace sa tête,
» Replier ses drapeaux battus par la tempête ? »
Que sais-je ? mais voyons : que me demandez-vous ?
Je le donne à l’instant, si de pareils dégoûts,
Son père, parvenant, lui-même, à se défendre,
Aussi souvent que moi se résigne à l’entendre.
Voilà de nos rhéteurs l’unanime refrain ;
Et las de labourer un stérile terrain,
Laissant là Pélias, Jason, Médée, Hélène,

Ergo sibi dabit ipse rudem, si nostra movebunt
Consilia, et vitae diversum iter ingredietur,
Ad pugnam qui rhetorica descendit ab umbra,
Summula ne pereat, qua vilis tessera venit
Frumenti : quippe haec merces lautissima ! Tenta
Chrysogonus quanti doceat, vel Polio quanti 15
Lautorum pueros, artem scindens Theodori.
Balnea sexcentis, et pluris porticus, in qua
Gestetur dominus, quoties pluit : Anne serenum
Exspectet, spargatque luto jumenta recenti ?
Hic potius ; namque hic mundae nitet ungula mulae.
Parte alia longis Numidarum fulta columnis
Surgat, et algentem rapiat cœnatio solem.
Quanticumque domus, veniet qui fercula docte
Componat, veniet qui pulmentaria condit.
Hos inter sumptus sestertia Quintiliano,
Ut multum, duo sufficient : res nulia minoris
Constabit patri, quam filius. Unde igitur tot
Quintilianus habet saltus ? Exempla novorunt
Fatorum transi : felix, et pulcher, et acer ;
Felix, et sapiens, et nobilis, et generosus,
Appositam nigrae lunam subtexit alutae : 16
Felix, orator quoque maximus, et jaculator ;
Et, si perfrixit, cantat bene. Distat enim, quae

Pour des procès réels ils entrent dans l’arène.
Le rhéteur, cependant, s’il veut changer d’état,
Aurait tort, suivant moi, de se faire avocat ;
Il y perdrait bientôt jusques à la tessère,
De son premier emploi récompense légère ;
Car le peu, quel qu’il soit, qu’on gagne à ce métier,
Est beaucoup pour celui qui le daigne payer.
Regardez Pollion, consultez Chrysogone ;
Voyez pour quel salaire ou plutôt quelle aumône,
Aux nobles héritiers de nos grandes maisons,
De l’art de Théodore ils donnent des leçons !
On n’épargnera rien pour construire un portique ;
Voudrait-on, quand il pleut, qu’un patron magnifique
Attendît, pour sortir, que l’orage eût cessé,
Ou qu’il salît son char dans la bourbe enfoncé ?
Sous un portique au moins une mule élégante,
Conserve le pied sec et la corne luisante.
Vingt colonnes plus loin, s’élançant dans les airs,
D’une salle exposée au soleil des hivers,
De leur marbre pompeux embelliront l’entrée :
C’est la salle, en décembre, aux festins consacrée.
L’officier qui préside à l’ordre des banquets,
Celui dont l’art profond assaisonne les mots,
Ajouteront encore à ces folles dépenses :
Et toi, Quintilien, parmi ces frais immenses,
Deux sesterces au plus acquitteront tes soins.
Riches, ce sont vos fils qui vous coûtent le moins.
—Mais, ce Quintilien, d’où vient donc sa fortune ?
— C’est une exception à la règle commune,
Un caprice du sort. Heureux, l’homme ici-bas
Voit tous les dons en foule accourir sur ses pas ;
Il porte la lunule : il est noble, il est sage.
Heureux, force et beauté lui tombent en partage ;
Heureux, c’est l’orateur, le sophiste en crédit,
Et, fût-il enrhumé, s’il chante on l’applaudit.

Sidera te excipiant modo primos incipientem
Edere vagitus, et adhuc a matre rubentem.
Si fortuna volet, fies de consule rhetor ;
Si volet haec eadem, fies de rhetore consul.
Ventidius quid enim ? quid Tullius ? Anne aliud quam 17
Sidus, et occulti miranda potentia fati ?
Servis regna dabunt, captivis fata triumphos.
Felix ille tamen corvo quoque rarior albo.
Poenituit multos vanae sterilisque cathedra,
Sicut Thrasymachi probat exitus, atque Secundi
Carrinatis ; et hunc inopem vidistis, Athenae,
Nil praeter gelidas ausae conferre cicutas.
Di majorum umbris tenuem et sine pondere terram,
Spirantesque crocos, et in urna perpetuum ver,
Qui praeceptorem sancti voluere parentis
Esse loco ! Metuens virgae jam grandis Achilles
Cantabat patriis in montibus et cui non tunc
Eliceret risum citharoedi cauda magistri ?
Sed Rufum atque alios caedit sua quemque juventus,
Rufum, qui toties Ciceronem Allobroga dixit. 18
 


Quis gremio Enceladi doctique Palaemonis affert

Car tout vient du hasard ; tout tient à l’influence
De l’astre sous lequel nous avons pris naissance.
La fortune fera, si telle est son humeur,
D’un rhéteur un consul, d’un consul un rhéteur.
Bassus et Tullius prouvent-ils autre chose
Qu’une puissance occulte, une invisible cause
Qui mène, qui fait tout, et change quelquefois
Les captifs en vainqueurs, les esclaves en rois ?
Sans doute il fut heureux l’homme extraordinaire
Qui, pour le consulat descendit de sa chaire ;
Mais l’histoire offre peu de ces succès brillants,
Et l’on en compterait moins que de corbeaux blancs.
Combien d’autres, entrés dans la même carrière,
Ont perdu tristement leur existence entière !
Témoin Thrasimachus ; témoin ce Carinas
Qu’Athènes vit périr et ne secourut pas,
Athènes bien plus prompte à donner la ciguë !
Puisse sur vos cercueils la terre répandue,
Ne vous point accabler d’un trop pesant fardeau !
Puisse d’un doux printemps l’aspect toujours nouveau
Ne montrer aux regards, sur vos urnes chéries,
Que rameaux odorants, que guirlandes fleuries,
Vous, antiques Romains, qui, par de saintes lois,
D’un sage gouverneur reconnaissiez les droits !
Vous qui lui remettiez l’autorité d’un père !
D’un maître rigoureux craignant la verge austère,
Achille déjà grand, du centaure Chiron,
Sur les monts paternels, répétait la leçon.
Qui n’eût ri de la queue et du maintien bizarre
D’un centaure donnant des leçons de cithare ?
De ces temps fortunés les mœurs sont loin de nous,
Et de ses écoliers Rufus reçoit des coups,
Ce Rufus qui du droit qu’un vil pédant s’arroge,
Appela tant de fois Cicéron Allobroge.

Quel père, appréciant des travaux assidus,

Quantum grammaticus meruit labor ? et tamen ex hoc,
Quodcumque est (minus est autem quam rhetoris aera),
Discipuli custos praemordet Acoenonoëtus,
Et, qui dispensat, frangit sibi. Cede, Palaemon,
Et patere inde aliquid decrescere, non aliter quam
Institor hiberna tegetis niveique cadurci,
Dummodo non pereat mediae quod noctis ab hora
Sedisti, qua nemo faber, qua nemo sedebat,
Qui docet obliquo lanam deducere ferro ;
Duinmodo non pereat totidem olfecisse lucernas,
Quot stabant pueri, quum totus decolor esset
Flaccus, et haereret nigro fuligo Maroni.
Rara tamen merces, quae cognitione tribuni
Non egeat. Sed vos saevas imponite leges,
Ut praeceptori verborum regula constet,
Ut legat historias, auctores novent omnes,
Tanquam ungues digitosque suos, ut forte rogatus,
Dum petit aut thermas aut Phoebi balnea, dicat
Nutricem Anchisae, nomen patriamque novercae 19
Anchemoli ; dicat quot Acestes vixerit annos,
Quot Siculus Phrygibus vini donaverit urnas.
Exigite ut mores teneros ceu pollice ducat,

Au savant Palémon, au docte Encéladus,
Pour les pénibles soins qu’exige la grammaire,
Du rhéteur seulement accorde le salaire ?
Et pourtant, sur ce fruit de leur triste labeur,
Il leur faut, sans compter le droit du gouverneur,
Mettre encor de côté la port de l’économe.
Que faire, Palémon ? céder, et sur ta somme
Souffrir, comme un marchand, cet insolent rabais :
Trop heureux si, touchant le reste sans délais,
Tu n’as pas vu périr tout le fruit de ta peine !
Si, quand le forgeron et le cardeur de laine
Goûtaient tranquillement un paisible sommeil
Toi, devançant de loin le lever du soleil,
Au milieu des grimauds qui gâtaient, dans ta classe,
Les chefs d’œuvre enfumés de Virgile et d’Horace,
Tu n’as pas, sans profit, en ton grenier obscur,
D’un fétide lambris respiré l’air impur !
Que dis-je ? du préteur obtiens une sentence,
Ou n’attends de tes soins aucune récompense
Courage ! père ingrat : exige désormais
Qu’un maître en ses discours ne se trompe jamais :
Exige qu’il connaisse et la fable et l’histoire :
Que le ciel l’ait doué d’une heureuse mémoire :
Qu’il puisse nettement, lorsqu’en allant au bain,
Il te vient par hasard quelque doute en chemin,
Aux moindres questions répondre sans remise :
Te dire quelle était la nourrice d’Anchise :
Te désigner le nom, t’indiquer le pays
De celle qui, cédant aux transports d’un beau-fils,
A la cour de Rhétus, se souilla d’un inceste :
A quel âge précis mourut le bon Aceste ;
Et combien, de ce roi sensible à son destin,
Enée en le quittant reçut d’outres de vin !
Exige qu’avec soin, comme un sculpteur habile,
Façonnant de tes fils la molle et tendre argile,

Ut si quis cera vultum facit : exigite ut sit
Et pater ipsius coetus, ne turpia ludant,
Ne faciant vicibus. Non est leve tot puerorum
Observare manus oculosque in fine trementes.
Haec, inquit, cures, et, quum se verterit annus,
Accipe, victori populus quod postulat, aurum. 20

Par de sages leçons il conserve leurs mœurs :
Qu’avec les yeux d’un père il pénètre en leurs cœurs :
Qu’il leur fasse du vice haïr les turpitudes ;
Qu’il observe en un mot leurs moindres habitudes,
Et leurs doigts libertins et leurs yeux convulsifs.
Certes, un tel emploi veut des soins attentifs !
— N’est-ce pas ton devoir, et te fais-je une injure,
Dit le père ? prends donc tes gages sans murmure,
Et reçois, pour un an, l’or qu’aux jeux du préteur,
Le peuple fait donner à l’athlète vainqueur.

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SATIRE VIII.


Qu’importe, Ponticus une illustre naissance ?
Qu’importe d’étaler avec magnificence,
De ses aïeux rangés dans un ordre pompeux,
Les antiques portraits, les titres fastueux,
Les Scipions debout sur leur char de victoire,
Et, parmi ces tronçons ou de marbre ou d’ivoire,
Des Drusus mutilés, des Scaurus en éclats,
Un Galba sans oreille, un Corvinus sans bras,
Lorsque de ces héros, noircis par la fumée,
L’opprobre de tes mœurs flétrit la renommée ?
Lorsqu’aux yeux d’un Lépide, à l’aspect d’un Paulus,
Tu te livres sans frein à tes goûts dissolus,
Et que, les dés en main, passant la nuit entière,
A peine au point du jour tu fermes la paupière,
A l’heure où, préparant des triomphes nouveaux,
Déjà ces nobles chefs déployaient leurs drapeaux ?
Que sert à Fabius, fier de l’autel d’Hercule,
Que le pur sang des dieux dans ses veines circule,
Si, mortel orgueilleux, avide, efféminé,
Le trafic des poisons dont il est soupçonné,
Démentant les exploits de ces grands personnages,
De honte devant lui fait rougir leurs images ?
De cent titres en vain il marche revêtu,
Il n’est qu’une noblesse, elle est dans la vertu.

Descendant des Drusus, des vainqueurs de Carthage,
De leurs mœurs, avant tout, montre-moi l’héritage ;
Que l’éclat de ta vie efface leurs tableaux



Præcedant ipsas illi te consule virgas :
Prima mihi debes animi bona. Sanctus haberi,
Justitiæque tenax factis dictisque mereris ?
Agnosco procerem. Salve, Gœtulice, seu tu
Silanus, quocumque alio de sanguine, rarus
Civis et egregius patriæ contingis ovanti.
Exclamare libet populus quod clamat, Osiri
Invente. Quis enim generosum dixerit hunc, qui
Indignus genere, et præclaro nomine tantum
Insignis ? Nanum cujusdam Atlanta vocamus ;
Æthiopem, cycnum ; parvam extortamque puellam,
Europen. Canibus pigris scabieque vetusta
Levibus, et siccæ lambentibus ora lucernæ,
Nomen erit pardus, tigris, leo, si quid adhuc est,
Quod fremat in terris violentius. Ergo cavebis,
Et metues, ne tu sic Creticus aut Camerinus.
His ego quem monui ? tecum est mihi sermo, Rubelli
Blande. Tumes alto Drusonam sanguine, tanquam
Feceris ipse aliquid, propter quod nobilis esses,
Ut te conciperet, quæ sanguine fulget Iuli,
Non quæ ventoso conducta sub ære texit.
Vos humiles, inquis, vulgi pars ultima nostri,
Quorum nemo queat patriam monstrare parentis :
Ast ego Cecropides. Vivas, et originis hujus 3
Gaudia longa feras : tamen ima plebe Quiritem
Facundum invenies : solet hic defendere causas
Nobilis indocti ; veniet de plebe togata

Consul, que la vertu précède tes faisceaux.
Ce que je veux, ce sont les qualités de l’âme.
Est-ce le seul honneur qui te guide et t’enflamme ?
Es-tu de l’équité l’inflexible soutien ?
Je reconnais un grand. Salut, Émilien,
Ou Cossus, ou Caton ; salut, mortel illustre,
Dont Rome triomphante emprunte un nouveau lustre.
Je te vois, je t’accueille avec les mêmes cris
Que l’habitant du Nil retrouvant Osiris.
Mais j’appellerais noble un mortel méprisable
Qui n’a pour lui qu’un nom dont le fardeau l’accable !
Nous disons quelquefois d’un nain, c’est un Atlas ;
D’un enfant contrefait, c’est un nouvel Hylas ;
D’un chien maigre et pelé qui d’une lampe aride
Sans force, en se tramant, lèche le bec fétide,
C’est un tigre, un lion, un noble léopard,
Un animal plus fier, s’il en est quelque part.
Tremble que ne soit en ce sens ironique,
Qu’on te décore aussi du surnom de Crétique,
— A qui donc adressé-je une telle leçon ?
—A Blandus, qui du sang des Drusus, des Néron,
Nous vient avec orgueil relever l’avantage,
Comme si sa noblesse était son propre ouvrage ;
Comme si par lui seul il avait mérité
Qu’une fille des rois dans ses flancs l’ait porté,
Plutôt que d’être issu de l’obscure Romaine
Qui travaille en plein air à ses tissus de laine.
Vous autres, nous dit-il, jetés aux derniers rangs,
Vous qui ne pourriez pas nous nommer vos parents,
Vous n’êtes qu’une ignoble et vile populace.
Moi, l’antique Cécrops est l’auteur de ma race.
— Eh bien ! fils de Cécrops, triomphe et sois heureux ;
Triomphe d’être né d’un sang si généreux ;
Mais pourtant n’est-ce pas dans cette populace,
Que l’on voit tous les jours les gens de votre race,

Qui juris nodos et legum ænigmata solvat.
Hic petit Euphraten juvenis, domitique Batavi 4
Custodes aquilas, armis industrius : at tu
Nil nisi Cecropides, truncoque simillimus Hermæ.
Nullo quippe alio vincis discrimine, quam quod
Illi marmoreum caput est ; tua vivit imago.
 
Dic mihi, Teucrorum proles, animalia muta
Quis generosa putet, nisi fortia ? Nempe volucrem
Sic laudamus equum, facili cui plurima palma
Fervet, et exsultat rauco victoria circo.
Nobilis hic, quocumque venit de gramme, cujus
Clara fuga ante alios, et primus in æquore pulvis.
Sed venale pecus Corythæ, posteritas et
Hirpini, si rara jugo victoria sedit.
Nil ibi majorum respectus, gratia nulla
Umbrarum : dominos pretiis mutare jubentur
Exiguis ; trito ducunt epirhedia collo
Segnipedes, dignique molam versare Nepotis.
Ergo ut miremur te, non tua, primum aliquid da,
Quod possim titulis incidere præter honores
Quos illis damus et dabimuss, quibus omnia debes.
 

Pour venger la noblesse et défendre ses droits,
Pour résoudre au barreau les énigmes des lois,
Pour démêler les nœuds de la jurisprudence,
Venir d’un avocat implorer l’éloquence ?
N’est-ce point là, malgré votre injuste dédain,
Qu’on trouve les vainqueurs de l’Euphrate et du Rhin,
Et ceux dont la vaillance aux rives du Batave,
Veille sous les drapeaux qui le tiennent esclave ?
Mais toi, fils de Cécrops, sans ton nom, tu n’es rien,
Et d’un buste d’Hermès mis à côté du tien,
Si nous ne trouvons pas la ressemblance entière,
C’est que l’un est vivant, et que l’autre est de pierre.

Dis-moi, grand citoyen, noble sang d’Iulus,
Quels sont les animaux qu’on estime le plus ?
On fait cas d’un coursier qu’on voit dans la carrière,
Le premier, sous ses pas, soulevant la poussière,
Aux acclamations des spectateurs surpris,
Raser, franchir la borne et remporter le prix :
Qu’il ait de ses rivaux surpassé la vitesse,
On ne demande pas ses titres de noblesse ;
Mais d’Hirpin, d’Eoüs l’indigne rejeton,
Si jamais le héraut n’a proclamé son nom,
Si jamais dans le cirque on n’a vu la victoire,
Assise sur le joug, le guider vers la gloire,
En dépit des aïeux dont il est descendu,
Au marché sans honneur dans la foule est vendu.
Là, que font les exploits, les ombres des ancêtres ?
Il faut, au plus vil prix, passer à d’autres maîtres,
Et le front incliné sous d’ignobles travaux,
Aller tourner la meule ou tramer les râteaux.
Veux-tu donc, d’un beau nom héritier magnanime,
Par toi seul, ô Blandus, mériter notre estime ?
Né d’illustres parents, sois illustre à ton tour ;
Et qu’un titre nouveau vienne se joindre un jour
A ceux qu’on a donnés et que l’on donne encore


Hæc satis ad juvenem, quem nobis fama superbum
Tradit, et inflatum plenumque Nerone propinquo.
Rarus enim ferme sensus communia in illa
Fortuna. Sed te censeri laude tuorum,
Pontice, noluerim, sic ut nihil ipse futuræ
Laudis agas. Miserum est aliorum incumbere famæ,
Ne collapsa ruant subductis tecta columnis.
Stratus humi palmes viduas desiderat ulmos.

Esto bonus miles, tutor bonus, arbiter idem
Integer : ambiguæ si quando citabere testis
Incertæque rei, Phalaris licet imperet ut sis
Falsus, et admoto dicat perjuria tauro,
Summum crede nefas animam præferre pudori,
Et propter vitam vivendi perdere causas.
Dignus morte petit, cœnet licet ostrea centum
Gaurana, et Cosmi toto mergatur aheno.
 
Exspectata diu tandem provincia quuum te
Rectorem accipiet, pone iræ frena modumqne,
Pone et avaritiæ ; miserere inopum sociorum.
Ossa vides regum vacuis exsucta medullis.

Aux hommes vraiment grands dont la vertu t’honore.

Mais laissons là ce fat enorgueilli, dit-on,
Et gonflé de l’honneur d’être issu de Néron :
Chez tous ces favoris de l’aveugle fortune,
Le sens commun n’est point une chose commune.
Pour toi, cher Ponticus, j’aurais trop de regret,
Si de ton propre honneur négligeant l’intérêt,
Quand tu peux par toi-même illustrer ta mémoire,
Le nom de tes aïeux faisait toute ta gloire.
Il est trop malheureux de n’avoir pour appui
Que le fragile étai du mérite d’autrui.
Tel, privé du soutien d’une colonne antique,
S’écroule tout à coup un temple magnifique ;
Tel un cep tortueux vers la terre penché,
Languit loin de l’ormeau dont il est détaché.

Sois fidèle tuteur, sois soldat intrépide :
Juge, à tous tes arrêts que l’équité préside ;
Et s’il faut témoigner sur un fait incertain,
Quand lui-même, à tes yeux, de son taureau d’airain,
Phalaris, préparant l’effroyable torture,
Viendrait, le glaive en main, te dicter un parjure,
Résiste, et des bourreaux défiant la fureur,
Songe que préférer l’existence à l’honneur,
Et renoncer, pour vivre, aux motifs de la vie,
Est le comble du crime et de l’ignominie.
Qui mérite la mort n’existe déjà plus :
C’est en vain que, parmi les mets d’un Lucullus,
Les huîtres de Lucrin sur ses tables abondent,
En vain que de Cosmus tous les parfums l’inondent.

Tes vœux sont accomplis, te voilà gouverneur ;
Mais à ce haut emploi porté par la faveur,
Prends garde à l’avarice, étouffe la colère,
Des peuples alliés épargne la misère ;
Là tu verras des rois, spectacle attendrissant !
Dont les questeurs de Rome ont sucé tout le sang :

Respice quid moneant leges, quid curia mandet ;
Præmia quanta bonos maneant ; quam fulmine justo
Et Capito et Numitor ruerint, damnante senatu,
Piratæ Cilicum. Sed quid danmatio confert,
Cum Pansa eripiat quidquid tibi Natta reliquit ?
Præconem, Chærippe, tuis circumspice pannis, 5
Jamque tace. Furor est post omnia perdere naualum.
 
Non idem gemitus olim, nec vulnus erat par
Damnorum, sociis florentibus, et modo victis.
Plena domus tunc omnis, et ingens stabat acervus
Nummorum, Spartana chlamys, conchylia Coa,
Et cum Parrhasii tabulis signisque Myronis
Phidiacum vivebat ebur, necnon Policleti
Multus ubique labor : raræ sine Mentore mensæ.
Inde Dolabella est, atque hinc Antonius ; inde
Sacrilegus Verres. Referebant navibus altis
Occulta spolia, et plures de pace triumphos. 6
Nunc sociis juga pauca boum, grex parvus equarum,
Et pater armenti capto eripietur agello
Ipsi deinde Lares, si quod spectabile signum,
Si quis in ædicula deus unicus : hæc etenim sunt
Pro summis ; nam sunt hæc maxima. Despicias tu
Forsitan imbelles Rhodios unctamque Corinthum ;
Despicias merito. Quid resinata juventus,

Des lois et du sénat respecte la puissance :
Vois de l’homme de bien qu’elle est la récompense :
Vois du Cilicien hardis spoliateurs
Capiton, Numitor, ces avides préteurs,
Corsaires enrichis aux dépens de corsaires,
Crouler en plein sénat sous des foudres sévères ;
Mais que font au brigand qui remplace Verrès,
Du sénat irrité les impuissants décrets,
Si le peu que laissa ce proconsul avare,
Un autre sur ses pas arrive et s’en empare ?
Si Tutor à Verrès succède sans effroi ?
Vends tes derniers haillons, Chérippus, et tais-toi.
A quoi bon, pour te plaindre, affrontant le naufrage,
Aller risquer encor les dépens du voyage ?

Les vaincus, accablés d’un joug moins rigoureux,
Au temps de la conquête étaient encore heureux.
Ils portaient sans gémir le fardeau de leurs chaînes :
Le vol était proscrit : les maisons étaient pleines :
La pourpre s’y montrait parmi des monceaux d’or ;
Et des Parrhasius, des Myron, des Mentor,
L’art, animant la toile et le marbre et l’ivoire,
Des beaux jours de la Grèce y conservait la gloire.
C’est plus tard que l’on vit un Antoine, un Verrès,
Pirates triomphants à l’ombre de la paix,
Des tributs entassés de vingt peuples fidèles,
Charger furtivement leurs poupes criminelles.
Maintenant que ravir à ces infortunés ?
D’un troupeau languissant les restes décharnés ;
Un taureau sans vigueur, quelques bœufs faméliques,
Ou les bustes sacrés de leurs dieux domestiques,
S’il leur en reste un seul de quelque prix encor ;
Car est là leur plus cher et leur dernier trésor.
Des peuples énervés de Rhodes et de Corinthe,
Méprise, j’y consens, la mollesse et la plainte ;
Leur murmure impuissant n’est point à redouter ;

Cruraque totius facient tibi levia gentis ?
Horrida vitanda et Hispania, Gallicus axis,
Illyricumque latus. Parce et messoribus illis
Qui saturant urbem, circo scenæque vacantem.
Quanta autem inde feres tam dira premia culpæ,
Quum tenues nuper Marius discinxerit Afros ?
Curandum in primis, ne magna injuria fiat
Fortibus et miseris : tollas licet omne quod usquam est
Auri atque argenti ; scutum gladiumque relinques,
Et jacula, et galeam. Spoliatis arma supersunt.
Quod modo proposui, non est sententia, verum
Credite me vobis folium recitare Sibyllæ.
 
Si tibi sancta cohors comitum, si nemo tribunal
Vendit Acersecomes, si nullum in conjuge crimen,
Nec per conventus, nec cuncta per oppida curis
Unguibus ire parat, nummos raptura Celæno :
Tunc licet a Pico numeres genus ; altaque si te
Nomina delectant, omnem Titanida pugnam
Inter majores ipsumque Promethea ponas :
De quocumque voles proavum tibi sumito libro.
Quod si præcipitem rapit ambitus atque libido,
Si frangis virgas sociorum in sanguine, si te
Delectant hebetes lasso lictore secures :
Incipit ipsorum contra te stare parentum
Nobilitas, claramque facem præferre pudendis
Omne animi vitium tanto conspectius in se
Crimen habet, quanto major, qui peccat, habetur.

