Scarron - Œuvres, par Bastien/Epitre

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A TRÈS-ENJOUÉ


ET


TRÈS-DIVERTISSANT


AUTEUR


PAUL SCARRON


CI-DEVANT DOYEN DES MALADES
DE FRANCE,


ET


PRINCE DES POÈTES BURLESQUES,
&c. &c. &c.


Paul fils de paul,


C’est par un motif de reconnaissance que je vous dédie cette édition de vos ouvrages, soixante et seize ans après votre mort. Le cas de dédier à une personne qui ne vit plus, ne paraîtra pas étrange à ceux qui sauront un peu l’histoire des dédicaces. Mr. de Fontenelle a dédié ses nouveaux Dialogues des morts à Lucien, qu’il n’avoit jamais ni vu ni connu. Mr. de la Motte a dédié une de ses tragédies à un de ses patrons déjà enterré ; et vous-même vous avez dédié vos nouvelles à Mr. Moreau déjà expiré, et sa mort ne vous a point empêché de faire imprimer l’épître que vous lui destiniez. Il est beau d’imiter de si grands modèles.

Le plaisir toujours nouveau que j* ai pris à lire vos œuvres, est le principal pour ne pas dire l’unique motif qui m’a engage à en procurer cette édition. Car enfin j’en ai toujours aimé la lecture, et je trouve ridicule le dégoût de certains Catons austère, qui méprisent souverainement tout ce qui a l’air d’enjouement et de badinage. Je préfère à leur misanthropie impertinente le jugement d’un des plus sages magistrats qu’ait eu la France, je veux dire le premier président Guillaume de La moignon. Peut-être ne savez-vous pas qu’il possédoit parfaitement votre Virgile travesti, et qu’en badinant familièrement avec les personnes de sa confidence, il vous empruntait des vers, qu’il plaçoit proverbialement, afin d’égayer la conversation.

Mais plus vos ouvrages me divertissoient, plus j’ai souffert en voyant le désordre qui régnait dans l’arrangement ; et je me suis souvent étonné que pas un éditeur n’eût songé à y remédier. Cependant on peut dire sans exagération, que les pièces de votre recueil n’y étoient pas mieux rangées, que le serait une bibliothèque que l’on viendroit de jetter par les fenêtres. Je les ai tirées de ce cahos, et, pour me servir d’un de vos termes, j’ai renvoyé chacune à sa chacuniere. Soit paresse, soit caprice, vous avez laissé imparfait votre roman comique. Peut être aussi avez-vous voulu imiter ce grand-homme de l’Antiquité, qui commença une Vénus sans l’achever. On a dit de lui :

Si perfecisset, fecerat ille minus.

Quoi qu’il en soit de votre motif, vous avez eu le même succès. Un certain je ne sai qui a voulu l'achever, et Va fait je ne sai comment. Je me suis lassé de vous voir en si mauvaise compagnie, etj ai hardiment purgé vos écrits d’une suite manifestement indigne d’une société si honorable pour elle, et si peu pour vous.

Il en a été de même de votre Virgile travesti. Un officier François entreprit de le continuer, et fit imprimer en Hollande ses plattes bouffonneries. Un rimeur de Paris ou d’ailleurs, (car je ne sai ni son nom ni sa patrie) n’en fut pas content, en quoi il eut raison : et fit une nouvelle continuation aussi ennuyeuse que la première, en quoi il eut tort. Pour moi, ne sachant laquelle des deux préférer, parce qu’en effet elles sont également mauvaises, je les ai rejettées également.

Comme il y a des personnes d’assez mauvais goût pour regretter dans un livre le retranchement des choses mêmes les plus vicieuses, qu'à cela ne tienne qu’ils ne dictent cette nouvelle édition : ils trouveront toutes ces suites ensemble, à la fin, dans une espèce de hors-d’œuvre. J'ai d’ailleurs considéré qu’il importait fort à votre gloire, que l’on conservât avec soin des monumens qui prouvent que vous êtes un écrivain inimitable. Ainsi je les ai réservées pour un volume, que j’appellerois volontiers l’égoût de votre recueil. C’est là que j’ai relégué la Baronade, la Mazarinade, et la pièce en prose qui l’accompagne dans quelques éditions de Hollande. Peu s’en faut que je n’y aye aussi condamné une de vos Epithalames, où vous avez employé le libertinage des vers Fescennins. Mais j’ai cru qu’un ouvrage aussi court que celui-là, se cacherait dans la foule.

Quelqu’un vous aura peut-être dit que le burlesque est mort avec vous, et que d’une multitude d’ouvrages burlesques qui ont été faits à l’envi l’un de l’autre, il n’y a que les vôtres qui se soutiennent. Cela est vrai de ce burlesque dont vous étiez le modèle. Mais en récompense on en a inventé depuis quelques années une nouvelle espèce, que vous ne connoissez pas. C’est un burlesque déguisé, qui se soutient assez bien en France. Il y a des auteurs, et j’en sai dans l’académie, qui l’employent dans des ouvrages de morale et de piété, dans des harangues d^apparat, et même dans des oraisons funèbres. Ils se gardent bien de le nommer par son véritable nom’^ ils ne voudraient pas pour chose au mon’de, qu^il fût dit en leur présence qu^ils écrivent burîesquiment : mais ils ne laissent pas de le faire. Ce qui distingue ce burlesque de celui dmt vous vous êtes servi, cUst qu’il est sérieux, et qu’il faut de la réflexion et du goûc pour s’appercevoir que cen est : au-lieu que le votre saute aux yeux et se fait sentir d^ abord, par le sel réjouissant dont il est assaisonne. Ce qu’il y a de consolant pour vous, c’est que ce burlesque ne fait point de tort au votre, qui conserve toujours ses partisans.

La réparation que f ai faite à votre recueil, n’y gâte rien. Au contraire, je vous ai rendu je rie sai combien d’ouvrages qui ne se trouvent plus que dans quelques an" ciennes éditions, où., p.ir un e négligence peu louable, les nouveaux Editeurs, tant de Hollande que de Paris, les avaient laissé, l’^ous y pcrdic^, par exemple, votre seconde légende àc’Qouïhon, qu’Us avaient entièrement négligée. Jouïssez de votre réputation, tandis que nous jouirons de la gaieté qu’inspire la lecture de vos ouvrages. Je ne vous dirai points à l'exemple de ceux qui dédient, que je m'abstiens de vous faire à vous-même votre éloge, pour ne vous pas faire rougir, et pour ménager votre modestie. Faire rougir un mort, et blesser la modestie d’un poète, ne sont pas des choses qu'il faille jamais craindre ; aussi n’ai-je aucune appréhension là-dessus. Mon but, en ne vous louant pas en face, est de réserver pour le Public le bien que j'ai à dire de votre esprit ; et en cela je fais ce que font les honnêtes gens, qui louent plus volontiers un ami en son absence qu'en sa présence.


Je suis




Votre très-obligé et très-reconnoissant
Editeur.


Eutrapelophile