Scènes de la nature dans les États-Unis et le Nord de l’Amérique/L’oiseau moqueur

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L’OISEAU MOQUEUR.


C’est aux lieux où le grand magnolia élance sa tige majestueuse, couronnée de feuilles toujours vertes, et décorée d’une multitude de magnifiques fleurs dont l’air est embaumé ; où les forêts et les champs s’émaillent de mille couleurs ; où l’orange d’or embellit les jardins et les bosquets ; où des bignonias d’espèces variées enlacent leurs rameaux autour du stuartia aux blanches corolles, et courent s’épanouir au sommet des grands arbres, entremêlés à des vignes sans nombre qui festonnent l’épais feuillage des bois, et livrent aux brises printanières le parfum de leurs cimes fleuries ; où l’atmosphère est presque toujours imprégnée d’une douce chaleur ; où baies et fruits de toute espèce se rencontrent pour ainsi dire à chaque pas ; en un mot, c’est aux lieux où la nature, en passant au-dessus de notre terre, semble s’être arrêtée un instant pour verser tous ses trésors, et répandre d’une main libérale les innombrables germes d’où sont sorties toutes ces belles et splendides formes que j’essaierais en vain de vous décrire ; oui, c’est là que l’oiseau moqueur devait fixer sa demeure : c’est là seulement qu’il devait faire entendre ses notes inimitables.

Mais où peut-elle exister, cette terre favorisée des cieux ? Il est un immense continent, aux lointains rivages duquel l’Europe envoya ses fils aventureux qui venaient se conquérir une habitation aux dépens des hôtes sauvages de la forêt, et convertir un sol abandonné en champs d’une fertilité exubérante : la Louisiane ! C’est là que toutes ces bontés de la nature éclatent dans leur plus grande perfection, et où je voudrais qu’en ce moment, près de moi, vous pussiez prêter l’oreille au chant d’amour de l’oiseau moqueur. Voyez comme il voltige autour de sa femelle, non moins agile, non moins léger que le papillon ; sa queue est largement étalée ; il monte, mais sans s’éloigner, décrit un cercle et redescend se poser auprès de sa bien-aimée, les yeux rayonnants de bonheur, car elle vient de lui promettre d’être à lui, de n’être qu’à lui ! Ses belles ailes se lèvent doucement ; il s’incline vers l’objet de son amour, et de nouveau, bondissant dans les airs il ouvre son bec pour épancher en chants mélodieux les ravissements de son triomphe.

Ce ne sont pas les doux accords de la flûte ou du hautbois que j’entends, mais les notes plus harmonieuses de la nature elle-même : le moelleux des tons, la variété et la gradation des modulations, l’étendue de la gamme, le brillant de l’exécution, tout ici est sans rival. Ah ! sans doute, dans le monde entier, il n’existe pas d’oiseau doué de toutes les qualités musicales de ce roi du chant, lui qui a tout appris de la nature, oui, tout !

Mais, une fois encore, il vient de redescendre, et le pacte conjugal a été scellé. Aussitôt, comme si son cœur allait éclater de joie, il exhale ses transports en notes plus suaves et plus riches que jamais. Maintenant il monte plus haut, promenant autour de lui un œil vigilant, pour s’assurer qu’il n’a eu aucun témoin de son bonheur ; puis, quand sont passées ces scènes d’amour, visibles seulement pour l’amant passionné de la nature, il danse, il pirouette dans les airs, comme en délire : on dirait qu’il veut convaincre sa charmante compagne que, pour dépasser toutes ses espérances, il lui garde en réserve bien d’autres trésors d’amour ; et puis, il recommence à chanter encore, en imitant toutes les notes que la nature a réparties entre les autres chantres du feuillage.