Tu peux braver leurs cris ; mais tremble d’irriter
Le Gaulois, l’Espagnol, l’habitant d’Illyrie ;
Respecte l’Africain par qui Rome est nourrie,
Et qui, de la sueur dont son champ est trempé,
Engraisse un peuple oisif, de jeux seuls occupé.
Et l’Africain d’ailleurs, que craint-il du pillage ?
Marius n’a-t-il pas exploré ce rivage ?
Du brave au désespoir poussé par le malheur,
Garde-toi bien surtout d’outrager la valeur.
En vain l’or et l’argent seront en ta puissance :
Tu ne lui raviras le casque ni la lance,
Ni les dards enfouis, ni les glaives rouillés.
Il restera du fer aux peuples dépouillés.
Ces mots n’enferment point un oracle futile ;
Crois ici par ma bouche entendre la Sibylle.

Si tu n’es entouré que d’hommes vertueux ;
Si, chez toi, trafiquant d’un crédit monstrueux,
Un Ganymède impur ne vend pas la justice ;
Si, comme une harpie, en proie à l’avance,
Ta femme sur tes pas, prête à tout envahir,
De cités en cités ne court pas s’enrichir,
Cherche de quels grands noms ton oreille est flattée,
Sois le fils de Picus, descends de Prométhée,
Et de nos vieux récits débrouillant le chaos,
Remonte, si tu veux, aux plus anciens héros ;
Mais si l’ambition règne au fond de ton âme ;
Si de feux criminels la volupté t’enflamme ;
Si, portant la terreur chez des peuples soumis,
Tes faisceaux sont trempés du sang de nos amis ;
Si tu te plais à voir, en ta rage insensée,
Tes licteurs haletants et leur hache émoussée,
De tous ces noms pompeux le lustre accusateur
Ne sert qu’à mettre au jour l’opprobre de ton cœur.
Aperçu de plus loin dans un poste honorable,
Le crime se mesure aux titres du coupable.

Quo mihi te solitum falsas signare tabellas
In templis quæ fecit avus, statuamque parentis
Ante triumphalem ? quo, si nocturnus adulter
Tempora Santonico velas adoperta cucullo ?
 
Præter majorum cineres atque ossa,volucri
Carpento rapitur pinguis Damasippus, et ipse,
Ipse rotam stringit multo sufflamine consul : 7
Nocte quidem ; sed luna videt ; sed sidera testes
Intendunt oculos. Finitum tempus honoris
Quum fuerit, clara Damasippus luce flagellum
Sumet, et occursum nunquam trepidabit amici
Jam senis, ac virga prior annuet atque maniplos
Solvet, et infundet jumentis hordea lassis.
Interea, dum lanatas torvumque juvencum,
More Numæ, cædit Jovis ante altania, jurat
Solam Eponam et facies olida ad præsepia pictas.
Sed quum pervigiles placet instaurare popinas,
Obvius amiduo Syrophœnix udus amomo
Currit, Idumææ Syrophœnix incola partæ, 8
Hospitis affectu dominum regamque salutat

Que viens-tu m’éblouir d’un édit spécieux,
Quand, devant les autels dressés par tes aïeux,
Aux pieds de la statue élevée à leur gloire,
En souscrivant un faux, tu flétris leur mémoire ?
Quand on te voit, la nuit, brûlant de feux impurs,
Sous la cape gauloise errer seul dans nos murs ?

Damasippus, le long du tombeau de ses pères,
D’un quadrige élégant tient les rênes légères ;
Il est son propre guide, et, consul indécent,
C’est lui, pour enrayer, lui-même qui descend.
Il est vrai que la nuit le couvre de ses voiles ;
Mais sa honte ne peut échapper aux étoiles ;
Mais du ciel tout entier la voûte en est témoin.
Que dis-je ? il portera l’audace encor plus loin.
Oui, qu’il ait déposé la pourpre consulaire,
Et bientôt, en plein jour, de son fouet téméraire,
Saluant, sans rougir, le plus grave vieillard,
Tu le verras du peuple affronter le regard ;
Tu le verras, malgré tous ses titres superbes,
Préparant le fourrage et déliant les gerbes,
Mortel digne en effet d’un si noble métier,
Lui-même à ses chevaux servir de palfrenier.
Vient-il, ô Jupiter, selon l’antique usage,
Comme autrefois Numa, t’apportant son hommage,
Du sang d’une génisse arroser tes autels ?
Ce n’est pas toi qu’il nomme en ses vœux solennels ?
Il n’implore qu’Hippone ou ces viles figures,
Des murs d’une écurie ordinaires peintures ;
Et quand du cabaret regagnant le réduit,
A la porte Idumée il va passer la nuit,
Le baigneur, dégouttant de ses parfums à vendre,
Accourt rempli d’un zèle affectueux et tendre,
S’incline en l’abordant, et, lui jurant sa foi,
Lui prodigue les noms de seigneur et de roi,
Cependant qu’avec grâce, d’une ardeur pareille,

Et cum venali Cyane succincta lagena.
 
Defensor culpæ dicet mihi : Fecimus et nos
Hæc juvenes. Esto : desisti nempe, nec ultra
Fovisti errorem. Breve sit, quod turpiter audes
Quædam cum prima resecentur crimina barba :
Indulge veniam pueris. Damasippus ad illos
Thermarum calices inscriptaque lintes vadit,
Maturus bello, Armeniæ Syriæque tuendis
Amnuibus, et Rheno atque Istro : præstare Neronem
Securum valet hæc ætas. Mitte ostia, Cæsar,
Mitte ; sed in magna legatum quære popina ;
Invenies aliquo cum percussore jacentem,
Permistum nautis, et furibus ac fugitivis,
Inter carnifices et fabros sandapilarum,
Et resupinati cessantia tympana Galli.
Æqua ibi libertas, communia pocula, lectus
Non alius cuiquam, nec mensa remotior ulli.
Quid facias talem sortitus, Pontice, servum ?
Nempe in Lucanos aut Tusca ergastula mittas. 9
At vos, Trojugenæ, vobis ignoscitis ; et quæ
Turpia cerdoni, Volesos Brutosque decebunt.

Quid, si nunquam adeo fœdis, adeoque pudendis
Utimur exemple, ut non pejora supersint ?
Consumptis opibus, vocem, Damasippe, locasti
Sipario, clamosum ageres ut Phasma Catulli. 10

Cyané vive et leste apporte une bouteille.

Et nous, me dira-t-on, n’avons-nous point aussi
Partagé les écarts que je condamne ici ?
— D’accord ; mais avec l’âge on change de conduite.
Ce dont il faut rougir ne peut passer trop vite,
Et la première barbe, amenant la raison,
Devrait de nos erreurs abréger la saison.
Qu’on passe quelque chose aux fautes de l’enfance,
Je le veux ; mais quels droits a-t-il l’indulgence,
Ce vil Damasippus, l’opprobre des Romains,
Nuit et jour fréquentant la taverne et les bains,
A l’âge où dans la Thrace, aux champs de la Syrie,
Son bras devrait venger Néron et la patrie ?
Ne va point, ô Néron, pour guider tes drapeaux,
Sur l’Oronte ou lister chercher des généraux :
Envoie au cabaret ; c’est là qu’on les rencontre ;
C’est là qu’en tout son jour leur noblesse se montre,
Au milieu d’assauts, de bateliers, d’escrocs,
D’esclaves fugitifs, de voleurs, de bourreaux,
De Luperques impurs, de misérables Galles
Étendus et ronflant auprès de leurs cymbales.
Là, même liberté, mêmes droits pour chacun ;
Là, les coupes, les mets, les lits, tout est commun.
Dis-moi, que ferais-tu d’un esclave semblable ?
Justement irrité contre un tel misérable,
Ne l’enverrais-tu pas à ta maison des champs,
Expier dans les fers de si honteux penchants ?
Mais vous, fils d’Ilion, indulgents pour vous mêmes,
Vous vous les pardonnez ces désordres extrêmes,
Et ce qu’en un vil peuple on blâme avec rigueur,
Scaurus n’en rougit pas ; Brutus s’en fait honneur !

Que dire, si ces mœurs ne sont pas si honteuses
Que je n’en puisse encor citer de plus hideuses ?
Damasippe au théâtre a mis sa voix à prix :
Il s’est fait dans le Spectre admirer par ses cris :

Laureolum velox etiam bene Lentulus egit,
Judice me, dignus vera cruce. Nec tamen ipsi 11
Ignoscas populo ; populi frons durior hujus
Qui sedet, et spectat triscurria patriciorum,
Planipedes audit Fabios, ridere potest qui
Mamercorum alapas. Quanti sua funera vendant, 12
Quid refert ? vendunt, nullo cogente Nerone,
Nec dubitant Celsi præteris vendere ludis.
Finge tamen gladios inde ; atque hinc pulpita pone ;
Quid satius ? mortem sic quisquam exhorruit, ut sit
Zelotypus Thymeles, stupidi collega Corinthi ?
Res haud mira tamen, citharœdo principe, mimus
Nobilis. Hæc ultra quid erit, nisi ludus ? Et illud
Dedecus urbis habes. Nec mirmillonis in armis,
Nec clypeo Gracchum pugnantem, aut falce supina,
(Damnat enim tales habitus, et damnat et odit)
Nec galea faciem abscondit : movet ecce tridentem,
Postquam librata pendentia retia dextra
Nequicquam effudit, nudum ad spectacula vultum
Erigit, et tota fugit agnoscendus arena.
Credamus tunicæ, de faucibus aurea quum se
Porrigat, et longo jactetur spira galero.
Ergo ignominiam graviorem pertulit omni
Vulnere, cum Graccho jussus pugnare secutor.
 
Libera si dentur populo suffragia, quis tam

Et dans le Lauréole, avec non moins de grâces,
On a vu Lentulus, suivant ses nobles traces,
Sur la croix sans pudeur dans son rôle étendu ;
Supplice, à mon avis, qui lui serait bien dû.
Et le peuple lui-même est-il digne d’excuse,
Ce peuple dégradé qu’un tel spectacle amuse,
Que l’on voit applaudir aux lazzi des Plancus,
Et qui rit des soufflets donnés aux Mamercus ?
Ils se vendent ; combien ? n’importe : ni Tibère
Ni Néron ne les force à se mettre à l’enchère ;
C’est librement qu’ils vont s’engager au préteur.
Quel homme cependant, placé par la terreur
Entre de vils tréteaux et la mort toute prête,
N’irait pas sous le fer porter cent fois sa tête,
Plutôt que de venir au public rassemblé,
Montrer l’amant jaloux de quelque Thymelé ?
Mais pourquoi non ? un grand ne peut-il donc sans crime,
Sous un prince chanteur, jouer la pantomime ?
Ce n’est qu’un ridicule, et qui n’est plus nouveau.
Un trait plus révoltant manquait à ce tableau :
La noblesse exercée à l’art gladiatoire !
Eh bien ! ce beau talent met le comble à sa gloire.
Gracchus, de ses aïeux dépouillent la fierté,
Vient briguer dans le cirque un laurier effronté.
Il arrive sans faulx, sans bouclier, sans casque :
Gracchus s’indignerait de lutter sous le masque.
Le filet d’une main, de l’autre le trident,
A-t-il manqué son coup ? rétiaire impudent,
Il fuit, la tête haute, et se fait reconnaître.
C’est lui, n’en doutons pas, que nous voyons paraître,
C’est sa toge, sa mitre et ses riches bandeaux.
Le mirmillon forcé de souffrir ses assauts,
Rougirait d’une entière et sanglante défaite,
Moins que d’avoir lutté contre un pareil athlète.


Si Rome de ses chefs avait encore le choix

Perditus, ut dubitet Senecam præferre Neroni,
Cujus supplicio non debuit una parari 13
Simia, nec serpens unus, nec culeus unus ?
Par Agamemnonidæ crimen ; sed causa facit rem
Dissimilem quippe ille, deis auctoribus, ultor
Patris erat cæsi media inter pocula ; sed nec
Electræ jugulo se polluit, aut spartani
Sanguine conjugit : nullis aconita propinquis
Miscuit ; in scena nunquam cantavit Orestes ;
Troica nec scripsit. Quid enim Virginius armis
Debuit ulcisci magis, aut cum Vindice Galba ? 14
Quid Nero tam sæva crudaque tyrannide fecit ?
Hæc opera, atque hæ sunt generosi principis artes,
Gaudentis fœdo peregrina ad pulpita cantu
Prostitui, Grajæque apium meruisse coronæ.
Majorum effigies habeant insignia vocis :
Ante pedes Domiti longum tu pone Thyestæ
Syrma, vel Antigones, seu personam Melanippes,
Et de marmoreo citharam suspende colosso. 15
 

Quid, Catilina, quis natalibus, atque Cethegi
Inveniet quisquam sublimius ? Arma tamen vos
Nocturne, et flammes domibus templisque parastis,
Ut Braccatorum pueri, Senonumque minores ;
Ausi quod liceat tunica punire molesta. 16

Qui de nous à Lucain ne donnerait sa voix,
Plutôt qu’à ce Néron, ce monstre sanguinaire,
Qui, dans un sac, avec un singe, une vipère,
Vingt fois au fond du Tibre eût dû trouver la mort ?
Oreste, poursuivi par la haine du sort,
Jusqu’au même attentat poussa la violence ;
Mais la cause du crime en fait la différence.
De ce fils égaré les dieux armaient le bras.
Égorgé sans défense au milieu d’un repas,
Son père tout sanglant lui montrait sa victime.
Mais le vit-on depuis, marchant de crime en crime,
Faire périr sa femme, ou massacrer sa sœur ?
Fut-il de ses parents le lâche empoisonneur ?
L’entendit-on jamais chanter sur un théâtre ?
Jamais d’un vil laurier follement idolâtre,
Vint-il sur Troie en cendre, y déclamer des vers ?
Vous dont l’heureux complot affranchit l’univers,
Galba, Virginius ! quel plus indigne outrage,
Pouvait contre Néron armer votre courage ?
Qu’a-t-il fait ce Néron, ce tyran détesté,
Pendant le trop long cours d’un règne ensanglanté ?
Grands et nobles exploits du maître de la terre !
Fier de ceindre son front d’une palme étrangère,
Il montait sur la scène, et l’arbitre des rois,
Sur les tréteaux des Grecs prostituait sa voix.
Triomphe, heureux Néron, et de ces nobles gages,
Cours de Domitius décorer les images ;
Consacre-lui ce masque et ces manteaux pompeux,
D’Atrée et d’Antigone ornements fastueux ;
Toi-même de tes mains place-les sur son buste,
Et suspends ta guitare au colosse d’Auguste.

Catilina sans doute était patricien ;
Et quel nom, Céthégus, plus noble que le tien ?
D’une Aine cependant de carnage altérée,
Dignes du châtiment de la robe soufrée,

Sed vigilat consul, vexillaque vestra cœrcet.
Hic novus, Arpinas ignobilis, et modo Romæ
Municipalis eques galeatum ponit ubique
Præsidium attonitis, et in omni gente laborat.
Tantum igitur muros intra toga contulit illi
Nominis et tituli, quantum non Leucade, quantum
Thessaliæ campis Octavius abstulit udo
Cædibus assiduis gladio. Sed Roma parentem,
Roma patrem patriæ Ciceronem libera dixit. 17

Arpinas alius, Volscorum in monte, solebat
Poscere mercedes, alieno læsus aratro :
Nodosam post hæc frangebat vertice vitem,
Si lentus pigra muniret castra dolabra.
Hic tamen et Cimbros, et summa pericula rerum
Excipit, et solus trepidantem protegit urbem ;
Atque ideo, postquam ad Cimbros, stragernque volabant,
Qui nunquam attigerant majora cadavera, corvi,
Nobilis ornatur lauro collega seconda.
 
Plebeiæ Deciorum animæ, plebeia fuerunt
Nomina : pro totis legionibus hi tamen, et pro

La nuit, pour embraser nos temples, nos tombeaux,
Déjà nouveaux Brennus, vous teniez les flambeaux ;
Mais le consul vous voit, il entend vos menaces,
De votre aigle surprise il a saisi les traces ;
Et cet homme nouveau, fils d’un simple greffier,
Cet Arpinate obscur, depuis peu chevalier,
Du peuple consterné seul calmant les alarmes,
Veille et place partout des gardes sous les armes.
Sans sortir de nos murs, pacifique vainqueur,
La toge lui valut plus d’éclat, plus d’honneur,
Qu’Octave triomphant n’en dut à son épée,
Aux champs thessaliens, de carnage trompée.
De ces champs malheureux, tombeau des vrais Romain,
Trop de sang a flétri les lauriers inhumains ;
Mais Rome en liberté, Rome émue, attendrie,
Proclama Cicéron père de la patrie.

Un autre citoyen de ces murs glorieux,
Marius, comme lui, s’illustra sans aïeux.
Chez les Volsques d’abord laboureur mercenaire,
Au prix de ses sueurs il gagnait son salaire.
Puis, jeté dans les rangs de quelque légion,
Il suivit à la guerre un dur centurion
Qui, le sarment en main, gourmandant sa paresse,
Aux fatigues des camps façonna sa jeunesse.
Des Cimbres, néanmoins, qui couvraient nos sillons,
C’est lui qui renversa les nombreux bataillons :
Qui changea leur orgueil en tristes funérailles,
Qui de son bouclier couvrit seul nos murailles.
Aussi quand les corbeaux effrayés et surpris
Des corps de ces géants dévoraient les débris,
Le fier patricien qui partagea sa gloire,
N’eut que le second rang sur son char de victoire.


— Vous aussi, Décius, généreux citoyens,
Vous portiez et des noms et des cœurs plébéiens :
Vos têtes, cependant, offrande magnanime,

Omnibus auxiliis, atque omni pube Latina,
Sufficiunt dis infernis, terræque parenti ;
Pluris enim Decii quam qui servantur ab illis.

Ancilla natus trabeam, et diadema Quirini,
Et fasces meruit regum ultimus ille bonorum.
Prodita laxabant portarum claustra tyrannis
Exulibus juvenes ipsius consulis, et quos
Magnum aliquid dubia pro libertate deceret,
Quod miraretur cum Coclite Mutius, et quæ
Imperii fines Tiberinum virgo natavit.
Occulta ad patres produxit crimina servus, 18
Matronis lugendus : at illos verbera justis
Afficiunt pœnis, et legum prima securis.
 

Malo pater tibi sit Thersites, dummodo tu sis
Æacidæ similis, Vulcaniaque arma capessas,
Quam te Ibersitæ similem producat Achilles.
Et tamen, ut longe repetas longeque revolvas
Nomen, ab infami gentem deducis asylo.
Majorum primus, quisquis fuit ille, tuorum,
Aut pastor fuit, aut… illud quod dicere nolo.

Pour apaiser Tellus, assez noble victime,
Arrachèrent deux fois au courroux des destins,
Rome et ses alliés et les peuples latins.
C’est qu’aux yeux de Tellus par vos mènes calmée,
Vous valiez plus que Rome et le peuple et l’armée.


Servius, le dernier des rois chers aux Romains,
Quoique fils d’une esclave, aux honneurs souverains,
A force de vertus, s’élevant par lui-même,
Ceignit de Quirinus le sacré diadème !
Et vous, dont la patrie attendait des haut-faits,
Capables d’étonner Mutius et Codés,
Et celle que l’on vit, d’un peuple peine libre,
Regagner la frontière, en traversant le Tibre,
Vous qui, le fer en main, deviez aux premiers rangs,
Mourir sur nos remparts, ou punir les tyrans,
Des Tarquins exilés appelant les cohortes,
C’est vous, fils du consul, qui leur ouvrez nos portes !
Les indices secrets d’un si lâche attentat,
Quel mortel généreux les révèle au sénat ?
Un esclave. Sénat, consuls, brisez ses chaînes,
Et sur sa tombe, un jour, pleurez, dames romaines ;
Mais vous, fils de Brutus, vils esclaves des rois,
Expirez les premiers sous la hache des lois.


J’aime mieux qu’à Thersite on doive la naissance,
Lorsque du grand Achille on peut brandir la lance,
Que si, du grand Achille indigne descendant,
On n’était au combat qu’un Thersite impudent.
Au reste, quel que soit l’éclat de ta famille,
Dût-elle à Romulus l’éclat dont elle brille,
Songe que le premier de tes nobles parents
Ne fut qu’un fugitif, un pâtre, — ou… tu m’entends.

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SATIRE IX.


D’où te vient, Névolus, cet air morne, abattu,
Plus triste que celui du Marsyas vaincu ?
Ravola, dans l’instant où, la barbe écumante,
Il fut surpris aux pieds de son impure amante,
Pollion lorsqu’en vain, dans son luxe indigent,
Partout, à triple usure, il cherchait de l’argent,
Avaient un air moins sombre et des traits moins livides.
Qui t’a donc tout à coup imprimé tant de rides ?
Chevalier de bon ton et railleur délicat,
Jadis, à peu de frais, content dans ton état,
Par des discours semés de piquantes malices,
De nos joyeux soupers tu faisais les délices.
Quel changement ! tes yeux d’un voile sont chargés :
Ton front est soucieux : tes cheveux négligés :
La gomme ne rend plus ta peau brillante et lisse :
D’une forêt de poils tout ton corps se hérisse :
D’où vient cette maigreur d’un vieillard décharné,
De quatre en quatre jours par la fièvre miné ?
L’habitude du corps est le miroir de l’âme.
La douleur qui l’abat, le plaisir qui l’enflamme,
S’y viennent réfléchir avec fidélité.
Du but où tu marchais tu t’es donc écarté !
Naguère, il m’en souvient, adultère intrépide,
Fameux par plus d’exploits, plus dissolu qu’Aufide,
Tu souillais tour à tour les autels de la Paix,
De la mère des dieux, d’Isis et de Cérès ;
Car quel est le lieu saint, le temple dont, sans crainte,

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Les femmes aujourd’hui ne profanent l’enceinte ?
Et même, affreux secret qui pèse sur ton cœur,
De courber les maris tu n’avais pas horreur ;
— C’est un genre de vie à bien des gens utile ;
Mais moi, pauvre client, pour qui tout est stérile,
A ce métier ingrat ruinant ma santé,
Un cadeau par hasard à la tête jeté,
Un vase d’un argent de la seconde veine,
Ou, pour couvrir ma toge, un lourd manteau de laine
Sous le peigne gaulois grossièrement tissu,
Voilà jusqu’à ce jour tout ce que j’ai reçu.
Le sort qui soumet l’homme à sa toute puissance,
Sous nos vêtements même étend son influence.
En effet, que l’étoile attachée à tes jours,
Ait un instant cessé d’en protéger le cours,
Quelque don monstrueux que t’ait fait la nature,
En vain, à ton aspect, frémissant de luxure,
Virron te voit tout nu descendre dans le bain,
De billets sur billets il te poursuit en vain ;
Le cynède sur nous connaît trop son empire,
Et le charme secret qui vers lui nous attire.
Quel monstre cependant qu’un patron énervé,
Qui nourrit l’avarice en un cœur dépravé !
— Tel jour, dit-il, tes soins ont eu leur récompense ;
Tel jour, déboursé tant ; depuis, telle dépense.
Il calcule et poursuit. Esclave, des jetons,
Ajoute-t-il ; mon livre, une table ; comptons.
Tiens ! à deux mille écus ta dépense se monte.
Voyons, de tes travaux maintenant fais le compte.
— Mes travaux ! est-il donc si facile, si doux,
D’assouvir tes fureurs, d’en braver les dégoûts,
De porter jusque-là le désir de te plaire,
Que… va ! j’aimerais mieux cent fois creuser la terre ;
Mais tu te crois sans doute et jeune, et gracieux,
Et plus beau que l’enfant qui verse à boire aux dieux !

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Vous que ne touche pas le plus humble service,
Vous qui ne donnez rien, pas même à votre vice,
Comment plaindriez-vous de malheureux clients ?
Voilà donc à quel homme il nous faut, tous les ans,
D’un air respectueux, au jour de sa naissance,
Ou lorsque du printemps la saison recommence,
Porter des coupes d’ambre et de riches habits,
Tandis qu’avec langueur, sur un moelleux tapis,
De mars comme une femme observant les calendes,
A l’ombre du mystère, il reçoit nos offrandes !
Pour qui ces prés, ces bois, ces guérets opulents,
Dont l’immense trajet lasserait les milans !
Réponds, efféminé ; c’est pour toi qu’on recueille
Et ces vins qu’on ne boit qu’à la troisième feuille,
Et ceux qui du Gaurus parfument les coteaux ;
Nul, pour ses héritiers, n’enduit plus de tonneaux.
Epuisé que je suis pour tes plaisirs obscènes,
Ne pouvais-tu m’offrir un coin de tes domaines ?
Et le petit manoir, et le rustique enfant,
Et la mère, et le chien, auprès d’eux folâtrant,
Est-ce un legs réservé pour l’infâme Archigalle,
Aux fêtes de Cybèle agitant sa cymbale ?
— Tu demandes toujours ! —Hélas ! c’est mon loyer,
C’est l’esclave gardien de mon humble foyer,
C’est lui qui seul chez moi, tel que l’œil du Cyclope,
Qui tira du danger l’époux de Pénélope,
Demande, et de ses cris sans cesse m’interrompt.
C’est trop peu d’un esclave, il m’en faut un second.
Forcé d’en nourrir deux, l’hiver, que leur dirai-je,
Quand décembre et janvier amèneront la neige ?
Que dirai-je à leurs pieds déchirés et souffrants,
A leur dos inondé par d’humides torrents !
Leur dirai-je : Attendez le retour des cigales ?


