Situation financière de la France

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SITUATION
FINANCIÈRE
DE LA FRANCE.

1o  Formation de la dette française. — Considérations sur le crédit public. — Conversion des rentes. — Budgets de la France et de l’Angleterre comparés. — Organisation du crédit privé — Du privilége de la Banque de France.
2o  Examen de plusieurs publications récentes. — Histoire financière et statistique de l’empire britannique, par M. Pablo de Pebrer. — Du Crédit et de la Circulation, par M. A. Cieszkowski. — Examen des Revenus publics, par M. le marquis d’Audiffret. — Du Crédit en France, par M. Courtet de l’IsIe. — Traité des Banques, par M. Condy-Raguet. — Brochures, opinions et documens divers.

De toutes les dissemblances qui séparent les temps antiques de la civilisation moderne, il n’en est pas de plus significatives que celles qui sont produites par le magique pouvoir du crédit. Les peuples peu avancés se distribuent par instinct en castes diverses, entre lesquelles les fonctions sociales se répartissent : à l’une, la méditation, le culte austère de la vertu et de la science ; à l’autre, le métier des armes, et au besoin l’impôt du sang ; au plus grand nombre, le tribut journalier de ses sueurs. Chaque ordre, en accomplissant la tâche commandée par l’intérêt général, acquitte sa part de la dette commune. Chez les peuples ainsi constitués, de grandes choses ont pu se faire avec peu ou point d’argent. Au contraire, dans le monde où nous vivons, chaque individu s’appartient, et se vend ce qu’il s’estime lui-même : un gouvernement n’obtient que ce qu’il peut payer. Il était d’usage dans les cités antiques et dans les seigneuries féodales d’accumuler de longue main les matières précieuses, afin de n’être pas pris au dépourvu par une calamité publique. De nos jours, le système des réserves métalliques est abandonné. L’économie consiste à réduire les impôts : le seul trésor des états est la confiance qu’ils inspirent ; la facilité qu’ils trouvent à contracter des dettes est la mesure de leur puissance, et quand ils se libèrent d’un emprunt, c’est uniquement pour se ménager le moyen d’emprunter encore.

La conséquence forcée de ces changemens est que l’autorité se morcelle en se monétisant, et passe peu à peu dans la circulation. Le sénat où elle tend à se concentrer, c’est le parquet de la Bourse. La balance des intérêts échappe aux mains de l’homme d’état : ce n’est plus le chef militaire qui fait appel aux hommes d’armes. Le seul conquérant possible, au XIXe siècle, c’est le financier qui, nonchalamment accoudé sur son bureau et caressant de l’œil son livre de caisse, décrète la paix ou la guerre : c’est sur un mot d’ordre transmis aux courtiers, ses valeureux aides-de-camp, que les arsenaux s’animent, que les armées s’ébranlent, et que des peuples succombent.

Ce nouvel aspect des sociétés est peu poétique. Si pourtant on pénètre au cœur des choses, il n’y a rien là qui doive effrayer. C’est la consécration matérielle d’un fait de haute importance dans l’ordre moral. En théorie, tout capital est considéré comme la représentation, le produit accumulé d’un travail antérieur. Or, l’autorité acquise aux capitaux prouve que la suprématie politique, au lieu d’être le droit exclusif de la naissance, est déjà la conquête, sinon précisément des travailleurs, du moins de ceux qui conduisent le travail. De ce point de vue, la royauté de l’argent paraît légitime. Mais, à une époque où toutes les couronnes ont perdu de leur poids, l’argent seul conservera-t-il le privilége du pouvoir absolu ? Ne serait-il pas à craindre que son despotisme ne devînt le plus aveugle, le plus irritant de tous, si son immense portée n’était pas restreinte, si la force absorbante qui est en lui n’était pas contenue ?

Ces réflexions que tout le monde a faites, donnent une sorte de solennité aux débats qui touchent les institutions financières. Par une coïncidence remarquable, le crédit public est mis en cause dans le projet de conversion des rentes, en même temps que le crédit privé, par la prorogation demandée du privilége de la Banque de France. Nous n’insisterons pas sur l’importance des solutions qui doivent intervenir : elle est heureusement sentie, même dans les classes qui, d’ordinaire, accordent peu d’attention aux problèmes économiques. Aussi, craindrons-nous beaucoup moins d’appeler nos lecteurs sur un terrain aride, où il faut creuser péniblement jusqu’à la racine des faits, où l’on ne saurait avancer qu’à travers les chiffres et les plus épineux raisonnemens.

I. — FORMATION DE LA DETTE FRANÇAISE.

Les doctrines catholiques sur le prêt à intérêt s’opposèrent long-temps à un système équitable et régulier d’emprunts publics. L’église se faisait un devoir d’agiter constamment ses foudres sur l’usure, ce monstre insatiable auquel de mauvais princes eussent livré sans pudeur la chair et le sang des peuples. Un temps vint cependant, où le travail fut mis en honneur les capitaux s’accumulèrent dans les mains industrieuses, et, faute de circulation, on dut remarquer un engorgement maladif sur quelques points, et partout ailleurs une langueur affligeante. Il y eut dès-lors urgence de rétablir l’équilibre vital, en provoquant, par l’attrait du gain, le salutaire écoulement des richesses. Toutefois, l’église ne fit fléchir l’ancienne discipline qu’avec une extrême circonspection. Elle se réserva d’intervenir entre les parties comme tutrice légitime du plus faible, et dans la crainte que le nécessiteux ne se précipitât aveuglément sous le joug du riche, elle formula un contrat dont les bases principales sont autant de garanties pour l’emprunteur. Pendant la première moitié du XVe siècle, les papes Martin V et Calixte III déclarèrent que le placement de l’argent devenait licite avec les restrictions suivantes : d’abord, que le produit annuel ne devait jamais dépasser le taux énoncé par la loi ; en second lieu, que le fonds serait toujours fourni en argent et non pas en autres valeurs, pour empêcher qu’une estimation arbitraire ne favorisât la fraude ; enfin, surtout, que l’emprunteur pourrait à sa volonté se libérer par le remboursement du capital, sans qu’il pût jamais y être contraint par le créancier. Un peu plus tard, on déclara que le bénéfice de la prescription pour les arrérages était acquis au débiteur au bout de cinq années. Telles sont les dispositions qui, de la jurisprudence canonique, ont passé dans le droit civil, et forment encore aujourd’hui la base du contrat de rente perpétuelle. C’est ainsi qu’à une époque où le pouvoir spirituel n’était pas un vain mot, l’église intervenait pour moraliser les innovations réclamées par le progrès des sociétés.

Dans l’origine, les prêteurs exigeaient qu’une valeur foncière ou mobilière fût spécialement engagée en garantie de leurs avances. La rente devait être prélevée sur le revenu de l’un des domaines de la couronne, ou sur l’une des branches de l’impôt, comme la taille ou les gabelles. Louis XII emprunta ainsi une somme assez considérable pour le temps. Le crédit public, tel que nous le définissons aujourd’hui, n’existait donc pas encore ; il ne date en France que du jour où on put faire appel aux capitalises, sans autre gage à offrir que la responsabilité morale du prince et l’ensemble des ressources nationales. Les rentes créées à ces conditions furent assignées vaguement sur l’Hotel-de-Ville de Paris. On a compté cinq émissions de cette nature sous François Ier, trente-trois sous Henri II, quatre sous François II, vingt-sept sous Charles IX et sept sous Henri III. Ces emprunts faits sans mesure, et à la première tentation du besoin, grevèrent l’état d’une dette annuelle de 3,428,233 livres, somme qui serait à peine représentée de nos jours par un chiffre dix fois plus fort. La dette perpétuelle, qui seule est l’objet de nos recherches, ne constituait néanmoins que la plus faible partie du fardeau. Dans ces temps d’inexpérience financière, une sorte de dette flottante, beaucoup plus onéreuse, résultait de l’anticipation sur les revenus, de l’appointement des offices mis en vente, des exemptions, des concessions de monopoles, et d’une foule d’opérations qui n’étaient au fond que des emprunts usuraires.

En dépit des aventureuses théories qui préconisent les gros budgets et les splendides emprunts, les peuples s’obstinent à vénérer les hommes d’état qui ont prix à tâche d’alléger les charges communes. Si c’est là un des mille préjugés de la foule, comme certains économistes l’on prétendu, c’est à coup sûr un de ceux qu’il faut respecter. Pourquoi la reconnaissance nationale a-t-elle inscrit le nom de Sully parmi ceux des plus grands hommes ? C’est surtout parce que ce rigide économe avait pour programme d’arriver par la réduction des dépenses à celle des impôts. On ne créa pas de rentes nouvelles sous son ministère, et on obtint même une diminution sur la somme des engagemens antérieurs par une révision sévère des titres. Après la mort de Henri IV, la réserve en numéraire amassée par Sully, et surtout les traditions administratives qui se conservèrent malgré sa disgrâce, procurèrent encore quelques années tolérables. Mais depuis la domination de Richelieu jusqu’à l’avénement de Colbert, peu d’années se passèrent sans qu’on fût obligé d’avoir recours aux ressources extraordinaires. Pendant un demi-siècle, l’histoire financière de la France n’offre plus qu’une alternative d’emprunts ruineux et de banqueroutes indécentes : fût-il possible d’en établir la succession par des chiffres, il n’y aurait pas d’utilité à le faire, puisque aucun système ne présidait à la gestion de la fortune publique, et que les affaires d’argent n’étaient, à vrai dire, qu’une guerre ouverte entre une poignée d’ignobles traitans et les agens d’un pouvoir sans pudeur qui confondait le droit et la force. Des usuriers ne rougissaient pas de demander 25 pour 100. Le ministre acceptait, car il avait ordre de mettre sur pied une compagnie ou d’organiser quelque passe-temps royal ; mais il ne tardait pas à se donner quittance à lui-même par une ordonnance de réduction, et pourtant, en dernier résultat, l’avantage demeurait toujours au prêteur. Semblable à la fatalité des temps antiques, sous laquelle il fallait inévitablement succomber, le dieu fatal des temps modernes, l’argent, ne perd jamais ses droits : il faut tôt ou tard subir la loi qu’il daigne dicter par l’organe de ceux qui se sont voués à son culte. Déjà, au XVIIe siècle, on connaissait l’art perfide d’éluder la loi qui fixe le maximum de l’intérêt en achetant une créance à un cours très inférieur au chiffre énoncé dans le contrat. Au commencement du XVIe siècle, le taux légal du placement était le denier dix, c’est à dire qu’on pouvait acquérir légitimement une livre de rente pour un capital de dix livres. Ce taux fut porté sous Charles IX au denier douze, sous Henri IV au denier seize, sous Louis XIII au denier dix-huit, sous Louis XIV au denier vingt, ou, comme on dirait de nos jour, à 5 pour 100. Mais les limites tracées par la loi furent toujours franchies avec effronterie, et Colbert lui-même, aux meilleurs jours de son administration, n’obtint jamais des secours à moins de 10 pour 100.

La vieillesse de Louis XIV devait être une douloureuse expiation de son étincelante jeunesse, de sa majestueuse virilité. Les bilans financiers de cette époque dénoncent une perturbation qu’on ne peut plus regarder sans vertige quand on est accoutumé au mécanisme régulier des gouvernemens représentatifs. Durant les quatorze dernières années du grand règne, la guerre et les fléaux naturels élevèrent le chiffre total des dépenses à près de 3 milliards : les recettes, réduites par des anticipations, avaient à peine couvert le tiers de cette somme ; il fallut demander au crédit les deux autres tiers. Le capital des rentes sur l’Hôtel-de-Ville montait à 1,292,000 livres, dont le service annuel, à raison de 4 pour 100, absorbait environ 52 millions. D’autres rentes constituées à divers titres, le capital des offices qu’on avait scandaleusement multipliés, et surtout une dette flottante et exigible, puisqu’elle était représentée par une sorte de papier-monnaie en circulation, portèrent le total de la dette publique à 2 milliards 396 millions[1]. La valeur des espèces métalliques était si incertaine en ces temps de crise, qu’il est fort difficile d’en établir la relation avec les cours actuels. Nous croyons pourtant qu’on ne s’éloignerait pas de la vérité en avançant que la dette léguée par Louis XIV à la régence n’était pas de beaucoup inférieure en capital à celle que supporte aujourd’hui la France constitutionnelle. Mais la disproportion devient effrayante, dès qu’on balance la population et les ressources des deux époques.

On eut recours aux expédiens ordinaires du despotisme, à la refonte frauduleuse des monnaies, à la révision arbitraire des titres de créances, aux confiscations, à des supplices même prononcés contre ceux qui insultaient par leur faste à la misère publique. Ce sont là de ces palliatifs qui ne retardent la crise que pour en augmenter l’intensité. La régence songeait donc forcément à rejeter le fardeau par une secousse violente, quand Law commença à semer dans le pays ses aventureuses théories. On sait avec quelle merveilleuse étourderie la France toute entière se prêta, sur la foi d’un prospectus, à la réalisation du fameux système. Certes, pour un gouvernement réduit à organiser une banqueroute, ce fut une bonne fortune que d’avoir la nation entière pour complice. Les rentiers, qui, toutes réductions faites, touchaient des arrérages à raison de 4 pour 100, acceptèrent le remboursement de leurs créances en actions de la nouvelle banque, qui ne portaient que 2 et demi pour 100 d’intérêt, mais dont les titres pouvaient se négocier sur la place avec un bénéfice énorme. Les premières actions, auxquelles étaient attachés certains priviléges s’élevèrent en même temps de 500 livres à 20,000. L’argent perdit 10 p. 100 sur les billets. Mais les agioteurs n’avaient pas, comme les philosophes des beaux temps de la Grèce, la prétention de porter toujours leur fortune avec eux. L’engouement pour le papier s’épuisa, et comme à un signal donné chacun courut au remboursement. Dès le premier choc, tout l’échafaudage du crédit fut ébranlé, et la chute des divers effets fut d’autant plus lourde qu’ils tombaient d’une hauteur exorbitante. L’action qu’on s’était arrachée à 20,000 livres fut offerte pour un louis. Les billets de banque donnés aux rentiers en échange de leurs titres avaient été garantis par l’état, et on n’aurait pu, sans déloyauté, profiter strictement de leur dépréciation. La somme totale des engagemens laissés par Louis XIV ne se trouva réduite que d’un quart au plus, c’est-à-dire qu’après l’opération du visa, à laquelle furent soumises toutes les valeurs créées par Law, le capital de la dette publique flottait entre dix-sept et dix-huit cents millions.

La déplorable expérience qu’on venait de faire développa dans la région du pouvoir l’horreur des systèmes et des réformes. L’abbé Terray disait, assure-t-on, que la science du crédit public consiste à emprunter de toutes mains et à tous prix, sauf à se remettre au pair de temps en temps par une banqueroute aussi décente que possible. Sans dire aussi effrontément leur dernier mot, les hommes d’état du siècle passé s’en tinrent assez généralement à cette complaisante théorie. De 1733 à 1788, les ministres ou plutôt les intendans de la cour firent argent de tout. Pour exciter le démon de l’agiotage, l’emprunt se présenta sous les formes les plus diverses et les plus agaçantes, telles que rentes perpétuelles ou viagères, concessions vendues aux pays d’état, traités particuliers avec certaines villes françaises ou étrangères, négociations avec des compagnies financières, des corps constitués ou des ordres religieux, institutions de loteries et de tontines, aliénations d’impôts, cessions de monopoles, emprunts sur hypothèques et même sur nantissement de valeurs mobilières. On ne saurait déterminer la somme versée effectivement dans les caisses publiques par suite de ces transactions : le capital dont l’état s’est reconnu débiteur a pu seul être évalué, et il ne demeure pas de beaucoup au-dessous de 4 milliards[2]. Ajoutée au déficit déjà laissé par la régence, cette somme eût formé une masse d’engagemens intolérable, si elle n’eût été plusieurs fois allégée par des manœuvres dans le genre de celles que conseillait l’abbé Terray[3]. Malgré le bénéfice des réductions, Necker, dans son budget, ne demandait pas moins de 262,500,000 livres pour le service des rentes constituées, des dettes échues et des pensions, et assurément cette somme était hors de proportion avec les ressources de la France à cette époque.

Le pouvoir populaire qui hérita de la monarchie accepta loyalement les charges de la succession. Émerveillée des ressources qu’elle découvrait en elle-même, la nation eut un instant l’espoir de se libérer intégralement, et elle décréta, comme mesure préliminaire, un apurement général des comptes. Cette opération donna le résultat suivant, consigné dans le Moniteur du 5 avril 1792 :

Rentes perpétuelles 
76,844,949 livres.
Rentes viagères 
102,255,192
179,100,141 livres.

Ce chiffre représentait particulièrement la dette de l’ancien régime. Celle de la révolution consistait en pensions accordées, comme indemnités, aux ecclésiastiques et aux victimes du nouvel ordre de choses. Ces pensions exigeaient le sacrifice annuel de 97,291,000 livres. Il n’y avait pas encore à s’inquiéter de cette autre dette, beaucoup plus lourde pourtant, qui avait pour titres les assignats, parce qu’on les croyait alors suffisamment garantis par les biens nationaux, qui leur servaient de gages.