Pendant quelque temps, c’est ainsi que se passe chaque longue journée, chaque nuit délicieuse. Mais à une note bien connue que fait entendre la femelle, il cesse ses chants pour se rendre à ses désirs : il faut préparer un nid, et le choix du lieu qu’il occupera doit être matière à grande délibération. L’oranger, le figuier, le poirier des jardins, sont passés en revue ; on visite aussi les épais buissons de ronces ; et les uns et les autres ils paraissent tout à fait convenables pour l’objet que se propose le couple fortuné. Ils savent si bien tous deux que l’homme n’est pas leur plus dangereux ennemi, qu’au lieu de le fuir, ils fixent enfin leur demeure dans son voisinage, peut-être sur l’arbre le plus rapproché de sa fenêtre. Petites branches sèches, feuilles, herbes, coton, filasse et autres matières, sont recueillis, portés sur une branche fourchue, et là, convenablement arrangés. La femelle a pondu un œuf, et le mâle redouble ses caresses ; cinq œufs y sont déposés en temps voulu ; tandis que le mâle, qui n’a d’autre désir que de charmer par ses chants les douces occupations de sa femelle, accorde de nouveau sa voix. Cependant il guette s’il n’apercevra pas çà et là vers la terre, quelque insecte dont il sait que le goût doit plaire à sa bien-aimée, et dès qu’il en voit un, il tombe dessus, le prend dans son bec, le bat contre le sol, et revole au nid, pour y apporter ce morceau friand, et recevoir les tendres remercîments de sa compagne dévouée.

Au bout d’une quinzaine, la jeune famille réclame toute leur attention et tous leurs soins. Ni chat, ni reptile immonde, ni redoutable faucon, ne visiteront probablement la demeure chérie : en effet, les habitants de la maison voisine se sont, pendant ce temps, épris d’une véritable affection pour l’aimable couple, et mettent leur plaisir à le protéger. Les mûres des champs, plusieurs espèces de fruits des jardins, et des insectes, pourvoient aux besoins des jeunes, aussi bien qu’à ceux des parents. Bientôt on voit la couvée se hasarder hors du nid ; et une seconde quinzaine suffit pour qu’ils soient capables de voler et de se nourrir eux-mêmes. Alors ils quittent leurs parents, comme font la plupart des autres espèces.

Mais ce que je viens de dire ne renferme pas tout ce que je veux que vous sachiez de ce chanteur remarquable. Je vais donc transporter la scène dans les bois et la solitude, où nous pourrons examiner ses mœurs plus à loisir.

L’oiseau moqueur reste dans la Louisiane toute l’année ; j’ai observé avec étonnement que vers la fin d’octobre, lorsque ceux qui s’étaient dirigés vers les États de l’Est, et quelques-uns aussi loin que Boston, sont de retour, à l’instant ils se voient reconnus par les résidants du Sud, qui les attaquent en toute occasion. Je me suis assuré de ce fait, en remarquant que les nouveaux venus se tenaient sur une plus grande réserve, et semblaient avoir peur pendant les premières semaines de leur arrivée. Mais cette réserve finit par disparaître, ainsi que l’animosité des méridionaux ; et les uns et les autres, durant l’hiver, ont l’air de vivre en bonne harmonie.

Au commencement d’avril, et parfois une quinzaine plus tôt, les moqueurs s’accouplent et construisent leur nid. Dans quelques cas, ils poussent l’insouciance jusqu’à le placer entre les barreaux d’une palissade, tout au bord de la route. J’en ai aussi trouvé dans les champs, au milieu des ronces ; et ils sont si faciles à découvrir, qu’une personne désireuse d’en avoir peut s’en procurer un en très peu de temps. Il est grossièrement composé, au dehors, de brins de ronces sèches, de feuilles mortes et d’herbes mêlées avec de la laine ; l’intérieur est fini avec des racines fibreuses disposées en cercle, mais négligemment arrangées. La femelle, pour la première ponte, y dépose de quatre à six œufs ; de quatre à cinq pour la seconde ; et quand il y a une troisième couvée, ce qui arrive quelquefois, on en compte rarement plus de trois, dont le plus souvent deux seulement éclosent. Les œufs sont courts, ovales, d’un vert clair, pointillés de taches couleur terre d’ombre. Comme les petits de la dernière couvée ne sont capables de se suffire que tard dans la saison, lorsque baies et insectes deviennent rares, ils restent pauvres et chétifs, circonstance qui a fait croire à quelques personnes, qu’il existait, aux États-Unis, deux espèces d’oiseaux moqueur, l’une petite, l’autre plus grosse. Mais cela, autant du moins que j’ai pu l’observer, n’est pas exact. Sur le marché aux oiseaux de la Nouvelle-Orléans, et dès le milieu d’avril, on en apporte souvent de la première couvée ; un peu plus haut, dans le pays, ils ne sont en bon état que vers le 15 de mai. La seconde couvée éclôt en juillet, et la troisième dans la dernière moitié de septembre.