Qu’un dévouement sans borne à tes fureurs brutales,
Ne soit point assez dur, assez humiliant,



Devotusque cliens, uxor tua virgo maneret ?
Scis certe quibus ista modis, quam sæpe rogaris,
Et quæ pollicitus. Fugientem sæpe puellam
Amplexu rapui : tabulas quoque ruperat, et jam
Signabat ; tota vix hoc ego nocte redemi,
Te plorante foris. Testis mihi lectulus, et tu,
Ad quem pervenit lecti sonus, et dominæ vox.
Instabile ac dirimi cœptum, et jam pene solutum
Conjugium in multis domibus servavit adulter.
Quo te circumagas ? quæ prima aut ultima ponas ?
Nullum ergo meritum est, ingrate ac perfide, nullum,
Quod tibi filiolus vel filia nascitur ex me ?
Tollis enim, et libris actorum spargere gaudes
Argumenta viri. Foribus suspende coronas,
Jam pater es : dedimus quod famæ opponere possis.
Jura parentis habes ; propter me scriberis heres,
Legatum omne capis, nec non et dulce caducum. 8
Commoda præterea jungentur multa caducis,
Si numerum, si tres implevero. Justa doloris,
Nævole, causa tui : contra tamen ille quid affert ?
Negligit, atque alium bipedern sibi quærit asellum.
Hæc soli commissa tibi celare memento,
Et tacites nostras intra te fige querelas ;
Nam res mortifera est inimicus pumice levis.


Je le veux : mais peux-tu négliger un client,
Un ami généreux dont le zèle t’honore,
Et sans qui l’on verrait ta femme vierge encore !
Tu sais combien de fois à mes pieds tu t’es mis ;
Comment tu m’as prié, ce que tu m’as promis :
Dans mes bras caressants, moins triste, moins plaintive,
Souvent j’ai retenu ta moitié fugitive ;
Elle avait déchiré l’acte de votre hymen :
Un autre était dressé ; j’ai détourné sa main.
A peine, dans le cours d’une nuit tout entière
J’ai de son cœur aigri calmé la haine altière,
Tandis que sur le seuil, toi, tu versais des pleurs.
J’en atteste et son lit, témoin de nos ardeurs,
Et ses tendres élans que tu pouvais entendre.
Mille fois, prévenant une fâcheuse esclandre,
Au moment du divorce, un client vigoureux,
D’une chaine rompue a resserré les nœuds.
Que vas-tu me répondre ? Et qu’elle est ta défense ?
N’est-ce donc rien, ingrat, d’avoir, par complaisance,
D’une fille ou d’un fils enrichi ta maison ?
Tu l’élèves pourtant, tu lui donnes ton nom,
De ta virilité c’est l’heureux témoignage,
Et les actes publics te rendent cet hommage.
Allons, orne de fleurs ton portique étonné ;
Te voilà père enfin ; mes soins t’ont couronné ;
Ils t’ont mis à couvert des traits de la satire ;
Sur tous les testaments tu peux te faire inscrire,
Tu peux hériter seul, sans compter d’autres droits,
Si je porte tes fils au nombre heureux de trois.
—Ta plainte, Névolus, est juste et m’intéresse :
Mais, lui, que répond-il à ces mots ? —Il me laisse,
Et dans ce noble emploi me cherche un successeur.
Au reste, le secret que je verse en ton cœur,
Qu’à jamais pour tout autre il soit impénétrable :
De ces gens épilés la rage est implacable.

Qui modo secretum commiserat, ardet et odit,
Tanquam prodiderim quidquid scio. Sumere ferrum
Fuste aperire caput, candelam apponere valvis
Non dubitat. Non contemnas aut despicias, quod
His opibus nunquam cara est annona veneni
Ergo occulta teges, ut curia Martis Athenis.


O Corydon, Corydon ! secretum divitis ullum 9
Esse putas ? Servi ut taceant, jumenta loquentur,
Et canis, et postes, et marmora. Claude fenestras,
Vela tegant rimas, junge ostia, tollito lumen
E medio, taceant omnes, prope nemo recumbat :
Quod tamen ad cantum galli facit ille secundi,
Proximus ante diem caupo sciet ; audiet et quæ
Finxerunt pariter librarius, archimagiri,
Carptores. Quod enim dubitant componere crimen
In dominos, quoties rumoribus ulciscuntur
Baltea ? Nec deerit qui te per compita quærat
Nolentem, et miseram vinosus inebriet aurem.
Illos ergo roges, quidquid paulo ante petebas
A nobis, taceant illi : sed prodere malunt
Arcanum, quam subrepti potare Falerni,
Pro populo faciens quantum Saufella bibebat,

Vivendum recte est, cum propter plurima, tunc his
Præcipue causis, ut linguas mancipiorum

Que l’un d’eux sur ses goûts ait osé s’expliquer :
A l’instant, comme si j’allais le démasquer,
Il s’emporte, il me hait, et, si rien ne l’arrête,
Il me poignardera, me brisera la tête,
Viendra, la torche en main, embraser ma maison,
Ou, n’importe à quel prix, trouvera du poison.
Retiens donc pour toi seul le secret de mes peines,
Et sois aussi discret que les juges d’Athènes.

— Corydon ! Corydon ! quel riche a des secrets !
Ne fût-il entouré que d’esclaves muets,
Ses chevaux et son chien tromperaient sa prudence ;
Ses marbres parleraient. Ordonnez le silence,
Fermez porte et fenêtre ; abaissez les rideaux,
Éloignez tout le monde, éteignez les flambeaux ;
Ce qu’il faisait à l’heure, où, de son cri sonore,
Pour la seconde fois, le coq prévient l’aurore,
Avant qu’il soit grand jour, de maint propos malin
Aura fourni le texte au cabaret voisin ;
On y répétera ce qu’aux faits véritables,
La cuisine et l’office auront mêlé de fables.
Quel mensonge en effet, quelle méchanceté,
N’invente pas souvent un esclave irrité,
Lorsque, le dos encor meurtri des étrivières,
Il croit, en médisant, se venger des lanières ?
Quelques-uns, pleins de vin, au coin des carrefours,
S’en viendront t’enivrer de tous leurs sots discours.
C’est à de tels causeurs qu’il faut que tu demandes
Le silence profond que tu me recommandes ;
Mais ne te flatte pas d’arrêter leur caquet ;
Répandre de faux bruits, divulguer un secret,
Est plus doux mille fois pour tout ce peuple traître,
Que d’aller dans un bouge, aux dépens de son maître,
Boire furtivement d’un vin qu’il lui vola
Plus qu’en sacrifiant n’en buvait Saufella.

Si pour mille motifs il convient d’être sage,

Contemnas nam lingua mali pars pessima servi.
Deterior tamen hic qui liber non erit illis
Quorum animas et farre suo custodit et ære.
Idcirco ut possim linguam contemnere servi,
Utile consilium modo, sed commune, dedisti :
Nunc mihi quid suades, post damnum temporis et spes
Deceptas ? Festinat enim decurrere velox
Flosculus, angustæ miseræque brevissima vitæ
Portio : dum bibimus, dum serta, unguenta, puellas
Poscimus, obrepit non intellecta senectus.



Ne trepida, nunquam pathicus tibi deerit amicus,
Stantibus et salvis his collibus : undique ad illos
Convenient et carpentis et navibus omnes
Qui digito scalpunt uno caput. Altera major
Spes superest : tu tantum erucis imprime deotem.



Hæc exempla para felicibus ; at mea Clotho
Et Lachesis gaudent, si pascitur inguine venter
O parvi nostrique Lares, quos thure minuto,
Aut farre ! et tenui soleo exorare corona


Le plus puissant de tous, c’est l’heureux avantage
De pouvoir sans contrainte, à toute heure, en tous lieux,
Mépriser de ses gens et la langue et les yeux.
La langue d’un esclave est ce qu’il a de pire ;
Mais il n’est rien d’égal au dédain que m’inspire,
Le mettre qui dépend de ceux qu’à son foyer,
Il veut bien à ses frais et nourrir et payer.
— Oui, l’on doit mépriser cette engeance servile,
Et c’est pour tout le monde un avis fort utile ;
Mais à moi maintenant, que me conseilles-tu,
A moi, par les chagrins, par les ans abattu ?
Car enfin nos beaux jours, cette fleur passagère,
Si faible portion d’une vie éphémère,
Emportés par le temps, d’un vol inaperçu,
Comme un rêve léger, passent à notre insu,
Et parmi les parfums, les femmes et l’ivresse,
Sans bruit, à pas furtifs, se glisse la vieillesse.

— Ne crains rien, Névolus, tant que dans sa splendeur,
De la ville aux sept monts brillera la grandeur,
En amis patients elle sera féconde ;
Toujours dans les remparts de la reine du monde,
Et par terre et par mer, avec empressement,
Viendront ces étrangers qu’on voit languissament,
Au signe accoutumé provoquant leur conquête,
S’effleurer d’un seul doigt et se gratter la tête.
Un jour nous t’y verrons heureux et triomphant ;
Mais souviens-toi de suivre un régime échauffant.

— Aux fils de la Fortune adresse ta recette.
Tant d’espoir convient mal à ma triste planète.
Trop heureux si les sœurs, qui filent mes destins,
Me donnent de quoi vivre aux dépens de mes reins !
Vous dont jamais l’autel n’a reçu pour offrandes,
Que des gâteaux, du sel et de simples guirlandes,
Dieux pauvres, dieux obscurs de mon humble réduit,
De mes travaux enfin quand verrai-je le fruit ?

Quando ego figam aliqutd, quo ut mihi tuta senectus
A tegete et baculo ? Viginti millia fœnus
Pignoribus positis, argenti vascula puri,
Sed quæ Fabricius censor notet, et duo fortes
De grege Mœsorum, qui me, cervice locata,
Securum jubeant clamoso insistere circo !
Sit mibi præterea curvus cælator, et alter
Qui multas facies fingat cito : sufficiunt hæc,
Quando ego pauper ero : votum miserabile ! nec spes
His saltem : nam, quuum pro me Fortuna rogatur,
Affigit ceras illa de nave petitas,
Quæ Siculos cantus effugit remige surdo. 10

Quand pourrai-je, assuré d’une existence honnête,
Trouver, pour ma vieillesse, où reposer ma tête ?
Vingt mille écus placés sur un gage certain,
Quelques vases d’argent, non gravés au burin,
Mais tels que leur poids seul, en un temps plus austère,
Eût de Fabricius excité la colère ;
Deux jeunes Mœsiens dont le dos vigoureux
Me tasse sans encombre arriver jusqu’aux jeux ;
Un sculpteur diligent, un actif statuaire,
C’est tout ce qu’il faudrait à mon humble misère.
Ce pauvre vœu, du moins, s’il était exaucé !
Mais non : du stratagème où fut prise Circé,
La maligne fortune, imitant l’artifice,
Est plus sourde pour moi que les rameurs d’Ulysse.

SATIRE X


Omnibus in terris, quæ sunt a Gadibus usque
Auroram et Gangen, pauci dignoscere possunt
Vera bona, atque illis multum diversa, remota
Erroris nebula. Quid enim ratione timemus
Aut cupimus ? quid tam dextro pede concipis, ut te
Conatus non pœniteat votique peracti ?
Evertere domos totas, optantibus ipsis,
Di faciles. Nocitura toga, nocitura petuntur
Militia. Torrens dicendi copia multis
Et sua mortifera est facundia. Viribus ille
Confisus periit admirandisque lacertis.
Sed plures nimia congesta pecunia cura
Strangulat, et cuncta exsuperans patrimonia census,
Quanto delphinis balæna britannica major.
Temporibus diris igitur, jussuque Neronis,
Longinum et magnos Senecæ prædivitis hortos
Clausit, et egregias Lateranorum obsidet ædes
Tota cohors ; rares venit in cœnacula miles.
Pauca licet portes argenti vascula puri,
Nocte iter ingressus, gladium contumque timebis,
Et motæ ad lunam trepidabis arundinis umbram :


SATIRE X.


Des plaines de l’Indus, aux campagnes du Tage,
Peu d’hommes, de l’erreur écartant le nuage,
Savent des biens réels discerner les vrais maux ;
Peu savent désirer, savent craindre à propos.
Quels désirs, en effet, dans nos vagues caprices,
Quels projets formons-nous, sous d’assez bons auspices,
Pour ne pas voir bientôt avec d’amers regrets,
Nos efforts et nos vœux couronnés du succès ?
Les dieux, en exauçant d’imprudentes prières,
Souvent ont renversé des familles entières :
Souvent nous n’avons dû qu’à nos propres souhaits,
Et nos maux dans la guerre, et nos maux dans la paix.
L’un, sublime orateur, tonne contre le crime,
Et de son éloquence il devient la victime ;
L’autre croit tout possible aux muscles de son bras,
Et dans ses muscles même il trouve le trépas.
Des richesses surtout la soif insatiable
Prépare au plus grand nombre un destin effroyable ;
Témoins ces jours de sang, où l’ordre de Néron
Fit des Latéranus investir la maison ;
Où l’on vit du tyran les farouches cohortes,
Du palais de Longin environner les portes,
Et, brandissant en l’air leurs glaives assassins,
Du trop riche Sénèque assiéger les jardins.
Rarement le soldat monte au dernier étage.
Toi qui portes la nuit un peu d’or en voyage,
Un souffle, un jonc qui tremble, une ombre te fait peur.

Cantabit vacuus coram latrone viator.

Prima fere vota, et cunctis notissima templis,
Divitiæ ut crescant, ut opes, ut maxima toto
Nostra sit arca foro. Sed nulla aconita bibuntur 1
Fictilibus : tunc illa time, quum pocula sumes
Gemmata, et lato Setinum ardebit in auro.
Jamne igitur laudas, quod de sapientibus alter
Ridebat, quoties de limine moverat unum
Protuleratque pedem, fiebat contrarius alter ?
Sed facilis cuivis rigidi censura cachinni :
Mirandum est unde ille oculis suffecerit humor.
Perpetuo risu pulmonem agitare solebat
Democritus, quanquam non essent urbibus illis
Pratexta et trabeæ, fasces, lectica, tribunal.
Quid si vidisset pnntorem in curribus altis 2
Exstantem, et medio sublimem in pulvere circi,
In tunica Jovis, et pictæ sarrana ferentem
Ex humeris aulæa togæ, magnæque coronæ
Tantum orbem, quanto cervix non sufficit ulla ?
Quippe tenet sudans hanc publicus, et, sibi consul
Ne placeat, curru servus portatur eodem. 3
Da nunc et volucrem sceptro quæ surgit eburno,
Illinc cornicines, hinc præcedentia longi
Agminis officia, et niveos ad frena Quirites,

Pauvre, tu chanterais sous les yeux du voleur.

Des vœux dont chaque jour une foule importune,
Dans les temples des dieux fatigue la Fortune,
Le premier, c’est de voir s’accroître nos trésors ;
C’est qu’au forum, parmi tant de lourds coffre-forts,
Nul ne soit aussi grand, aussi plein que le nôtre.
Téméraires mortels, quel délire est le vôtre !
Dans des vases d’argile on boit impunément ;
Mais tremblez, quand dans l’or brille un vin écumant.
Qui donc les blâmerait ces sages de la Grèce,
Dont l’un riait toujours, l’autre pleurait sans cesse ?
Je conçois du premier les sarcasmes moqueurs ;
Mais l’autre, quelle source entretenait ses pleurs ?
Démocrite, en mettant un pied hors de la porte,
Sûr de trouver un fou de l’une ou l’autre sorte,
D’un rire inextinguible éclatait en tons lieux,
La Thrace cependant ne montrait à ses yeux,
Pour exciter sa verve et lui servir de texte,
Tribunal ni faisceaux, litière ni prétexte.
Qu’eût-ce été si, présent aux pompes de nos jeux,
Il eût vu dans le cirque un préteur fastueux,
En triomphe porté sur un char magnifique,
Du souverain des dieux revêtir la tunique,
Rejeter sur l’épaule un superbe manteau,
Et courbé sous le poids d’un énorme bandeau,
Ne porter, qu’avec peine, au milieu de la fête,
Cet ornement trop lourd pour une seule tête ;
S’il eût vu, sur son front, d’un bras ferme et tendu,
Un esclave tenir ce fardeau suspendu,
Et placé près de lui sur son char de victoire,
Avertir le consul du néant de la gloire ?
Ajoutez à ces traits l’aigle qui, dans ses mains,
Sur un sceptre d’ivoire, éblouit les Romains ;
D’un côté, les clairons, de l’autre, le cortège
Qui, de le précéder, brigue le privilège,


Defossa in loculis quos sportula fecit amicos.
Tunc quoque materiam risus invenit ad omnes
Occursus hominum, cujus prudentia monstrat
Summos posse vires, et magna exempla daturos,
Vervecum in patria crassoque sub ære nasci. 4
Ridebat curas, nec non et gaudia vulgi,
Interdum et lacrymas, quum Fortunæ ipe minaci
Mandaret laqueum, mediumque ostenderet unguem 5
Ergo supervacua hæc aut perniciosa petuntur,
Propter quæ fas est genua incerare deorum. 6



Quosdam præcipitat subjecta potentia magnæ
Invidiæ mergit longa atque insignis honorum
Pagina ; descendunt statuæ restemque sequuntur.
Ipsas deinde rotas bigarum impacta securis
Cædit, et immeritis franguntur crura caballis.
Jam strident ignes, jam follibus atque caminis
Ardet adoratum populo caput, et crepet ingens
Sejanus ; deinde ex facie, toto orbe secunda,
Fiant urceoli, pelves, sartigo, patellæ.
Pone domi lauros, duc in Capitolia magnum 7
Cretatumque bovem ; Sejanus ducitur unco
Spectandus. Gaudent omnes. Quæ labra ! quis illi
Vultus erat ! Nunquam, si quid mihi credis, amavi
Hunc hominem. Sed quo cecidit sub crimine ? quisnam
Delator ? quibus indiciis, quo teste probavit ?

Et ses nobles amis, pour quelques vils deniers,
Courant, en toge blanche, au frein de ses coursiers ?
Mais, pour donner carrière à sa verve ironique,
Il n’en fallait pas tant à ce rieur caustique,
Qui prouve qu’on peut voir, sous l’air le plus épais,
Naître de ces talents qui ne meurent jamais.
Il riait des soucis, des plaisirs du vulgaire,
Quelquefois de ses pleurs ; et du destin contraire,
En le montrant du doigt, avec un air moqueur,
Défiait la menace et bravait la rigueur.
Nos vœux n’arrachent donc aux puissances célestes,
Que des dons superflus, s’ils ne sont pas funestes.

Victimes de l’envie attachée aux grandeurs,
Plusieurs doivent leur chute à ces mêmes honneurs
Dont la liste pompeuse enlie de longues pages.
Vois de leur piédestal descendre leurs images ;
Vois le peuple s’armer, et, la hache à la main,
Briser l’essieu du char et les chevaux d’airain.
Le feu va s’allumer : déjà la flamme brille ;
Déjà dans le creuset le grand Séjan pétille ;
Et ce front si longtemps adoré des Romains,
Ce front qui fut celui du second des humains,
Des arts les plus grossiers essuyant les outrages,
Va servir désormais à d’indignes usages.
— Pour rendre grâce aux dieux vengeurs des trahisons,
D’un laurier solennel couronnez vos maisons ;
Hâtez-vous, citoyens, et qu’un taureau sana tache,
Conduit au capitole expire sous la hache.
Séjan, par des bourreaux dans la fange traîné,
À la fureur du peuple en spectacle est donné.
C’est un jour de bonheur, de triomphe pour Rome.
— Quel air ! quels yeux ! crois-moi : je n’aimais point cet homme,
Cependant, de quel crime a-t-on pu l’accuser ?
Quels témoins contre lui sont venus déposer ?
Dit-on les faits ? a-t-on quelque preuve assurée ?

Nil horum : verbosa et grandis epistola venit 8
A Capreis. Bene habet ; nil plus interrogo. Sed quid
Turba Remi ? Sequitur fortunam, ut semper, et odit
Damnatos. Idem populus, si Nursia Tusco
Favisset, si oppressa foret secura senectus
Principis, hac ipsa Sejanum diceret hora
Augustum. Jam pridem, ex quo suffragia nulli
Vendimus, effudit curas : nam, qui dabat olim
Imperium, fasces, legiones, omnia, nunc se
Continet, atque duas tantum res anxius optat,
Panem et circenses. Perituros audio multos.
Nu dubium, magna est fornacula pallidulus mi
Brutidius meus ad Martis fuit obvius aram :
Quam timeo victus ne pœnas exigat Ajax,
Ut male defensus ! Curramus præcipites, et,
Dum jacet in ripa, calcemus Cæsaris hostem.
Sed videant servi, ne quis neget et pavidum in jus 9
Cervice obstricta dominum trahat. Hi sermones
Tunc de Sejano ; secreta hæc murmura vulgi.

Visne salutari sicut Sejanus ? habere

— Aucune ! seulement du rocher de Caprée,
Une lettre diffuse, équivoque… — J’entends.
Et le peuple ? —Le peuple ! il fait comme en tout temps,
S’attache à la fortune, et maudit la victime.
Que, prévenant le coup dont son maître l’opprime,
Le Toscan dans le sein de l’indolent vieillard,
Aidé de sa Nursie, eût plongé le poignard,
De festons glorieux lui-même ornant son buste,
Ce vil peuple aujourd’hui le saluerait Auguste.
Depuis qu’avec dédain foulant aux pieds nos droits,
Les grands au champ de Mars n’achètent plus nos voix,
Qu’importe de l’état le calme ou les orages ?
Ces Romains si jaloux, si fiers de leurs suffrages,
Qui jadis commandaient aux rois, aux nations,
Décernaient les faisceaux, donnaient les légions,
Et seuls, dictant la paix, ou proclamant la guerre,
Régnaient du Capitole aux deux bouts de la terre,
Esclaves maintenant de plaisirs corrupteurs,
Que leur faut-il ? du pain et des gladiateurs.
— Il court encor des bruits de meurtres, de vengeance.
— Qui pourrait en douter ? la fournaise est immense.
Je viens de rencontrer, près de l’autel de Mars,
Brutidius tremblant, pèle, les yeux hagards.
Que je crains, m’a-t-il dit, qu’altéré de carnage,
Ajax mal défendu ne redouble de rage.
Tandis que de Séjan les lambeaux déchirés,
Sur la rive aux passants sont encore livrés,
Courons fouler aux pieds l’ennemi du monarque :
Courons, et que surtout la foule nous remarque,
De peur qu’un vil esclave à nous perdre excité,
De son maître tremblant par ses mains garrotté,
N’aille livrer la tête aux glaives de Tibère.
Voilà ce qu’en secret murmurait le vulgaire ;
Voilà comme il plaignait le rival du tyran !

Et bien ! que penses-tu du bonheur de Séjan ?

Tantumdem, atque illi sellas donare curules,
Illum exercitibus præponere ? tutor haberi
Principis auguste Caprearum in rupe sedentis 10
Cum grege Chaldæo ? Vis certe pila, cohortes,
Egregios equites et castra domestica. Quid ni
Hæc cupias ? et, qui nolunt occidere quemquam,
Posse volunt. Sed quæ præclara et prospera tanti,
Ut rebus lætis per sit mensura malorum ?
Hujus, qui trahitur, prætextam sumere mavis,
An Fidenarum Gabiorumque esse potestas,
Et de mensura jus dicere, vasa minora
Frangere pannosus vacuis ædilis Ulubris ?
Ergo quid optandum foret, ignorasse fateris
Sejanum : nem qui nimios optabat honores,
Et nimias poscebat opes, numerosa parabat
Excelsæ turris tabulata, unde altior esset
Casus, et impulsæ præceps immane ruinæ.

Quid Crassos, quid Pompeios evertit, et ilium
Ad sua qui domitos deduxit flagra Quirites ?
Summus nempe iocus, nulla non site petitus,
Magnaque numinibus vota exaudita malignis.
Ad generum Cereris sine cæde et vulnere pauci
Descendunt reges, et sicca morte tyranni.

Eloquium et famam Demosthenis aut Ciceronis,

De ses prospérités es-tu jaloux encore ?
Voudrais-tu, comme lui, voir chez toi, dès l’aurore,
Se presser à l’envi des flots d’adulateurs ;
Forcer l’orgueil des grands à briguer tes faveurs ;
A l’armée, au sénat, seul dispenser les places ;
Seul, au nom de César, distribuer les grâces,
Et parmi ses devins, gouverner dans sa cour,
Le prince dont Caprée est l’auguste séjour ?
Sans doute tu voudrais, de nombreuses cohortes,
De nobles chevaliers, voir un camp à tes portes.
C’est une ambition qu’il est permis d’avoir ;
Sans aimer à tuer, on aime à le pouvoir.
A quoi bon cependant cette brillante pompe,
Ce faste dont l’éclat nous séduit et nous trompe,
S’il est vrai qu’il n’est point de richesses, d’honneurs,
Qui puissent égaler la somme des malheurs ?
Ah ! loin de désirer les dignités funestes
De celui dont le peuple outrage ainsi les restes,
Va plutôt, dans les murs de quelque humble cité,
Sous un lambeau de toge, édile respecté,
De l’avide marchand soumis à tes sentences,
Confisquer les faux poids ou briser les balances.
Il faut donc l’avouer, Séjan dans la grandeur
A méconnu les biens qui font le vrai bonheur,
Et, lorsqu’il entassait, titres, gloire, puissance,
L’insensé, dans l’éclat de sa vaine opulence,
Ne faisait qu’élever une orgueilleuse tour
Qui devait de plus haut le voir tomber un jour.