L’irrégularité des opérations financières, sous l’ancien régime, avait tellement multiplié les titres, qu’il était devenu fort difficile de les reconnaître et de les classer. Le service des arrérages souffrait de cette confusion[4]. D’ailleurs plusieurs créances reposaient sur des institutions que les premiers souffles de l’orage avaient fait disparaître. Il y avait donc justice et convenance à simplifier le mécanisme du crédit public. Le 17 août 1793, le comité des finances proposa, par l’organe de Cambon, de reconnaître, par une seule et même formule, les droits divers des créanciers de l’état. « L’opération consiste, dit le rapporteur, à inscrire sur un grand livre, que nous appellerons Livre de la dette publique, toutes les espèces de créances de la nation. Chaque créancier sera porté suivant l’ordre alphabétique… Nous aurons sur ce livre le total de la dette nationale. Alors nous la consoliderons à raison de 5 pour 100. Cette mesure devait être accueillie moins encore comme une réforme excellente, que comme un trait de haute et vigoureuse politique. Les créanciers de l’ancienne monarchie allaient devenir ceux de la république ; on enchaînait de vive force au char de la révolution la classe timide et sournoise des rentiers. Malheureusement, le défi que la France avait à soutenir contre l’Europe coalisée absorbait jusqu’à ses moindres ressources. Le plus sacré de tous les engagemens était alors d’envoyer aux frontières du pain et de la poudre. Avant même que l’échange des vieux titres contre les certificats d’inscriptions fût effectué, le gouvernement avait avoué l’impuissance de faire honneur au dernier contrat.

La nécessité qui dicta la loi de l’an VI était si criante, qu’elle étouffa les reproches haineux et jusqu’aux gémissemens du besoin. La réduction des deux tiers de la dette fut résolue. On se piqua du moins de savoir-vivre, et, pour la première fois, ce vilain mot de banqueroute fut remplacé par celui de remboursement. Le titre XIV de la loi du 9 vendémiaire an VI, pouvant être considéré comme le contrat définitif passé entre l’état et ses créanciers, mérite une attention particulière. Il porte que chaque inscription sera remboursée pour les deux tiers en bons au porteur délivrés par la trésorerie nationale, le capital de la rente perpétuelle devant être estimé au denier vingt, et celui de la rente viagère au denier dix. Par une déclaration expresse, le tiers conservé de la dette nationale est garanti de toute retenue présente ou future. Cette consolidation du tiers appliquée aux pensions, aussi bien qu’aux rentes constituées, fit descendre les arrérages annuels de 280 millions à 90 environ. Comprises dans cette somme, les rentes 5 pour 100, dont nous avons à suivre plus particulièrement les vicissitudes, atteignirent au terme de la liquidation le chiffre de 41,717,607 francs.

Un tel discrédit pesait sur le Directoire, qu’on ne lui supposa ni le pouvoir ni l’intention de respecter le concordat qu’il venait d’obtenir. Les rentiers vivaient dans la crainte de voir s’écrouler tout à coup les débris mal consolidés de leur fortune. La panique fut si grande, que la plupart des inscriptions, vendues au prix d’une seule année d’arrérages, passèrent dans les mains des agioteurs. Les bons pour les deux autres tiers affluèrent en même temps sur la place, et tombèrent dans un égal avilissement.

Enfin, la victoire dissipa les nuages qui cachaient l’avenir. La confiance se rétablit peu à peu : la Bourse se constitua. Les valeurs, timidement soulevées, demeurèrent bien au-dessous de leur niveau naturel. En 1802, tandis que le premier consul dictait à l’Angleterre la paix d’Amiens, le 5 pour 100 avait peine à dépasser le cours de 55 francs. Déjà pourtant on pouvait discerner que le ressort du crédit allait devenir un des plus importans dans le mécanisme général de l’état : l’heure de le régler définitivement paraissait venue. Tel fut l’objet de la loi du 21 floréal an X, par laquelle il fut déclaré que le tiers consolidé recevrait à l’avenir la dénomination légale de 5 pour 100 consolidé. Cette variante ne fut pas adoptée, comme on l’a dit, pour préciser le capital nominal en cas de liquidation, car les valeurs étaient encore tellement dépréciées, que l’éventualité d’un remboursement au pair ne pouvait pas même se présenter à l’esprit. On se proposa seulement, la discussion en fait foi, d’atténuer le souvenir de la spoliation dont les rentiers venaient d’être victimes, en changeant le nom qui la rappelait. La théorie qui soutint que le service annuel des dettes d’un état ne doit jamais excéder le dixième de son revenu total, devint en même temps article de loi. Le maximum de la dette française fut arrêté à 50 millions, dixième du budget ordinaire des recettes. Mais depuis la consolidation du tiers, les besoins d’une époque agitée avaient donné lieu à de nouvelles émissions de rentes, et déjà le chiffre des intérêts à servir dépassait de plus de 9 millions le maximum légal. On institua donc, par cette même loi de l’an X, un amortissement dont l’unique fonction devait être de ramener et de contenir la dette dans les limites voulues. Les délibérations soulevées à ce sujet décèlent une grande inexpérience financière : c’est qu’en effet la science du crédit est, de toutes les sciences qui font l’homme d’état, la plus difficile à acquérir, et celle dont l’apprentissage coûte le plus cher aux peuples. Le chef de l’empire dédaigna de s’en approprier les ressources. La caisse d’amortissement ne fut pour lui qu’un fonds de réserve où il puisait sans contrôle pour récompenser ses fidèles. Il délivrait de son propre mouvement des rentes sur le grand livre, et se débarrassait des fournisseurs et des créanciers importuns, en leur jetant des inscriptions au pair qui eussent perdu 20 à 30 pour 100 sur la place.

Quand on se rappelle la grande épopée impériale, qu’on énumère les trois millions d’hommes que Napoléon a mis sur pied, ses marches gigantesques à travers l’Europe, ses huit campagnes, mieux vaudrait dire cette unique et monstrueuse bataille qui dura dix ans, et en même temps les immenses travaux qu’il a menés à fin, les établissemens qu’il a fondés, et les riches dotations, et les nobles encouragemens qui tombaient si facilement de sa main, on s’étonne de ne trouver sur le grand-livre, à la date du 1er  avril 1814, qu’une dette annuelle de 63,307,637 fr. ! Mais ce chiffre, il faut le dire, n’est qu’un mensonge. L’énorme contribution de guerre imposée à la France en 1815, et qui fut représentée dans notre budget pour une rente de plus de 95 millions, est à coup sûr une dette du conquérant. Il en est de même des rentes créées pour éteindre l’arriéré antérieur à 1816 et pour le remboursement des biens des communes, décrété en 1813, mais non réalisé. L’ensemble de ces nouvelles inscriptions forme environ 130 millions. Quoiqu’elles n’aient été effectuées que sous le gouvernement représentatif, elles sont le fait du despotisme militaire, et réunies aux rentes déjà immatriculées en 1814, elles élèvent le bilan impérial à la somme de 193,454,709 francs. Or, nous allons voir bientôt qu’en 1840, moins de 196 millions suffiront à l’acquittement de toute la dette perpétuelle. La surcharge apportée par la restauration et par la royauté de 1830, à peu près compensée par des amortissemens, est, pour ainsi dire, imperceptible. Le régime constitutionnel ne coûte donc pas aussi cher qu’on se plaît à le répéter.

Les engagemens contractés personnellement par Louis XVIII pendant son exil, la guerre d’Espagne, les dépenses extraordinaires provoquées par la commotion de 1830, sont venus s’ajouter successivement au fonds des 5 pour 100, et ont porté la somme totale des inscriptions faites depuis la consolidation du tiers à 214,733,394 francs. Mais cette somme n’a jamais été servie intégralement par le trésor : elle a été allégée à plusieurs reprises et notamment par la conversion volontaire[5] d’une partie du 5 en 3 pour 100, par l’annulation d’une partie des titres dévolus à la caisse d’amortissement, et enfin par quelques extinctions et déchéances au profit de l’état. Malheureusement, tandis que le 5 pour 100 s’atténuait, le milliard accordé aux émigrés et la conversion en rentes de la réserve de l’amortissement nécessitaient l’ouverture de plusieurs autres comptes, sous la dénomination de 2, de 4 et de 4 1/2 pour 100.

Résumons cet exposé par des chiffres exacts empruntés au tableau des rentes perpétuelles inscrites sur le grand-livre le 1er  janvier 1840 :

Capital évalué au pair. Intérêts à solder.
Cinq pour cent 
2,942,249,620 147,112,481
Quatre et demi pour cent 
22,813,333 1,026,600
Quatre pour cent 
299,469,150 11,978,766
Trois pour cent 
1,193,109,667 35,793,290
4,457,641,770 195,911,137
La dotation annuelle de l’amortissement est de 
44,616,463
Ce qui donne en total la somme de 
240,527,600
à solder annuellement pour les seuls arrérages des rentes constituées.

Mais la dette inscrite sur le grand-livre n’est qu’une partie du fardeau qui pèse sur l’état, lequel se complique de la dette flottante, ainsi répartie :

1o  Intérêts des emprunts contractés spécialement pour des travaux d’utilité publique[6] 
10,683,300
2o  Intérêts des cautionnemens et dettes exigibles du Trésor 
18,000,000
3o  Rentes viagères[7] et pensions diverses 
55,413,000
84,096,300

La réunion de la dette consolidée et de la dette flottante absorberont donc suivant les prévisions du budget de 1841, la somme de 324,623,900 francs, et porteront le capital réel de la dette française à cinq milliards soixante huit millions sept cent quarante-cinq mille neuf cent cinquante francs.

Ces chiffres, si retentissans qu’ils soient, n’ont rien qui doive effrayer. Les forces de la nation se sont développées dans une proportion plus grande encore que le fardeau commun, et si on songe à l’alléger aujourd’hui, ce n’est pas la nécessité qui commande, c’est la prudence qui conseille. Le laboureur s’élance, au premier rayon qui suit l’orage, pour réparer la dégradation du champ dont il est roi. Ainsi doivent faire les hommes d’état quand reviennent les jours de calme après les secousses désastreuses. Combler un déficit antérieur, c’est accumuler des ressources, c’est recruter pour l’avenir des travailleurs ou des soldats.

II. — DES SYSTÈMES PROPOSES POUR L’EXTINCTION DES DETTES PUBLIQUES.

Il n’était pas inutile de remonter aux sources oubliées de la dette française, et d’en suivre les fluctuations jusqu’à nos jours. Le pouvoir sous la monarchie donne l’idée d’un fils de famille qui se livre aux usuriers avec l’arrière-pensée de leur échapper par quelque ruse de guerre, et qui souvent, se permet, comme des espiègleries, de ces expédiens qui déshonorent. Aujourd’hui, ce même débiteur a le triste avantage de la maturité ; il a le respect de sa propre parole, et sait d’ailleurs qu’en affaires d’intérêt la probité est encore de l’adresse. Il mesure donc gravement ses engagemens et ses ressources et malgré les bénéfices qu’il attend d’une libération, il y renoncerait s’il ne pouvait l’obtenir avec convenance et loyauté.

Il n’y a en réalité que deux moyens de payer ses dettes : c’est d’obtenir des économies par une réduction de la dépense, ou de créer un excédant de recette par un surcroît de travail. C’est ainsi qu’en agissent les particuliers. Mais les nations, qui ne se sentent pas vieillir, n’ont pas, comme les individus, l’instinct de la prévoyance, et il est difficile d’en obtenir le sacrifice du présent au profit de l’avenir. Il faut ajouter que dans les jours où nous vivons, les administrateurs ne s’arrêtent guère à des plans de réforme dont l’accomplissement exigerait une longue suite d’années. La mobilité du gouvernement constitutionnel, long-temps vantée comme une condition de progrès, ne sera bientôt plus, grace au déchaînement des passions, qu’un remuement désordonné. Quel moyen d’asseoir une idée et d’en poursuivre les résultats, quand toute position est sourdement minée, quand la première affaire pour chacun est de s’affermir contre les secousses d’une perfide bascule ; quand on dépense en caquetages le temps qu’il faudrait donner à la méditation ou à l’œuvre : quand les hommes se remplacent sans se continuer, et que les projets se succèdent comme pour se contredire ?

Dans les sociétés ainsi faites, au lieu de réduire le mal par un régime sage et soutenu, on préfère l’attaquer par un traitement prompt, incisif, et dont l’effet parle aux yeux. Or, l’ulcère qui ronge tous les gouvernemens européens, la dette, a exercé bien des docteurs : nombre de spécifiques ont été proposés ; ils se rapportent tous à quatre genres d’opérations que nous allons exposer successivement.

En première ligne se présente le système de l’amortissement, accueilli il y a soixante ans comme une révélation providentielle, mais qui commence à perdre de son prestige. L’amortissement repose sur la puissance d’accroissement qui est propre à l’intérêt composé. Tout le monde sait qu’en ajoutant chaque année l’intérêt donné par une somme à cette somme elle-même, de façon à ce que le total produise intérêt à son tour, on double en quatorze ans environ un capital prêté à 5 pour 100. Si on continue l’opération avec ce capital doublé, on obtient une progression si rapide, qu’elle cause une sorte de vertige. Un calculateur du siècle dernier avait découvert que le bonheur du genre humain ne lui coûterait que 500 livres. L’honnête homme déclara donc par testament que ladite somme de 500 liv., prélevée sur sa succession, devait être divisée en cinq portions égales, et placées à intérêts composés. Le premier cinquième devait produire au bout de cent ans 13,100 livres, et être donné à l’auteur du meilleur mémoire sur les placemens à intérêts. La seconde somme de 100 livres, montant après deux siècles à 1,700,000 livres, était destinée à l’encouragement des beaux ouvrages et des actions vertueuses. Avec plus de 25 millions obtenus au bout de trois siècles pour le troisième lot, on devait doter des établissemens de crédit. La quatrième portion, élevée à 30 milliards à la fin du quatrième siècle devait servir à bâtir une centaine de villes, où la moitié de la population française eût trouvé abri. Enfin, avec le produit du dernier cinquième, montant au bout de cinq cents ans à quatre mille milliards, on devait éteindre les dettes publiques de la France et de l’Angleterre, fonder un revenu annuel qui, partagé entre les diverses puissances de l’Europe, eût affranchi les peuples des impôts les plus onéreux, élever gratuitement tous les enfans jusqu’à l’âge de trois ans, enrichir les savans, doter les filles sages, soulager les pauvres, etc. Quelques monceaux d’or sans emploi étaient laissés à la discrétion des exécuteurs testamentaires !

Ce ridicule enthousiasme découvre le vice des théories d’accumulation fondées sur la vertu de l’intérêt composé. Les nombres abstraits, que rien ne gêne sur le papier, parviennent, il est vrai, à des grandeurs indéfinies ; mais les capitaux effectifs ont à subir des fluctuations qui dérangent tous les calculs. Le seul fait de leur multiplication suffit pour les déprécier. N’est-il pas évident qu’un fonds de placement, augmentant sans cesse à mesure que les besoins d’emprunts diminuent, languira bientôt faute d’un emploi profitable.

Appliquons ce raisonnement aux fonds d’amortissement de rentes. En théorie, une dotation de 1 pour 100 sur le capital dû par l’état, étant employée au rachat de la dette, et grossie annuellement des intérêts du capital racheté, suffit pour éteindre en trente-sept ans une rente à 5, en quarante-un ans une rente à 4, en quarante-quatre ans une rente à 3 pour 100. On demande donc annuellement aux contribuables français, en sus des 195 millions absorbés pour le solde des annuités, plus de 44 millions qui vont se capitaliser dans la caisse d’amortissement, avec les intérêts des rentes rachetées journellement sur la place. Depuis 1816, un milliard environ a été versé à cet effet, et par la progression des intérêts a produit le rachat de 71 millions de rentes, dont plus de 48 ont été rayés du grand-livre, et dont l’excédant continue d’être soldé par le trésor à l’établissement qui demeure son créancier par une fiction légale.

Ce résultat brillant n’est-il pas une illusion ? Ce n’est pas seulement un milliard que vous avez demandé aux contribuables : c’est encore la productivité de ce milliard, les intérêts qu’il eût engendrés dans leurs mains. La surcharge de l’impôt et les intérêts perdus balancent à peu près pour eux le capital amorti : il y a transformation, déplacement, et non pas bénéfice réel. L’amortissement agit pourtant d’une façon profitable dans les temps de crise financière, parce qu’en achetant alors à des cours déprimés, il relève le crédit public tout en bénéficiant sur la dépréciation des valeurs. Mais comme son fonds de roulement gagne en puissance à chaque acquisition qu’il fait, il est forcé de l’utiliser à tous prix. Il enchérit donc sur tous les acheteurs qui se présentent à la Bourse, et exaltant sans cesse les prétentions des vendeurs, il rapproche artificiellement la limite où l’état ne peut plus raisonnablement acheter ; dès-lors la machine absorbante demeure inactive. Il n’est donc pas parfaitement exact de dire que l’amortissement peut éteindre un emprunt ; il n’en saisira jamais qu’une faible partie, et à des conditions de plus en plus onéreuses. Aussi n’est-il déjà plus qu’un levier dont se servent les hommes d’état pour soulever les fonds au-dessus du pair, et justifier au besoin l’abaissement du taux de la rente par une conversion au-dessous du pair. Les services que rend l’amortissement en cette circonstance sont même si chèrement payés, que d’habiles financiers réclament chez nous sa suppression et que depuis douze ans l’Angleterre a abandonné un système dont elle avait la première préconisé les bienfaits.