Plus vous approchez des bords de la mer, plus vous trouvez de ces oiseaux. Ils recherchent naturellement les terrains sablonneux et meubles, et les cantons peu fournis de petits arbres, de buissons, de ronces et de broussailles.

Pendant l’incubation, la femelle remarque si exactement la position dans laquelle elle laisse ses œufs, en s’en éloignant pour prendre un peu d’exercice, se rafraîchir, piquer quelque grain de gravier ou se rouler dans la poussière, qu’à son retour, elle s’aperçoit très bien si l’un d’eux a été déplacé ou touché par la main d’un homme, et pousse aussitôt un cri bas et plaintif, à l’appel duquel le mâle accourt pour gémir et se lamenter avec elle. Quelques personnes s’imaginent que, dans ce cas, la femelle abandonne son nid : mais il n’en est rien ; au contraire, elle redouble de vigilance et de soin, et ne le quitte plus que pour de rares instants. Ce n’est qu’après avoir été forcée maintes et maintes fois dans sa chère retraite, et lorsque de fréquentes intrusions l’ont par trop alarmée, qu’elle se décide enfin à partir, et encore, bien à regret ; même si les œufs sont à la veille d’éclore, elle se laissera plutôt prendre que de déserter son poste.

Ces nids sont exposés aux visites de diverses sortes de serpents qui y montent, et ordinairement sucent les œufs et avalent les petits. En de telles extrémités, non-seulement le couple auquel le nid appartient, mais encore des troupes d’autres moqueurs du voisinage volent au lieu menacé, attaquent les reptiles, et, dans quelques cas, sont assez heureux pour les faire battre en retraite, ou même les mettre à mort. Des chats qui ont abandonné les maisons pour rôder à travers champs, dans un état à demi sauvage, sont aussi, pour eux, de dangereux ennemis ; ils se glissent sans être vus ; d’un coup de griffe s’emparent de la mère, tout au moins détruisent les œufs ou les jeunes, et bouleversent le nid. Les enfants, en général, ne touchent point à ces oiseaux qui sont protégés par les planteurs ; et cette bienveillance pour eux est poussée à un tel point, dans la Louisiane, qu’on ne permet d’en tuer presque en aucun temps.

En hiver, les moqueurs s’approchent des fermes et des plantations pour vivre aux environs des jardins et des dépendances. On les voit alors sur les toits et perchés sur le haut des cheminées. Cependant, ils paraissent toujours vifs et alertes. Quand ils cherchent leur nourriture par terre, leurs mouvements sont prestes et élégants ; ils ouvrent souvent leurs ailes, comme les papillons lorsqu’ils se réchauffent au soleil ; puis, ils font un pas ou deux et leurs ailes s’étendent de nouveau. Par un temps doux, on entend les vieux mâles chanter avec autant d’entrain qu’au printemps ou à l’été ; tandis que les plus jeunes s’exercent sans relâche, pour se préparer à la saison des amours. Rarement ils s’enfoncent dans l’intérieur de la forêt ; mais d’ordinaire, ils perchent parmi les feuilles des arbres toujours verts, dans le voisinage immédiat des maisons, à la Louisiane ; dans les États de l’Est, ils préfèrent les sapins peu élevés.