Les Crassus, les Pompée, et celui que le Tibre
Vit façonner au joug le front d’un peuple libre,
Qui les a renversés ? des vœux ambitieux ;
Des vœux qu’en leur colère exaucèrent les dieux.
Peu de rois sans blessure, au terme de leur âge,
Du gendre de Cérès abordent le rivage.

Puissé-je quelque jour devenir au barreau,


Incipit optare, et totis quinquatribus optat,
Quisquis adhuc uno partam colit asse Minervam 11
Quem sequitur custos angustæ vernula capsæ.
Eloquio sed uterque periit orator ; utrumque
Largus et exundans letho dedit ingenii fons.
Ingenio manus est et cervix cæsa ; nec unquam
Sanguine caussidici maduerunt rostra pusilli.

O fortunatam natam, me consule, Romam ! 12

Antoni gladios potuit coutemnere, si sic
Omnia dixisset. Ridenda pœmata malo
Quam te conspicuæ, divina Philippica, famæ,
Volveris a prima quæ proxima. Sævus et illum
Exitus eripuit, quem mirabantur Athenæ
Torrentem, et pleni moderantem frena theatri.
Dis ille adversis genitus fatoque sinistro,
Quem pater ardentis massæ fuligine lippus,
A carbone et forcipibus, gladiosque parante
Incude, et luteo Vulcano, ad rhetora misit.

Bellorum exuviæ, truncis affixa tropæis
Lorica, et fracta de casside buccula pendens,
Et curtum temone jugum, victæque triremis
A plustre, et summo tristis captives in arcu 13
Humanis majora bonis creduntur : ad hæc se

Un autre Démosthène, un Cicéron nouveau !
Voilà, pendant les jours consacrés à Minerve,
Les souhaits qu’en l’ardeur de sa naissante verve,
A sa petite image adresse en triomphant,
Ce marmot d’écolier qui d’un esclave enfant,
Chargé de lui porter sa cassette et son livre,
Pour courir chez son maître, en chemin se fait suivre.
Cicéron ! Démosthène ! hélas ! quel fut leur sort ?
Aux foudres de leur voix tous deux ont dû la mort.
Rome laissa trancher avec ignominie,
Et la tête et la main de l’homme de génie.
D’un avocat obscur, sans danger vieillissant,
La tribune jamais n’a vu couler le sang.
Ô Rome fortunée,
Sous mon consulat née !
Ce style aurait d’Antoine évité le poignard.
Oui, j’aime mieux des vers sans génie et sans art,
Que toi, noble oraison, seconde Philippique,
D’un talent immortel monument magnifique.
Et le destin pour toi fut-il moins rigoureux,
Indomptable orateur, torrent impétueux,
Dont la mâle éloquence, à son gré, dans Athènes,
D’un peuple tout entier savait guider les rênes ?
Quel astre à ta naissance avait donc présidé ?
De quel démon funeste étais-tu possédé,
Le jour où, recherchant une gloire éphémère,
On te vit déserter la forge de ton père,
Et préférant l’école au travail des métaux,
Oublier, pour les bancs, l’enclume et les marteaux ?
Des chars sans leur timon, des cuirasses rompues,
Des casques, des débris de trirèmes vaincues,
Quelques mornes captifs, les bras chargés de fers,
Sur un arc triomphal, s’élevant dans les airs,
Voilà, chez nos aïeux, comme au siècle où nous sommes,
Le bien qu’au premier rang ont placé tous les hommes :

Romanus Grajusque ac Barbarus induperator
Erexit ; causas discriminis atque laboris
Inde habuit tanto major famæ sitis est, quam
Virtutis. Quis enim virtutem amplectitur ipsam,
Præmia si tollas ? Patriam tamen obruit olim
Gloria paucorum, et laudis tituhique cupido,
Hæsuri saxis cinerum custodibus, ad quæ
Discutienda valent sterilis mala robora ficus ;
Quandoquidem data sunt ipsis quoque fata sepulcris.

Expende Annibalem : quot libras in duce summo
Invenies ? Hic est quem non capit Africa Mauro
Perfusa Oceano, Niloque admota tepenti,
Rursus ad Æthiopum populos alliosque elephantos !
Additur imperiis Hispania ; Pyrenæum
Transilit : opposuit natura Alpemque nivemque ;
Diducit scopulos, et montem rumpit aceto 14
Jam tenet Italiam ; tamen ultra pergere tendit :
Actum, inquit, nihil est, nisi Pœno milite portas
Frangimus, et media vexillum pono Suburra.
O qualis facies, et quali digna tabella, 15
Quum Gætula ducem portaret bellua luscum !

Voilà chez le Gaulois, le Grec et le Romain,
Ce qui met aux guerriers les armes à la main.
Ce n’est point la vertu, c’est la gloire qu’on aime.
Quel homme fait le bien, pour le bien en lui-même ?
Cependant, si l’on voit, par quelques forcenés,
Les peuples à grands pas vers leur chute entraînés,
Qui produit tous ces maux ? n’est-ce pas cette gloire,
Ce fastueux éclat dont brille la victoire,
Ces titres attachés aux cendres d’un cercueil ?
Mortels ambitieux, qu’aveugle votre orgueil,
Que faut-il pour briser ce monument superbe ?
Un stérile figuier sorti du sein de l’herbe ;
Car enfin rien n’échappe à la rigueur du sort,
Et le tombeau lui-même est sujet à la mort.

Soulève d’Annibal la dépouille funèbre :
Combien pèse aujourd’hui ce conquérant célèbre ?
Le voilà donc celui dont l’orgueil effréné,
Loin des cieux africaine follement entraîné,
Ne peut se renfermer dans l’immense rivage
Qui joint les bords du Nil aux remparts de Carthage !
Non content de régner sur ces âpres déserts,
A l’Hispanie encore il veut donner des fers :
Elle est soumise. Il part, franchit les Pyrénées,
Parvient jusqu’au sommet des Alpes étonnées ;
Leurs neiges, leurs frimas le repoussent en vain ;
Dans leurs flancs calcinés il entrouvre un chemin ;
Déjà sous son pouvoir l’Italie est rangée ;
Eh bien ! Carthage encor n’est point assez vengée.
Marchons, dit-il, courons à de nouveaux hasards ;
Bien n’est fait si de Rome écrasant les remparts,
Sur les débris fumants de cette ville altière,
Je ne vais dans Suburre arborer ma bannière.
Le voyez-vous porté sur un fier éléphant,
Jusqu’au pied de nos murs s’avancer triomphant ?
Quel tableau ! mais, ô gloire ! il succombe, il s’exile,

Exitus ergo quis est ? O gloria ! vincitur idem
Nempe, et in exilium præceps fugit, atque ibi magnus
Mirandusque cliens sedet ad prætoria regis,
Donec Bithyno libeat vigilare tyranno.
Finem animæ, quæ res humanas miscuit olim,
Non gladii, non saxa dabunt, non tela, sed ille
Cannarum vindex, et tanti sanguinis ultor
Annulas. I, demens, et svæas curre per Alpes,
Ut pueris placeas, et declamatio fias !

Unus Pello juveni non sufficit orbis :
Æstuat infelix angusto limite mundi,
Ut Gyaræ clausus scopulis parvaque Seripho.
Quum tamen a figulis munitam intraverit urbem,
Sarcophago contentus erit. Mors sola fatetur
Quantula sint hominum corpuscula.


Creditur olim
Velificatus Athos, et quidquid Græcia mendax 16
Audet in historia, constratum ciassibus isdem
Suppcsitumque rotis solidum mare : credimus altos
Defecisse amnes, epotaque flumina, Medo
Prandente, et madidis cantat quæ Sostratus alis. 17
Ille tamen, qualis rediit, Salamine relicta,
In Corum atque Eurum solitus sævire flagellis
Barbarus, Æolio nunquam hoc in carcere passos, 18


Il va chez un barbare implorer un asile,
Il arrive à sa cour, et là, noble client
Aux portes du palais assis en suppliant,
Incroyable spectacle ! il est forcé d’attendre
Qu’au roi de Bithynie il plaise de l’entendre.
Vous ne le verrez point ce génie indompté,
Ce fléau de la paix et de l’humanité,
Expiant sous nos coups sa fureur meurtrière,
Par le glaive ou les dards terminer sa carrière.
Un simple anneau, vengeur de Canne et des Romains,
Nous paiera tout le sang dont il rougit ses mains.
Cours, insensé, poursuis tes desseins magnanimes ;
De ces monts escarpés ose franchir les cimes,
Pour qu’un jour sur les bancs tes nobles actions
Deviennent des sujets de déclamations !

De l’enfant de Pella vois la douleur profonde :
Pour ce jeune insensé c’est trop peu d’un seul monde ;
Il s’y trouve à l’étroit et comme emprisonné :
Vous diriez dans Sériphe un captif enchaîné.
Babylone l’attend. Là, bornant son empire,
A tous ces vœux outrés un tombeau va suffire.
La mort seule, en montrant où la gloire aboutit,
Nous force d’avouer combien l’homme est petit.

Les vaisseaux du grand roi, si pourtant il faut croire
Aux récits mensongers d’une pompeuse histoire,
De leurs voiles jadis ombragèrent l’Athos.
De l’Hellespont entier ils couvrirent les flots,
Et d’innombrables chars, d’une course rapide,
Passèrent sans danger sur une mer solide.
Alors, dit-on, Xercès voyait dans un repas,
Les fontaines, les lacs, taris par ses soldats,
Et tout ce que Sostrate, en sa féconde ivresse,
Chante, pour embellir les fables de la Grèce.
Mais, lorsque Salamine eut borné ses succès,
Comment se sauva-t-il, ce superbe Xercès

Ipsum compedibus qui vinierat Ennosigæum ?
Mitius id sane, quod non et stigmate dignum
Credidit. Huic quisquam vellet servire deorum ?
Sed qualis rediit ? Nempe una nave, cruentis
Fluctibus, ac tarda per densa cadavera prora.
Has toties optata exegit gloria pœnas !

Da spatium vitæ, multos da, Jupiter, annos !
Hoc recto vultu solum, hoc et pallidus optas,
Sed quam continuis et quantis longa senectus
Plena malis ! Deformem et tetrum ante omnia vultum,
Dissimilemque sui, deformem pro cute pellem,
Pendentesque genas, et tales aspice rugas
Quales, umbriferos ubi pandit Tabraca saltus,
In vetula scalpit jam mater simia bucca.
Plurima sunt juvenum discrimina : pulchrior ille
Hoc, atque ille alio ; multum hic robustior illo :
Uns senum facies, cum voce trementia labra,
Et jam leve caput, madidique infantia nasi.
Frangendus misero gingiva panis inermi :
Usque adeo gravis uxori, natisque, sibique,

Qui, les verges en main, plus sévère qu’Éole,
S’arma contre l’Eurus d’une rigueur frivole,
Et donna des fers même au maître du trident
Trop heureux d’éviter l’affront du fer ardent !
Comment se sauva-t-il ? sur une seule barque,
(Quels dieux auraient voulu servir un tel monarque ! )
A travers les débris dont les flots sont couverts,
Vaincu, forcé de fuir, il repasse les mers,
Et de son frêle esquif, poussé vers le rivage,
La proue entre les morts s’ouvre à peine un passage.
O gloire ! voilà donc quels cruels châtiments,
Pour prix de tant de vœux, attendent tes amants !

Jupiter, de mes jours prolonge la carrière !
Telle est souvent encor la fervente prière
Qu’heureux ou malheureux, l’homme adresse aux autels.
Que de maux cependant, trop aveugles mortels,
Que de cruels chagrins ne viennent pas sans cesse
Assiéger les longs jours d’une lente vieillesse ?
D’abord, c’est un air sombre, un visage amaigri,
Un teint méconnaissable, un cuir rude et flétri,
Une lèvre pendante, et des rides si creuses,
Que vous diriez les peaux arides et calleuses
Que s’épluche au soleil, sur les bords du Tusca,
Une vieille guenon du bois de Tabraca.
Mille dons variés nuancent le jeune âge ;
L’un a plus de beauté, plus de grâce en partage,
L’autre plus de vigueur ; également hideux,
Les vieillards seuls n’ont rien qui les distingue entre eux.
Vois ce frêle squelette, à la marche pesante,
Chauve, le nez humide et la voix tremblotante ;
Vois ce pain qu’en souffrant il ne rompt qu’à moitié,
Sous sa gencive à nu péniblement broyé.
A charge à son épouse, à ses fils, à lui-même,
Tout le fuit, et Cossus, malgré le zèle extrême
Qu’en habile flatteur, il met à le capter,

Ut captatori moveat fastidia Cosso.
Non eadem vini atque cibi, torpente palato,
Gaudia : nam coïtus jam longa oblivio ; vel si
Coneris, jacet exiguus cum ramice nervus,
Et, quamvis tota palpetur nocte, jacebit.
Anne aliquid sperare potest hæc inguinis ægri
Canities ? quid, quod merito suspecta libido est,
Quæ Venerem affectat sine viribus ? Adspice partis
Nunc damnum alterius : nam quæ cantante voluptas,
Sit licet eximius, citharœdo, sive Seleuco,
Et quibus aurata mos est fulgere lacerna ? 19
Quid refert magni sedeat qua parte theatri,
Qui vix cornicines exaudiet atque tubarum
Concentus ? Clamore opus est, ut sentiat auris,
Quem dicat venisse puer, quot nuntiet horas. 20

Præterea minimus gelido jam corpore sanguis
Febre calet sola ; circnmsilit, agmine facto,
Morborum omne genus quorum si nomina quæras,
Promptius expediam quot amaverit Hippia mœchos,
Quot Themison ægros autumno occident uno 21
Quot Basilus socios, quot circumscripserit Hirrus
Pupillos, quot longa viros exsorbeat uno
Maura die, quot discipulos inclinet Hamillus ;
Percurram citius quot villas possideat nunc,
Quo tondente gravis juveni mihi barba sonabat.
Ille humero, hic lumbis, hic coxa debilis ; ambos


De dégoût à son tour est près de déserter.
Les vins pour son palais n’ont plus la même sève,
Les mets le même goût : l’amour n’est plus qu’un rêve,
Qu’un vague souvenir qui s’efface à jamais ;
Ou si Vénus encor l’effleure de ses traits,
Son feu qui s’évapore en stériles tendresses,
Réclamerait en vain une nuit de caresses.
Que peut d’un débauché par les ans refroidi,
L’organe languissant sous la neige engourdi ?
Le vieillard sans vigueur, qu’un vain désir enflamme,
Est justement suspect de quelque goût infâme.
Autre privation. Citharistes fameux,
Chanteurs, fiers d’étaler vos manteaux fastueux,
Qu’importe qu’au théâtre il soit près de la scène,
Si les accents du cor le réveillent à peine ?
Si, quand il veut savoir ou les heures du jour,
Ou les clients venus pour lui faire la cour,
Afin de surmonter sa surdité profonde,
Il faut que son esclave à grands cris lui réponde ?
Ce n’est pas tout : son sang glacé jusqu’en son cœur,
Ne doit plus qu’à la fièvre un reste de chaleur,
Et tant de maux divers accablent sa faiblesse,
Que, s’il en fallait dire et le nombre et l’espèce,
J’aurais plus tôt compté les amants d’Hippia,
Les hommes qu’en un jour épuise Mævia,
Les fiévreux que Celsus dépêche en un automne,
Les pupilles qu’Hirrus a réduits à l’aumône,
Les jeunes gens courbés par l’infâme Hamillus,
Et les associés que vola Basilus ;
J’aurais plus tôt compté les maisons de plaisance
Où brille maintenant, au sein de l’abondance,
L’affranchi qui, jadis officieux barbier,
Sur mon poil importun faisait sonner l’acier.
L’un souffre de l’épaule et l’autre de la cuisse :
Celui-ci de la goutte endure le supplice :

Perdidit ille oculos et luscis invidet : hujus
Pallida labra cibum accipiunt digitis alienis.
Ipse ad conspectum cœnæ diducere rictum
Suetus, hiat tantum, ceu pullus hirundinis, ad quem
Ore volat pleno miter jejuna. Sed omni
Membrorum damno major dementia, quæ nec
Nomina servorum, nec vultum agnoscit amici
Cum quo præterita cœnavit nocte, nec illos
Quos genuit, quos eduxit. Nam codice sævo
Heredes vetat esse suos ; bona tota feruntur
Ad Phialen : tantum artificis valet halitus oris,
Quod steterat multis in carcere fornicis annis !

Ut vigeant sensus aniini, ducenda tamen sunt
Funera natorum, rogus adspiciendus amatæ
Conjugis et fratris, plenæque sororibus urnæ.
Hæc data pœna diu viventibus, ut, renovata
Semper clade domus, multis in luctibus, inque
Perpetuo mœrore et nigra veste senescant.
Rex Pylius, magno si quidquam credis Homero, 22
Exemplum vitæ fuit a cornice secunde.
Felix nimirum, qui tot per accula mortem
Distulit, atque sues jam dextra computat annos 23
Quique novum toties mustum bibit ! Oro, parumper
Attendas, quantum de legibus ipse queratur
Fatorum, et nimio de stamine, quum videt acris

Celui-là, plus à plaindre, a perdu les deux yeux,
Et, plongé dans la nuit, du borgne est envieux.
Cet autre, tout perclus, d’une main étrangère,
Reçoit la nourriture à ses jours nécessaire,
Et ne sait, à l’aspect de l’aliment offert,
Que présenter la bouche à la main qui le sert,
Semblable en ce moment à la jeune hirondelle
Que revoit, le bec plein, sa mère à jeun pour elle.
Mais c’est peu : son cerveau vient de se déranger ;
Dans sa maison pour lui tout devient étranger ;
Celui dont l’amitié lui fut longtemps si chère,
Qui près de lui soupait encor la nuit dernière,
Ses meilleurs serviteurs, il ne sait plus leur nom ;
Ses fils même, l’objet de son affection,
Il les chasse ; et, séduit par une courtisane,
Transporte tous ses biens à l’impure Cyane :
Tant peut causer de maux le souffle dangereux
D’une Phryné vieillie en un bouge hideux !

Mais je veux qu’à la fin d’une longue carrière,
L’homme ait pu conserver son énergie entière :
D’autant plus malheureux qu’il vécut plus longtemps,
Que de tristes objets affligent ses vieux ans !
Entouré de cyprès et d’urnes funéraires,
Chaque instant lui ravit ou ses sœurs ou ses frères ;
Son épouse n’est plus, ses fils sont au cercueil ;
Il sèche dans les pleurs et vieillit sous le deuil.
Le sage de Pylos, si l’on en croit Homère,
Des jours de la corneille atteignit la chimère.
Il vécut si longtemps, et de pampres nouveaux
Vit tant de fois l’automne ombrager ses coteaux,
Qu’épuisant tout le fil des parques étonnées,
Déjà sur sa main droite il comptait ses années.
Sans doute vous croyez que Nestor fut heureux.
Eh bien ! prêtez l’oreille à ses cris douloureux,
Écoutez ses sanglots, lorsqu’aux murs de Pergame,

Antilochi barbam ardentem : nam quærit ab omni
Quisquis adest socio, cur hæc in tempora duret,
Quod facinus dignum tam longo admiserit ævo.
Hæc eadem Peleus, ratum quum luget Achillem,
Atque alius, cui fas Ithacum lugere natantem.
Incolumi Troja, Priamus venisset ad umbras
Assaraci, magnis solemnibus, Hectore funus
Portante, ne reliquis fratrum cervicibus, inter
Iliadum lacrymas, ut primos edere planctus
Cassandra inciperet, scissaque Polixena palla,
Si foret extinctus diverso tempore, quo non
Cœperat audaces Paris ædificare carinas.
Longa dies igitur quid contulit ? omnia vidit
Eversa, et flammis Asiam ferroque cadentem.
Tunc miles tremulus posita tulit arma tiara,
Et ruit ante aram summi Jovis, ut vetulus bos,
Qui domini cultris tenue et miserabile collum
Præbet, ab ingrate jam fastiditus aratro.
Exitus ille utcumque hominis : sed torva canino
Latravit rictu, quæ post hunc vixerat, uxor.

Festino ad nostros, et regem transeo Ponti,
Et Crœsum, quem vox justi facunda Solonis
Respicere ad longæ jussit spatia ultima vitæ.


Du bûcher d’Antiloque il voit briller la flamme.
O mes amis, dit-il, par quel crime odieux
Excitant contre moi la vengeance des dieux,
Ai-je de tant de jours mérité le supplice ?
Tel Laërte gémit sur l’absence d’Ulysse :
Tel l’époux de Thétis, détestant les combats,
D’Achille assassiné déplore le trépas.
Des fils d’Assaracus, sur les rivages sombres,
Priam avec honneur eût abordé les ombres ;
Le noble Hector, suivi de ses frères en deuil,
Jusqu’au tombeau des rois eût porté son cercueil,
Et, les cheveux épars, Polyxène et Cassandre
Eussent en soupirant accompagné sa cendre :
C’est ainsi que Priam eût rejoint ses aïeux,
S’il eût perdu la vie avant que, sous ses yeux,
Paris, accomplissant un dessein téméraire,
Achevât les apprêts de sa flotte adultère.
De quoi lui servira que l’arrêt du destin,
De sa longue carrière ait retardé la fin ?
Au milieu des débris de sa ville embrasée,
Il voit l’Asie en feu sous son trône écrasée.
En vain de la tiare écartant les bandeaux,
Il charge encor son front du casque des héros.
Soldat faible et tremblant, ceint d’un glaive inutile,
Tel qu’un bœuf aux travaux désormais inhabile
Qui sous le fer ingrat baisse un cou languissant,
Il tombe, et les autels sont rougis de son sang.
Priam, dans cette triste et fatale journée,
D’un homme, en expirant, subit la destinée ;
Mais comment, sans horreur, voir, par des hurlements,
Hécube furieuse exprimer ses tourments ?

Je laisse Mithridate et ce roi de Lydie
Qui reçut de Solon cette leçon hardie,
Qu’un mortel, quel qu’il soit, avant son dernier jour,
Ne saurait se flatter d’un bonheur sans retour.

Exilium, et carcer, Minturnarumque paludes,
Et mendicatus victa Carthagine panis,
Hinc causas habuere. Quid illo cive tulisset
Natura in terris, quid Roma beatius unquam,
Si, circumducto captivorum agmine, et omni
Beborum pompa, animam exhalasset opimam, 24
Quum de Teutonico vellet descendere curru ?
Provida Pompeio dederat Campania febres
Optandas ; sed mœstæ urbes, et publica vota
Vicerunt. Igitur fortuna ipsius et urbis
Servatum victo caput abstulit, hoc cruciatu
Lentulus, hac pœna caruit, ceciditque Cethegus
Integer, et jacuit Catilina cadavere toto.

Formam optat modico pueris, majore puellis
Murmure, quum Veneris fanum videt anxia mater,
Usque ad delicias votorum. Cur tamen, inquit,
Corripias ? pulchra gaudet Latona Diana.
Sed vetat optari faciem Lucretia, qualem

Il est temps de passer à nos propres annales.
Du rival de Sylla les disgrâces fatales,
Son exil, sa prison, Minturne et les roseaux
Où la nuit le dérobe au glaive des bourreaux,
Et le pain qu’il mendie aux lieux où fut Carthage,
D’où lui vient cet excès d’infortune et d’outrage ?
Il vécut trop d’un jour. Quel homme plus heureux,
Quel guerrier revêtu de titres plus pompeux,
Si, dans le même instant où, rayonnant de gloire,
On le vit s’avancer sur son char de victoire,
Et vers le capitole, en nos remparts surpris,
Des Cimbres, des Teutons promener les débris,
Tout à coup, de ses jours un dieu coupant la trame,
Il eût en triomphant exhalé sa grande âme ?
Naples, qui de Pompée a prévu le malheur,
Par une heureuse fièvre enchaîne sa valeur ;
Mais nos cités en deuil, mais les larmes de Rome,
A de nouveaux malheurs appellent ce grand homme ;
Il y court, et sa tête échappée au danger,
Tombe, après le combat, sous un glaive étranger.
Ainsi, pour mettre un terme à la guerre civile,
Le voulait sa fortune et celle de la ville !
Ce supplice du moins épargna Céthégus ;
On ne mutila point le corps de Lentulus ;
Et Catilina même, exempt d’un tel outrage,
Fut trouvé tout entier sur le champ du carnage.

Aux autels de Vénus, une mère, en tremblant,
Se présente inquiète et d’un pied chancelant :
O Vénus, de tes dons embellis ma famille ;
Répands-les sur mon fils, et surtout sur ma fille ;
Tel est le vœu timide et plein d’anxiété
Qui fait battre son cœur tendrement agité.
Un tel vœu, direz-vous, n’a rien que l’on condamne ;
Latone s’applaudit des charmes de Diane.
Oui ; mais, par la rigueur de son fatal trépas

Ipas habuit. Cuperet Rutilæ Virginia gibbum
Accipere, atque suam Rutilæ dare. Filius autem
Corporis egregii miseros trepidosque parentes
Semper habet : rara est adeo concordia formæ
Atque pudicitiæ ! Sanctos licet horrida mores
Tradiderit domus, ac veteres imitata Sabinas ;
Præterea castum ingenium, vultumque modesto
Sanguine ferventem tribuat natura benigna
Larga manu (quid enim puero conferre potest plus
Custode et cura natura potentior omni ? ),
Non licet esse viros : nam prodiga corruptoris
Improbitas ipsos audet tentare parentes :
Tanta in muneribus fiducia ! Nullus ephebum
Deformem sæva castravit in arce tyrannus ; 25
Nec prætextatum rapuit Nero loripedem, nec
Strumosum, atque utero pariter gibboque tumentem.