On a fait avec justesse la remarque que le fléau des dettes publiques est pour les peuples la punition du crime d’égoïsme. Une série d’emprunts, a-t-on dit, rejetant sans cesse sur l’avenir la charge du présent, finit par agglomérer une dette perpétuelle, plus onéreuse par ses seuls intérêts que ne l’eût été un sacrifice une fois fait au jour de la crise. Par exemple, l’Angleterre acquitte environ 780 millions de fr. par an, et payait, il y a vingt ans, plus d’un milliard : certes, il n’est pas de guerre ou d’œuvre nationale qui lui ait coûté par année une pareille somme. Si donc, au lieu d’emprunter successivement, elle avait décrété chaque fois une contribution extraordinaire, elle n’eût pas payé davantage en dernier résultat, et ne gémirait pas aujourd’hui sous le poids d’une dette de 20 milliards en capital[8]. Partant de ce principe, plusieurs économistes anglais, et notamment Hutchinson, membre du parlement sous George Ier, Wilks en 1821, la Revue d’Édimbourg en 1827, et un publiciste anonyme en 1832, ont proposé des plans pour la liquidation intégrale ou partielle de la dette, au moyen d’une contribution une fois payée. Le sacrifice imposé aux propriétaires se trouverait compensé par un affranchissement immédiat de la plupart des impôts, par la diffusion d’un capital énorme qui élèverait le prix de toutes les propriétés, et communiquerait à l’industrie un merveilleux mouvement d’accélération. Il ne serait pas permis de présenter un plan aussi vaste sans faire connaître les engagemens, les ressources, les forces productives d’un pays, sans faire palper un à un les organes qui entretiennent la vie nationale. Un dernier partisan de la liquidation, M. Pablo de Pebrer, a parfaitement compris cette nécessité, et il a appuyé son travail de tant de faits, d’aperçus théoriques, de calculs et de pièces officielles, qu’il a pu à bon droit lui donner le titre d’Histoire financière et statistique de l’empire britannique[9]. Le premier volume, purement historique, présente des recherches fort curieuses sur les accroissemens de la fortune publique, sur l’impôt, la dette et les deux centres d’action du monde financier, la Banque et la Bourse. Le second volume offre le bilan général de cette grande société commerciale qualifiée du nom d’empire britannique, et se termine par le plan d’une liquidation gigantesque. Plein de foi dans son système, l’auteur le présente comme la seule chance de salut laissée à la Grande-Bretagne ; mais c’est là un travers sur lequel nous aurions tort d’insister, puisque nous lui devons un entassement de matériaux qu’on ne fouillera pas sans profit, et dans lequel nous avons trouvé nous-même des documens fort instructifs pour la question à l’ordre du jour.

D’après les calculs de M. Pebrer, la somme des richesses appartenant en propre aux sujets de l’Angleterre équivaut aujourd’hui à près de 140 milliards de francs[10]. Sur cette somme, une contribution de 9 1/4 pour 100, frappant toutes les familles, à l’exception de celles dont l’avoir commun ne dépasse pas 30 livres sterling ou 750 francs, et une autre contribution, atteignant dans une égale mesure le revenu des fonctions publiques, des professions libérales, et même les salaires, en respectant ceux de classes nécessiteuses, suffiraient pour rembourser au pair la dette nationale, jusqu’à concurrence de 500 millions de livres sterling (12,500,000,000 de francs). Le versement devrait être effectué en huit paiemens et dans l’espace de deux ans, et aussitôt l’impôt foncier serait réduit au tiers, les taxes qui entravent l’industrie et affectent les objets de première nécessité seraient intégralement supprimées. Les deux mesures, étant simultanées, se simplifieraient l’une par l’autre, de telle sorte que le dégrèvement obtenu par le contribuable réduisît d’autant sa quote-part dans la contribution exceptionnelle. Au premier aperçu, le projet est spécieux. Il est certain que chacun abandonnerait volontiers un dixième de son capital pour être affranchi à tout jamais de la surcharge d’impôts occasionnés par les dettes publiques. Mais la réflexion suscite bien des doutes, et nous ajouterions une longue série d’objections à celles que M. Pebrer se présente à lui-même pour se donner le plaisir de les résoudre, s’il ne nous semblait pas hors de propos de discuter un projet sans application possible dans notre pays.

Un troisième moyen pour l’extinction des dettes publiques consiste à faire jaillir, au profit de l’état, de nouvelles sources de crédit. L’exposé de ce système nous oblige à remonter aux principes de la science économique. Toutes les richesses dont se compose l’avoir d’une nation, se divisent en capitaux fixes ou engagés, et en capitaux mobiles ou circulans. Les premiers, qui sont les terres, les bâtimens, les machines, ne produisent qu’un revenu essentiellement limité, sous le nom de loyer ou de fermage. Au contraire, les valeurs qui sont de nature à passer dans la circulation, comme les marchandises et le numéraire, se transformant sans cesse, s’appropriant à tous les besoins, profitant de toutes les chances favorables, ayant enfin l’énorme privilége de se multiplier par leur représentation en papier, sont d’un rapport infiniment profitable. Or, le vrai problème du crédit est de mobiliser les valeurs fixes, de leur communiquer les avantages des valeurs circulantes, tout en leur conservant, autant que possible, leur caractère de stabilité. Si une somme de 100 millions en espèces métalliques forme une réserve suffisante pour l’émission d’une somme triple en billets, et procure ainsi les bénéfices d’un roulement de 400 millions, est-ce qu’une valeur de 100 millions en fonds de terre ne fournirait pas une base aussi solide pour une opération analogue ? L’état, en se réservant la réalisation d’une pareille idée, n’y trouverait-il pas des ressources assez abondantes pour combler l’abîme de la dette ? Ce raisonnement, qui a engendré déjà plusieurs utopies financières, vient d’être repris avec habileté par M. Auguste Cieszkowski, docteur en philosophie, dans un traité qui a pour titre : Du Crédit et de la Circulation[11]. Nous négligeons à regret une excellente analyse de la nature du crédit et de son développement pour toucher les seuls points en contact avec le sujet que nous essayons d’éclairer.

L’impôt foncier, dit M. Cieszkowski, n’est pas une rente abstraite ; il répond, au contraire, à un capital en biens-fonds qui, quoique laissé entre les mains des particuliers, peut être considéré comme une propriété foncière de l’état, puisqu’il est le gage d’une hypothèque privilégiée dont l’impôt est le revenu annuel. L’impôt foncier, joint au domaine national et aux biens communaux, donne un revenu inscrit annuellement au budget pour une somme d’environ 400 millions, qui, en la supposant capitalisée à raison de 4 pour 100, fournirait plus de 10 milliards, le double du total des dettes publiques. On pourrait donc mobiliser, selon les besoins, ce fonds stagnant de 10 milliards en le faisant servir de garantie à des émissions d’effets de crédit remboursables à vue, et ayant cours légal comme le papier des banques privilégiées. M. Cieszkowski propose de créer des billets à rentes produisant dans les mains du porteur 1 cent. pour 100 fr. par jour, ou 3 fr. 65 cent. par an d’intérêt. Ces billets donnant ainsi un loyer comme les biens-fonds aux propriétaires, et fonctionnant à volonté dans les transactions comme monnaie légale, réuniraient les qualités diverses des deux natures de capitaux, et ce double avantage les ferait rechercher de préférence à tous les autres genres de numéraire. L’état, réglant les émissions sur les demandes, deviendrait dès-lors le régulateur suprême de la circulation, et le crédit, au lieu de porter profit à quelques compagnies privilégiées, serait le bénéfice d’une nation entière. La liquidation des dettes publiques ne rencontrerait plus de difficultés. Le rentier, remboursé en valeurs donnant intérêt, n’aurait pas l’inquiétude de chercher un placement nouveau, et on calculerait l’opération de telle sorte que le détenteur du 5 pour 100, payé en billets rapportant seulement 3,65, n’éprouvât pas une déperdition de revenu trop sensible. Il y aurait perte apparente dans ce remboursement au-dessus du pair nominal ; mais l’excédant des valeurs laissées à la disposition du gouvernement permettrait d’accomplir les grands travaux d’utilité publique sans tendre la main aux capitalistes, et il en résulterait une telle amélioration des revenus, qu’on pourrait retirer peu à peu les titres de créances et effacer enfin jusqu’aux traces du déficit antérieur.

Qu’on ne juge pas la doctrine de M. Cieszkowski sur une analyse que nous sommes obligé de condenser en quelques lignes : qu’on étudie son livre, fort digne assurément de cette distinction, et on comprendra que son système assez hardi pour paraître inquiétant, ne manque pas absolument de solidité. Quelque conception analogue à la sienne est, à n’en pas douter, une des nécessités de l’avenir[12]. Malheureusement les théories économiques ne sont réalisables que lorsqu’elles ont pénétré dans la foule. La confiance publique ne se décrète pas par ordonnance : elle est l’œuvre du temps et de la routine plutôt que d’une intelligente conviction. Le gage matériel offert pour les billets à rente serait loin d’être pour les prêteurs un motif suffisant de sécurité. Les hypothèques sont en effet de peu de valeur contre un débiteur qu’il serait difficile de déposséder, et qui pourrait à la rigueur prononcer sa libération par un article de loi. L’expropriation fût-elle même possible, que la vente des biens saisis cesserait de l’être en raison de leur multiplicité et de la dépréciation de toutes choses dans une catastrophe universelle. Mais, dira-t-on peut-être, les rentes inscrites sur le grand-livre n’ont pas même ce genre de garantie spéciale, et leur seule caution est la loyauté publique. C’est pour cette raison, répondrons-nous, qu’il a fallu quarante ans pour porter nos fonds de 7 fr. pour 5 fr. de rente (cours de 1799) à 114 fr. (derniers cours). D’ailleurs un capital immense, remboursé avec des valeurs de fraîche date et déversé tout à coup dans la circulation, occasionne une secousse presque toujours fatale, et on ne peut penser sans effroi à ces grandes expéditions financières, où il suffit d’une erreur de tactique, d’une simple inadvertance, pour compromettre le sort d’un peuple. Nous ne sommes pas de ceux qui s’accroupissent dans l’ornière par crainte d’être entraînés en avant ; mais nous n’avons garde d’oublier que les innovations les plus désirables deviennent des calamités quand elles sont prématurées.

Il faut pourtant un procédé quelconque pour absorber le courant des dettes publiques, que le système des emprunts tend à gonfler sans cesse. Il en est un des plus expéditifs, et en grande faveur aujourd’hui dans le monde financier. C’est celui des conversions, qui consiste à obtenir du créancier l’abandon volontaire d’une partie des intérêts auxquels il a droit suivant les termes du contrat primitif. Le premier exemple de cette manœuvre fut donné par l’Angleterre en 1699, et répété depuis aussi souvent que les circonstances l’ont permis. Nous ne rappellerons ici que les quatre dernières conversions opérées de 1822 à 1834, et qui ont été conduites assez heureusement pour procurer une réduction de 2,355,845 livres sterling sur les intérêts (près de 59 millions de francs), sans augmenter sensiblement le capital. — De 1829 à 1835, la Prusse a converti avec bénéfice ses rentes à 5 pour 100, et abaissé le taux de sa dette provinciale de 4 à 3 1/2. — La Russie a entrepris de se libérer envers ses débiteurs étrangers, et en même temps elle s’applique à fondre nombre de petits emprunts contractés à l’intérieur à des conditions fort diverses, pour en composer une dette nationale homogène, sur laquelle elle se réserve d’agir activement. — L’Autriche a repris, en 1835, le remboursement de ses 5 pour 100, interrompu en 1831 par le contre-coup de notre révolution. L’impulsion donnée par les grands états de l’Allemagne a entraîné tour à tour les états secondaires. La Bavière, le Wurtemberg, le Hanovre, les duchés de Bade, de Saxe-Cobourg et de Saxe-Altenbourg, de Nassau et de Brunswick, Hesse-Darmstadt et Hesse électorale, les villes libres, Brême, Francfort, Hambourg, ont décrété l’abaissement de l’intérêt des rentes, sans même offrir l’alternative du remboursement intégral. Les efforts évidens de plusieurs autres puissances et notamment des états italiens, pour élever au-dessus du pair le cours de leurs fonds, annoncent sans doute des projets de même nature. La France enfin, qui a si souvent les honneurs de l’initiative, semble éprouver le regret de s’être laissé devancer cette fois. On ne peut nier que l’opinion commune, séduite par des théories qui ne sont peut-être pas parfaitement désintéressées, ne se soit montrée assez favorable à la conversion de nos rentes pour déterminer le gouvernement à la présentation d’un projet de loi.

En thèse générale, le système des conversions suscite des préventions assez légitimes. Moralement, il est presque toujours entaché de déloyauté ; comme opération de finance, ses avantages sont ordinairement détruits par de graves inconvéniens.

Un gouvernement peut très justement demander une réduction d’intérêt, quand les fonds s’élèvent au-dessus de leur niveau sans le secours des manœuvres de Bourse qui les font déborder artificiellement, quand la surabondance de l’argent est évidente, et qu’il est hors de doute que l’état pourrait emprunter à un taux inférieur à celui des rentes constituées. Les exemples d’une telle prospérité sont malheureusement trop rares. Pour prévenir le reproche de violence, on met le créancier en demeure d’opter entre la réduction de l’intérêt promis et le remboursement de sa créance. Mais cette offre n’est pas sincère ; elle est presque toujours inexécutable : en la faisant, on espère bien qu’elle ne sera pas acceptée ; on se trouve même parfois entraîné à de misérables ruses pour la rendre inacceptable[13]. Quelques lignes d’un apologiste des coups d’état de ce genre donnent matière à réflexion. « Si les ministres français, dit M. Pebrer à propos du projet avorté de 1837, avaient eu sous les yeux l’histoire de la conversion de la dette anglaise, peut-être auraient-ils médité plus sérieusement l’unité de conception, le secret et la rapidité d’action qu’exigent ces opérations, et ils auraient surtout compris qu’il était de toute impossibilité de les effectuer en employant le système vraiment unique de laisser chaque député proposer, motiver et défendre son plan particulier de conversion[14]. À voir les mots soulignés par l’auteur ne doit-on pas se demander s’il s’agit d’une transaction franche et légale ou d’une exécution par surprise ?

Le second grief est de ceux qui se traduisent en chiffres. Nous voulons parler de l’augmentation presque inévitable du capital dû par l’état, soit qu’on substitue un fonds au-dessous du pair à celui qui a dépassé le pair, soit qu’on ait recours à des emprunts pour faire face aux remboursemens demandés. Les porteurs d’inscriptions se groupent en deux classes : les rentiers proprement dits, dont l’unique ambition est de vivre de leurs revenus, et les agioteurs, qui accaparent pour revendre et trouvent leur compte à tous les déplacemens. Or, la réduction de l’intérêt serait, sinon impossible, au moins très difficile, si l’état n’achetait pas la coopération de ces derniers en leur offrant matière à bénéfices sur le capital. Par exemple, dans la combinaison de M. de Villèle, au lieu d’une rente de 5 francs pour 100 francs, on offrait 3 francs de rentes pour 75 : c’était une réduction d’un cinquième sur l’intérêt à payer ; mais, en revanche, chaque 3 francs de rente donnait lieu à l’inscription sur le grand-livre de 100 francs en capital, ce qui augmentait d’un tiers ou de 33 pour cent la dette nationale. De là une funeste alternative. Si l’état poursuit l’œuvre de sa libération, il versera des flots d’or en pure perte pour éteindre cette dette additionnelle. S’il renonce au rachat, il arrivera infailliblement à la banqueroute, quelle que soit la modicité des intérêts à payer.

Il a été dit dernièrement à la tribune que les chances aléatoires sont pour l’état comme pour les particuliers, et que parfois, après une conversion, on rachète au-dessous du prix d’émission. Il en fut ainsi en 1824. Après la fameuse manœuvre qui devait porter le 3 pour 100 au pair, il se trouva offert sur place au prix de 65, de sorte que les convertis furent indemnisés d’une perte de 20 pour 100 sur le revenu, par une perte de 13 pour 100 sur le capital ! N’ambitionnons pas pour le pays un pareil bénéfice, car il fut la conséquence d’une crise commerciale qui désola pendant trois ans la France et l’Angleterre, et on sait que la stagnation des affaires, l’avilissement des produits, l’inquiétude qui gronde comme un orage avant d’éclater en désordres, coûtent plus cher au trésor que tout ce qu’il peut gagner aux opérations de l’amortissement. Flattons-nous plutôt de rencontrer une heureuse veine de prospérité. Espérons que le niveau des valeurs publiques n’éprouvera aucune dépression, que le placement sur l’état obtiendra toujours la préférence, comme le plus sûr, et essayons de prévoir, d’après ces conjectures, les résultats définitifs de la grande mesure qui a déjà pour elle l’assentiment de la chambre élective.

III. — DE LA CONVERSION DES RENTES FRANÇAISES.

Avant d’entrer dans les détails de l’opération projetée, il importe de vider une question préalable, celle de la légalité. Le droit de rembourser ou de convertir ne pourrait être l’objet d’un doute en Angleterre, parce qu’il y est consacré par l’usage, et quelquefois même mentionné dans le contrat passé entre le gouvernement et les prêteurs. Mais on a rappelé chez nous que notre fonds 5 pour 100, devant son origine à une loi de spoliation, a été déclaré par compensation exempt de toute retenue présente ou future. On s’est prévalu de l’incertitude des termes employés dans les actes législatifs pour prétendre que le capital de la dette n’a pas été limité, et que le remboursement, en supposant qu’il fût admissible, devrait être effectué, non pas au pair, mais au cours de la Bourse. Nous avouons en toute conscience que ces prétentions nous semblent peu fondées. La loi de l’an VI ne serait applicable à la rigueur qu’aux victimes de la réduction des deux tiers et non pas aux prêteurs qui plus tard ont su tirer de leurs fonds des profits usuraires. Le droit de se racheter d’une servitude est inscrit dans la loi naturelle, et il n’est pas au pouvoir d’une assemblée délibérante de l’aliéner à perpétuité. Quant aux conditions du rachat, elles ont été suffisamment indiquées par la consolidation des anciennes créances calculées par Cambon sur le pied du denier vingt, et par le titre de cinq pour cent donné aux fonds créés postérieurement. Admettre le rachat au-dessus du pair, ce serait irriter follement la cupidité du créancier et rendre toute liquidation impossible.