Leur vol est marqué par une suite de vifs et courts élans des ailes et du corps, à chacun desquels on aperçoit comme une forte contraction de la queue ; et ce mouvement est encore bien plus prononcé pendant qu’ils marchent, leur queue s’ouvrant alors comme un éventail et se refermant l’instant d’après. Leur cri habituel ou d’appel consiste en une note très plaintive et qui ressemble à celle que fait entendre, en pareil cas, leur cousin germain, le merle roux, ou, comme on l’appelle communément, le moqueur français. Lorsqu’ils émigrent, leur vol est seulement un peu plus prolongé ; ils vont d’un arbre à l’autre, tout au plus traversent un champ d’une seule fois, et presque jamais ne s’élèvent plus haut que la cime de la forêt. Durant ces voyages, qui, le plus souvent, ont lieu de jour, ils se tiennent ordinairement dans les parties les plus hautes des bois, au voisinage des cours d’eau ; c’est là qu’ils exhalent leurs notes plaintives, et qu’ils se retirent également pour passer la nuit.

Les faucons n’osent guère les attaquer ; car quelque soudaine qu’ait été leur approche, le moqueur est prêt, non-seulement à se défendre vigoureusement et avec un courage indomptable, mais encore à faire la moitié du chemin contre l’agresseur et à le forcer d’abandonner son entreprise. Le seul qui puisse le surprendre est le faucon Stanley : celui-ci vole bas, avec une extrême rapidité, et semble enlever le merle comme en passant et sans s’arrêter. Mais si le rapace manque son coup, l’oiseau moqueur devient à son tour l’assaillant ; il poursuit le faucon avec intrépidité, tout en appelant au secours les autres oiseaux de son espèce. Sans doute il n’aura pas la force d’infliger un juste châtiment au maraudeur ; mais l’alarme donnée par ses cris se propage dans tous les bosquets d’alentour, comme le garde-à-vous des sentinelles sous les armes, et l’empêche de réussir dans ses noirs desseins.

Les facultés musicales de cet oiseau ont été souvent étudiées par des naturalistes européens et d’autres personnes qui trouvent plaisir à écouter le chant des divers oiseaux, soit en captivité, soit à l’état libre. Quelques amateurs ont même signalé les notes du rossignol comme pouvant, à l’occasion, parfaitement égaler celles de notre moqueur. Je les ai fréquemment entendus l’un et l’autre, en liberté comme en cage, et, sans crainte, sans prévention aucune, je le déclare ici : le chant de la philomèle d’Europe égalera, si l’on veut, celui d’une soubrettes de goût qui, ayant étudié sous un Mozart, peut produire à la longue quelque chose d’assez intéressant ; mais comparer ses essais au talent accompli du moqueur, c’est, dans mon opinion, tout à fait absurde.

On peut élever facilement l’oiseau moqueur, quand on le prend dans le nid, au moment convenable, c’est-à-dire lorsqu’il a de huit à dix jours. Il devient si familier et s’affectionne si bien, que souvent il suit son maître au travers de la maison. À Natchez, j’en ai vu un pris ainsi dans le nid, et qui pouvait aller et venir par le logis. Il se permettait de fréquentes excursions au dehors, puis, après avoir épanché ses mélodies dans les bois, il revenait à la vue de son gardien. Mais quelques soins, quelques précautions qu’on prenne pour perfectionner les facultés vocales de cet oiseau, quand il est retenu prisonnier, jamais on n’en fera rien qui, pour l’harmonie, puisse approcher du chant naturel.

On distingue sans peine le mâle, dans le nid, aussitôt que la couvée a quelques plumes : il est plus gros que la femelle et montre davantage de blanc pur. Il ne se foule pas non plus autant qu’elle, dans le fond du nid, lorsqu’il voit la main qui va pour le saisir. De bons chanteurs de cette espèce atteignent souvent à un haut prix. Ils vivent longtemps et sont de très agréables compagnons. Leur pouvoir d’imitation est étonnant ; ils miment avec facilité tous leurs frères des bois et des eaux, et même nombre de quadrupèdes. On assure qu’ils savent imiter la voix humaine, mais je ne puis rien affirmer par moi-même, relativement à cette faculté qu’on leur attribue.