I, nunc, et juvenis specie lætare tui, quem
Majora exspectant discrimina ! Fiet adulter
Publicus, et pœnas metuet quascumque mariti
Exigere irati ; nec erit felicior astro
Martis, ut in laqueos nunquam incidat. Exigit autem
Interdum ille dolor plus quam lex ulla dolori
Concessit. Necat hic ferro, secat ille cruentis
Verberibus ; quosdam mœchos et mugilis intrat. 26

Lucrèce te défend d’envier ses appas ;
Et, maudissant les siens, la triste Virginie
Leur aurait préféré la bosse d’Ogulnie !
Que je te plains, ô toi, dont le fils, en naissant,
Reçut de la beauté le dangereux présent !
Les mœurs et la beauté n’habitent guère ensemble.
En vain autour de lui ta maison ne rassemble
Qu’exemples de vertu, qu’images de pudeur :
En vain ce front modeste où siège la candeur,
Montre dans tous ses traits une âme chaste et pure ;
Qu’eût fait de plus pour lui l’indulgente nature
Dont l’empire est plus doux, plus puissant sur nos cœurs,
Que toutes les leçons et tous les gouverneurs ?
Il cessera d’être homme ; il verra sa jeunesse,
Sa beauté mise à prix ; il verra la richesse,
Tant l’or à son pouvoir croit que tout doit céder,
A ses propres parents venir le marchander.
Étaient-ils contrefaits, sans grâce, sans figure,
Ces jeunes gens qu’au gré d’une infâme luxure,
Des tyrans façonnaient à leurs goûts dépravés ?
Et ces adolescents sous la pourpre enlevés,
Ces fils de sénateurs, dont, malgré leur naissance,
Néron prostituait le sexe et l’innocence,
Étaient-ils ou rongés par d’impures humeurs,
Ou boiteux, ou couverts de hideuses tumeurs ?

Triomphe, père aveugle, à l’aspect de ces charmes
Qui bientôt à ton fils coûteront tant de larmes.
Tu le verras, bravant la fureur des jaloux,
Adultère banal expirer sous leurs coups.
Aurait-il, plus que Mars, le rare privilège,
De tromper les Vulcains et d’éviter leur piège ?
Qu’il tremble alors : l’époux outragé dans ses droits,
Ne s’arrêtera point dans les bornes des lois.
Pour punir l’insolent surpris dans son asile,
Il emploiera le fer, les verges, le mugile.

Sed tuus Endymion dilectæ fiet adulter
Matronæ ; mox, quum dederit Servilia nummos,
Fiet et illius quam non amat : exuet omnem
Corporis ornatum. Quid enim ulla negaverit udis
Inguinibus, sive est hæc Hippia, sive Catulla ?
Deterior totos habet illic femina mores.

Sed casto quid forma nocet ? quid profuit olim
Hippolyto grave propositum ? quid Bellerophonti ?
Erubuit nempe hæc, ceu fastidita, repulsa.
Nec Sthenobœa minus quam Cressa excanduit, et se
Concussere ambæ. Mulier sævissima tunc est,
Quum stimulos odio pudor admovet. Elige quidnam
Suadendum esse putes, cui nubere Cæsaris uxor
Destinat. Optimus hic, et formosissimus idem
Gentis patriciæ, rapitur miser extinguendus
Messalinæ oculis. Dudum sedet illa parato 27
Flammeolo, tyriusque palam genialis in hortis
Sternitur, et ritu decies centena dabuntur 28
Antiquo ; veniet cum signatoribus auspex.
Hæc tu secreta et paucis commissa putabas ?
Non, nisi legitime, vult nubere : quid placeat, dic ?
Ni parere vetis, pereundum erit ante lucernas.
Si scelus admittas, dabitur mora parvula, dum res

Mais ton Endymion, fidèle à ses amours,
N’aura qu’une Diane et l’aimera toujours.
Vaine erreur. Qu’à ses yeux Pompéïa se présente :
Elle est riche : il suffit : la fortune le tente :
Sans amour, par calcul, il tombe à ses genoux,
Et Pompéïa pour lui vend jusqu’à ses bijoux.
Quelle femme en effet, ou Julie ou Catulle,
Quand un désir brûlant en ses veines circule,
Quand l’espoir du plaisir l’inonde de sueur,
Refusa jamais rien à sa pressante ardeur ?

— En quoi donc le présent d’une beauté modeste
A l’homme vertueux peut-il être funeste ?
— Considère Hippolyte, et vois Bellérophon :
A leur austérité quel prix réserve-t-on ?
Sténobée en rougit : Phèdre en frémit de rage
L’une et l’autre, jurant de venger son outrage,
Ne voit plus son amant qu’avec des yeux d’horreur.
La femme dédaignée est un tigre en fureur.
Silius a frappé les yeux de Messaline :
L’épouse de César à son lit le destine ;
Parle, que fera-t-il ? que lui conseilles-tu ?
Modèle de beauté, de grâce, de vertu,
Vainement il repousse une flamme abhorrée ;
Messaline l’a vu : sa perte est assurée.
Déjà dans les jardins, pour cet hymen fatal,
Tout est prêt, les flambeaux, le voile nuptial,
La couche des époux, l’augure, la victime,
Et les témoins d’usage, et la dot légitime.
Tu croyais, Silius, qu’en un secret profond,
Elle voudrait de Claude ensevelir l’affront.
Non, des lois, des autels, pour ce nœud sacrilège,
Elle réclamera l’auguste privilège.
Choisis. Il faut céder ou périr dans le jour.
Si tu veux couronner son criminel amour,
Tu vivras jusqu’à l’heure où de cette aventure

Nota urbi et populo contingat principis aures.
Dedecus ille domus sciet ultimus. Interea tu
Obsequere imperio, si tanti est vita dierum
Paucorum. Quidquid melius leviusque putaris,
Præbenda est gladio pulchra hæc et candida cervix.
Nil ergo optabunt homines ? Si consilium vis,
Permittes ipsis expendere numinibus, quid
Conveniat nobis, rebusque sit utile nostris :
Nam pro jucundis aptissima quæque dabunt di.
Carior est illis homo quam sibi. Nos animorum
Impulsu, et cæca magnaque cupidine ducti,
Conjugium petimus, partumque uxoris ; at illis
Notum qui pueri, qualisque futura sit uxor.
Ut tamen et poscas aliquid, voveasque sacellis
Exta, et candiduli divina tomacula porci,
Orandum est ut sit mens sana in corpore sano.
Fortem posce animam, mortis terrore carentem,
Qui spatium vitæ extremum inter munera ponat
Naturæ, qui ferre queat quoscumque labores,
Nesciat irasci, cupiat nihil, et potiores
Herculis ærumnas credat sævosque labores
Et Venere, et cœnis, et pluma Sardanapali.

Le bruit, de Rome entière excitant le murmure,
Ira dans son palais réveiller l’empereur.
C’est lui qui le dernier saura son déshonneur.
Si cependant, d’une âme à la crainte asservie,
Tu n’oses sur-le-champ renoncer à la vie :
Si tu mets tant de prix à quelques jours de plus,
Obéis : mais prononce un généreux refus,
Ou perds, en consentant, tout le soin de ta gloire,
Le glaive du licteur attend ce cou d’ivoire.
— Ainsi l’homme n’a rien à demander aux cieux !
— Voulez-vous un conseil ? laissez faire les dieux.
L’homme leur est plus cher qu’il ne l’est à lui-même.
Il s’abuse en courant après le bien suprême ;
Car les dieux, mieux Instruits de son propre intérêt,
Font ce qui lui convient, et non ce qui lui plaît.
Entrainés par nos vœux dans une erreur profonde,
Nous voulons une épouse et la voulons féconde ;
Mais ils savent déjà ces dieux plus clairvoyants,
Ce que seront un jour la mère et les enfants.
Ce n’est pas toutefois que leur bonté propice
Refuse d’accueillir un pieux sacrifice.
Veux-tu les voir sourire et céder à tes vœux ?
Demande un esprit sain dans un corps vigoureux :
Une âme que jamais aucun trouble n’agite ;
Que n’épouvantent point les fables du Cocyte ;
Qui ne s’égare pas de souhait en souhait ;
Qui regarde la mort comme un dernier bienfait ;
Qui sache supporter la fortune contraire,
Modérer ses désirs, réprimer sa colère ;
Qui préfère à la table, aux plaisirs, au repos,
Les fatigues d’Hercule et ses douze travaux.

Monstro qnod ipse tibi possis dare. Semita certe
Tranquillæ per virtutem patet unica vitæ.
Nullum numen abest, si sit prudentia : nos te, 29
Nos facimus, Fortuna, deam, cœloque locamus.

Ce sentier peu battu qui mène au bien suprême,
Chacun, quand il le veut, le trouve par lui-même ;
La vertu nous l’indique : elle seule ici bas
Vers ce but glorieux peut diriger nos pas.
Tu n’es rien, ô Fortune ! où règne la sagesse,
Et c’est nous, oui nous seuls, qui te faisons déesse.

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SATIRE XI.


D’un banquet fastueux la superbe ordonnance,
Chez Bassus est grandeur, chez Rutilus, démence.
Dans le fait, est-il rien dont on se moque plus
Que des profusions d’un pauvre Apicius ?
Aussi, dans les soupers, sur les places publiques,
Aux théâtres, aux bains, que de traits satiriques
Viennent sur Rutilus pleuvoir de toutes parts !
Jeune, robuste, propre aux fatigues de Mars,
On dit que, sous les lois d’un dur maître d’escrime,
Il va du mirmillon apprendre l’art sublime;
Et ce n’est plus César qui l'exige de lui !
César de le souffrir se contente aujourd’hui.
Combien j’en citerais que, pour les mieux surprendre,
Aux abords du marché l’usurier court attendre,
Et dont le seul motif de vivre est de manger !
Plus ils sont obérés, plus s’accroît le danger
De voir avec fracas éclater leur ruine,
Moins ils mettent de borne aux frais de leur cuisine.
Ils ne calculent plus. L’eau, la terre, les airs
Leur doivent le tribut des morceaux les plus chers :
Que dis-je ? il n’en est point d’assez chers pour leurs tables,
Et c’est le prix surtout qui les rend délectables.
  Leur faut-il, pour fournir à ce luxe effréné
Un argent à périr aussitôt condamné ?
La chose est toute simple ; ils iront à l’enchère
Exposer les débris du buste de leur mère,
Leur dernier vase d'or, et, sur un plat grossier,

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Mangeront dans un mets le cens du chevalier !
Voilà par quel chemin, pauvres, criblés de dettes,
Ils arrivent au pain dont vivent les athlètes.
Il est donc important, pour juger de tels frais,
De connaître avant tout celui qui les a faits.
Honteux chez Rutilus, chez Bassus honorables,
Ils sont, d’après le cens, ou permis ou blâmables.
Gurgès sait de combien les cimes de l’Atlas
Surpassent en hauteur les monts de ces climats.
Qu’importe, s’il ne peut d’un coffre-fort immense
Avec un petit sac faire la différence ?
Le Gnôthi seauton est descendu des cieux.
Grave le dans ton cœur cet oracle des dieux.
Soit que par les liens d’un heureux hyménée,
Tu cherches à fixer enfin ta destinée,
Soit que l’ambition d’être utile à l’état.
Te fasse désirer une place au sénat ;
(Thersite, s’épargnant un combat inutile,
N'osa pas demander le bouclier d’Achille,
Ce bouclier pesant, ouvrage de Vulcain,
Qu'Ulysse ne portait que d’un bras incertain.)
Et si, pour un procès d’une grande importance,
Des luttes du barreau tu veux courir la chance,
Avant que d’affronter ces orageux débats,
Consulte tes moyens : demande toi tout bas
Si le ciel t'a doué du talent oratoire,
Ou si, comme Mathon, tu n’es qu’une mâchoire ;
Prends ta mesure en tout. Il te faut du poisson,
Et tu n’as que l’argent qu’il faut pour un goujon ;
Laisse le surmulet. Si de ta gourmandise
Les besoins vont croissant, quand ta bourse s’épuise :
Si tu veux, dévorant ton patrimoine entier,
Digérer en un jour argent et mobilier.
N’épargner ni troupeaux, ni bois, ni métairie,
Quelle sera la fin de ta gloutonnerie ?

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SATIRE XII.


Oui, mon cœur te préfère au jour de ma naissance,
Heureux jour, où, fêtant l’ami de mon enfance,
Je vais faire couler sur un tertre pieux
Le sang des animaux que j’ai promis aux dieux.
J’y cours, accompagné d’un modeste cortége.
Immoler deux brebis plus blanches que la neige,
L’une à Junon, et l’autre à celle dont le bras,
De la Gorgone armé, sème au loin le trépas.
Pour toi qu’au Tarpéien tout un peuple contemple.
Je te destine un don plus digne de ton temple ;
C’est un jeune taureau dont le front mutiné
Cherche à briser le nœud qui le tient enchaîné.
Mûr pour la liqueur sainte et pour le sacrifice,
Il dédaigne déjà le lait de sa nourrice.
Et, secouant la tête, ardent, impétueux,
De sa corne naissante insulte un tronc noueux.
Que n’ai-je une fortune égale à ma tendresse !
J’irais, dans le transport de ma vive allégresse.
Traîner moi-même aux pieds du sacrificateur.
Un bœuf sur Hispulla l’emportant en grosseur.
Il ne sortirait point de nos prochains herbages.
Parmi des prés fleuris et de gras pâturages.
Pour les jours solennels avec soin réservé.
Sur les bords du Clitumne on l’aurait élevé.
Voilà par quels tributs j’exprimerais ma joie,
Au retour de l’ami que le ciel me renvoie,
Et qui, voyant encor les gouffres entr’ouverts,

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S’étonne de survivre aux maux qu’il a soufferts.
C’était peu des dangers d’une horrible tempête.
Et du bruit de la foudre éclatant sur sa tête ;
Un immense nuage, aux yeux des matelots,
Avait caché le ciel, et pesait sur les flots.
Du milieu de la nuit des flammes s’échappèrent ;
La vergue s’alluma ; les voiles s’embrasèrent :
Et chacun sur la nef, de feux enveloppé,
Comme du même trait soudainement frappé,
Moins que de l’incendie, avait peur du naufrage.
Tel gronde en vers pompeux un poétique orage.
Ce n’est point tout encore ; écoute et compâtis.
Ces craintes, cet effroi, d’autres les ont sentis.
Et les tableaux votifs suspendus dans nos temples.
D’un semblable danger nous offrent cent exemples.
Qui ne sait, en effet, que les autels d’Isis
Nourrissent parmi nous des milliers de Zeuxis7
Mais ce n’en est pas moins une cruelle chance.
Et Catulle en a fait la dure expérience.
Déjà, des deux côtés par les flots assailli.
Jusqu’au milieu des flancs le navire est rempli.
En vain le vieux nocher, déployant sa science.
De la vague en fureur combat la vidence.
Il voit l’onde grossir et le mât s’ébranler ;
Avec les vents alors il faut capituler ;
Et comme le castor, dans un péril extrême.
Pour tromper le chasseur, se mutile lui-même.
Tant du trésor qu’il porte il connaît la vertu !
Reprenant tout à coup son courage abattu,
Jetez tout, dit Catulle ; et ses mains empressées,
Dans l’abîme profond des vagues courroucées,
Lancent au même instant ces manteaux fastueux.
Des Mécènes du jour ornements somptueux.
Et ces robes de pourpre, et ces laines superbes
Que le mélange heureux et des eaux et des herbes,

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Et l’air pur des vallons qu’arrose le Bétis,
Colore sans travail sur le dos des brebis.
Tout périt, tout s’engouffre au vaste sein des ondes,
Vaisselle, argenterie, urnes assez profondes
Pour étancber la soif du centaure Pholus,
Ou pour désaltérer l’épouse d’Asylus ;
Et jusques à la coupe, ouvrage magnifique,
Dans laquelle avait bu le rusé politique
Qui, comptant sur le fer moins que sur son trésor,
Pénétra dans Olynthe avec une clef d’or.
Quel autre, de nos jours, de la mort toute prête.
Au prix de son argent, rachèterait sa tète ?
L’avare que séduit le plaisir d’entasser,
N’amasse point pour vivre, il vit pour amasser.
Catulle a préféré sa vie à sa fortune :
Sacrifice impuissant pour désarmer Neptune !
Chaque moment ajoute à l’horreur du danger ;
La tempête redouble, et, pour se dégager,
Il coupe, abat lui-même, extrémité funeste !
Le mât de son esquif, pour en sauver le reste.
Va donc, faible mortel, sous des climats lointains,
Au caprice des vents confier tes destins,
Et consens à ne voir sur un abîme immense.
Entre la mort et toi, que sept doigts de distance ;
Mais aux provisions que tu prendras à bord.
Joins des haches, avant de t’éloigner du port.
La mer plus calme enfin rassurre l’équipage.
La Parque se déride, et, lâchant les ciseaux,
D’une laine plus blanche entoure ses fuseaux.
Quelques haillons tendus et la voile de proue.
Recueillent le zéphir qui les gonfle et s’y joue.
L’Auster ne gronde plus, et Phébus de retour
Ramène l’espérance avec l’éclat du jour.
Alors on voit la cime où, fuyant Lavinie,
Ascagne tranplanta sa noble colonie,

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Quand sondain, éclatent d’une rare blancheur,
Avec trente petits de la même couleur,
Une laie apparut aux descendants de Troie,
Qui, frappés de surprise et transportés de joie,
Du fortuné présage offert à leurs regards,
Donnèrent le nom d’Albe à leurs nouveaux remparts.
Du vaisseau mutilé la débile carène
Double péniblement le phare de Thyrrène ;
Elle gagne ce port dont les moles hardis
Par d’immenses travaux à deux fois arrondis.
S’avancent sur la mer, en fuyant nos rivages.
Qui pourrait comparer à de pareils ouvrages.
Ces ports que la nature à creusés sans dessein ?
Le pilote, en ce vaste et tranquille bassin,
Met enfin à l’abri sa poupe fracassée ;
IL n’a plus rien à craindre ; et, la tête rasée.
Le matelot bavard, dans des récits joyeux.
Se plait à raconter ses travaux périlleux.
Allons ! plus de délais : que la fête commence :
Attentifs à ma voix, enfants, faites silence ;
Décores de festons et le temple et l’autel ;
Saupoudrez les couteaux de farine et de sel ;
Je vous suis, et sitôt qu’à mes désirs propice
Le ciel aura reçu ce premier sacrifice.
Je rentre en ma maison où, de lierre ombragés,
Mes Pénates de cire en ordre sont rangés.
Là, de mon Jupiter j’encenserai l’image ;
Là, mes dieux paternels recevront mon hommage ;
Je n’épargnerai rien, et, prodigue de fleurs.
Mes mains en répandront de toutes les couleurs.
Déjà de toutes parts ma maison est ornée :
Déjà de longs rameaux ma porte est couronnée,
Et des feux allumés longtemps avant le jour,
De l’ami que je fête annoncent le retour.
Ne va point, Gorvinus, d’un soupçon téméraire,

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Quis nescit, Volesi Bithynice, qualia demens
Ægyptus portenta colat ? Crocodilon adorat
Pars hæc, illa pavet saturam serpentibus ibin.
Effigies sacri nitet aurea cercopitheci,
Dimidio magicæ resonant ubi Memnone chordæ,
Atque vetus Thebe centum jacet obruta portis.
Illic æluros, hic piacem fluminis, illic
Oppida tota canem venerantur, nemo Dianam.
Porrum et cepe nefas violare et frangere morsu.
O sanctas gentes, quibus hæc nascuntur in hortis
Numina ! Lanatis animalibus abstinet omnis
Mensa : nefas illic fetum jugulare capellæ ;
Carnibus humanis vesci licet. Attonito quum
Tale super cœnam facinus narraret Ulysses
Alcinoo, bilem aut risum fortasse quibusdam
Moverat, ut mendax aretalogus. In mare nemo
Hunc abicit, sæva dignum veraque Charybdi,
Fingentem immanes Læstrygonas atque Cyclopes ?
Nam citius Scyllam, vel concurrentia saxa
Cyanes, plenos et tempestatibus utres
Crediderim, aut tenui percussum verbere Circes,
Et cum remigibus grunisse Elpenora porcis.
Tam vacui capitis populum Phæaca putavit ?


SATIRE XV.


On sait, Volusius, à quels dieux ridicules
L’habitant de l’Égypte offre ses vœux crédules.
Là, devant un ibis de serpents engraissé,
Se prosterne en tremblant un vulgaire insensé ;
Ici fume l’encens aux pieds d’un crocodile ;
Plus loin, sur Thèbes en cendre, une foule imbécile,
Aux lieux où de Memnon l’airain frémit encor,
D’un œil respectueux contemple un singe d’or.
Ils honorent le chat, le poisson des rivières ;
Le chien est adoré par des cités entières,
Diane par personne ! et non moins vénérés,
Leurs poireaux, leurs oignons à leurs yeux sont sacrés ;
Y porter de la dent la plus légère atteinte,
Serait un sacrilège. O la nation sainte
A qui dans ses jardins il naît de pareils dieux !
Ils n’égorgeront pas, ces peuples odieux,
La chèvre ou l’animal qui nous donne sa laine ;
Mais ils se permettront des mets de chair humaine.
Quand chez Alcinous, d’étonnement frappé,
D’un crime de ce genre, à la fin du soupé,
Ulysse entretenait les vieillards de Corcyre,
Quelqu’un dut s’en fâcher, on du moins en put rire.
Quoi ! nous n’oserons pas dans les gouffres profonds,
Avec son Polyphème et tous ses Lestrygons,
Envoyer ce hâbleur, digne d’un tel supplice,
Et qu’en effet Charybde en ses flancs l’engloutisse ?
Nous croit-il à ce point dépourvus de bon sens ?

Sic aliquis merito nondum ebrius, et minimum qui
De Corcyæa temetum duxerat urna :
Solus enim hoc Ithacus nullo sub teste canebat.
Nos miranda quidem, sed nuper, consule Junio,
Gesta, super calidæ referemus mœnia Copti ;
Nos vulgi scelus, et cunctis graviora cothurnis.
Nam scelus a Pyrrha quanquam omnia syrmata volvas,
Nullus apud tragicos populus facit. Accipe nostro
Dira quod exemplum feritas produxerit ævo.
Inter finitimos vetus atque antiqua simultas,
Immortale odium, et nunquam amabile vulnus
Ardet adhuc Ombos et Tentyra. Summus utrinque
Inde furor vulgi, quod numina vicinorum
Odit uterque locus, quum solos credat habendos
Esse deos, quos ipse colit. Sed, tempore festo
Alterius populi, rapienda occasio cunctis
Visa inimicorum primoribus ac ducibus, ne
Lætum hilaremque diem, ne magnæ gaudia cœnæ
Sentirent, positis ad templa et compi ta mensis,
Pervigilique toro, quein nocte ac luce jaceatem
Septimus interdum sol invenit. Horrida sane

Passe pour sa Scylla, ses monstres mugissants,
Ses rochers dans les airs se heurtant sur sa tête,
Ses outres renfermant la foudre et la tempête,
Son Elpénor grognant avec ses matelots
Qu’un coup de sa baguette a changés en pourceaux.
Ainsi dut s’exprimer quelque habitant de l’île,
Dont le vin n’avait pas encore aigri la bile ;
Car ces faits merveilleux rapportés de si loin,
Ulysse n’en pouvait citer aucun témoin.

Pour moi, je vais conter un crime épouvantable,
Un crime sans exemple et pourtant véritable :
Le fait, sous Junius, arriva dans Coptos ;
C’est le crime d’un peuple ; et des plus noirs complots
Qu’ait jamais inventés la sombre Melpomène,
Aucun n’est comparable à cette horrible scène.
Quand vit-on en effet, depuis Deucalion,
Un forfait accompli par une nation ?
Écoutez donc ce trait de vengeance et de rage,
Ce trait dont la fureur n’appartient qu’à notre âge.

Entre les deux cités de Tentyre et d’Ombos,
Autrefois la discorde alluma ses flambeaux ;
Et depuis, une haine endurcie, implacable
A formé dans leur cœur un ulcère incurable.
De ces peuples rivaux le culte est différent,
Et chacun dans son zèle aveugle, intolérant,
Rendant à son voisin insulte pour insulte,
Croit qu’il n’est dû d’encens qu’aux objets de son culte.
Tel est de leur fureur le principe cruel.
Un jour que, préparant un banquet solennel,
Dans les temples sacrés, sur les places publiques,
Tentyre rassemblait ses tribus fanatiques,
Tout à coup dans Ombos on conçoit le dessein
De venir les troubler au milieu du festin,
Longue et bruyante orgie où la septième aurore,
À table quelquefois les retrouvait encore.

Ægyptus : sed luxuria, quantem ipse notavi,
Barbara famoso non cedit turba Canopo.
Adde quod et facilis victoria de madidis et
Blæsis, atque mero titubantibus. Indr virorum
Saltatus nigro tibicine, qualiacumque
Urguenta et flores, multæque in fronte coronæ
Hinc jejunum odium. Sed jurgia prima sonare
Incipiunt animis ardentibus hæc tuba rixæ :
Dein clamore pari concurritur, et vice teli
Sævit nuda manus. Paucæ sine vulnere malæ :
Vix cuiquam, aut nulli, toto certamine nasus
Integer. Aspiceres jam cuncta per agmina vultus
Dimidios, alias facies, et hiantia ruptis
Ossa genis, plenos oculorum sanguine pugnos.
Ludere se credunt ipsi tamen, et pueriles
Exercere acies, quod nulla cadavera calcent.
Et sane quo tot rixantis millia turbæ,
Si vivunt omnes ? Ergo acrior impetus, et jam
Saxa inclinatis per humum quæsita lacertis
Incipiunt torquere, domestica seditioni
Tela ; nec hunc lapidem, quales et Turnus et Ajax,
Vel quo Tydides percussit pondere coxam
Æneæ sed quem valeant emittere dextræ
Illis dissimiles et nostro tempore natæ.
Nam genus hoc vivo jam decrescebat Homero.
Terra malos homines nunc educat atque pusillos ;
Ergo deus quicumque aspexit, ridet et odit.