Reconnaissons donc que la réduction des dettes publiques est pour les tuteurs de notre pays un droit en même temps qu’un devoir. Le moyen de libération qu’on voudrait consacrer est-il le plus sûr, le plus équitable ? les bénéfices qu’il promet rachètent-ils les embarras, les dangers qu’il fait craindre ? C’est là qu’est pour nous toute la question.

Déjà les merveilles signalées par les promoteurs de la mesure se sont évanouies au grand jour de la discussion. La conversion, disait-on il y a deux ans, doit améliorer la condition ordinaire du crédit public, abaisser le loyer de l’argent, déverser des capitaux dans la circulation, raviver l’agriculture et l’industrie. On a peine à concevoir que ces phrases de prospectus aient été produites sérieusement et qu’elles aient pu agir un instant sur l’opinion.

Est-ce donc qu’il suffit d’abaisser le taux nominal des fonds publics pour trouver réellement des secours à bas prix ? En ces sortes d’affaires, les termes du contrat sont une entrave pour l’état qui est en péril, mais jamais pour le capitaliste qui tient le salut public enfermé dans son coffre-fort. De 1793 à 1819, l’Angleterre a contracté plus de soixante emprunts à des taux ordinairement fort bas, et cependant elle a toujours payé plus de 5 pour 100, soit qu’elle attribuât un intérêt de 3 pour 100 à une somme double de celle qui lui était versée effectivement, soit qu’elle ajoutât au coupon de rentes perpétuelles une longue série d’annuités détachées. On ne saurait trop le répéter, l’abaissement du taux nominal de la dette n’a pas été le fait des hommes d’état de la Grande-Bretagne. Ce fut au contraire une condition commandée par les agioteurs pour se mettre à l’abri des conversions en stipulant un intérêt nominalement si faible qu’il devint en quelque sorte, irréductible, et aussi pour profiter de la surcharge des titres en cas de rachat ou d’amortissement. Presque tous les publicistes qui ont écrit avec autorité sur les finances de l’Angleterre, Price, Stewart, John Sainclair, Colquhoun, Robert Hamilton, dont l’avis est de si grand poids, ont condamné cette tendance à abaisser fictivement le taux de la dette, qui, en gonflant le capital, éloigne le terme de la libération. Ce n’est donc pas faire un progrès dans la carrière du crédit que d’adopter, au milieu d’une incontestable prospérité, les expédiens financiers subis par nos voisins dans les jours de détresse[15].

Y aura-t-il reflux des capitaux dans la région des affaires, et, par suite, abaissement du prix de l’argent ? Assurément non. Si les rentiers se liguaient pour demander à être remboursés, la conversion et ses prétendus bienfaits seraient réduits à néant. Si, au contraire, elle était acceptée, il n’y aurait qu’une diminution des revenus de chacun et non pas diffusion des sommes aujourd’hui détenues par l’état. Mais à quoi bon discuter les promesses dorées des convertisseurs ? Le ministre qui a présenté la loi en a fait justice le premier, en disant dans l’exposé de son projet : « On sait maintenant à quoi s’en tenir sur les effets de la mesure. Si l’on ne croit plus que le remboursement des rentes 5 pour 100 et leur conversion en effets à un titre inférieur puissent influer directement sur le taux de l’intérêt, du moins ne conteste-t-on plus la réalité des avantages à recueillir de la diminution des arrérages acquittés par l’état. »

L’opération ne devant aboutir qu’à une économie pour le trésor, il nous reste à tracer le plan financier de la campagne, à indiquer la situation respective des trois partis qui s’y trouvent engagés, les rentiers, l’état et les agioteurs.

Le fonds 5 pour 100, qui doit être soumis à la conversion, donne en nombre rond la somme de 147 millions. Il faut commencer par en distraire environ 37 millions, qui appartiennent à l’amortissement, à la Légion-d’Honneur, aux invalides de la marine, aux communes, aux hospices, à divers établissemens publics et religieux. La chambre des députés n’a pas admis cette exception, et a voulu que la radiation du 5 pour 100 fût complète. Ce sera une fiction de plus dans la loi, que d’appauvrir des institutions dont les besoins retombent forcément à la charge du trésor public. La somme retranchée au chapitre de la dette reparaîtra infailliblement à quelque autre page du budget. Il n’est pas moins évident qu’il n’y a pas de bénéfice réel sur le dixième retranché aux rentes de l’amortissement. Si l’on ne tient pas à grossir les chiffres pour se faire illusion à soi-même, il faut laisser en dehors cette somme de 37 millions, et ne faire porter les calculs que sur une rente de 110 millions de francs.

Pour bien apprécier la résolution prise par la majorité de la chambre, il faut la comparer au système développé par la commission.

Aux termes du rapport, les détenteurs du 5 pour 100 avaient à opter entre les trois propositions suivantes :

1o  Le remboursement intégral au pair du capital ;

2o  La réduction d’un dixième des intérêts, c’est-à-dire la conversion du 5 pour 100 en quatre et demi sans augmentation de capital ;

3o  La conversion du 5 pour 100 en trois et demi, à raison de 4 fr. 05 c. de rente pour 86 fr. 42 c. du capital remboursable, c’est-à-dire une diminution de 95 cent. sur 5 fr. de rente, et, en compensation, un accroissement de 15 fr. 71 c. sur 100 fr. de capital dû par l’état.

Nous l’avons déjà dit, l’offre de remboursement n’est jamais faite que pour la forme. Le fin de l’affaire consiste à ce qu’aucun rentier, à moins d’un étrange aveuglement, ne songe à se faire rembourser par l’état. Il ne recevrait en effet que 100 francs par 5 francs de rente en se présentant au trésor pour réaliser son inscription au pair. Qu’il accepte au contraire la conversion, et il pourra dès le lendemain revendre son nouveau titre avec un bénéfice notable. Selon toutes les probabilités, ce trois et demi, que l’état devait créer à 86 fr. 42 c., eût été enlevé aussitôt jusqu’à 98 par la puissance de l’amortissement et par ses tendances naturelles. Ce cours de 98 est précisément celui du 3 1/2 anglais, et il correspond à notre trois pour 100[16], qui se maintient à 84. On espérait donc que la majorité des porteurs de rentes se laisserait séduire par la chance de gagner plus de 13 pour 100, c’est-à-dire de recevoir sur la place 113 fr. 38 c. pour le titre converti, au lieu de 100 francs auxquels donne droit l’inscription primitive.

Les créanciers de l’état se divisent en deux classes : d’un côté, les rentiers proprement dits dont le revenu mesure le bien-être, et de l’autre les spéculateurs qui jouent sur le capital. Les premiers eussent choisi l’immobile 4 1/2, qui ne retranche que 50 c. par 5 francs. Les seconds sont les champions déclarés du 3 1/2, dont la séduisante élasticité les ravit.

Supposons, d’après ces conjectures, que les 110 millions de rentes à réduire se fussent partagés ainsi :

50,000,000 convertis en 4 1/2 
Rabais obtenu par l’état 
5,000,000
60,000,000 3 1/2   11,400,000
110,000,000 16,400,000

La transformation du capital eût donné alors les résultats suivans :

4 1/2 avant la conversion 1,000,000,000 Après la conversion 1,000,000,000
3 1/2 1,200,000,000  1,388,000,000
2,200,000,000 2,388,000,000

En somme, surcroît de capital de 188 millions, dont l’état se reconnaissait débiteur au profit du 3 1/2. C’était pourtant la moindre des faveurs ménagées à ce dernier fonds. Constitué par la conversion au-dessous du pair, il devait profiter seul sans doute des sommes destinées à éteindre les rentes qu’il remplaçait. La dotation affectée au rachat du 5 atteindra bientôt le chiffre de 55 millions. Laissons jouer cet amortissement pendant dix années, terme de la trève accordée aux rentiers.

55 millions, rachetant à intérêt composé du 3 1/2 au taux moyen de 98, saisiraient en dix ans un peu plus de 23 millions de rentes.

Pendant ces dix ans, la dotation et les intérêts confondus eussent formé une somme ronde de 647,358,000 fr., c’est-à-dire une moyenne de 64,735,000 fr. employés annuellement en acquisitions ; et comme l’état devait racheter 98 fr. ce qu’il vendait 86 fr. 42 c., il en eût résulté pour lui une perte annuelle d’environ 7,640,000 francs. Dans le système de la conversion avec accroissement de capital, cette perte volontaire n’est pas autre chose qu’une prime accordée aux banquiers pour prix de leur coopération.

Qu’on ne vienne pas dire que tout porteur de rentes est appelé au partage de cette prime. Le bénéfice n’existe que pour les habiles qui savent remuer à propos leur capital, et non pas pour les innocens qui n’aspirent qu’à vivre du produit. Qu’un rentier forcé de vendre participe au bénéfice de la hausse, ce ne sera jamais qu’un fait exceptionnel. Cela est si vrai, que si la majorité des créanciers de l’état se laissaient prendre aux amorces de la spéculation, et venaient présenter leur inscription sur la place, la rente retomberait lourdement et creuserait un abîme assez large pour engloutir les agioteurs eux-mêmes. La rente dans les mains des banquiers n’est qu’une marchandise achetée pour être vendue, et le prix de cette marchandise se règle d’après la loi commune, par la proportion de l’offre et de la demande. Ainsi, quand la commission de la chambre accordait au rentier les bénéfices d’un accroissement de capital, c’était à condition qu’il ne lui prendrait jamais fantaisie d’en profiter. On étalait un trésor devant lui, et il pouvait se donner le plaisir de le caresser des yeux ; mais qu’il étendît la main pour le saisir, et tout s’évanouissait en fumée !

En définitive, de belles chances de gain étaient offertes aux spéculateurs. La moyenne des ventes réelles opérées chaque année en 5 pour 100 a été évaluée à plus de 30 millions de rentes. Que le nouveau fonds eût donné lieu à une même somme d’affaires, en obéissant à sa tendance naturelle à la hausse dans la limite de 87 à 98, et il en eût résulté pour les revendeurs des profits qui eussent fait reluire des millions à leurs yeux. Peut-être même que ceux qui ont poussé à la conversion, sous prétexte qu’un intérêt de 5 pour 100 est exagéré, auraient trouvé moyen de placer à 10.

Il eût fallu déduire des bénéfices obtenus par l’état la perte présumée de l’amortissement, ce qui eût fait descendre l’économie annuelle à moins de 9 millions.

Quant au compte des rentiers, il était net et clair : perte de 16 millions par année.

Au bout de dix ans, les créanciers de l’état auraient subi un déficit de 164 millions, qui se seraient partagés entre le trésor pour 88 millions, et pour 76 millions au profit des joueurs heureux.

Tels étaient les ressorts financiers et les résultats probables du projet primitif. Mais la chambre des députés vient de donner à l’opération un caractère tout nouveau. 268 voix contre 163 ont condamné la création du fonds 3 1/2 au-dessous du pair, et n’ont laissé aux créanciers de l’état que l’option entre le retrait de leur capital au pair, ou l’abandon de la dixième partie de leur revenu. Il ne s’agit plus, à proprement parler, d’une conversion, mais d’une réduction des rentes. Plus de capital additionnel, plus de spéculation sur le jeu de l’amortissement, plus de catégories entre les porteurs d’inscriptions. Le vote de la chambre les frappe tous, depuis les plus humbles jusqu’aux redoutables opérateurs de la Bourse. 11 millions seulement au lieu de 16 doivent être retranchés aux rentiers, mais comme le trésor n’admet plus personne au partage de son bénéfice, ces 11 millions lui sont assurés au lieu de 9, qu’il pouvait se promettre suivant le premier plan de campagne.

À la première vue, la loi ainsi amendée paraît plus équitable et plus lucrative ; mais on en a rendu l’exécution fort difficile, en tournant contre elle ses plus ardens promoteurs, ses auxiliaires les plus actifs. Il est permis de ne pas croire au désintéressement parfait des agioteurs de profession. Une mesure qui leur inflige un sacrifice au lieu du profit qu’ils en attendaient, obtiendrait-elle leur concours ? Il serait peu prudent de l’espérer. Sans se mettre en hostilité déclarée, il leur suffirait d’un mot d’ordre donné à la Bourse, de quelques entreprises lancées habilement sur le flot de la spéculation, de l’appât d’un fonds étranger offert sur notre place, pour élever beaucoup plus haut qu’on ne le suppose le chiffre des remboursemens à effectuer. Alors le gouvernement se trouverait fort embarrassé de sa contenance en présence des capitalistes qui lui tendraient une main pour recevoir et l’autre pour prêter.

Ajoutons que l’une des conséquences du dernier vote est de nature à inquiéter les partisans sévères de l’économie. Chacun sait que notre amortissement, aux termes de la loi qui l’a reconstitué en 1833, ne peut plus racheter les rentes au-delà du pair. La commission prétendait lui rendre son activité en refoulant les cours au-dessous du pair par une conversion du 5 en 3 1/2. La majorité a senti que ce retour au mouvement serait plus ruineux encore que l’inertie, puisque l’amortissement devrait fonctionner à perte jusqu’à ce qu’il eût absorbé le capital additionnel ; au 5 pour 100, elle substitue seulement du 4 1/2 par changement de titre, ou du 4 par un emprunt. Mais ces fonds qui dépassent déjà le pair sont en dehors des conditions de rachat. Ainsi, l’impuissance de l’amortissement, sa situation irrégulière et exceptionnelle, se trouvent perpétuées et en quelque sorte légalisées. C’en est assez pour neutraliser les résultats économiques de l’opération. La loi des rentes, telle qu’elle est sortie de la chambre élective, doit donc réunir contre elle les rentiers, les spéculateurs, les hommes d’état et même les contribuables éclairés. Il est plus que jamais probable qu’une condamnation éclatante l’attend à la chambre des pairs, et, personne cette fois ne sera tenté de réclamer.

Les hommes sérieux applaudiront à la chute d’une mesure dont l’exécution soulèverait des difficultés sans nombre, et semerait des mécontentemens dans plus de cent vingt mille familles[17]. Sans renoncer à l’espérance d’alléger les charges communes, ils se demanderont s’il n’y aurait pas d’autres moyens d’y parvenir ; si l’on ne va pas à l’encontre des idées qui ont cours en France, en favorisant la tendance fatale qu’a l’argent à se concentrer dans les mêmes mains ; si l’agiotage n’abuse pas des forces qu’on lui a laissé prendre, pour peser sur les ressorts de nos affaires publiques ? Nous fournirons une base à leurs méditations, en faisant passer sous leurs yeux le tableau des emprunts législatifs contractés en France depuis 1815 jusqu’à 1837 :

RENTES CRÉÉES. SOMMES
reçues
par l’état.
CAPITAL
au
pair nominal.
COURS
actuel
de la
bourse.
VALEUR
du capital au
cours de la
bourse.
5 % — 119,218,382 1,757,062,834 2,384,367,640 113 2,696,335,433
4 % — 11,993,403 298,324,527 299,835,200 104 311,828,808
3 % — 1,410,090 38,033,398 47,003,000 84 39,482,520
132,621,880 2,083,420,759 2,731,205,840 3,047,646,761
Les sommes versées s’élèvent à 
2,083,420,759 2,083,420,759
La plus-value du capital est de 
647,785,081 964,726,012

Nous négligeons les emprunts spéciaux et locaux pour ne parler que de ceux qui ont été inscrits sur le grand-livre de la dette nationale, et il ressort de ce tableau que le gouvernement s’est reconnu débiteur d’une somme qui dépasse de 647,785,000 francs celle qu’il a reçue ; autrement dit qu’il paie les intérêts d’un capital dont il n’a touché que les deux tiers, et qu’enfin la somme prêtée, estimée au dernier cours de la Bourse, offre une plus-value de près d’un milliard.

Qui fera ton histoire, ô démon de l’agiotage, depuis le jour où le dieu des Juifs, remarquant tes débuts au sein d’Israël, te fit dire par la bouche de Moïse : « Quand tu prêteras de l’argent à mon pauvre peuple, tu ne l’accableras pas[18] ? » On te verrait dans les cités antiques, assis au milieu du marché, devant une table de bois, échanger l’argent du riche contre le gage du pauvre, accepter de l’usure toute la honte, et en partager les profits. Mais patience ! À force de rogner les écus d’autrui, tu en auras un jour assez toi-même pour prendre à bail le champ de l’impôt. Ne cherchez plus dans le Forum l’argentier en plein vent. La civilisation a marché. Le prêteur sur gages est devenu capitaliste. À l’aide des honnêtes sénateurs intéressés dans ses affaires, il obtient des entreprises, des perceptions, des fournitures. Au lieu d’une échoppe, il a un palais, des cliens, des esclaves, nombre d’amis. Il s’est fait une sorte de noblesse pour se tirer tout-à-fait de la plèbe : il est chevalier. Cicéron descend des hauteurs de sa rhétorique pour se mettre à sa portée, et s’applaudit de lui avoir donné dans l’œil[19]. Le vainqueur des Gaulois, César, lui accorde un pot-de-vin pour prix de l’empire, et avant peu le monde aura pour maître Auguste, le petit-fils d’un banquier !