A diverticulo repetatur fabula. Postquam
Subsidiis aucti, pars altera promere ferrum
Audet, et infestis pugnam instaurare sagittis ;

Sans doute ce canton n’est point civilisé ;
Mais si mes propres yeux ne m’ont point abusé,
En fait d’impurs plaisirs et de débauche extrême,
Il ne le cède pas à Canope elle-même.
Ajoutez que surpris, ivres et chancelants,
Tout secondait contre eux l’effort des assaillants.
Là, sans songer à rien, une foule en cadence,
Autour d’un noir flutteur, formant des chœurs de danse,
Des tables, des parfums, des guirlandes de fleurs :
Ici la haine à jeun méditant ses fureurs.
Des deux côtés d’abord, on s’échauffe, on s’outrage :
C’est, faute de clairon, le signal du carnage.
La main tient lieu de traits ; on se frappe à grands cris.
Tous les nez, tous les fronts sont cassés ou meurtris.
On ne voit plus partout que cervelle entamée,
Oreilles en lambeaux, mâchoire désarmée ;
Jeux d’enfants toutefois, ridicules débats !
Si personne ne meurt, à quoi bon ces combats ?
De la sédition armes plus familières,
Enfin de toutes parts volent, sifflent les pierres ;
Non point ces lourds rochers qu’aux jours de nos aïeux,
Se lançaient des héros, nobles enfants des dieux,
Un Turnus, un Ajax, et le fier Diomède,
Lorsque Enée appelait tout le camp à son aide.
Les pierres dont ce peuple emprunte le secours,
Sont telles qu’il les faut à des bras do nos jours.
La race des mortels décroît et dégénère.
Elle s’affaiblissait déjà, du temps d’Homère,
Et la terre, aujourd’hui, de ses flancs énervés
Ne produit que des nains frêles et dépravés.
Aussi, lorsque du haut de la voûte céleste,
Un dieu les voit aux mains, il rit et les déteste.

Mais revenons aux faits : tremblant, vaincu d’abord,
Le peuple de Tentyre a reçu du renfort.
Du glaive et de la flèche il s’arme avec audace,

Terga fugæ celeri præstantibus omnibus, instant
Qui vicina colunt umbrosæ Tentyra palmæ.
Labitur hinc quidam, nimia formidine cursum
Præcipitans, capiturque ; ast illum in plurima sectum
Frusta et particules, ut mortis mortuus unus
Sufficeret, totum corrosis ossibus edit
Victrix turba ; nec ardenti decoxit aheno,
Aut verubus : longum usque adeo tardumqne putavit
Exspectare focos, contenta cadavere crudo.
Hinc gaudere libet, quod non violaverit ignem
Quem summa cœli raptum de parte Prometheus
Donavit terris. Elemento gratulor, et te
Exsultare reor ; sed qui mordere cadaver
Sustinuit, nil unquam hac carne libentius edit.
Nam scelere in tanto ne quæras et dubites an
Prima voluptatem gula senserit ; ultimus autem
Qui stetit, absumpto jam toto corpore, ductis
Per terram digitis, aliquid de sanguine gustat.

Vascones, ut fama est, alimentis talibus usi
Produxere animas : sed res diversa, sed illic
Fortunæ invidia est, bellorumque ultima, casus
Extremi, longæ dira obsidionis egestas.
Hujus enim, quod nunc agitur, miserabile debet
Exemplum esse cibi. Sicut modo dicta mihi gens
Post omnes herbas, post cuncta animalia, quidquid
Cogebat vacui ventris furor, hostibus ipsis

Et le combat reprend une nouvelle face.
Bientôt les agresseurs cèdent de tout côté ;
Et tandis qu’à grands pas, l’un d’eux épouvanté,
Au milieu des fuyards, court et se précipite,
Il tombe. On se saisit du malheureux Ombite ;
Avide de ronger, de dévorer ses os,
On l’entoure, on l’égorge, on le coupe en morceaux.
L’airain tarderait trop à leur faim haletante,
Et d’un cadavre crû la troupe se contente.
Du moins le feu sacré qu’à la voûte des cieux
Déroba de Japet le fils audacieux,
Ce principe immortel dont il forma notre âme,
Ne fut point profané par cette horde infâme.
Ah ! je l’en félicite, et ce bonheur, je crois,
Volusius le sent, le partage avec moi.
Ne me demandez pas si le tigre farouche
Qui porta le premier ces lambeaux à sa bouche,
Trouva quelque plaisir à ce repas affreux ;
Jamais il ne goûta rien de plus savoureux ;
Et celui qui, trompé dans sa barbare joie,
Ne put avoir sa part de l’exécrable proie,
S’attachant au gazon et du doigt le pressant,
En exprima du moins quelques gouttes de sang.

Les Vascons, direz-vous, pour prolonger leur vie,
Jadis ont eu recours à ce festin impie ?
Oui, sans doute, ils l’ont fait ; mais la haine du sort,
Mais l’horreur de céder dans une guerre à mort,
Mais les derniers malheurs d’un siège impitoyable
Semblaient justifier ce repas effroyable.
Ils avaient englouti les herbes, les troupeaux,
Et jusqu’aux ossements des plus vils animaux.
Fantômes décharnés, errant sur leurs murailles,
La rage de la faim dévorait leurs entrailles :
Elle seule poussait leurs bras désespérés :
Et, s’ils se sont nourris de ces mets abhorrés,

Pallorem ac maciem ac tenues miserantibus artus,
Membra aliena fame lacerebant, esse parati
Et sua. Quisnam hominum veniam dare, quisve deorum
Urbibus abnuerit dira atque immania pessis,
Et quibus illorum poterant ignoscere manes
Quorum corporibus vescebantur ? Melius nos
Zenonis præcepta monent : nec enim omnia, quædam
Pro vita facienda putat. Sed Cantaber unde
Stoicus, antiqui præsertim ætate Metelli ?
Nunc totus Graias nostrasque habet orbis Athenas.
Gaula causidicos docuit facunda Britannos ;
De conducendo loquitur jam rhetore Thule.

Nobilis ille tamen pontus quem diximus, et par
Virtute atque fide, sed major clade Saguntus
Tale quid excusat. Mæotide sævior ara
Ægyptus : quippe illa nefandi Taurica sacri
Inventrix, homines, (ut jam quæ carmina tradunt
Digna fide credas) tantum immolat ; ulterius nil
Aut gravius cultro timet hostia. Quis modo casus
Impulit hos ? quæ tanta fames infestaque vallo
Arma cœgerunt tam detestabile monstrum
Audere ? Anne aliam, terra Memphitide sicca,
Invidiam facerent nolenti surgere Nilo ?
Qua nec terribiles Cimbri, nec Britones unquam
Sauromatæque truces, aut immanes Agathyrsi,

Ce n’est que dans l’instant où, sourds à la nature,
Leur propre chair allait leur servir de pâture.
L’assiégeant attendri leur accorda des pleurs.
Et quel homme, quel dieu n’eût gémi des malheurs
D’un peuple que peut-être, en ces moments extrêmes,
Ceux dont il but le sang, excusèrent eux-mêmes ?
De Zénon, il est vrai, la sévère raison
Nous donne une meilleure et plus haute leçon ;
Si l’on peut à la mort tenter de se soustraire,
L’homme, pour l’éviter, n’a pas droit de tout faire ;
Mais ces dogmes, au temps de l’ancien Métellus,
Un barbare, un Cantabre, où les aurait-il lus ?
Maintenant la sagesse a des lois plus humaines ;
Partout brillent les mœurs et de Rome et d’Athènes ;
La Gaule a des Bretons fait un peuple orateur,
Et l’on parle à Thulé d’y gager un rhéteur !

Ces généreux Vascons, et le peuple indomptable
Qui, victime d’un siège encor plus lamentable,
S’immola dans Sagonte à la fidélité,
Ne cédèrent du moins qu’à la nécessité ;
Mais de l’Egyptien la fureur homicide,
Surpassa les forfaits du Palus-Méotide.
Là, dit-on, quand Diane, aux pieds de son autel,
Voit plonger le poignard dans le sein d’un mortel,
Son prêtre, satisfait du sang de la victime,
Par d’autres cruautés n’ajoute point au crime.
Qui força donc Tentyre à cette atrocité ?
Les menaces, l’aspect d’un vainqueur irrité ?
La disette, la faim, les horreurs d’un long siège ?
Qu’aurait osé de plus ce peuple sacrilège,
Si tout à coup le Nil, avare de ses flots,
A l’aride Memphis eût refusé ses eaux ?
Ce que ne fit jamais, dans l’ardeur du carnage,
Le Cimbre, le Teuton, l’Agathyrse sauvage,
Une horde sans nom, rebut du genre humain,

Hac sævit rabie imbelle et inutile vulgus,
Parvula fictilibus solitum dare vela phaselis,
Et brevibus pictæ remis incumbere testæ.

Nec pœnam sceleri invenies, nec digna parabis
Supplicia his populis, in quorum mente pares sunt
Et similes ira atque fames. Mollissima corda
Humano generi dare se natura fatetur,
Quæ lacrymas dedit : hæc nostri pars optima sensus.
Plorare ergo jubet causam dicentis amici
Squatoremque rei, pupillum ad jura vocantem
Circumscriptorem, cujus manantia fletu
Ora puellares faciunt incerta capilli.
Naturæ temperio gemimus, quum funus adultæ
Virginis occurrit, vel terra clauditur infans,
Et minor igne rogi. Quis enim bonus, et face dignus
Arcana, qualem Cereris vult esse sacerdos,
Ulla aliena sibi credat mala ? Separat hoc nos
A grege mutorum : atque ideo venerabile soli
Sortiti ingenium, divinorumque capaces,
Atque exercendis capiendisque artibus apti,
Sensum a cœlesti demissum traximus arce,

Qui, pour toute industrie, une rame à la main,
Sait guider, sur son fleuve, une conque de terre,
Le vil Égyptien n’a pas craint de le faire !

Quel supplice inventer, où trouver un tourment
Capable d’expier l’affreux égarement
D’un peuple aux yeux de qui la soif de la vengeance,
Autant que la famine a droit à l’indulgence ?
Le créateur pourtant, en nous donnant les pleurs,
Prouve qu’il a gravé la pitié dans nos cœurs.
Elle est du genre humain le plus beau caractère ;
C’est elle qui nous fait gémir sur la misère,
Sur le deuil d’un ami plongé dans la douleur,
Quand, sous un vêtement conforme à son malheur,
Pour défendre sa cause, il parait en justice ;
Ou que de son tuteur poursuivant l’avarice,
Un pupille encor vierge, et les cheveux épars,
Sur son sexe incertain attendrit nos regards.
Et lorsque nous voyons, d’un pas lent et tranquille,
S’avancer le convoi d’une fille nubile ;
Lorsque avant d’être mûr pour le fatal bûcher,
Tendre fleur qu’en passant la mort vient de toucher,
Un fils est déposé dans le sein de la terre,
Si nous sommes émus d’un trouble involontaire,
Si des pleurs, malgré nous, s’échappent de nos yeux,
De la nature encor c’est l’ordre impérieux.
Quel homme irréprochable et digne que sans crainte,
Cérès entre ses mains remit la torche sainte,
Insensible à l’aspect des misères d’autrui,
Peut croire qu’il en est d’étrangères pour lui ?
Entre la brute et nous s’il est quelque distance,
Tendre pitié, c’est toi qui fais la différence !
Oui, c’est pour obéir à ce doux sentiment,
Que nous avons du ciel reçu l’entendement,
Cet ineffable don qui rend l’homme capable
Et d’adresse aux dieux un culte raisonnable,

Cujus egent prona et terram spectantia. Mundi
Principio induisit communis conditor illis
Tantum animas, nobis animum quoque ; mutuus ut nos
Affectus petere auxilium et præstare juberet,
Dispersos trahere in populum, migrare vetusto
De nemore et proavis habitatas linquere sylvas
Ædifiare domos, laribus conjungere nostris
Tectum aliud, tutos vicino limine somnos
Ut collata daret fiducia ; protegere armis
Lapsum, aut ingenti nutantem vulnere civem,
Communi dare signa tuba, defendier isdem
Turribus, atque una portarum clave teneri.

Sed jam serpentum major concordia : parcit
Cognatis maculis similis fera. Quando leoni
Fortior eripuit vitam leo ? Quo nemore unquam
Exspiravit aper majoris dentibus apri ?
Indica tigris agit rabida cum tigride paceni
Perpetuam : sævis inter se convenit ursis.
Ast homini ferrum letale incude nefanda
Procudisse parum est ; quum rastra et sarcula tantum
Assueti coquere, et, marris ac vomere lassi,

Et d’inventer les arts et de les cultiver.
Car jusqu’aux immortels lui seul peut s’élever ;
Différent en cela de la brute grossière
Qui végète, le front courbé vers la poussière.
Celui par qui le monde est sorti du chaos,
Ne donna que la vie aux autres animaux.
Il nous donna de plus une âme intelligente,
Afin que, se prêtant une main indulgente,
Les faibles et les forts unis par la bonté,
Pussent former les nœuds de la société.
C’est alors qu’on les vit, moins grossiers que leurs pères,
Déserter des forêts les sauvages repaires ;
Se rassembler, s’unir sous l’empire des lois,
Se bâtir des maisons, et, rapprochant leurs toits,
Goûter plus sûrement, sous un commun asile,
Les paisibles douceurs d’un sommeil plus tranquille.
C’est alors qu’on les vit, les armes à la main,
Se porter au secours d’un ami, d’un voisin,
Combattre à ses côtés et panser ses blessures ;
Ou vengeant en commun de communes injures,
Au bruit du même airain, près du même étendard,
Se défendre ou mourir sur le même rempart.

Aujourd’hui les serpents que leur instinct rassemble,
Moins féroces que nous, s’accordent mieux ensemble.
La bête en son espèce épargne au moins ses traits :
Près du tigre en fureur, le tigre habite en paix.
L’ours n’attaque point l’ours. Le sanglier sauvage
D’un autre sanglier n’éprouve point la rage :
Et le jeune lion, avec tranquillité,
Près d’un lion plus fort, repose en sûreté.
Hélas ! c’était donc peu que l’homme sacrilège,
De ses arts contre lui tournât le privilège !
Qu’en instruments de mort il changeât les métaux !
Lorsque, pour façonner la bêche et les râteaux,
Les forges sans relâche autrefois occupées,

Nescierint primi gladios excudere fabri.
Adspicimus populos, quorum non sufficit iræ
Occidisse aliquem ; sed pectora, brachia, vultum
Crediderint genus esse cibi. Quid diceret ergo,
Vel quo non fugeret, si nunc hæc monstra videret
Pythagoras, cunctis animalibus abstinuit qui
Tanquam homine, et ventri indulsit non omne legumen ?

Ignoraient l’art fatal d’aiguiser les épées !
C’était peu qu’un mortel égorgeât un mortel !
Il fallait, pour combler ce délire cruel,
Qu’un peuple tout entier, dans sa haine implacable,
Dévorât par lambeaux la chair de son semblable !
Que dirait Pythagore, où ne fuirait-il pas,
S’il voyait aujourd’hui de pareils attentats ?
Lui qui, dans sa sublime et douce bienveillance,
De tous les animaux épargnant l’existence,
S’abstenait de leur sang comme du sang humain,
Et ne permettait pas tout légume à sa faim.

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SATIRE II


(01) Bacchanalia pour bacchanaliter vivunt. Horace a dit à peu près de même cyclope, pour more cyclopis movetur.

(02) Toi le plus infâme cloaque de la bande socratique. Cette métaphore révoltante fait-elle allusion aux calomnies répandues contre le plus vertueux des Grecs, ou bien le poète veut-il seulement désigner les faux sages qui se disaient ses sectateurs ? Il est difficile de croire que Juvénal ait voulu outrager la mémoire de ce vieillard, dulci vicimus Hymetto, qui partem acceptæ sava inter vincla cicuiæ, accusatori nollet dare. Aristophane lui-même, le plus ardent persécuteur de Socrate, ne lui a pas fait cet odieux reproche.

(03) Qui reprennent de pareilles turpitudes sur le ton d’Hercule, lorsqu’il repoussa la volupté pour suivre la vertu. Incusata gravissimis verbis voluptate, virtutem secutus est.

(04) Domitien déshonora Julie, fille de son frère Titus, et la força de se faire avorter. Il est auteur de plusieurs lois en faveur des mœurs et de la religion.

Les tragédies de Phèdre et d’Œdipe expliquent l’épithète tragico, donnée à l’inceste de Domitien.

(05) La loi Julia, faite par Auguste, prescrivait des peines contre l’adultère.

(06) La loi Scantinia, publiée par C. Scantinius, tribun du peuple, regardait ceux qui se prostituaient publiquement, et qui débauchaient les autres.

(07) Le mot coliphia désigne une espèce de pain destiné aux athlètes, et fait de manière à leur dernier de la vigueur.

(08) Il s’agit des esclaves surprises avec leurs maîtres. Celles que les épouses légitimes surprenaient ainsi, étaient traitées fort durement, tenues à la chaîne, et condamnées à des tâches très pénibles. Codex pourrait signifier le morceau de bois que tramaient les esclaves enchaînées, et qui leur servait de siège.

(09) La loi Voconia défendait aux maris de rien laisser à leurs femmes par testament ; et c’est pour cela qu’Hister, de son vivant, fait de riches présents à son épouse, afin de l’engager à lui passer ses turpitudes et à les taire.

(10) Ces robes de soie excitaient l’indignation de tous les gens de bien. On connait le décret que Tibère fit rendre au sénat dans ces termes remarquables : Decretum ne vestis serica viros fœdaret.

(11) On n’a pas de notions bien précises sur les Baptes, ainsi nommés peut-être de ce qu’ils se purifiaient en se plongeant dans l’eau. Eupolis, dans une comédie qui portait leur nom, mais qui n’existe plus, se moquait, dit-on, des mystères de Cotys.

(12) Orné de vêtements couleur d’azur, et d’étoffes à la quadrille, ou de vêtements d’étoffe rase, couleur de galbanum. Le mot vestimenta est sous-entendu dans cette phrase.

(13) La ponctuation de ces quatre vers latins est vicieuse ; il les faut écrire ainsi :

Nimirum summi ducis est occidere Galbam

Et curare cutem : summi constantia civis

Bedriaci in campo spolium affectare palati,

Et pressum in faciem digitis extendere panem.

De cette manière, occidere et curare sont l’infinitif à cause de summi ducis est : affectare et extendere, à cause de summi constantia civis. Autrement, occidere est à l’infinitif, à cause de summi ducis est : curare, à cause de summi constantia civis : puis, on ne sait plus pourquoi affectare et extendere se trouvent à ce mode.

(14) Hic turpis Cybeles est la continuation du morceau qui commence aux mots accipient te paulatim. Ce sont toujours les mêmes orgies domestiques, criminellement imitées des mystères de la Bonne Déesse. Otez la comparaison des Baptes et la trop longue phrase incidente, à l’occasion d’Othon, et tout se trouve parfaitement lié. Il y a plus : hic turpis Cybeles que Dusaulx regarde comme une phrase incorrecte et tronquée, s’explique tout naturellement dans cette supposition, et signifie : C’est là que Cybèle est déshonorée ; c’est là que son culte fait rougir.

(15) On appelait flameum le voile de la nouvelle mariée, non qu’il eût une couleur de feu, mais parce que l’épouse du flamine, à qui le divorce était interdit, en était toujours parée. C’était un ornement de bon augure.

(16) Les luperques étaient des prêtres du dieu Pan, qui parcouraient la ville, nus et armés de lanières de boucs dont ils poursuivaient les passants, et particulièrement les femmes, qu’ils se flattaient de rendre fécondes, en leur frappant dans la main.

(17) Des deux gladiateurs qui se donnaient en spectacle, l’un s’appelait le mirmillon, l’autre le rétiaire. Le mirmillon était armé d’une cuirasse, tenait de la main droite une espèce de faux, de la gauche un bouclier, et son casque était surmonté de la figure d’un poisson. Le rétiaire le poursuivait en criant : Ce n’est pas à toi, Gaulois, que j’en veux, c’est à ton poisson : Galle, non peto, piscem peto. Le rétiaire, la figure découverte, revêtu d’une tunique légère, tenait un trident de la main gauche, et de la droite un filet dont il cherchait à envelopper son adversaire. Celui-ci, attentif à ne point se laisser surprendre, le bouclier au poing, poursuivait de sa faux le rétiaire, qui, obligé de céder, se déployait en arrière, d’après certaines règles, rassemblait son filet, et revenait plus ardent à la charge. Ce combat intéressait vivement le spectateur qui ne pouvait suivre, sans un certain plaisir mêlé d’inquiétude et de crainte, tantôt le mirmillon prêt à renverser le rétiaire, tantôt le rétiaire sur le point d’envelopper le mirmillon. Et, en effet, il devait être assez curieux de voir par quelle adresse l’un des deux champions, sans armes, pouvait parvenir à triompher de l’autre. Le rôle de Gracchus, en cet endroit, est celui du rétiaire, et c’est ce qui indigne surtout Juvénal qui suppose qu’il n’a choisi ce rôle que pour être mieux reconnu, et mettre sa honte dans un plus grand jour.

(18) Dans les jeux publics, les sénateurs, les magistrats, celui qui donnait le spectacle, et l’empereur, occupaient le premier rang qui s’appelait podium. C’était une espèce de tribune ou de péristyle circulaire. Au-dessus étaient les quatorze gradins des chevaliers ; au-dessous, les loges, caveœ, où l’on renfermait les bêtes qui devaient combattre.

(19) Heuc, heu miseri traduscimur ! ne veut pas dire que nous descendons tous sur le Styx ; c’est une exclamation qui revient à celle-ci : Voilà donc, malheureux que nous sommes, à quel degré d’avilissement nous sommes réduits !

(20) Par mores prætextatos, les uns entendent seulement les mœurs romaines ; les autres, des mœurs corrompues. On trouve dans Suétone l’adjectif prœtextatus employé dans ce dernier sens : Erat enim dicacitatis plurimæ, et sic scurrilis ac sordidæ, ut ne prætextatis quidem verbis abstineret. In vita Vespasiani.

Artaxate, sur l’Araxe, était alors la capitale de l’Arménie.

SATIRE III


(01) Ce passage s’interprète de deux manières différentes, ou de gens assez vils pour se mettre eux-mêmes à l’encan, ou de gens qui font le commerce d’esclaves.

(02) Les jeux terminés, le peuple était l’arbitre de la vie et de la mort du gladiateur vaincu. Voulait-il lui faire grâce, il étendait la main avec le pouce plié sous les doigts ; demandait-il sa mort, il lui suffisait de lever le pouce, et de le tourner contre ce malheureux.

(03) Nulli comes exco signifie, selon les uns, qu’Umbritius ne cherche à être le client, le complaisant d’aucun riche ; selon les autres, que, ne possédant rien et ne pouvant rendre aucun service, il part sans que personne daigne l’accompagner.

(04) Les athlètes qui sortaient vainqueurs des jeux du cirque, avaient part aux sportules des empereurs ; et, pour être reconnus de ceux qui distribuaient ces sportules, ils portaient au col le symbole de leur victoire. Ce sens parait résulter de l’étymologie des mots trechedipna et niceteria.

(05) Il y eut à Rome, sous le règne de Trajan, un Iséus dont Pline et Quintilien font un grand éloge. Quintilien surtout, lui accorde une véhémence, une promptitude singulière ; et c’est sans doute ce que Juvénal a voulu indiquer par le mot torrentior,

(06) Dusaulx est convaincu que les commentateurs se sont trompés sur le sens de ce passage, et il croit que Juvénal a réellement eu l’intention de parler du talent des Grecs pour la comédie. Il est à craindre, au contraire, que ce ne soit le traducteur qui ait mal saisi la pensée de l’original. De quoi s’agit-il ? de l’habileté des Grecs dans l’art de la flatterie ; et le morceau quid quod adulanti, etc., où il en est question, ne finit pas au vers sed illis creditur, etc., mais se continue jusqu’à prœterea sanctum nihil est, etc. Voilà donc, si nous adoptons l’interprétation de Dusaulx, sept vers relatifs au talent des Grecs pour la comédie, intercalés entre le commencement et la fin d’un morceau où il n’est question que de leur adresse à flatter. Ce serait un défaut, mais que n’expliquerait point encore la conjonction lumen du vers nec tamen Antiochus, etc. N’est-il pas plus naturel de penser que an melior cum Thaida sustinet jusqu’à rides, n’a aucun rapport à la manière dont les Grecs jouent la comédie, et qu’il faut entendre ce passage à peu près comme il suit : « Nous pouvons louer ces défauts comme eux ; mais on ne nous croirait pas. Eux seuls ont l’art de persuader, tant ils jouent bien leur rôle ! Un comédien (ce n’est pas grœcus comœdus, mais comœdus romanus) représente-t-il mieux Thas, une matrone, Doris du sein des mers s’avançant toute nue ? Vous savez (nempe) que ce dernier rôle surtout, on le joue si naturellement qu’on croirait voir une femme au lieu de l’acteur. Et bien ! malgré cela (tamen), Antiochus, Stratoclès, Démétrius, Hémus, ces acteurs des pièces dont nous venons de parler, ne sont là, dans cet art, (illic) que des comédiens peu merveilleux. Il n’appartient qu’à un Grec de jouer la comédie. Vous riez, il éclate, etc. Nous ne sommes donc rien en comparaison. Non sumus ergo pares. » Qu’on traduise autrement ces 23 vers, et tout est disparate, décousu, inintelligible.