Le déclin de la société romaine est encore favorable à l’agiotage : les empereurs sont faciles en affaires, comme toujours ceux qui se ruinent. Mais la féodalité chrétienne se montre moins traitable. Pour les farouches barons du moyen-âge, juifs, lombards, caorsins, tout ce qui fait trafic de l’argent au péril de son ame, ne compose qu’une seule et même race de mécréans, à laquelle on peut manquer de parole en sûreté de conscience. Le roi d’Angleterre, le roi de Jérusalem et d’autres princes encore semblent un jour s’être donné le mot pour renier à la fois leurs dettes, et réduire à la banqueroute les trop puissans banquiers de Florence. Aussi on prendra ses sûretés à l’avenir, et si on prête, ce sera sur de bons gages, sur les diamans d’une couronne ou la moustache d’Albuquerque.

Vient la monarchie absolue. Trop grande dame pour compter avec ses gens, elle se confie à des surintendans, qui eux-mêmes s’en rapportent à leurs laquais, en se contentant de partager avec eux. On jetait le filet en eau trouble, et tous les coups étaient bons. Mais l’or qu’on amoncelait n’était pas sans alliage. Les traitans étaient peu considérés, et on ne se faisait pas faute d’en pendre quelques-uns pour que le peuple, manquant de pain, eût du moins les jeux du Cirque. Mauvais temps après tout ! Oh ! que vaut mieux pour l’agioteur ce bénin régime que l’Angleterre a l’honneur d’avoir inventé, et qui doit faire le tour du monde ! Il était trop dur d’avoir à compter avec un despote, arbitre absolu des fortunes et des existences. Le pouvoir revu et corrigé est de plus douce composition. Qu’on se figure un pauvre interdit qui a du bien, mais non pas la gestion de son bien ; qui, tourmenté de la démangeaison du bien-vivre, est toujours en quête des usuriers pour en soutirer quelques avances. Aussi l’âge d’or est-il venu pour ceux qui sont initiés aux arcanes du crédit. On les ménage, on les choie ; ils ont un pied dans les conseils. Avec l’argent gagné dans les emprunts, on se fait homme politique, et politique, on trame des emprunts pour gagner de l’argent…

Mais c’est un cercle vicieux, vont dire les logiciens. D’autres diront : c’est la roue de fortune !

IV. — ÉCONOMIES ET RÉFORMES.

Le rejet probable de la loi des rentes par la chambre des pairs, ne sera qu’un ajournement et non pas une solution. Chaque année on entendra retentir cette argumentation passionnée qui déjà a triomphé, parce qu’elle caresse un sentiment de jalousie trop bien justifié par le misérable état de la propriété foncière. Si vous accordez grace au 5 pour 100, dira-t-on aux propriétaires qui siégent dans les chambres, il s’élèvera d’un seul jet au cours de 133, et cette plus-value aggravera encore la position désavantageuse des possesseurs du sol en présence des détenteurs de la richesse mobile. L’impossibilité de racheter à des prix exorbitans éternisera la dette, et l’étranger, qui a fait d’énormes placemens dans nos fonds, appauvrira notre pays de tous les bénéfices qu’il pourra réaliser par la vente.

Il nous semble qu’il y a, dans tout ceci un fâcheux malentendu. Il n’est personne qui ne désire le soulagement des contribuables ; il est impossible de consacrer l’inviolabilité absolue des rentiers. On s’est élevé seulement contre l’emploi d’un remède intempestif qui peut-être aggraverait le mal ; on a combattu un système financier qui nous précipiterait dans cette voie perfide où l’Angleterre se débat depuis plus d’un demi-siècle.

Est-ce donc qu’il n’existe pas une issue sans périls ? Puisqu’il est généralement reconnu qu’un bénéfice éventuel d’une dizaine de millions est tout ce qu’il faut attendre du remaniement des rentes, pourquoi n’emploierait-on pas les ressources disponibles pour obtenir sur d’autres branches du service des économies au moins équivalentes ? Ainsi satisfaction serait donnée provisoirement aux contribuables, et on se ménagerait le temps de concentrer les études des hommes spéciaux sur le système justement suspect de notre crédit public, d’éclairer l’opinion à ce sujet, de produire enfin un mode d’emprunt et de libération, une loi constitutive du crédit, destinée à devenir la base de tous les contrats futurs entre l’état et les capitalistes, et en vertu de laquelle on entamerait l’œuvre du remboursement ou de la diminution des rentes.

Pour réaliser la première partie de ce programme, il ne faut que la volonté ferme d’engager la lutte contre les intérêts privilégiés, et surtout contre l’inertie et les routines administratives. Quand un gouvernement dispose d’une réserve en argent, et c’est, grâce au ciel, le cas où se trouve la France, il a dix occasions pour une d’opérer avec profit. Le fonds disponible remis en comptes courans à la Banque de France est quelquefois considérable. En 1839, le trésor a eu en dépôt jusqu’à 193 millions, qui ne lui ont pas rapporté un centime d’intérêt, tandis qu’à l’échéance de chaque semestre il a dû payer à cette même banque environ 1,700,000 francs pour le solde des inscriptions qu’elle possède. À l’excédant du trésor, il faut ajouter les acquisitions faites par la caisse d’amortissement, qui, pour le seul fonds 5 pour 100, s’élèvent à plus de 20 millions de rentes. Ces ressources, improductives aujourd’hui, permettent de réaliser des économies bien supérieures à celles de la conversion. Nous signalerons seulement deux opérations indiquées par l’un des habiles financiers qui siégent à la chambre des pairs.

La première est la liquidation intégrale du 4 1/2 qu’on peut effectuer sans opposition, puisque ce fonds, constitué en 1825, a été déclaré remboursable au bout de dix années.

La rente 4 1/2 est soldée annuellement par 1,026,600 fr. qui, déduction faite de la portion déjà rachetée par l’amortissement, ne représentent qu’un capital de 19,822,000 fr. Avec cette dernière somme on éteindrait donc :

Arrérages 
1,026,600 francs.
Part de la dotation de l’amortissement, attribuée au 4 1/2 
246,254
Produit de la consolidation de la réserve du même fonds 
18,951
Intérêts de la réserve 
36,303
Bénéfice annuel 
1,328,108 francs.

C’est-à-dire qu’à une époque où l’état prétend abaisser le prix de l’argent à 4 pour 100, il ferait lui-même un placement à près de 7. Une objection a pourtant été faite. On a prétendu qu’il serait étrange de rembourser le 4 1/2 avant le 5. Ce qui nous paraît étrange, c’est un pareil scrupule. Pourquoi l’état s’abstiendrait-il de faire valoir un droit incontesté, du moment surtout qu’il déclarerait son intention d’agir en temps utile sur le 5 pour 100 ?

La seconde mesure est la conversion des cautionnemens en contrats de rentes, au sujet de laquelle un plan repose déjà, dit-on, dans les cartons de la trésorerie. L’intérêt des cautionnemens exigés des fonctionnaires figure au budget des dépenses pour un chiffre de 9 millions. Le capital de cette somme est évalué, sur le pied de 4 pour 100 par an, à 225 millions. Si on restituait à la fois ou successivement ces cautionnemens fournis en numéraire, en exigeant à leur place des inscriptions de rentes sur l’état, dont le capital présentât une garantie suffisante de la gestion des comptables, la fortune publique serait à couvert, et l’intérêt des nantissemens ne serait plus une charge pour les contribuables. L’opération élèverait naturellement le cours des effets publics : elle offrirait aux fonctionnaires eux-mêmes la chance d’une amélioration de capital ; elle profiterait véritablement à l’industrie, puisqu’un remboursement effectif rejetterait forcément dans la circulation les sommes rendues par le trésor.

Déjà les résultats promis par la conversion sont à peu près obtenus. Se hasarde-t-on dans cette sombre forêt de chiffres dont se compose un budget, on entrevoit d’autres bénéfices qu’il ne serait peut-être pas impossible d’atteindre. On a peine à concevoir, par exemple, que des sommes souvent considérables soient frappées de stérilité en entrant dans les caisses publiques. Sans transformer la trésorerie en comptoir de banque, sans rien livrer aux hasards de la spéculation, le gouvernement ne pourrait-il pas emprunter à la science du crédit quelques combinaisons qui conservassent à l’argent sa vertu productrice ?

Les économies les plus fécondes ne sont pas toujours celles qui résultent de la réduction des dépenses. Nous attachons beaucoup plus d’importance au bon emploi des subsides obtenus, aux réformes administratives qui hâtent le majestueux déploiement des ressources nationales. Les avantages d’une plus juste assiette de la contribution foncière ont été souvent démontrés. Récemment encore, un travail qui ne devait fournir qu’un discours de tribune, a pris sous la plume instructive de M. d’Audiffret l’étendue et l’importance d’un livre, et vient d’être publié sous ce titre : Examen des revenus publics[20]. M. d’Audiffret propose un nouveau mode pour la péréquation de l’impôt direct, qui permettrait de rectifier les inégalités encore existantes entre les différentes régions de la France, qui simplifierait de beaucoup la confection trop dispendieuse du cadastre, empêcherait les fraudes journalières, préparerait une plus équitable distribution des charges, et, en résumé, assurerait au trésor un profit annuel qu’on pourrait compter par millions. Il est impossible qu’on ne prenne pas en sérieuse considération les avis d’un homme qui a fait, dans les plus hauts emplois, ses preuves de savoir et de sagacité pratique. Il serait même regrettable qu’un écrit tel que celui que nous avons plaisir à citer, ne sortît pas de la sphère nébuleuse où se discutent les problèmes financiers. Ce judicieux inventaire de la fortune publique, clair et abondant malgré sa précision, est de nature à vulgariser des notions trop négligées, à dissiper des préjugés fâcheux : sans ornemens déplacés, il excite l’intérêt et la sympathie, parce qu’en l’étudiant on se croit associé au louable désir du bien public qui anime l’auteur.

Ceux qui acceptent sans contrôle les phrases qu’on se jette avec colère dans la mêlée des partis, se demandent sans doute si l’on ne pourrait pas réduire de beaucoup le milliard du budget. Nous répondrons d’abord, en nous appropriant les calculs de M. d’Audiffret, que le chiffre total du compte de recettes dépasse en effet un milliard, mais que la somme prélevée par l’impôt reste ordinairement inférieure à 900 millions, dont le sixième environ est laissé à la disposition des contribuables. C’est ce que nous allons démontrer en prenant pour base le dernier compte définitif, celui de 1837, arrêté au chiffre de 1,073,732,732 francs. En décomposant cette somme suivant l’origine des recettes, on trouve :

1o  Impôts sur la propriété immobilière, comprenant la taxe foncière, les droits d’enregitrement et d’hypothèques, les droits de timbre et de greffes qui s’appliquent aux transactions sur les immeubles 
449,903,394

2o  Contributions assises sur les personnes et les valeurs mobilières proprement dites 
128,176,547
3o  Contributions indirectes : impôts prélevés sur les consommations et les jouissances, sur les capitaux mobiles, sur les bénéfices du commerce et de l’industrie 
310,896,319
888,976,260

Ce chiffre est exactement celui de l’impôt.

Le complément de la somme nécessaire pour les services publics provient du :

1o  Revenu des biens de l’état, forêts, mines, salines, droits divers, produits coloniaux, ventes de domaines, vente d’objets de réforme, recouvremens de créances 
54,653,675
2o  Produit des services exploités par l’état, qui ne constituent pas un impôt, puisque le particulier reçoit en échange de son argent un objet de consommation ou un service quelconque, à un prix ordinairement avantageux pour lui. Tels sont le débit des tabacs et des poudres, le transport des lettres et des voyageurs, les pensions payées dans les établissemens publics, la vérification des matières précieuses, des poids et mesures, etc. 
130,102,797
Total général des recettes de 1837 
1,073,732,732

Un impôt de 889 millions, en le supposant réparti également entre 34 millions d’individus, donnerait par tête 26 fr. 15 cent. La proportion est à peu près double pour l’Angleterre, ainsi qu’il ressort d’un compte de recettes dont nous avons converti les nombres en francs.

État des revenus de la Grande-Bretagne (1837).
Contributions indirectes.
Douanes 
743,763,425
1,152,886,700
Excise, ou impôts sur les denrées 
225,363,850
Timbre, ou impôts sur les transactions 
183,759,425
Contributions foncières et taxes somptuaires (assessed-taxes et land-taxes
98,039,875
Postes 
58,765,050
Terres de la couronne (domaine public) 
9,039,825
Ressources diverses 
3,653,250
1,322,384,700
à déduire pour remises et escomptes 
39,404,625
Reste net 
1,282,880,07

On voit qu’à l’exception du produit des postes et des terres de la couronne, qui donnent une somme de 68 millions à défalquer, toutes les branches du budget anglais proviennent des sacrifices imposés aux contribuables. 1,215 millions qu’elles fournissent, partagés entre vingt-quatre millions d’individus, produisent par tête 50 francs 60 centimes. Signalons encore un fait trop peu remarqué. En France, l’impôt frappé sur la propriété compose à lui seul plus de la moitié du revenu, ce qui ne dispense pas le propriétaire de grossir, comme consommateur, l’impôt indirect, de sorte qu’il acquitte plus des trois quarts de la dette commune, tandis que le prolétaire n’y subvient que dans la faible proportion de ses consommations ou des jouissances qu’il se permet. Dans la Grande-Bretagne, au contraire, l’impôt levé sur les biens-fonds et les objets de luxe[21] fournit à peine la douzième partie du revenu public. Le reste est prélevé sur la satisfaction des besoins et sur les transactions, ce qui rejette presque tout le fardeau sur les têtes populaires. Chez nous, pour une surtaxe de moins de dix francs répartie sur ses dépenses d’une année, l’artisan, simple consommateur, profite de tous les services publics, de toutes les institutions qui l’élèvent au rang d’homme civilisé. De l’autre côté du détroit, les mêmes avantages lui coûteraient 48 francs ! Il est loin de notre pensée de blâmer la faveur accordée au pauvre par la loi française ; mais qu’on en convienne avec nous : dénoncer aux mauvaises passions de la foule la classe des propriétaires comme privilégiés dans notre ordre social, ce serait une manœuvre odieuse, si ce n’était une coupable étourderie.

L’ignorance des règles particulières à chaque comptabilité a aussi donné cours à des erreurs fâcheuses relativement à l’emploi de l’impôt. Peu de personnes savent qu’une forte partie des sommes allouées au trésor est immédiatement restituée aux contribuables, et ne figure que pour ordre au compte général des dépenses. Donnons pour point d’appui à nos remarques le budget comparatif des dépenses de la France et de l’Angleterre pendant l’année 1837, tableau dans lequel nous avons établi la relation des services administratifs autant que les usages de chaque pays le permettent.

DÉSIGNATION
des
DÉPENSES.
FRANCE. GRANDE-
BRETAGNE.
dette publique.
Consolidée, flottante et viagère 
332,842,816 737,239,250 [22]
dotations.
Liste civile, Chambres des Pairs et des Députés, Légion-d’Honneur 
19,170,117 [23] 11,101,625
ministères.
Justice 
19,405,479 16,886,300
Cultes 
35,599,789 »
Affaires étrangères 
7,299,619 9,554,550
Instruction publique 
14,413,516
58,620,425
Administration intérieure 
91,046,037
Agriculture, Commerce, Travaux publics, Ponts-et-Chaussées 
58,193,592 [24]
Guerre 
238,608,148 195,655,950
Marines et Colonies 
66,059,807 118,766,450
Finances (gestion centrale) 
23,537,910 14,474,000
Frais de régie du domaine, perception des revenus, postes, douanes, timbres, fabrication de poudres et tabacs 
121,840,750 104,703,975
Primes, restitutions et non-valeurs 
52,453,075 »
Totaux 
1,080,470,655 [25] 1,267,002,425

La somme prélevée dans chaque pays pour l’acquittement de la dette publique étant laissée en dehors, il semblerait résulter que les frais d’administration sont plus forts chez nous que chez nos voisins ; mais on ne remarque pas que des 748 millions qui restent disponibles après le solde de notre dette, il faut rabattre encore :

1o  Les fonds spéciaux des départemens, des communes et des colonies, qui, bien que portés au compte général, n’entrent pas dans les coffres de l’état, et sont laissés à la disposition des localités qui ont jugé convenable de s’imposer extraordinairement. Ces sommes diverses s’élèvent, suivant les calculs de M. d’Audiffret, à 
110,136,994
2o  La plus grande partie des sommes dont se compose le dernier article, c’est-à-dire le montant des restitutions et des non-valeurs, dont la mention sur les états n’est qu’une pure formalité 
28,090,904
138,227,898

La régularité des écritures exige encore qu’on note comme dépense l’achat des matières premières employées dans les exploitations que l’état se réserve. Ces articles ne sont pourtant pas onéreux aux contribuables, puisqu’ils reparaissent avec bénéfice au compte des recettes.

Si on observe d’autre part que le budget de la Grande-Bretagne ne donne pas lieu à des éliminations comme le nôtre, qu’il laisse plusieurs services et des plus importans à la charge des localités, qu’il ne comprend pas l’écrasante taxe des pauvres, on devra reconnaître que, malgré la disproportion des territoires et des populations, le gouvernement ne coûte pas plus cher en France qu’en Angleterre ; que si on mesurait enfin l’étendue et la régularité des services publics, l’avantage serait incontestablement de notre côté.

Des économies et des réformes, comme celles que nous avons fait entrevoir, calmeraient les impatiens qui s’exagèrent la nécessité d’alléger notre budget. Ainsi on gagnerait du temps, et au lieu d’immoler brusquement les rentiers, on préparerait avec une sage lenteur la rénovation du contrat qui lie l’état à ses créanciers. Quel système serait le plus avantageux pour les deux parties ? Nous répondrons en deux mots : le plus sincère, le plus transparent aux yeux de la foule. Nous voudrions qu’à l’avenir le taux véritable des emprunts ne fût jamais déguisé, que le terme et les conditions du rachat fussent nettement stipulés, que la part laissée à l’agiotage fût aussi restreinte que possible.

L’attention de ceux qui seront appelés à réformer notre crédit public devra porter particulièrement sur le mécanisme de notre amortissement. Nous avons dit déjà que l’état, en constituant un fonds perpétuel de rachat, devait être amené à l’alternative de racheter à des prix excessifs et avec une perte toujours croissante, ou de laisser sans emploi cette machine absorbante, dont l’entretien coûte si cher aux contribuables. Qu’arrive-t-il alors ? On gémit de laisser improductif tant d’argent accumulé, et on se crée des besoins pour l’utiliser. Le gouvernement se fait autoriser à consolider la réserve de la caisse, c’est-à-dire qu’il dispose du capital, et en établit la compensation par une rente annuelle. Une institution fondée dans le but d’éteindre les anciens emprunts ne sert plus qu’à faciliter des emprunts nouveaux. Les choses se passaient ainsi en Angleterre, mais on ouvrit les yeux, et l’amortissement fut condamné. Chez nous, rien n’est encore changé. Du 1er  juillet 1833, époque de la révision des statuts de l’amortissement, jusqu’au dernier jour de l’année qui vient de finir, le trésor a versé, tant pour la dotation annuelle des rentes au-dessus du pair, que pour les arrérages déjà acquis à l’établissement, une somme qui excède 349 millions de francs. De cette somme, on a distrait 154 millions pour l’intérêt desquels on a inscrit sur le grand-livre au profit de la caisse d’amortissement :

En 4 0/0 
4,765,811 fr.
En 3 0/0 
1,410,090
Total 
6,175,901
Restaient 195 millions comme réserve, et à ce titre, ils ont été convertis en bons du trésor, dont l’intérêt, confondu dans la dette flottante, forme un surcroît de charge de 
4,913,121
De sorte qu’après avoir payé 349 millions pour l’allégement de leur dette, les contribuables sont surchargés d’une dette annuelle de
11,089,022

« Voilà, a dit spirituellement M. de Mosbourg, voilà comme on a créé non-seulement l’art étrange de contracter des dettes sans emprunter, mais aussi l’art de payer toujours sans se libérer, et ce qui semblait plus difficile encore, l’art d’accroître ses dettes sans cesse en payant toujours. »

Nous conviendrons que l’emploi des sommes accumulées pour le rachat des rentes a trouvé son excuse dans des besoins urgens, et que sans cette ressource, il eût fallu faire un appel aux capitalistes. Il n’en est pas moins vrai, en thèse générale, que du jour où un fonds d’amortissement a perdu le privilége de son inviolabilité, il devient une provocation permanente au gaspillage ; une trop grande facilité d’emprunter est aussi pernicieuse pour les gouvernemens que pour les individus.

Nous avons reconnu sans la moindre hésitation la légitimité du remboursement. Malheureusement la qualification de perpétuelles, attribuée aux anciennes rentes, a vulgarisé l’opinion contraire, et aux yeux de la foule ignorante, les plus louables tentatives pour alléger la dette publique ne seront jamais qu’un abus de pouvoir. Sans trop sacrifier à ce préjugé, il serait impolitique de le mépriser. L’état ne saurait prendre trop de ménagemens quand il entrera pour la première fois dans l’exercice de son droit. Aux systèmes rigoureux et tranchans qu’on a produits jusqu’à ce jour, ne pourrait-on substituer quelque combinaison bienveillante qui facilitât la réforme en corrigeant ses rigueurs ? Nous citerons un exemple, non pas avec la prétention de tracer la seule route à suivre, mais seulement pour exposer pleinement notre pensée.

Un amendement développé à la tribune par M. de Bérigny avait pour but d’appliquer la dotation de l’amortissement à un remboursement par séries appelées successivement et selon les ressources disponibles. En étudiant cette proposition, nous avons trouvé que 55 millions employés annuellement en rachats au pair, et accrus par la progression des arrérages amortis, saisiraient en vingt-deux ans les 110,000,000 de rentes sur lesquelles on doit opérer, et rendraient effectivement à la circulation un capital de 2,200,000,000 francs. Cet amendement se présentait avec un caractère inflexible qui l’a fait rejeter. La chambre aurait cru infliger un supplice aux rentiers en les condamnant à subir le remboursement et à chercher un nouvel emploi de leurs fonds ; mais il nous semble qu’une administration habile en même temps que bienveillante pourrait ménager à ceux qui seraient exclus de la rente un placement sans dangers. Aujourd’hui la réserve de l’amortissement est appliquée aux travaux publics. Pourquoi ne combinerait-on pas, à l’aide de cet amortissement, un système de liquidation qui favorisât l’avancement des entreprises d’utilité nationale ? Si, par exemple, l’état consentait à garantir un minimum d’intérêt aux actionnaires des grandes lignes de chemins de fer, le remboursement de la rente, au lieu d’être une mesure acerbe, ne serait plus qu’une substitution également profitable aux rentiers, au trésor public et à l’industrie particulière.

Nous ne nous faisons pas illusion. Les combinaisons de cette nature n’ont pas aujourd’hui la moindre chance d’être adoptées. Elles ont un tort impardonnable : celui de couper court aux manœuvres de Bourse. En matière de finances, les préjugés sont plus nombreux peut-être qu’en toute autre, par la raison que les seules personnes capables de dévoiler les abus sont ordinairement celles qui en profitent. On déclare l’agiotage un mal nécessaire ; on paraît croire qu’en le contrariant, l’état endommagerait son propre crédit et s’exposerait à ne plus pouvoir emprunter. Autant vaudrait dire que le marchand de drap ou de sucre refusera de vendre, si la loi ne lui accorde pas un privilége. L’argent n’est qu’une marchandise dans les mains de ceux qui en trafiquent. Le capitaliste, quand ses coffres sont pleins, éprouve un besoin aussi vif de prêter que la partie adverse d’emprunter, et il n’y a pas à craindre qu’il boude contre ses intérêts. Le taux des emprunts n’a jamais d’autres règles que la quotité du capital disponible et la solidité de l’emprunteur. La France a eu beau parodier depuis vingt-cinq ans toutes les belles conceptions du génie anglais, elle n’en a pas moins payé en moyenne 8 pour 100 d’intérêts. Au contraire, un siècle plus tôt, dans un pays qui ne connaissait ni les titres surchargés, ni l’amortissement, en Hollande, le gouvernement n’avait qu’à manifester un besoin pour que l’argent lui fût offert au taux de 1 1/2 à 2 pour 100. C’est qu’au milieu d’une nation vraiment opulente, les capitalistes recevaient la loi au lieu de la dicter. La tyrannie de l’agiotage n’est donc pas, comme on le suppose, une fatalité à subir ; et, loin d’être impossible, la réforme du crédit public s’opérerait d’elle-même sous l’influence d’une incontestable prospérité. Ceci nous amène à parler des banques et du crédit privé dont la sage répartition est indispensable au développement de la richesse individuelle.

V. — ORGANISATION DU CRÉDIT PRIVÉ. — DE LA BANQUE DE FRANCE.

Lorsqu’en 1832, le renouvellement du privilége de la banque d’Angleterre fut mis en délibération, un comité d’enquête institué par le parlement dressa une liste de 5,978 questions sur lesquelles il interrogea vingt-quatre personnes renommées par leur savoir et leur habileté pratique. La diffusion soudaine de tant de lumières eut pour résultat un éblouissement général qui interrompit l’examen, et la commission, après avoir entendu les vingt-quatre docteurs, déclara en toute humilité qu’elle n’était point fondée à émettre une solution. C’est là précisément ce qu’on éprouve quand on remue, avec le désir de s’instruire, le monceau de livres et de brochures composés sur la science mystérieuse du crédit, véritable Babel où toutes les langues de la civilisation sont représentées, mais où domine la langue anglo-américaine. En Angleterre et aux États-Unis, toute intelligence un peu vive a composé son utopie financière, de même qu’en France chacun a chargé sa conscience littéraire d’un roman ou d’un drame. Le grand nombre des écrits relatifs au crédit et aux banques n’a produit qu’une indécision fort nuisible aux connaissances qu’on désirait propager, car il en est des idées comme des monnaies dont le cours s’arrête dès qu’on peut élever des doutes sur leur empreinte et leur valeur. Dans ce conflit d’opinions, le plus prudent est de ressaisir comme point d’appui les notions élémentaires, les faits simples et incontestés.

Qu’est-ce qu’une banque ?

On appela d’abord banque de dépôt un fonds commun formé par les négocians d’une ville dans le but de régler tous les comptes courans par un simple virement d’écritures : c’était le moyen d’économiser, avec un temps précieux, les frais de garde et de transport des espèces, et de substituer une monnaie de change, d’une valeur strictement déterminée, aux monnaies réelles trop souvent falsifiées. Tel fut le but de la banque de Venise qui date du XIIe siècle, et des comptoirs non moins célèbres qui s’élevèrent successivement à Gènes, à Séville, à Amsterdam et à Hambourg. Plus tard on en vint à utiliser le fonds stagnant dans les caisses, en l’employant à l’escompte des valeurs commerciales. Les banques trouvèrent enfin le moyen d’augmenter leurs profits, en prêtant, au lieu d’argent, leur crédit, qui, sur la place, avait la puissance de l’argent, et elles escomptèrent les effets à terme avec du papier réalisable en espèces à la première réquisition du porteur. L’expérience démontra qu’on pouvait sans inconvénient émettre ainsi une somme de billets supérieure à celle du numéraire métallique réservé en caisse, et dès-lors la principale spéculation des banques reposa sur les phénomènes de la circulation et sur les propriétés du crédit. Les institutions privilégiées de la France et de la Grande-Bretagne sont classées comme caisses de dépôt, d’escompte et de circulation. Beaucoup d’autres établissemens publics ou privés ont élargi ou modifié ces bases essentielles. Quoi qu’il en soit, toute la tactique de la banque revient à l’opération suivante : une mise de fonds d’un million, étant portée à 3 ou 4 millions par les dépôts en comptes courans, autorise une émission de 10 à 12 millions en billets, de sorte qu’en faisant l’escompte avec ces billets, au taux minime de 3 ou 4 pour 100, le million primitif pourrait rapporter effectivement plus de 40 p. 100. Mais, pour obtenir de pareils bénéfices, il faudrait entretenir sans cesse tout le capital en mouvement et gaspiller le crédit au risque de jeter le trouble dans les affaires. Les comptoirs privilégiés agissent au contraire avec une circonspection parfois exagérée ; aussi demeurent-ils toujours dans la mesure des bénéfices honnêtes. Le maximum des dividendes donnés par la banque d’Angleterre a été de 10 pour 100 en 1807 ; depuis plusieurs années, ils se sont maintenus à 8 pour 100, et ont même fléchi jusqu’à 7 l’année dernière ; le nombre des parties prenantes dépasse 189,000. La Banque de France qui sollicite, comme on sait, le renouvellement de son privilége, a voulu se concilier le commerce parisien en multipliant les escomptes. Cette conduite a élevé les dividendes de 1839 à un chiffre que le gouverneur a déclaré exceptionnel. La part attribuée à chaque action est de 144 fr. ou 14 fr. 40 cent. pour 100, ce qui a porté le prix vénal de chaque action à plus de 3,300 fr. Les actions, au nombre de 67,900, sont aujourd’hui la propriété de 4,254 actionnaires.

À n’en juger que par les apparences, les banques seraient plus utiles encore aux localités où elles fonctionnent qu’aux compagnies qui les dirigent. Autour d’une caisse d’escomptes, répandant avec quelque libéralité l’arme des conquêtes industrielles, le crédit, il n’y a plus de spéculations impossibles, plus de terrains ingrats. Les travailleurs sont appelés de toutes parts, et leur influence détermine un surcroît de consommation qui exalte les petits revendeurs. Chacun étend son commerce pour multiplier ses profits ; chacun escompte en jouissances les profits qu’il se promet, et bientôt un reflet de prospérité illumine toute la sphère où ce mouvement s’exerce. Ces phénomènes, qui frappent à première vue, ont gagné la majorité des publicistes à la cause des banques libres. Mais écoutez d’autres observateurs moins accessibles à l’enthousiasme, et ils vous diront que cette surexcitation dont la foule s’émerveille n’est qu’un accès de fièvre, symptôme précurseur d’une atonie mortelle. Ils vous diront que le crédit, pour n’être pas funeste, doit être distribué avec une excessive réserve ; que la rivalité des banques tend à le développer d’une façon artificielle et quelquefois frauduleuse, qu’après un malaise plus ou moins long-temps comprimé viendront nécessairement les crises commerciales, l’entraînement contagieux de la banqueroute qui bouleverse un pays à l’intérieur, et le dégrade aux yeux des étrangers.

Deux ouvrages, récemment publiés, pourraient servir de manifestes à ces opinions extrêmes. Nous allons les opposer l’un à l’autre, comme correctif nécessaire.

Dans un opuscule intitulé : Du crédit en France[26], M. Courtet de l’Isle pose en principe que la nation dont le crédit est le plus étendu vit aux dépens de celles qui l’étendent moins, que plus on doit commercialement, plus on est fort politiquement. La faillite de la banque belge, le sauve-qui-peut des agioteurs américains ont-ils porté préjudice à la Belgique ou aux États de l’Union ? Il y aurait de la simplicité à le croire. La Belgique n’en demeure pas moins avec une industrie vigoureusement constituée. Il reste à l’Amérique ses canaux, ses chemins de fer, ses défrichemens immenses, son commerce sans limites. Les frais de toutes ces belles choses ont été faits par les capitalistes parisiens, qui ont souscrit des actions à Bruxelles, par les négocians de Lyon et de Liverpool, qui ont fait battre leurs métiers au profit des Américains. « De tous ces faits découle une conclusion bien naturelle, ajoute naïvement M. Courtet de l’Isle, c’est que le peuple le plus habile est celui qui développe le plus son crédit. »

Qu’arriverait-il, nous le demandons à M. Courtet de l’Isle, si tous les peuples, prenant son conseil à la lettre, multipliaient à l’envi les valeurs de confiance, pour se faire un beau jour faillite l’un à l’autre ? Mais n’abusons pas plus long-temps d’une expression indiscrète qui a trahi la pensée de l’auteur, et reconnaissons qu’il est bien loin de préconiser une politique suspecte. Ce qu’il recommande à la France, c’est la prompte mobilisation de toutes les valeurs existantes. Il propose donc de monétiser les contrats hypothécaires et les gages improductifs des monts-de-piété, de réaliser le capital des biens des communes et des hospices, de multiplier les banques privilégiées en autorisant les établissemens libres de crédit, d’organiser des banques agricoles, d’émettre des mandats de petites sommes payables à tous les bureaux de poste ; en un mot, de verser tout à coup dans la circulation une quinzaine de milliards en papier, de grossir le cours indolent des affaires jusqu’à ce qu’il déborde en torrent ! Ce plan nous fait rétrograder jusqu’à l’époque de Law, où l’on croyait enrichir un pays en multipliant les signes représentatifs de la richesse. L’augmentation du numéraire, argent ou papier, n’est profitable qu’autant qu’elle ne dépasse pas une proportion fort difficile à déterminer. Au-delà de ce terme, l’argent surabondant se fait sans profit concurrence à lui-même ; c’est-à-dire qu’avec une même somme on obtient moins de choses qu’auparavant. Il n’y a pas lieu de s’émerveiller, comme le fait M. Courtet de l’Isle, de ce qu’un Anglais, pauvre chez lui avec 3,000 francs de revenu, se trouve presque riche dès qu’il met le pied en Italie. C’est qu’il transporte l’argent, marchandise dépréciée dans son pays, sur un marché où cette marchandise, plus rare, conserve une haute valeur d’échange. Cette circonstance est sans doute favorable au commerce extérieur, qui, soutenu par son capital mobile, peut planer sur tous les points du globe et s’abattre dès qu’il voit un bénéfice à saisir ; mais elle tourne au détriment de la foule attachée au sol national, des salariés surtout, parce qu’en dépit des théories accommodantes, il ne nous paraît pas démontré que la progression des salaires suive exactement celle du prix des denrées.

Après avoir protesté contre un développement exagéré du crédit, nous nous ferons un devoir de constater que, dans la série de plans financiers produite par M. Courtet de l’Isle, il en est qui sont dignes d’attention. Celui qui tend à faire de la poste un auxiliaire des autres banques, par l’émission d’une monnaie de papier facilement transmissible et convertible en espèces à tous les bureaux de cette administration, offrirait l’avantage de faciliter les petits recouvremens si dispendieux aujourd’hui, et de rattacher les hameaux les plus languissans aux grands centres d’affaires. Ce plan soulève toutefois une objection : c’est l’ignorance des employés subalternes des petites localités, qui laisserait trop beau jeu aux faussaires. Les hommes studieux doivent aussi savoir gré à M. Courtet de l’Isle des renseignemens qu’il a recueillis sur les institutions de crédit foncier en Prusse, en Pologne et en Russie, de son analyse des travaux faits en France à ce sujet, et enfin des solutions qui sont le fruit de ses propres études.