(07) À facie jactare manus, appliquer la main sur ses lèvres, et l’étendre ensuite sur l’objet de son respect, était un acte religieux ; de là le mot adorare, porter la main à la bouche ad os.

(08) Si nulla, etc. Il y a dans cette période trois circonstances qui vont en croissant selon les règles de la rhétorique, auxquelles Juvénal ne manque jamais, et dont la moins indécente répugne à la langue française.

(09) Presque tous les manuscrits portent Aulam resupinat amici. Cette leçon n’est pas intelligible. L’autre, qui est celle de l’ancien scholiaste, termine vigoureusement la gradation.

(10) Facinus majoris abollae. Un crime commis sous un manteau plus imposant. Abolla, était une espèce de manteau particulièrement affecté aux magistrats et aux philosophes.

(11) La construction de ces deux vers, à cause d’une idée intermédiaire supprimée, semble avoir quelque chose d’incohérent. Hic, ici, dit le poète, le fils d’un sénateur grossit le cortège d’un affranchi, et je ne m’en étonne pas ; car ce dernier est si riche, etc.

(12) Les courtisanes se tenaient à la porte des maisons de prostitution, sur des sièges élevés, afin d’attirer les regards des passants.

(13) Samothrace est une île de l’Archipel. On y adorait les dieux Cabires.

(14) Par un règlement du tribun du peuple, L. R. Othon, il n’était permis de prendre place sur les quatorze gradins des chevaliers, qu’à ceux qui possédaient au moins 400, 000 sesterces de bien.

(15) Un citoyen romain n’aurait pas osé paraître en public sans la toge. Dans les villes municipales, on ne la portait que rarement ; et elle était réservée pour les circonstances solennelles. C’était l’usage d’en revêtir les morts et de les exposer ainsi sous le vestibule et à la porte de leurs maisons, avant de les transporter au bûcher.

(16) On entendait à Rome par le mot exodium, certains intermèdes burlesques qui se plaçaient entre les actes, ou qui se jouaient à la fin d’une tragédie, pour dissiper la tristesse causée par de sujets sérieux. Exodium signifie issue.

(17) L’action de couper, pour la première fois, la barbe ou les cheveux d’un esclave privilégié, était l’occasion d’une fête domestique, et les clients étaient en quelque sorte obligés d’augmenter son pécule par leurs présents.

(17a) Phaecasiani dei sont les dieux de la Grèce. Ce nom leur vient de la chaussure de leurs prêtres, appelée phœcasium, ou plutôt de la chaussure grecque en général qui portait ce nom, Pythagoricus quidam emerat a sutore phaecasia. Senec., lib. 7, de Beneficiis. Si quem pallatium aut phaecasiatum conspexeris, dit encore le même.

(18) Le mot lacerta a toujours embarrassé les interprètes, et il n’est pas encore expliqué. La plupart entendent par ce mot un petit jardin, et ce sens s’accorde parfaitement avec ce qui précède. Unius se se dominum fecisse lacertae pouvait être une manière de parler proverbiale. Lacerta signifie lézard. Les lézards rampent dans les jardins ; et les poètes prennent quelquefois le contenu pour le contenant. En voilà assez pour autoriser le proverbe. Il faut avouer pourtant que la métonymie est forte.

(19) Ici la plupart des malades succombent à des veilles forcées mais cette langueur vient de l’intempérance. Cependant, quand vous seriez sobre, vous n’en dormiriez pas davantage. Car où trouver un asile favorable au sommeil ? etc. Les mots soulignés de cette phrase ne sont pas dans le texte, mais ils sont dans la pensée de l’auteur, et il est impossible, sans eux, de se rendre compte du nam qui confirme la proposition générale, plurimus hic aeger moritur vigilando.

(20) Il fallait que Drusus fut un bien grand dormeur, puisque son sommeil était passé en proverbe. Les veaux marins, appelés phoques, se jettent, en sortant de la mer, sur le rivage, où ils dorment si profondément que les chasseurs les tuent avant de parvenir à les réveiller.

SATIRE IV


1. (01) Quel est le motif de ce mépris de Crispinus pour les veuves ? Est-ce parce qu’elles ne lui offrent que des plaisirs trop faciles, ou bien parce que ces plaisirs ne seraient point criminels ? Il est probable que c’est pour l’une et pour l’autre cause.

2. (02) Les Romains, pendant les chaleurs de l’été, et dans les temps de pluie, se faisaient traîner sur des chars ou porter en litière par leurs esclaves, sous les immenses portiques qui servaient à l’ornement et à la commodité de leurs palais.

Les jardins des Romains, dans le temps de leur opulence, offraient en spectacle, au centre même de la ville, non seulement des terres labourables, des viviers, des vergers, des potagers, des parterres, mais encore de superbes palais et de magnifiques maisons de plaisance, faites pour s’y reposer agréablement du tumulte des affaires. Jam pridem hortorum nomine, in ipsa urbe, delicias, agros, villas que possident. Pline, lib. 29, cap. 4.

3. (03) Six grands sesterces, ou six mille sertercii nummi. Ce que les Romains appelaient mullus surmulet, était un poisson de mer dont ils étaient si friands qu’ils allaient le pêcher dans les pays les plus lointains. Un surmulet de six livres est évidemment une expression hyperbolique. Pline prétend qu’il n’y en a point qui excèdent deux livres. Horace, cependant, semble indiquer qu’il peut s’en trouver qui pèsent jusqu’à trois.

............ laudas, insane, trilibrem

Mullum, in singula quem minuas pulmenia necesse est.

Lib. 2, sat. 2, v. 23.

4. (04) La vie et la mort d’Apicius sont également héroïques. Après avoir dépensé, pour satisfaire sa gourmandise, environ cent millions de petits sesterces, il voulut enfin se faire rendre compte de sa fortune. Désespéré d’apprendre qu’il ne lui restait plus que le dixième de cette somme, il ne trouva d’autre ressource, pour ne pas mourir de faim, que de mettre un terme à ses jours, et il s’empoisonna.

5. (05) L’écorce du papyrus s’employait à plusieurs usages. Les Égyptiens en faisaient des voiles, des habillements, des couvertures de fils et des cordes. Markland change patria en pharia. Les raisons qu’il en donne sont spécieuses ; elles prouvent son érudition ; mais patria est une épithète fort juste en cet endroit, puisque Crispinus était sorti des bourbiers du Nil, comme dit Juvénal, et que le papyrus croît en Égypte.

6. (06) Le silurus était un poisson du Nil, très bien désigné par l’épithète municipes, puisque Crispinus était égyptien. Le fracta mercede, qu’on rejette mal à propos, exprime heureusement le commerce en détail qu’en faisait cet esclave.

7. (07) La famille des Flaviens fournit trois empereurs à Rome, Vespasien et ses deux fils Titus et Domitien. Ce dernier était chauve, et il en était si humilié que, s’il entendait reprocher ce défaut à un autre, il prenait l’injure pour lui, et ne manquait pas de s’en venger.

8. (08) Les Césars n’avaient pas manqué d’ajouter ce titre à celui d’empereur. C’était bien le moins, observe Cesarotti, que des princes qui devenaient dieux à leur mort, fussent pontifes pendant leur vie.

9. (09) Le lac au bord duquel était bâtie l’ancienne ville d’Albe. Le temple de Veste y existait encore du temps de Juvénal ; mais il était loin d’approcher de la magnificence de celui de Rome. Domitien avait sa maison de campagne sur la montagne d’Albe.

10. (10) Les Romains avaient improprement donné le nom d’ours aux premiers lions qui leur étaient arrivés de l’Afrique. On n’en trouve ni dans la Numidie, ni dans la Lybie, quoiqu’on lise dans Virgile, pelle Lybistidis ursae.

11. (11) On croit que ce Rubrius était gaulois. Quant à l’offense dont il était coupable envers Domitien, on n’en sait rien au juste. Il faut cependant qu’elle ait été bien honteuse pour Domitien, puisqu’il se crut obligé de la dissimuler. Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/391

SATIRE V


(01) Le sens ordinairement donné à ce passage, ferait peu d’honneur à la logique du poète. Si tu n’as pas encore rougi de ta conduite, lui fait-on dire : si tu persistes à regarder comme le souverain bien de vivre à la table d’autrui : si tu peux souffrir des humiliations que n’auraient pas supportés les plus vils bouffons de César, quoi que tu l’affirmes par serment, je ne saurais ajouter foi à ton témoignage. D’abord on ne voit là ni témoin, ni témoignage. Ensuite, si Trébius a de pareils sentiments, et qu’il en convienne, pourquoi ne pas le croire ?

(02) Un vin trop grossier pour que la laine nouvelle s’en imprègne facilement. Il paraît que la laine, immédiatement après qu’on l’avait tondue, était lavée dans du vin. Au reste, cette expression n’est peut-être qu’une manière de parler proverbiale.

(03) Thraséas et Helvidius son gendre, tous deux d’une vertu digne des premiers temps de la république, et grands partisans de la liberté. Thraséas Poetus fut condamné à mort, et Helvidius exilé par Néron. Thraséas et Helvidius ne sont pas cités sans dessein par Juvénal. C’est un trait sanglant contre Domitien qui, au rapport de Suétone, avait fait périr Junius Rusticus, pour avoir loué ces deux grands hommes.

(04) Ce Vatinius, homme difforme cl bouffon sans pudeur, après avoir passé sa jeunesse dans la boutique d’un cordonnier, s’était introduit à la cour de Néron, dont il n’était pas une des pestes les moins dangereuses. On donnait son nom à une espèce de coupe avec un ou plusieurs becs en forme de nez, ou parce qu’il faisait usage de coupes de cette espèce, ou parce qu’il en était l’inventeur, on bien encore, comme le prétendent quelques-uns, par allusion à son nez qui était d’une mesure extraordinaire,

(05) Les anciens aimaient beaucoup l’eau chaude, et ils n’en faisaient pas moins d’usage que de la froide. L’eau chaude ne servait pas seulement à délayer les vins qui, par la vieillesse, avaient acquis la consistance du miel, mais encore à exciter et à faciliter le vomissement. Les interprètes qui pensent que les anciens ne faisaient tant d’usage d’eau fraîche et d’eau chaude, dans leurs repas, que par tempérance, sont dans une grande erreur.

(06) Les interprètes pensent qu’il est question ici d’un poisson du Tibre appelé lupus. Celui qui était marqué, était le moins délicat. Lupi sine macula maxime probantur. Colum.

(07) Parmi les esclaves proposés au service de la table, l’un avait soin de placer, de disposer les mets ; on lui donnait le nom de structor, d’où Virgile a dit : cura penum struere. Un autre était chargé de disséquer les viandes, de les distribuer aux convives ; on l’appelait cheironomon.

(08) Triphère tenait, dans le quartier de Suburre, une école publique où il enseignait l’art de découper les mets.

(09) Les Romains de distinction avaient plusieurs noms, ordinairement trois, et quelquefois quatre. Le premier était le prénom qui servait à distinguer chaque personne le second était le nom propre qui désignait la race d’où l’on sortait : le troisième était le surnom qui marquait la famille dont on était : enfin le quatrième était un autre surnom qui se donnait ou à cause de l’adoption, ou pour quelque grande action, ou même pour quelques défauts. Auguste portait cinq noms : C. Julius Caesar Octavianus Augustus.

(10) Quand même ton épouse viendrait, en ce moment, à te donner trois fils à la fois, par cela seul que tu es riche, Virron ne cesserait pas de te flatter. Lubin regarde le nom de Mycale, à cause de son étymologie, comme désignant une concubine, et, dans cette supposition, il fait dire au poète : Mais si c’est une concubine qui te donne trois fils, Virron s’en réjouit : il les accueille à sa table, il leur fait des présents, parce qu’il ne craint pas qu’ils deviennent tes héritiers.

(11) D’autres entendent ce passage autrement, et traduisent ainsi :

« Pour toi, tu n’auras que de méchantes pommes, telles qu’en ronge ce singe que l’on promène sur le rempart, monté sur une chèvre, couvert d’un casque et d’un bouclier, et à qui l’on enseigne, à coups de fouet, à lancer le javelot. »

Cette interprétation serait plus conforme aux monuments historiques, que celle de la traduction. 1° Le texte porte : qui tegitur parma et galea. Or, le bouclier nommé parma, n’était pas en usage, du temps de Juvénal, dans les armées romaines. 2° Les centurions, qui apprenaient l’exercice aux soldats, ne se servaient ni de lanières, ni de fouet, flagelli metuens, mais du bâton, pour se faire craindre et obéir, Ce sentiment est celui d’un ancien scholiaste, qui au mot mali ajoute quale simia manducat ; et il est confirmé par Léon l’Africain qui, à propos des exercices auxquels s’amusaient les soldats de l’Asie, parle d’un singe monté sur une chèvre, comme à cheval, et de là apprenant à lancer le javelot. Il est encore bon d’observer que presque tout les manuscrite portant ab hirsuta capella.

(12) Il s’agit ici de la bulle d’or en forme de cœur, que les enfants de famille noble portaient suspendue au col jusqu’à l’âge de 14 ans. C’était un usage emprunté aux Toscans, ainsi que beaucoup d’autres, et c’est pourquoi le poète désigne cet objet par les mots Etruscum aurum.

Les enfants d’affranchis, au lieu de cette bulle d’or, ne portaient qu’un simple nœud qui leur servait de marque distinctive.

(13) Les esclaves avaient la tête rasée ; quelquefois les bouffons et les baladins, pour amuser la populace, se faisaient raser aussi. C’est à de pareilles gens que le poète assimile les parasites.

SATIRE VI


1. Convenium, pactum et sponsalia sont trois choses distinctes. Convenium est l’entrevue du jeune homme, soit avec la jeune fille qu’il demande en mariage, soit avec ses parents. C’est ce que nous appelons la recherche. Pactum est le résultat des stipulations et des conditions du mariage, ou le contrat. Sponsalia exprime la promesse solennelle par laquelle les époux sont accordés, c’est-à-dire les fiançailles.

2. Ce conseil ironique ne peut être qu’un sarcasme contre Posthumus.

3. Le mot tollere est consacré dans ce cas et les semblables. C’était la coutume, chez les Romains, que l’enfant, dès qu’il était né, fût déposé à terre, pour être relevé par le père, quand celui-ci le reconnaissait. S’il n’était pas relevé par lui, il était regardé et traité comme illégitime. C’est ce qui explique ce vers de l’Andrienne : Quidquid peperisset decreverunt tollere.

4. L’auteur désigne particulièrement le coffre de Latinus, comme nous dirions le sac de Scapin. Latinus était un mime célèbre qui vraisemblablement représentait dans quelque farce les terreurs d’un adultère surpris par le mari.

5. Les fêtes de Cérès, connues sous un grand nombre de dénominations, et particulièrement sous celles d’Eleusines et de Thesmophories, n’étaient célébrées que par des femmes chastes et de jeunes vierges.

6. Les nouveaux mariés suspendaient la porte de leurs maisons, des guirlandes de lierre, de myrte, de lauriers, etc.

7. Il y avait longtemps que les poètes ne croyaient plus aux dieux qu’ils avaient inventés, et le moment approchait où les peuples n’allaient plus reconnaître qu’un seul principe, qu’une seule cause des phénomènes de la nature. Comment une croyance aussi simple, aussi sublime, n’aurait-elle pas triomphé de ce polythéisme ridicule qui s’écroulait de toutes parts, et que l’on abandonnait même aux sarcasmes de la satire ? Sénèque ne se montre pas plus respectueux envers le dieu du capitole. Quid ergo est quare apud postas salacissimus Jupiter desierit liberos tollere ? Ultrum sexagenarius factus est, et illi lex papia fibulam imposuit ?

8. Subitum et miserabile longum, sont des expressions relatives aux gestes et aux attitudes des pantomimes ; mais en quoi y sont-elles relatives, et quel en est le sens exact ? C’est ce qu’il serait assez difficile de déterminer. Attendit marque l’attention et les efforts avec lesquels ces divers mouvements sont exécutés.

9. Il s’agit de l’intervalle qui se trouvait entre les jeux mégalésiens et les jeux plébéiens. Ceux-ci, institués à l’occasion de la concorde rétablie entre le sénat et le peuple, se célébraient le 15 novembre ; les antres, fondés par Junius Brutus, en l’honneur de la grande déesse, étaient fixés au 14 avril. Les grandes représentations scéniques étaient interrompues pendant ces mois. C’était aux jeux mégalésiens et plébéiens qu’on jouait les comédies les plus estimées. Celles de Térence le furent toutes aux jeux mégalésiens, à l’exception des Adelphes et de Phormion.

10. Les acteurs qui se produisaient nus en public, avaient une espèce de ceinture, subligar, subligaculum, sans laquelle, dit Cicéron, personne n’aurait osé se montrer sur la scène.

11. Les atellanes, ainsi appelées du nom d’Atella, ville de Campanie, où elles avaient pris naissance, étaient des tragédies mêlées de sérieux et de plaisant. L’exode y était ce que c’est chez nous la petite pièce. Le rôle d’Urbicus était celui d’Autonoé, mère d’Actéon, ou peut-être l’une des bacchantes. Les mimes jouaient indifféremment les rôles d’hommes ou de femmes.

12. Mot à mot il en coûte cher aux femmes pour rompre l’anneau de ces histrions. L’infibulation était une opération pratiquée pour empêcher les gladiateurs, les acteurs, et quelquefois même les jeunes gens, d’avoir commerce avec les femmes.

13. Ce Lentulus avait probablement trois noms, et s’appelait Postumus Ursidius Lentulus.

14. Pâris, célèbre pantomime, qui parvint à inspirer de l’amour à Domitia Augusta, femme de Domitien, qui la répudia pour ce motif. On prétend que Pâris fut condamné à mort par l’empereur.

L’histoire parle aussi d’un autre Pâris qui fut encore un pantomime fameux, sous le règne de Néron. Ce prince voulant qu’il lui apprit à danser, le fit mourir parce qu’il ne réussissait pas.

15. Pour bien entendre cette expression, il faut savoir que les Romains avaient deux manières de faire leur barbe : l’un, en la coupant jusqu’à la peau, ce qu’ils appelaient radere ; l’autre, en la coupant sur un peigne, et seulement en partie, ce qu’ils appelaient tondere. Les jeunes gens conservaient leur barbe jusqu’à vingt et un ans, époque à laquelle ils en faisaient offrande à quelque divinité. Ils continuaient ainsi à la tondre jusqu’à l’âge de quarante ans, et c’est alors qu’ils commençaient à se raser pour paraître moins vieux.

16. Accepta rude veut dire si Sergius avait pris son congé, s’il avait cessé d’être gladiateur, il ne serait plus qu’un Véïenton, qu’un époux aux yeux d’Hippia. Rudis était le nom d’une baguette que l’on donnait aux gladiateurs qui obtenaient leur congé.

17. Ce mot signifie trois choses dans les écrits des anciens,

1° Une excroissance de chair que les poulains nouveaux-nés ont quelquefois sur le front. 2° Une certaine liqueur qui coule des parties naturelles d’une jument en chaleur. 3° Une herbe d’Arcadie qui, selon Théocrite, avait la propriété de mettre les chevaux en fureur.

18. Les formules ordinaires du divorce étaient Collige sarcinulas ; exi ; vade foras ; res tuas tibi habeto ; res tuas tibi agito. Les époux qui voulaient divorcer, ne pouvaient le faire qu’en présence de sept citoyens romains, outre l’affranchi qui devait faire la déclaration.

19. Cette Bérénice soupçonnée d’un inceste avec Agrippa, son frère, est la même qui fut tendrement aimée de Titus.

20. Mustaceum était une espèce de gâteau restaurant, donandum crudis, que l’on donnait à ceux qui avaient des crudités.

21. Le jour des noces, le mari offrait à son épouse des pièces d’or et d’argent dans un bassin. Celles dont parle Juvénal portaient l’empreinte de Domitien qui, ayant vaincu les Daces et les Germains, avait pris les surnoms de Dacique et de Germanique.

22. Cette multiplicité de divorces n’est pas une hyperbole ; c’est un fait attesté par l’histoire. Sénèque remarque que, de son temps, les femmes ne dataient plus des consulats, mais des différents maris dont elles avaient changé.

On avait coutume de graver sur le tombeau des femmes, le nom de leurs maris.

23. Dans les exercices athlétiques, on enfonçait en terre un pieu d’environ six pieds, contre lequel les athlètes encore novices se formaient aux principes de leur art, luttant contre ce pieu, l’épée ou un bâton à la main.

24. Les jeux floraux, ainsi nommés de Flora, célèbre courtisane qui avait légué au peuple romain le produit de ses débauches. Ils étaient devenus si licencieux que les courtisanes s’y rendaient toutes nues, au son de la trompette.

25. Crurisque sinistris dimidium tegmen, Indique l’usage où étalent les soldats romains, et les gladiateurs qui les imitaient, de n’armer que la partie de la jambe gauche que l’on présente en avant dans un combat singulier. Cette armure était une espèce de bottine qui montait jusqu’au genou. La cuisse gauche se trouvait couverte par le bouclier.

26. On pourrait être surpris que Juvénal ne laisse passer aucune occasion de citer honorablement Quintilien, tandis que celui-ci, en parlant des satiriques, ne fait aucune mention de Juvénal. C’est un motif de plus à l’appui du sentiment de ceux qui pensent que Juvénal n’a écrit ses satires que sous le règne d’Adrien, époque à laquelle Quintilien était déjà mort.

27. Homo sum veut dire : je suis sujette aux faiblesses de l’humanité. Vir et femina sunt uterque homo.

28. L’usage des parfums était porté à un tel excès, qu’on en mettait même dans le vin, et qu’il en coûtait cher, ajoute Pline, pour se procurer une boisson amère.

29. Cette horreur n’est point une invention de la fable. Quand l’histoire n’en offrirait pas d’exemples, le Lévitique seul en fournirait la preuve. On ne porte pas de lois contre des crimes qui n’ont jamais existé. Mulier non succumbet jwmento, nec miscebitur ei. Liv. 18, v. 20. Mulier quae succumberit Jumennto, simul interficietur cum eo. 20, v. 15.

30. Cette infâme chanteuse n’était autre chose que le trop fameux Clodius qui, dans sa jeunesse, épris d’une passion criminelle pour Pompéia, femme de César, fut surpris, déguisé en femme, dans la maison de César lui-même, où l’on célébrait les mystères de la Bonne Déesse.

31. Cicéron avait composé un livre en l’honneur de Caton d’Utique. César irrité des éloges donnés au plus grand homme de son siècle, en composa un autre plus volumineux, dans un sens contraire, et qu’il intitula l’Anti-Caton. C’est la longueur de cet ouvrage qui a donné à Juvénal l’idée plus que bizarre de son indécente comparaison.

32. C’était la couronne accordée aux vainqueurs dans les jeux capitolins, institués par Domitien, à l’imitation des jeux olympiques, et dans lesquels des prix étaient proposée tous les cinq ans aux athlètes, aux musiciens, et même aux orateurs, aux historiens et aux poètes.

33. Parmi les différents exercices employés à Rome par ceux qui fréquentaient les bains, pour s’exciter à suer, il y en avait un qui consistait à balancer longtemps dans ses mains, avec un certain mouvement, une lourde masse de plomb.

34. L’oenophore contenait dix-huit pintes, mesure de Paris, Le setier, douze cyathes. Le cyathe servait à mesurer le vin ou l’eau que l’on versait dans les coupes appelées pocula.

35. La comparaison de cette femme avec un serpent est d’autant plus heureuse que, suivant Aristote et Pline, le serpent a une grande avidité pour le vin. Qu’on ne croie pas qu’il y ait la moindre exagération dans cette peinture. Les femmes, sur ce point, le disputait aux hommes, et Sénèque n’en parle pas avec moins d’indignation que les satiriques. On trouve dans Martial

Nec coenat prius aut recumbit

Quam septem vomuit deunces.

36. Dusaulx, qui trouve ce vers en général très mal expliqué, ne l’explique pas mieux que les autres. La femme qui l’emporte sur les grammairiens et les rhéteurs, qui compare Homère et Virgile, qui parle de philosophie, qui approfondit les préceptes de Palémon, qui sait par cœur de vieux vers que son mari ne connaît pas, est toujours la même. Elle n’est pas plus bavarde au commencement qu’à la fin du passage ; et la conjonction nam, qui parait inexplicable au traducteur, n’offre aucune difficulté réelle. Voici le sens de l’auteur : Ce n’est pas tout, elle ose disputer du souverain bien : elle définit le juste et l’honnête ; car, de la littérature à la philosophie il n’y a qu’un pas, et puisqu’elle désire passer pour éloquente, il faut aussi qu’elle porte la tunique retroussée, qu’elle immole un pourceau à Sylvain, etc., c’est-à-dire, il faut qu’elle soit philosophe.

37. Les hommes seuls sacrifiaient à Sylvain, qui était le génie des hommes, comme Junon, celui des femmes. Celles-ci ne fréquentaient pas les bains publics, où les gens du peuple étaient admis pour le quart d’un as.

............Dum tu quadrante lavatum,

Rex, ibis.

dit Horace, en se moquant d’un stoïcien.

Il est probable que les philosophes, amis de la retraite et des forêts, rendaient un culte particulier à Sylvain.

38. On croyait le lait d’ânesse propre à entretenir la peau plus blanche et plus douce. Poppée en prenait des bains entiers. Pline assure que dans ses voyages, cette princesse n’avait jamais moins de cinq cents ânesses à sa suite.

39. Qu’Isis mérite le nom de Lena, que lui donne Juvénal, et que son temple ait été l’asile, le rendez-vous de tous les amants et de tous les adultères, c’est ce qui résulte assez clairement de ces vers de l’art d’aimer

Non fuge linigenae memphitica templa Juvenca :

Mulias ilia facit quœ fuit ipso Jovi.