Le second ouvrage a été écrit dans un pays où, sur 959 caisses publiques (850 banques et 109 succursales), 56 sont présentement en faillite déclarée, 343 ont suspendu leurs paiemens en totalité, et 62 en partie. L’impression de ces désastres est profonde et douloureuse dans le Traité des Banques et de la Circulation[27], que M. L. Lemaître vient de traduire d’après M. Condy-Raguet, ancien chargé d’affaires des États-Unis à la cour du Brésil. La circulation présente des phénomènes qui varient suivant les élémens dont elle se compose. L’auteur a tracé son plan d’après cet axiome. Dans son premier livre, il décrit une circulation fournie uniquement par les métaux précieux qui, étant à la fois mesures monétaires et marchandises, ont, sur les signes de crédit, l’avantage de porter leur hypothèque en eux-mêmes. Le second livre, le plus important, est consacré à l’étude d’une circulation mixte, composée de métaux monnayés et de papier convertible en espèces métalliques. La troisième partie traite de la circulation restreinte à des billets non convertibles, c’est-à-dire au papier monnaie. La division exacte de ce cadre, la minutieuse analyse des lois qui entretiennent la vie matérielle des sociétés, sembleraient indiquer que l’auteur a conservé le calme et l’impartialité scientifiques ; mais, au fond, son livre n’est qu’un cri de réaction contre cette insatiable engeance qui a dévoré les ressources de la nation américaine. Ces régens de banque qui, du fond de leur comptoir, élèvent ou précipitent la valeur des choses, M. Condy-Raguet les compare aux tyrans féodaux qui se faisaient un revenu de la falsification des monnaies et du remaniement continuel des poids et mesures. Dans le nombre des fraudes que se permettent les agioteurs américains, il en est qui, chez nous, provoqueraient la flétrissure des tribunaux. Que penser de cette compagnie qui, après avoir offert aux planteurs des avances en billets contre des marchandises, déprécia son propre papier par une émission surabondante, afin que la perte éprouvée par les prêteurs les mît dans l’impossibilité de retirer leurs gages, tandis qu’elle-même rachetait à vil prix ses billets avec le produit des gages vendus ? On cite des banques qui refusent les valeurs présentées à l’escompte pour les frapper de discrédit, et qui fournissent sous main, à des affidés, les moyens de les négocier sur la place à des conditions usuraires. Rien de plus commun que les capitaux fictifs, que les caisses sans réserves, que les actionnaires fondateurs qui acquittent leurs actions avec les crédits qu’ils s’accordent à eux-mêmes aux dépens des actionnaires confians. Des rapports officiels déclarent que les directeurs des seize banques de la Nouvelle-Orléans se sont attribué à eux-mêmes plus du tiers du total des prêts et avances faits dans l’année. M. le sénateur Walker a étendu ses recherches à d’autres états, et il se croit modéré en évaluant au quart des émissions de toutes les banques de l’Union la somme de crédit que les directeurs ont jugé bon de se faire en 1838, de sorte que le montant des facilités accordées par les 900 banques américaines ayant été de 2,667,000,000 francs, les directeurs ont pu réaliser les bénéfices d’un crédit de près de 700 millions. Ce qu’on a le plus à craindre après les fabricateurs de billets, ce sont les faussaires qui les copient. Un recueil périodique a pour spécialité d’éclairer le chaos de la circulation, et, dans le numéro de janvier 1839, il signalait 20 banques imaginaires dont les billets sont lancés dans le courant des affaires, 254 banques dont les billets ont été falsifiés, et 1395 descriptions de billets contrefaits ou altérés de 1 dollar à 500 (5 fr. 33 c. à 2,665 fr.).

En dénonçant ces turpitudes, M. Condy-Raguet fait acte de courage. Mais l’indignation du citoyen ne trouble-t-elle pas le penseur ? Est-il encore dans le vrai quand il prétend prouver que les banques ne créent pas de capitaux, qu’elles n’enrichissent un pays que d’une somme égale à celle des métaux précieux qu’elles rendent inutiles comme monnaie, et qui, redevenus marchandises, peuvent être exportés avec bénéfice sur les marchés étrangers ? Non sans doute, les banques ne créent pas directement les capitaux, et les billets qu’elles répandent ne sont par eux-mêmes que des bribes de papier ; mais ces papiers deviennent des instrumens de travail, à l’aide desquels des richesses très réelles sont produites. La vraie fonction d’une banque est moins de créer un capital nouveau que de féconder le capital qui existe improductif. Qu’on nous pardonne un exemple. Un propriétaire possède un terrain qu’il laisse inculte faute d’argent : une banque lui offre l’usage de son crédit, et se garantit en prenant hypothèque sur le fonds. À l’aide des billets qui ont la puissance de l’argent, une exploitation s’organise, et des produits nouveaux s’ajoutent au capital national : ce n’est pas, à proprement parler, la banque qui les a créés, mais elle en a certainement provoqué la formation, ce qui revient au même pour le pays.

La conclusion qui jaillit du choc des systèmes est que, dans les institutions de crédit, le mal est tellement mêlé au bien, que l’enthousiasme des uns est aussi excusable que les violentes récriminations des autres. L’économie politique n’admet pas plus que la médecine les prescriptions absolues. Elle décrit les phénomènes généraux ; elle établit entre eux des relations de cause et d’effet, et indique un certain nombre de remèdes entre lesquels le docteur doit choisir, selon l’occasion et le tempérament de ceux qui souffrent. Appliquons donc nos observations à la France, et constatons ce qui existe, avant d’indiquer les innovations désirables.

La Banque de France a été formée en l’an VIII par des souscriptions particulières qui ont produit un capital de 45 millions, divisé en 45,000 actions de 1,000 fr. Ce fonds social, doublé en vertu d’un décret impérial, a été réduit à 67,900,000 fr. par l’amortissement fait par la Banque elle-même d’une partie des actions[28]. Une retenue faite sur le bénéfice forme une sorte de cautionnement qui, deux fois déjà, en 1820 et en 1831, s’est trouvé surabondant et a donné lieu à des répartitions supplémentaires entre les actionnaires[29]. Un arrêté qui date de 1838 a limité cette réserve à 10 millions, représentés par l’inscription d’une rente de 500,000 fr. en 5 pour 100, auxquels il faut ajouter le palais de la Banque avec ses dépendances, acheté près de 4 millions avant les embellissemens qui en ont augmenté la valeur. Mais la plus belle propriété de la compagnie est à coup sûr son privilége, qui lui accorde le droit d’émettre des billets assimilés à la monnaie légale, puisque leur contrefaçon entraîne la peine de mort. Ce privilége, obtenu d’abord pour quinze années et prorogé pour vingt-cinq ans de plus, en considération des services rendus au gouvernement impérial, expire enfin le 22 septembre 1843.

L’autorité est représentée à la Banque par un gouverneur et deux sous-gouverneurs nommés officiellement, mais rétribués par la compagnie. Les censeurs et régens qui composent le conseil d’administration sont délégués par les actionnaires. Forte de son privilége qui la met à l’abri de toute concurrence sérieuse, la Banque opère avec une sévérité qui lui a été souvent reprochée. La spéculation lui est interdite, si ce n’est sur les matières d’or et d’argent. Elle fait des avances sur lingots, inscriptions de rentes et titres d’une solidité inébranlable. Tout négociant honorablement placé est admis à présenter à l’escompte du papier sur Paris, à quatre-vingt-dix jours d’échéance[30], et garantis par trois signatures notoirement solvables. L’action de la Banque s’étend aujourd’hui à Reims, à Saint-Étienne, à Saint-Quentin et à Montpellier par les succursales établies dans ces villes : un cinquième comptoir vient d’être autorisé pour Grenoble. L’escompte fixé primitivement à 6 pour 100 est descendu à 4, et depuis vingt ans est demeuré à ce niveau.

L’année dernière, la Banque a été un peu plus libérale envers le commerce que précédemment. On jugera des facilités qu’elle lui a accordées par le tableau suivant :

Nombre
d’effets escomptés.
Montant des
sommes escomptées.
Produit
des escomptes.
1er  semestre. 358,475 587,044,159 28 3,735,691 10
2e  337,573 599,176,111 60 3,868,685 70
696,048 1,186,220,270 88 7,604,366 80

La moyenne des billets en circulation a été de 210 millions ; celle des valeurs métalliques conservées en caisse, de 225. Le roulement général des caisses donne le chiffre de 7 milliards 478 millions. Les pertes qui résultent de cet énorme mouvement d’affaires sont à peine sensibles. La Banque, depuis son origine, n’a pas perdu 50,000 fr. année moyenne, et le déficit est journellement atténué par le retrait des billets en souffrance.

Telle est l’institution en faveur de laquelle le gouvernement demande une continuation de privilége jusqu’au 31 décembre 1867. La seule modification projetée est de la replacer sous l’empire de la loi commune quant au timbre ; mais, en revanche, on lui promet des facilités pour l’érection successive de ses comptoirs provinciaux.

Les opposans sont assez nombreux. À les entendre, la Banque de Paris exerce sa puissance d’attraction au préjudice des départemens ; elle tient trop élevé le taux des escomptes ; la condition des trois signatures et le terme de l’échéance rendent ses comptoirs inabordables et assurent une forte prime à l’escompteur intermédiaire dont il faut acheter la caution. La Banque, dit-on encore, enfouit dans ses caves une réserve métallique trop forte, quelquefois même supérieure au montant de ses billets de crédit, et c’est trahir sa mission, puisque ainsi elle absorbe le capital circulant au lieu de le multiplier.

Quoi qu’on puisse dire, nous verrions avec regret qu’on obligeât notre Banque à se départir des règles sévères qui font sa force et l’élèvent à la dignité d’une institution nationale. Depuis que le crédit est devenu une puissance politique, l’organe qui règle la circulation dans le corps social est de ceux qu’il est le plus dangereux d’affaiblir. Les négocians qui font entendre des plaintes ignorent d’ailleurs que le laisser-aller des banques leur serait plus préjudiciable encore que la rigueur même excessive. Serait-il possible d’abaisser le taux de l’escompte en se contentant de deux signatures, c’est-à-dire de réduire la prime d’assurance en même temps qu’on affaiblirait les garanties de solvabilité ? Le portefeuille ne doit-il pas être toujours pour les billets en circulation une caution aussi solide que les lingots ? Il vaut mieux, selon nous, que l’escompte soit maintenu à 4 pour 100 que de flotter, comme il arrive à Londres, de 3 à 6. Les compagnies dont l’existence se rattache à des exploitations particulières seront périodiquement compromises : la triste expérience en a été faite à Bruxelles[31]. En présence d’un établissement dont la force et la portée sont colossales, le danger est plus grand encore. S’intéresse-t-il au succès de quelque grande spéculation ? il multiplie son papier de crédit, il verse à flots l’or de ses caisses. Le papier suffit pour l’instant aux besoins du commerce intérieur ; l’or est envoyé sur tous les marchés du globe, pour s’y transformer en objets de revente et réaliser des bénéfices. Il y a, ce qu’on appelle en termes de comptoir, expansion ; ce qui n’est autre chose aux yeux des docteurs en économie que la première période d’une maladie commerciale. En effet, la Banque s’aperçoit bientôt que sa réserve métallique n’est plus en proportion avec les billets en émission, et la prudence lui commande de rappeler les espèces dans ses coffres. Le moyen avoué pour obtenir ce résultat est de déterminer l’avilissement de toutes les marchandises. Il suffit à la Banque toute puissante d’élever le taux des escomptes et de restreindre tout à coup les facilités accordées à ses cliens habituels. Ceux-ci sont réduits à l’alternative de manquer à leurs engagemens ou de vendre à perte pour y faire honneur. Commence alors la période douloureuse, celle de la contraction. Chacun a peur du lendemain et se hâte de réaliser ; les produits offerts de toutes parts se détériorent par leur abondance, et ils tombent à si vil prix, que les négocians rappellent le numéraire exporté, parce qu’il y a moyen de l’employer plus avantageusement encore à l’intérieur que sur les marchés lointains. L’appât des gros bénéfices attire en même temps les spéculateurs étrangers. Ce reflux soudain des espèces métalliques rétablit naturellement l’équilibre entre la monnaie réelle et la monnaie de papier. La Banque est sauvée, mais le commerce a fait des pertes incalculables. C’est ainsi qu’en 1836, après avoir prodigué les facilités, la banque d’Angleterre, se trouvant avec un encaisse de 4 millions sterling (100 millions de francs) pour faire face à une émission sept à huit fois plus forte, éleva de 2 pour 100 le taux de ses escomptes. Une baisse subite, évaluée en moyenne à 25 pour 100, déprécia les marchandises, et de tous les points du globe les lingots et les espèces revinrent à Londres. Pareilles manœuvres se renouvelèrent en 1839 ; mais cette fois, l’or étranger n’obéissant pas assez vite, on fut obligé de faire un appel à la Banque de France, qui prêta, comme on sait, 50 millions de francs. La chambre de commerce de Manchester[32] évalue à plus d’un milliard de francs les pertes infligées en ces circonstances aux cinq grandes ramifications de l’industrie britannique. Dans ces bourrasques, il n’est pas de fortune qui ne puisse être engloutie en un instant. On conçoit donc que des cris de rage et de malédiction poursuivent souvent les vingt-six régens de la banque de Londres qui sont maîtres de décréter la ruine des familles, et qui, sans que leur responsabilité personnelle soit engagée, sacrifient le corps national à la sécurité d’une spéculation particulière.

Multiplier les comptoirs locaux, pour contrebalancer la prépondérance d’une banque centrale, n’est-ce pas morceler un privilége, et, pour ainsi dire, en éparpiller les inconvéniens ? Toute compagnie d’actionnaires fera sentir soit despotisme dans sa sphère, si rétrécie qu’elle soit, de même que la banque d’Angleterre sur le grand théâtre européen. Se prêter trop facilement à l’érection des comptoirs indépendans, c’est constituer autant de petits fiefs et donner pied dans une nation à cette caste envahissante contre laquelle la démocratie américaine s’est prononcée récemment. Nous verrions donc avec inquiétude que la chambre des députés levât les prudentes restrictions opposées jusqu’ici à l’établissement des banques départementales[33]. Au point où en sont venues les sociétés, il n’est plus permis d’abandonner la répartition du crédit aux intérêts égoïstes des spéculateurs. Toutes les veines destinées à la circulation doivent dépendre d’un organisme général approprié à la constitution politique et à l’état moral de chaque peuple. Le système qui répond le mieux aux dispositions de la France est celui qui distribuera les secours avec la plus grande égalité, avec la plus rigoureuse justice. Cette proposition, contre laquelle personne n’osera s’inscrire, pose très nettement le problème à résoudre.

Or, les institutions de crédit portent un double profit, d’une part, aux capitalistes qui les fondent et les dirigent, d’autre part, aux emprunteurs qui en reçoivent des secours.

La première condition se trouverait très naturellement remplie, si autour d’une caisse centrale se constituaient, sur les bases que nous allons indiquer bientôt, des comptoirs particuliers qui appelleraient dans chaque spécialité commerciale un grand nombre d’actionnaires à la participation des bénéfices ; et si toute banque autorisée, depuis le grand réservoir national jusqu’aux plus humbles établissemens, était tenue envers l’état, c’est-à-dire envers la généralité des citoyens, à une somme de redevances ou de services proportionnée à sa puissance et à ses succès.

Pour réaliser la seconde condition, il faudrait faire en sorte que l’instrument du travail, le capital, fût à prix égal pour la haute et pour la petite industrie, pour l’humble fermier comme pour le riche exploitateur. Nous ne croyons pas être dupes d’une illusion en supposant la possibilité d’un aussi beau résultat. Un principe élémentaire en économie politique sera la base de notre raisonnement. L’intérêt de l’argent se décompose en deux parts, dont l’une est le loyer qu’on paie pour l’usage de cet argent, l’autre une prime d’assurance que le prêteur exige en raison des chances qu’il croit courir. Le premier élément est invariable ; le second se proportionne à la solvabilité présumée de l’emprunteur. Un banquier fastueux trouve toutes les bourses ouvertes, et y puise à raison de 4 pour 100. Le modeste boutiquier, dont la valeur, plus réelle peut-être, est inaperçue, n’escomptera pas à moins de 8. Dans le premier cas, la prime d’assurance sera seulement de 1 pour 100, tandis qu’elle s’élèvera à 5 dans le second. Supposons maintenant qu’il fût possible de réunir les petits emprunteurs par le lien d’une garantie réciproque, d’établir une sorte de mutualité qui réduisît à rien les chances de perte : il n’y aurait plus de raison pour que le papier provenant du petit commerce fût moins favorisé que les valeurs présentées par un riche capitaliste.

Que le lecteur veuille bien nous suivre dans une boutique obscure, et étudier avec nous ce qui s’y passe. Un marchand fait une vente à un de ses confrères, et reçoit en paiement un effet à terme. Ce billet, il a hâte de le réaliser ; mais il n’a pas à choisir entre les capitalistes ; il n’est connu personnellement que d’un seul, de celui qui fait le papier de son commerce, de l’escompteur qui a l’œil ouvert sur tout ce qui se passe dans la partie, qui sait par francs et centimes ce que vaut chacun de ceux qui y sont agrégés. L’escompteur, affranchi de toute concurrence, taxe à sa volonté celui qui a recours à lui ; puis, rendant le billet présentable à la banque, en y apposant sa signature qui fait la troisième, il réescompte à 4 pour 100 l’effet dont il a tiré 6 à 7. L’augmentation qu’il s’adjuge est à ses yeux la prime d’assurance ; mais l’étude qu’il a faite de sa clientelle spéciale diminue assez les chances défavorables pour que la plus forte part de ce qu’il perçoit lui reste en bénéfice. Eh bien ! n’a-t-on pas conçu déjà la possibilité de neutraliser ce ver rongeur, qui fait son chemin sous terre d’une boutique à l’autre ? Supposez des comptoirs d’escompte constitués de telle sorte que, d’un côté, on y pût connaître le personnel d’une industrie aussi bien que le banquier qui l’exploitait à ses risques et périls, et que d’un autre côté, ils offrissent à la banque centrale une garantie suffisante par l’évidence de leurs ressources et la sagesse de leurs statuts ; supposez que ces comptoirs répétassent en petit les opérations qui font la fortune des grandes banques, et que, distribuant les capitaux à très bas prix, ils conservassent à leurs actionnaires les chances d’un dividende séduisant, et vous entreverrez la solution du problème qui a été proposé plus haut.