40. Ces tuniques de lin étaient couleur de feuilles de vigne sèches ; c’est ce que signifient les racines du mot xerampelinas.

41. Par le mot cadurcum on entend une espèce de matelas, faite à Cahors, ville de la Gaule. Les peuples de cette contrée étaient renommés pour ce genre d’industrie. Les femmes qui célébraient les fêtes d’Isis devaient, pendant neuf jours, s’éloigner de leurs maris, et elle, ne pouvaient manquer à cette loi, sans se rendre coupables d’un adultère religieux qui exigeait une expiation solennelle. La déesse Isis était représentée avec un serpent sur la tête.

42. Les éphémérides sont des tables qui marquent l’état du ciel pour chaque jour. Juvénal dit plus luisantes que l’ambre, parce qu’un livre souvent feuilleté jaunit sous les doigts.

43. Les uns, par ce crebrum poppysma, entendent le bruit que fait le chiromancien, en frappant dans la main de celle qui le consulte les autres, le son de l’argent qu’il exige d’elle ; quelques autres enfin, les fréquentes caresses qu’il lui demande à compte.

44. Les femmes galantes qui voulaient cacher les fruits de leurs amours, les faisaient exposer sur les bords du lac Vélabre : et c’est là que s’adressaient aussi celles qui voulaient donner à leurs maris des enfants qu’elles n’avaient point portés.

45. Pontia, fille de T. Pontius, commit, en effet, ce crime affreux.

46. Mithridate, vaincu tour à tour par Sylla, Lucullus et Pompée.

SATIRE VII


1. Si cet éloge regardait Domitien, il faudrait l’avouer, l’auteur de la satire du turbot se serait démenti d’une manière peu honorable pour son caractère et pour ses principes : heureusement, il n’est pas tombé dans cette contradiction, ou du moins rien ne le démontre. Ce fut bien à l’occasion du fameux vers Prœfectos Pelopro, etc., qu’il fut exilé ; mais ce vers dirigé contre Pâris, ne s’appliquait pas moins directement à un autre courtisan, favori d’Adrien, dont l’histoire ne nous a pas conservé le nom ; et, comme le dit l’ancien scholiaste, auteur de la vie de notre poète, il fut soupçonné d’avoir à dessein, en parlant du temps passé, fait allusion au temps présent.

2. L’auteur reproche aux Romains d’accorder aux aventuriers de l’Asie mineure, des grâces et des honneurs dont les gens de lettres étaient privés, ce qu’il appelle altera Gallia était une province voisine du Pont-Euxin, nommée Galatie ou Gallo-Grèce, parce qu’elle fut longtemps habitée par des Gaulois et par des Grecs.

3. Les feuilles du laurier, selon les anciens, procuraient l’enthousiasme et l’esprit prophétique.

4. On plaçait dans les bibliothèques publiques et particulières, mais surtout dans celle d’Apollon Palatin, les bustes et les statues des grands poètes et des grands orateurs.

L’épithète macra indique la maigreur ordinaire aux gens d’étude.

Quant au lierre, il était spécialement consacré aux poètes.

5. Janua se dit de la porte d’une maison de particulier. Porta, de celle d’une citadelle ou d’une ville.

6. L’orchestre était l’endroit le plus voisin du théâtre. Anabathra, répondait à ce que nous appelons les loges. Les bancs, subsellia. étaient placés au milieu de l’enceinte, à peu près comme ceux de nos parterres.

7. Le poète donne l’épithète d’intactam à la tragédie d’Agave, soit parce que Pâris en avait acheté la première représentation, soit parce que cette pièce n’avait pas encore été mise en scène.

8. Aurum semestre désigne la qualité du tribun militaire dont les fonctions duraient six mois, et qui donnait le privilège de porter l’anneau d’or.

9. Lacerne n’était point un cocher de l’empereur Domitien, mais un conducteur de chars dans les jeux du cirque. Ces conducteurs de chars se partageaient en quatre factions qui avaient chacune leurs partisans, et qui se distinguaient aux quatre couleurs différentes de leurs habits, d’où elles prenaient les noms de Russata, Prasina, Alba, Veneta. Domitien y en ajouta deux autres sous la dénomination de Aurata et Purpurea. Lacerne appartenait la faction Russata, et c’était celle que l’empereur favorisait.

10. C’est le début du livre XIII des métamorphoses d’Ovide, dans lequel Ajax et Ulysse se disputent les armes d’Achille.

11. Vas pelamydum, un vase rempli de petits poissons hachés et assaisonnés.

L’explication que donne Achaintre, des mots Afrorum epimenia, quoique la traduction ne l’ait pas suivie, n’en est pas moins plausible. Ils ne désignent rien autre chose, selon lui, que la distribution faite tous les mois par les Romains aux derniers de leurs esclaves, d’une certaine quantité d’oignons ou d’autres légumes de cette espèce ; on sait que les esclaves d’Afrique étaient ceux qu’ils estimaient le moins.

12. Observons avec quel soin Juvénal, en parlant des avocats, emploie tous les termes du barreau spondere, servir de caution. Conturbare, devenir insolvable, Deficere, faire banqueroute.

13. Mot à mot : si rien ne bat sous la mamelle gauche de ce jeune Arcadien. L’Arcadie était fameuse par ses lacs.

Arcadiœ pecuaria rudere credas.

Perse, sat. 2.

14. Les foudres et les tempêtes avaient épouvanté Annibal, et rompu deux fois l’ordre de bataille de son armée.

15. Chryrogone et Pollion étaient des rhéteurs et non des comédiens, comme quelques-uns le pensent.

16. La lunule, ornement de la chaussure des sénateurs, était une espèce de boule ou agrafe qui avait la forme de la lettre C. Isidore de Séville prétend qu’elle exprimait le nombre de sénateurs créés par Romulus.

17. Ventidius Basses, après avoir été captif et muletier, devint successivement tribun du peuple, préteur, consul et souverain pontife. Il triompha des Parthes.

Servius Tullus Hostilius était né d’une esclave. C’est à lui que se rapporte la première partie du vers :

Servis regna dabunt, captivis fata triumphos.

18. Cette injure de Rufus s’adressait peut-être moins directement au style de Cicéron, qu’à sa conduite avec les Allobroges, dans la conjuration de Catilina.

19. Il paraît que les Romains, au temps de Juvénal, mettaient une grande importance à cette futile érudition, et qu’ils prenaient plaisir à embarrasser les grammairiens par une foule de questions de cette espèce. Tibère voulait qu’on lui apprit quelle était la mère d’Hécube ; quel nom portait Achille parmi les femmes chez lesquelles il s’était réfugié ; ce que chantaient les sirènes, et quel avait été le nombre des rameurs d’Ulysse.

20. Le peuple obtenait, pour les cochers, cinq pièces d’or, lorsqu’il le demandait.

SATIRE VIII


1. Les Romains conservaient les images de leurs ancêtres dans des armoires. Ces images étaient de cire ; et, dans les jours de fête publique et particulière, on les exposait dans le vestibule de la maison. Des guirlandes de fleurs, partant de la première de ces images, qui était la souche de la famille, allaient se placer successivement sur toutes les autres, et, par leurs différentes ramifications, les embrassant et les enchaînant entre elles, formaient dans un certain ordre ce que nous appelons l’arbre généalogique.

2. On avait confié à la famille des Fabiens, qui se prétendait originaire d’Hercule, le soin de l’autel élevé par Évandre, en l’honneur de ce dieu. Fabius Maximus, à cause de ses victoires sur les peuples de la Provence, du Languedoc, du Dauphiné et de quelques autres contrées des Gaules, connues sous le nom d’Allobroges, avait transmis ce titre à sa famille.

3. Les grands d’Athènes, se vantaient d’être issus de Cécrops, comme les Romains, de descendre d’Énée. De là le proverbe Cecrope generosior.

4. Domitien, c’est-à-dire ses généraux, avait vaincu les Bataves ; mais cette nation opprimée plutôt que soumise, exigeait la présence d’une armée toujours prête à réprimer ses mouvements.

5. Chérippe est le nom supposé de quelque habitant d’une province romaine, auquel le poète conseille de vendre à l’encan le reste de ses effets, soit pour en soustraire le produit à l’avidité d’un nouveau gouverneur, soit pour acquitter ses impôts. Il l’engage, dans tous les cas à se taire, et à ne pas faire à Rome un voyage inutile pour se plaindre.

6. Plures de pace triumphos, signifie que Verrès et Dolabella rapportaient, en temps de paix, de quoi former la matière de plusieurs triomphes. Le mot spolia exprime ordinairement les dépouilles enlevées à l’ennemi ; et ce n’est pas sans une intention éminemment satirique que le poète l’emploie en parlant de rapines exercées contre des peuples alliés.

7. On entend communément, par sufflamen, l’espèce de chaîne ou de grosse perche qui sert à enrayer les roues d’un char dans une descente. Cependant il serait possible qu’en cet endroit, ce fût un mot inventé par Juvénal pour exprimer les efforts et l’essoufflement de l’épais Latéranus.

8. La porte Idumée ou des Juifs, fut ainsi nommée à cause de l’entrée triomphale que Titus et Vespasien tirent dans Rome par cette porte, après la conquête de la Judée. On observe que les Juifs qui se sont maintenus à Rome, évitent encore aujourd’hui de passer sous cet arc de triomphe, et qu’ils aiment mieux faire un long détour, tant les impressions restent profondément gravées au cœur de cette étonnante nation ! Ce Syro-Phénicien était le maître d’une des tavernes établies en grand nombre auprès de la porte Idumée, et faisait le commerce des parfums de ces provinces. Cyané devait être sa femme.

9. Ces ergastules étaient des espèces de cachots domestiques où les Romains renfermaient à la campagne ceux de leurs esclaves qui avaient mérité un châtiment sévère.

10. Le siparium était ce que nous appelons la toile, dans nos théâtres. On se servait du siparium pour les comédies, et de l’aulæum pour les tragédies.

11. Dans le Lauréole on crucifiait un chef de voleurs ; mais, au dénouement, l’acteur s’escamotait, comme dit Dusaulx, et ne laissait qu’un mannequin en sa place, Domitien s’étant fait représenter cette pièce, voulut que l’acteur qui jouait le Lauréole fût en effet pendu. C’est peut-être à ce trait que Juvénal fait allusion. On lit dans Martial : Non falsa pendens in cruce Laureolus.

12. S’il est vrai que le préteur Celsus n’ait été qu’un homme de basse extraction, il y a dans l’original, surtout pour les contemporains, entre les Mamercus qui se vendent, et Celsus qui les achète, une opposition tout à fait satirique, que la traduction ne rend pas. Ce doit être souvent le défaut de nos pâles copies.

Suivant tous les traducteurs et commentateurs, le Quanti sua funera vendant ne peut s’entendre que des gladiateurs, en sorte que Juvénal, dans un même morceau, après avoir accusé les nobles de faire le métier de comédiens, leur reproche de se vendre pour les jeux du cirque, puis revient aux représentations du théâtre, et termine par un trait historique contre les patriciens qui descendent dans l’arène, c’est-à-dire, qu’il mêle et confond au hasard les couleurs de deux tableaux différents. Selon nous, il parle d’abord des nobles qui se font mimes, puis, par gradation, de ceux qui, comme Gracchus, poussent l’impudence jusqu’à lutter contre le myrmillon ; et ce sont deux degrés d’avilissement qui se succèdent conformément aux principes de la rhétorique.

Mais, dit-on, les comédiens ne vendaient pas leur vie au préteur. Nous répondons qu’ils ne savaient pas à quoi ils s’engageaient, puisqu’il pouvait prendre fantaisie à l’empereur d’ordonner que le mime, que le Lauréole, par exemple, jouât son rôle au naturel, c’est-à-dire, qu’il fût réellement pendu, ce qui arriva sous Domitien. D’ailleurs est-il bien sûr que le texte n’a pas été légèrement altéré, et que les copistes n’ont pas écrit funera pour munera ? Tout alors s’expliquerait sans difficulté ; car on sait que les comédies et les tragédies étaient comprises dans les jeux publics, et placées, comme tous les divertissements, dans les attributions du préteur.

13. Les parricides étaient jetés à l’eau, dans un même sac de cuir, avec un chien, un coq, un singe et des serpents, le tout en vie.

14. Virginius, Vindex et Galba commandaient, l’un en Germanie, l’autre dans les Gaules, et le dernier en Espagne, lorsqu’ils se soulevèrent contre Néron, sous prétexte qu’il s’avilissait de plus en plus. Les autres crimes de ce tyran suffisaient sans doute pour révolter contre lui la ville et les armées ; mais l’outrage qu’il faisait à la majesté impériale, en la prostituant sur un théâtre, avait encore quelque chose de plus révoltant aux yeux des vrais Romains ; et ce fut là le principal prétexte dont se servirent les conjurés.

15. Quelques commentateurs ont pris le colosse dont parle ici Juvénal, pour la statue que Néron s’était dressée à lui-même, et qui avait plus de cent pieds de hauteur ; mais ce colosse était de marbre, et, selon Pline, la statue de Néron était d’airain. D’ailleurs nous lisons positivement dans Suétone : Citharam a judicibus ad se delatam adoravit, ferrique ad Augusti statuam jussit.

16. On enduisait une robe de poix, de bitume, de cire, et l’on faisait brûler vifs les grands criminels, après les avoir revêtus de cette robe. Ce supplice odieux avait lieu particulièrement contre les traîtres à la patrie et les incendiaires.

17. Cet honneur fut décerné à Cicéron par un plébiciste et per un sénatus-consulte, sur la proposition de M. Porcius Caton et de Q. Luctatius Catulus. Camille seul, avant lui, avait reçu ce titre glorieux ; mais ce n’avait été que par acclamation, et le jour de son triomphe.

18. Cet esclave es nommait Vindicius ou Vindex, nom que peut- être on ne lui a donné qu’après l’événement. On lit, dans l’ancien scholiaste, qu’il fut affranchi par Brutus, comme libérateur de la patrie, et condamné à mort, comme délateur de ses maîtres, action qui fut pleurée par les dames romaines.


1. Le traducteur n’a pas rendu le vers Nos colaphum, etc., parce qu’il embrasse la phrase, et que, pour le bien expliquer, il faut entrer dans des détails qui répugnent à la langue française. C’est bien assez de laisser entendre de pareilles infamies.

2. On appelle verna un esclave né dans la maison. Ces esclaves, élevés sous les yeux des grands, avaient une éducation plus soignée que les autres, et l’indulgence de leurs maîtres leur laissait prendre un ton d’aisance et de liberté qui donnait beaucoup de sel à leurs plaisanteries. De là les expressions vernale dictum, ventiles blanditiœ, verniliter, sic.

3. Le pomœnium était un certain espace de terrain en deçà et au delà des murailles, où les augures prenaient les auspices, et qui répondait à peu près à ce que nous nommons boulevard. Ainsi, par ces mots salibus intra pomœria natis, il faut entendre des saillies d’un bon ton, du ton de la ville.

4. Si ou met une virgule après Ganymedem, on ne voit pas ce que Ganymedem seul veut dire ; si on écrit de suite Ganymedem pacis, on ne sait pas mieux ce que signifient ces deux mots. Dans le premier cas, on prend Ganymède pour le temple même de Jupiter sur l’autel duquel on voyait l’aigle et l’échanson de ce dieu. Dans le second cas, on suppose, mais fort gratuitement, qu’il y avait une statue de Ganymède dans le temple de la paix.

5. On ne saurait imaginer rien de plus révoltant que ces trois vers ; et s’il est vrai qu’ils soient de Juvénal, ce dont il est permis de douter, c’est la plus grande tache imprimée à ses écrits. Heureusement ils sont faits de manière à ce que le vice lui-même ne puisse les entendre sans dégoût et sans horreur.

6. Les calendes de mars étaient pour les femmes, ce qu’étaient les saturnales pour les hommes.

7. Gaurus inanis ne veut pas dire le stérile Gaurus, puisque le poète le suppose au contraire couvert d’un riche vignoble. C’est peut-être qu’il avait été creusé par un volcan. On n’explique pas d’une manière plus sûre l’épithète suspectum donnée au coteau de Cumes. On suppose que c’est qu’il penchait sur cette ville, et la menaçait d’une ruine prochaine.

8. De grands privilèges étaient accordés à ceux qui avaient trois enfants.

Les legs que Juvénal appelle caduca, tombaient ou devenaient nuls, quand celui à qui ils s’adressaient n’avait pas le nombre d’enfants exigé pour les percevoir légalement. Alors le fisc en profitait.

9. Allusion aux vues de Virgile : O Corydou, Corydon, quæ te dementia cepit !

10. Tout le monde connaît le moyen employé par Ulysse, pour rendre ses rameurs sourds aux chants des sirènes.

SATIRE X.


1. Les riches particuliers avaient coutume de déposer leur argent dans le temple de Saturne, situé près du Forum, afin de le mettre à l’abri des incendies et des voleurs. C’était dans ce temple que l’on gardait aussi le trésor public.

2. Cette pompeuse entrée du préteur dans le cirque, quand il venait présider les jeux, est précisément la même que celle des généraux à qui l’on accordait les honneurs du triomphe, après quelque grande victoire. Ces jeux étaient l’unique passion du peuple, et c’était une politique adroite que de leur donner cet appareil de grandeur et de magnificence.

3. Le triomphateur et, dans cette circonstance, le préteur avait à côté de lui, sur le même char, un esclave qui semblait n’y être placé que pour lui rappeler l’inconstance de la fortune et la vicissitude des choses humaines. Juvénal nomme consul celui qu’il vient d’appeler préteur. C’est qu’insensiblement l’un et l’autre nom fut donné quelquefois à ces deux magistrats.

4. Démocrite était d’Abdère, ville de Thrace. L’air épais et grossier de cette région passait pour abrutir les esprits. Le même préjugé avait lieu contre les béotiens.

Juvénal dit vervecum in patria. C’était sans doute une manière de parler proverbiale. Plaute s’en était déjà servi pour désigner un homme stupide : Ain’vero vervecum caput.

5. Mandaret laqueum exprime une insulte triviale qui répondait à ceci : va te pendre. C’était chez les anciens la plus grande marque du mépris que de désigner quelqu’un avec le doigt du milieu.

6. Genua incerare deorum ne veut pas dire allumer des cierges aux pieds des immortels, mais coller sur leurs statues des espèces de tablettes votives. C’est probablement ce que signifie ce passage d’Apulée. Votum in alicujus statuæ femore assignasti. Au reste, les anciens, dans certaines occasions, avaient coutume d’enduire avec de la cire les statues de leurs dieux.

Insignis honorum pagina désigne, selon l’ancien scholiaste, la table d’airain sur laquelle étaient gravés les titres d’honneur de celui à qui on élevait un monument.

7. Ce bœuf, destiné au Capitole, est appelé cretatus, soit pour désigner sa blancheur semblable à celle de la craie, soit parce qu’on se servait de craie pour effacer on dissimuler ses taches, quand il ne se trouvait pas d’une blancheur parfaite.

8. « Cette lettre était longue et ne contenait rien de suivi contre le ministre. Tibère y parlait d’abord de tout autre chose après quoi venait un mot de plainte contre Séjan. L’empereur passait à quelque autre objet, et puis il retombait sur ce favori. Enfin, il demandait que l’on fit justice de deux sénateurs attachés à Séjan, et qu’on les gardât en prison. Dans la crainte d’exciter quelque trouble, il n’osait demander sa mort. » Dion, trad. de la Bléterie.

9. Tibère avait donné aux esclaves le droit d’accuser leurs maîtres ; et ils étaient reçus en déposition contre eux, quand il s’agissait du crime de lèse-majesté.

10. Ceux qui écrivent angusta sede, au lieu de augusta, ont pour eux les plus anciens manuscrits, et en outre, la description de l’île de Caprée. Achaintre trouve dans l’épithète d’angusta, opposée à la majesté de l’empire, quelque chose de plus mordant que dans l’autre leçon. Dusaulx, au contraire, admire le mot augusta, surtout à cause du sarcasme violent qu’il y découvre contre Tibère transportant sur ce rocher tous les attributs de la majesté impériale.

11. Quisquis adhuc uno partam colit asse Minervam est encore une expression sujette à plusieurs interprétations différentes. Les uns, par uno asse, entendent la rétribution que les enfants, qui faisaient leurs études, avaient coutume de donner à leurs maîtres le jour de la naissance de Minerve. D’autres croient que c’est l’offrande faite à la déesse même, le jour consacré à son culte.

L’ancien scholiaste pense qu’il ne s’agit dans ce vers que des images de Minerve que les enfants achetaient pour s’amuser.

Les fêtes de Minerve s’appelaient quinquatries, parce qu’elles doraient cinq jours. Elles répondaient aux panathénées des Grecs.

12. Juvénal, en citant ce vers ridicule, semble partager l’avis de Sénèque, de Quintilien et de Martial qui refusaient à Cicéron le talent de la poésie.

13. Aplustre est le nom de certaines figures ou ornements attachés à la poupe des vaisseaux, et qui représentaient ordinairement un Triton, ou quelque autre divinité.

14. On lit dans Tite-Live : ardentiaque saxa infuso aceto putrefaciunt.

15. La bonne figure ! le bon modèle à peindre que ce borgne guindé sur on éléphant ! telle est la traduction de Dusaulx. On présume qu’un sarcasme de si mauvais goût n’est pas dans la pensée de Juvénal, et qu’il faut prendre en bonne part, ô qualis facia et quali digna tabella ! comme s’il y avait : quam tremenda facies ! quam nobili digna tabella !

16. Haute montagne de Macédoine, au golfe de Contessa ; elle ne tient au continent que par une isthme d’une demi-lieue de largeur ; elle eu a environ dix de circuit. On prétend que Xerxès ordonna de couper cet isthme, afin de procurer à sa flotte un chemin plus abrégé.

17. Ce Sostrate était apparemment un poète ampoulé, aussi fidèle au culte de Bacchus, qu’à celui des neuf Sœurs, et qui avait fait un poème sur l’expédition de Xerxès.

18. Hérodote raconte ces extravagances avec une singulière naïveté. « Du golfe d’Abyde au continent, dit-il, il y a une distance de sept stades. Le roi y avait fait construire nu pont de vaisseaux. Mais, une tempête ayant rompu le pont et détruit tous ses ouvrages, il fut indigné de cette insulte faite à sa majesté, et, après avoir fait donner cent coups de bâton à la mer, il ordonna d’y jeter des chaînes : j’ai même entendu dire qu’il voulut qu’on lui imprimât un fer chaud sur le front. Toujours est-il certain qu’il fit battre de verges l’Hellespont, en ajoutant ces paroles barbares : Onde amère, ton maître te punit ainsi, parce que tu l’as outragé sans avoir été offensé par lui. Cependant, le roi Xerxès te franchira malgré toi, et ne t’offrira plus de sacrifices, parce que tu es un fleuve amer et perfide. »

19. Les joueurs de flûte et de guitare ne paraissaient sur le théâtre qu’avec une robe brodée en or, un manteau de pourpre nuancé de diverses couleurs, et une couronne d’or resplendissante de pierres précieuses.

20. Les esclaves, chez les anciens, qui n’avaient ni montres, ni pendules, allaient de temps en temps, dans le cours de la journée, visiter le cadran solaire pour dire à leur maître quelle heure il était.

21. Thémison était un médecin célèbre, et qui fonda une secte différente de celle d’Hippocrate et d’Asclépiade.

22. Homère, dans le troisième chant de l’Odyssée, dit que Nestor avait vécu trois âges d’homme. Or, trois âges d’homme ne font guère que 90 ans. Juvénal suit donc plutôt, en cet endroit, l’opinion commune que celle d’Homère. L’opinion commune était que Nestor avait vécu trois siècles. On lit dans Ovide :

............vixit

Annos bis centum, nunc tertia vivitur atas.

Quant à la corneille, on avait cru longtemps, d’après Hésiode, qu’elle vivait 900 ans.

23. Les anciens marquaient les nombres avec les doigts de la main gauche, depuis l’unité jusqu’à cent : pour exprimer les centaines et les milles, ils se servaient de la main droite.

24. Animam exhalasset opimam est une expression hardie, et qui serait aussi ridicule qu’elle est sublime, si on ne voyait qu’elle doit s’entendre des dépouilles opimes, c’est-à-dire, de celles que le vainqueur enlevait de ses propres mains au général ennemi, et qui étaient les plus glorieuses dont un Romain pût s’emparer. Cette belle épithète appliquée à Marius sur son char de triomphe, ne signifie donc autre chose qu’une âme enivrée et, pour ainsi dire, rassasiée de sa gloire.

25. Les tyrans dont il s’agit, employaient la castration, afin que les victimes de leur lubricité conservassent plus longtemps, la fraîcheur de la jeunesse.

26. L’usage, au défaut des lois, autorisait les particuliers à punir comme, ils voulaient, les adultères qui se laissaient surprendre. Un des supplices usités pour ces malheureux, consistait à leur épiler le fondement avec de la cendre chaude, et à y introduire un poisson vorace appelé mugil ou mugilis.

27. Claude étant parti de Rome pour aller faire des sacrifices dans la ville d’Ostie, Messaline épousa publiquement C. Silius : l’empereur en fut instruit par Narcisse, et les fit périr tous deux.

28. La dot des filles de bonne maison était d’un million de sesterces.

29. Ceux qui lisent nullum numen abest l’expliquent ainsi : la prudence tient lieu de tous les dieux. En suivant l’autre version : nullum numen habes, il faut traduire : que peut le sort si nous sommes prudents ? Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/414 Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/415 Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/416 Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/417 Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/418 Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/419 Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/420 Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/421 Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/422 Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/423 Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/424 Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/425