Cette conception implique l’existence d’un organe central du crédit, d’une banque nationale autour de laquelle se coordonneraient toutes les autres. Il serait à désirer qu’un établissement de cette importance fût une des propriétés de la nation. Un temps viendra, et plus tôt qu’on ne le soupçonne, un temps viendra où les mystères du crédit seront vulgarisés, où chacun saura que l’argent empilé dans les coffres d’une banque y acquiert l’élasticité de la vapeur condensée dans une machine, où l’on saura qu’une société d’actionnaires, maîtres de suspendre ou de précipiter la circulation, est un pouvoir de fait qui règne et gouverne ; et alors, on trouvera absurde que le premier venu puisse aller, bourse en main, acheter au cours du jour une portion de royauté. Mais demander aujourd’hui des changemens de nature à heurter des intérêts consacrés, ce serait compromettre les améliorations les plus urgentes. Il est juste d’ailleurs de reconnaître que la Banque de France a usé du pouvoir qui lui est départi avec une sagesse et une modération fort rassurantes. La rigueur de principes, qu’on lui a tant reprochée, lui donne, selon nous, l’aplomb nécessaire pour servir de base à un système complet et libéral. Le renouvellement de sa charte doit donc être accordé. Nous croyons toutefois que le terme de vingt-cinq ans est beaucoup trop long, et qu’en fait de monopole, il est téméraire d’engager l’avenir. Il nous semble encore de toute justice que l’état n’abandonne pas sans réserve à quelques individus un droit qu’il pourrait exploiter dans l’intérêt commun ; que, par exemple, au lieu d’une modique patente de 10,000 francs, il se ménage une part proportionnelle dans les bénéfices, ou du moins une somme de services publics qui, sans être fort onéreuse pour la Banque, réduirait de beaucoup les frais énormes de trésorerie[34].

Quant aux banques secondaires, si le but politique et moral que nous avons indiqué avait rallié les suffrages, l’organisation ne serait plus qu’une affaire administrative. Si un groupe formé par l’attraction mutuelle des intérêts ou par l’affinité des industries demandait une autorisation pour l’établissement d’un comptoir spécial[35], le gouvernement aurait à stipuler les garanties nécessaires à la sécurité publique et à constituer un agent de surveillance dont les pouvoirs fussent analogues à ceux du gouverneur royal de la Banque de France. Après la réalisation certaine et complète du fonds de réserve, les actionnaires choisiraient entre eux un conseil d’escompte qui, pouvant apprécier et la moralité personnelle des emprunteurs et la portée de leurs entreprises, ne se prononcerait qu’avec parfaite connaissance de cause et éloignerait les chances de pertes autant qu’il est raisonnable de l’espérer dans les opérations de ce genre. En échange des billets admis à l’escompte, la banque spéciale donnerait des mandats à deux ou trois jours de vue ou même à présentation. Il est vraisemblable qu’on ne se presserait pas de présenter au remboursement le papier d’une banque qui travaillerait au grand jour et dont les ressources et la gestion seraient parfaitement connues, et que la circulation des mandats s’établirait au moins dans la sphère commerciale dont la banque serait le centre. Dans ce cas, les billets escomptés resteraient en portefeuille jusqu’à leur échéance, et il en résulterait un bénéfice qui permettrait de distribuer le crédit à un prix très favorable. Si, au contraire, il fallait faire face à des remboursemens répétés, la petite banque viderait son portefeuille dans celui de la banque centrale, qui n’aurait rien à craindre en traitant avec les établissemens secondaires, parce que, les dominant dans la hiérarchie des institutions de crédit, elle se réserverait comme un droit d’en contrôler la situation. Ainsi, la Banque de France trouverait dans ces intermédiaires une caution plus solide à coup sûr que celle de l’endosseur qui lui suffit présentement. Les comptoirs spéciaux quoique ayant des intérêts distincts de ceux de la banque privilégiée, seraient en quelque sorte une de ses dépendances, et, loin de lui opposer une concurrence, ils en simplifieraient l’action et en augmenteraient les profits.

Nous prévoyons la contradiction. On dira que les membres d’un comité d’escompte pourraient s’armer de leur influence contre leurs rivaux en industrie et ruiner leur crédit en condamnant leurs signatures. Ce vice est celui de toutes les banques par actions ; mais, du moins, dans l’organisation que nous appelons de nos vœux, il serait atténué par la publicité des actes. Peut-être encore retournera-t-on contre nous l’objection que nous avons opposée à d’autres systèmes, en disant qu’une émission simultanée d’un grand nombre d’effets de crédit précipiterait la circulation et causerait l’avilissement du numéraire. Il nous semble que des mandats émis par une caisse industrielle pourraient acquérir la valeur de l’argent dans une sphère limitée ; mais qu’ils entreraient difficilement dans la circulation générale, c’est-à-dire qu’ils faciliteraient les transactions sans devenir précisément papier-monnaie.

Au surplus, il est probable que de plus habiles dissiperaient les préventions, en développant le mécanisme dont nous indiquons seulement la loi générale. Il nous suffit d’établir qu’avec des caisses particulières constituées de façon à cautionner les individus auprès d’un grand comptoir national, le petit commerce aurait chance de s’affranchir de l’oppression des gros capitaux ; qu’ainsi, l’égalité qui n’existe encore que devant les tribunaux, s’introduirait dans le domaine des intérêts positifs. En même temps on verrait se former au sein de chaque industrie un pouvoir modérateur qui, sans porter atteinte au grand principe de la liberté commerciale, préviendrait les crises en comprimant la spéculation désordonnée, la concurrence déloyale et désastreuse. Un bon système de crédit extensible à tous les genres d’entreprises ne serait-il pas un instrument politique d’immense portée ? Un gouvernement qui pourrait à volonté surexciter les intérêts en souffrance, les exploitations frappées de langueur, ne deviendrait-il pas en quelque sorte invulnérable ? Par exemple, un remède s’offrirait de lui-même pour notre industrie agricole dont l’état alarmant est révélé par la détresse de la propriété foncière. Il est évident enfin que l’aisance générale, développée par une meilleure organisation du crédit privé, fournirait le moyen le plus efficace, le seul moyen peut-être d’améliorer les conditions du crédit public et de réduire progressivement la dette nationale.

Après une exploration longue et laborieuse, on a besoin de jeter un coup d’œil en arrière, pour embrasser dans son ensemble l’espace qu’on vient de parcourir, et raviver les impressions que la fatigue et les inévitables distractions ont obscurcies.

Un aperçu rapide de l’origine et des accroissemens de la dette nationale nous a conduit à l’exposé des systèmes de libération proposés par divers publicistes. L’expédient qui vient de recevoir la consécration d’un vote législatif, la conversion, a été soumis particulièrement à l’analyse. Son principe, appliqué à notre pays, nous a paru blessant et impolitique, son exécution difficile, son résultat financier mesquin et mal assuré. Les obstacles qu’on rencontre dans un temps prospère, lorsqu’on entreprend de réduire les engagemens contractés pendant la détresse, nous autorisaient à conclure que le mécanisme de notre crédit public cache un vice qu’il est nécessaire de corriger. Mais les réformes en matière de finances ne sont pas de celles qui s’improvisent, et, sur ce terrain, l’esprit aventureux est plus funeste encore que l’inertie. Le plus prudent, selon nous, est de satisfaire d’abord par des économies faciles et immédiatement praticables à ce qu’exige le présent ; ensuite, de réviser le pacte aveugle qui lie l’état à ses créanciers, et d’y substituer une législation qui régularise les transactions anciennes et fasse autorité pour l’avenir. Et comme l’amélioration de la fortune publique ne peut résulter que de la prospérité individuelle, après une étude attentive de la constitution du crédit privé, fort de l’opinion commune qui le déclare insuffisant et vicieux, nous proposons une organisation complète et homogène, qui fortifierait tout le corps industriel, en dirigeant jusque dans ses moindres veines une circulation vivifiante.


A. Cochut.
  1. Selon le compte du ministre Desmarets, reproduit par Forbonnais. Quelques historiens ont même dénoncé un déficit de 3 milliards 111 millions ; mais la base de cette évaluation nous échappe.
  2. Arnould, Balance du Commerce, tom. III, tableau XIV.
  3. M. le duc de Gaëte s’exprime ainsi dans une brochure qu’il vient de publier à l’occasion de la conversion projetée : « Les rentes établies sur les tailles étaient de temps en temps soumises à des réductions, jusqu’à ce que leur modicité permît enfin de les faire disparaître sans scandale et sans bruit. Il suffisait de les retrancher des états du roi. C’est de cette manière que s’exerçait alors le droit de remboursement. Voilà ce que j’ai vu sur la fin du règne de Louis XV, à mon début dans les finances, auxquelles j’ai consacré ma vie. »
  4. Certaines rentes étaient, dit-on, attribuées à trente ou quarante payeurs, à qui il fallait s’adresser successivement. La recette des rentes était alors une industrie aussi lucrative que compliquée.
  5. Cette conversion eut lieu en 1825, après le rejet de l’opération combinée par M. de Villèle dans l’intérêt des émigrés. Les fonctionnaires lurent avec effroi dans un journal officiel : « Ceux qui se refuseront à la conversion déclareront par là qu’ils n’ont aucune confiance dans le gouvernement du roi. » Cet ordre fut compris de tous ceux qui vivaient dans la dépendance du pouvoir. Trente millions de rentes furent converties et laissèrent au Trésor un bénéfice annuel de six millions.
  6. Cet article ne constitue pas une charge réelle, puisqu’il a pour objet une dépense productive.
  7. Les rentes viagères, autrefois considérables, sont descendues au chiffre de 3,707,000 francs : elles se réduisent chaque année, et seront probablement éteintes en 1880.
  8. En 1838, elle s’élevait à 762,273,188 livres sterling pour la dette consolidée, plus 28 à 30 millions sterling pour la capitalisation de la dette flottante.
  9. La traduction française de M. Jacobi, avocat, vient d’obtenir les honneurs d’une seconde édition, continuée jusqu’aux dates les plus récentes. — 2 vol. in-8o, avec 149 tableaux ; chez Bellizard, rue de Verneuil.
  10. Sous le nom de propriété publique, M. Pebrer comprend tous les édifices religieux, civils ou militaires, les voies de communication, les arsenaux, les chantiers, le matériel de guerre, et enfin les richesses mobilières de la nation.

    La propriété particulière est divisée en valeurs productives et en valeurs non-productives. La première section comprend les constructions, les terres cultivées, les mines, les manufactures et marchandises, le bétail, etc. La seconde section est consacrée aux terres non-cultivées, aux effets mobiliers et usuels, au numéraire en circulation, aux sommes en dépôt, etc. Une pareille estimation laisse certainement beaucoup de prise à l’arbitraire : nous croyons toutefois qu’on nous saura gré d’en offrir le résumé :

    INVENTAIRE GÉNÉRAL DES RICHESSES DE L’EMPIRE BRITANNIQUE EN 1832

    POSSESSIONS
    ANGLAISES.
    POPU-LATION. CAPITAL.
    PROPRIÉTÉ PUBLIQUE. PROPRIÉTÉ PARTICULIÈRE. TOTAL.
    Liv. st. Liv. st. Liv. st.
    Grande-Bretagne et Irlande 
    24,271,758 103,800,000 3,575,700,000 3,679,500,000
    Possessions en Europe 
    247,701 7,300,000 19,815,094 27,115,094
    id. dans l’Amérique du Nord 
    911,229 2,933,331 59,167,135 62,100,466
    id. dans les Indes occidentales 
    733,617 3,853,000 127,199,424 131,052,424
    id. dans l’Océan indien 
    1,034,046 3,733,332 23,776,449 27,509,781
    id. en Afrique 
    154,046 1,426,665 5,017,733 6,444,398
    id. en Australie 
    39,685 140,000 2,545,000 2,685,000
    id. dans les Indes orientales 
    89,577,206 15,529,243 1,595,548,111 1,611,077,354
    116,969,978 138,715,571 3,408,763,946 5,547,484,517

    « Mais, dit M. Pebrer dans un appendice, cette estimation de 1832 est déjà très insuffisante. Depuis sept ans, toutes les ramifications de la puissance anglaise se sont simultanément développées, et il n’y aurait pas d’exagérations à porter le chiffre de la population à plus de cent vingt millions d’ames, et le total des valeurs publiques et privées à 7 milliards sterling, ou 175 milliards de francs. »

  11. Un vol.  in-8o, chez Treuttel et Wurtz, rue de Lille, 17.
  12. On peut considérer comme un essai de réalisation la société de l’Omnium, dont les bases ont été exposées par M. de La Mennais dans la Revue des Deux Mondes, livraison du 1er  septembre 1838.
  13. Nous lisons dans une brochure, provoquée en 1824 par le projet de M. de Villèle, que la Banque de France, chargée du solde des rentes vendues, refusa de payer en billets, et ne livra plus que des écus, afin d’enchaîner les rentiers timides par la crainte de retirer ostensiblement ou de garder chez eux de grandes sommes en numéraire.
  14. Histoire financière, citée plus haut, tom. II, pag. 478.
  15. Vienne une crise politique, et l’état sera sans doute trop heureux d’obtenir des secours à 5 pour 100 ; mais ce dernier titre étant rayé du grand-livre, il faudra donner du 4 1/2 à 90 ou même du 4 à 80, c’est-à-dire qu’on acceptera un capital surchargé de 10 à 20 pour 100.
  16. 100 francs employés en 3 pour 100, à 84, donnent en revenu 3 f. 57 c. 1/5
    3 1/2 à 98, donneraient 3 f. 57 c. 1/7
  17. Le nombre des inscriptions en 5 pour 100 est de 230,975. Celui des parties prenantes est de 120,262, dont la sixième partie seulement appartient à la province. Sur 100,000 rentiers environ qui habitent Paris, on en compte 38,000 au-dessous de 100 francs. — 36,600, de 100 fr. à 500 fr. — 12,200, de 500 fr. à 1,000 fr. — 8,500, de 1,000 fr. à 2,000 fr. — 6,300, de 2,000 à 5,000 fr., et 3,400, de 5,000 fr. et au-dessus. — Dans les départemens, il y a 18,000 rentiers au-dessous de 1000 fr.
  18. Exode, ch. XXII, v. 25.
  19. Publicanorum in oculis sumus. (Epistola ad Atticum, 2.)
  20. Chez Dufart, rue des Saints-Pères, 1.
  21. Les assessed-taxes portent sur les laquais, les chevaux, les voitures et les chiens.
  22. Ce chiffre ne comprend plus le fonds d’amortissement, qui, en France, se confond avec la dette.
  23. Le chiffre de cette année comprend les dépenses extraordinaires pour le mariage du prince royal et la dot de la reine des Belges.
  24. Ces attributions forment aujourd’hui deux ministères.
  25. La somme allouée provisoirement pour l’ordinaire de 1840 est de 1,100,554,487 ; celle qu’on demande pour 1841 est de 1,114,109,823, sans compter le budget extraordinaire des travaux publics, montant à 57 millions, couverts par la réserve de l’amortissement. Chaque année, nous voyons enfler le total de notre budget : c’est une tendance qui n’est pas nécessairement dangereuse, mais à laquelle il ne faudrait pas non plus s’abandonner légèrement. Le chiffre des dépenses tend, au contraire, à s’affaiblir en Angleterre, où la loi de l’économie est plus impérieuse encore que chez nous.
  26. Chez Ch. Gosselin, rue Saint-Germain-des-Prés, 9.
  27. Un vol.  in-8o, chez Renard, rue Sainte-Anne, 71.
  28. La banque d’Angleterre repose sur des bases beaucoup plus larges, mais aussi moins solides. Son capital consiste en une créance sur le gouvernement de 11 millions sterl. (175 millions de francs), pour lesquels l’état lui paie 400,000 liv. st. (10 millions de francs) d’intérêt.
  29. Une action de 1,000 francs, souscrite en 1800 et vendue en 1840 au cours de la Bourse, aurait rapporté environ 3,200 fr. pour les dividendes annuels, 350 fr. pour partage des bénéfices réservés, 2,250 fr. pour plus-value de l’action : total 5,800 fr., c’est-à-dire une moyenne de 145 fr. par année, ou 14 1/2 pour 100.
  30. La moyenne des échéances a été de 57 jours 2/3 en 1839.
  31. Il y a en Belgique deux grands établissemens de crédit. La Société générale, fondée par le roi Guillaume, et à laquelle se sont ralliées depuis la Société du Commerce et la Société nationale, soutient, avec un capital de 164 millions, trente-une entreprises industrielles, fondées au capital de 102 millions. La Banque de Belgique, fondée en 1835 au capital de 20 millions, et réunie à la Société des actions réunies, dont le capital est de 12 millions, a pris sous son patronage vingt-deux exploitations diverses, qui absorbent en capital 54 millions ! Aussi, après trois ans d’existence, la Banque de Belgique a suspendu ses paiemens.
  32. Dans un manifeste daté du 12 décembre 1839. M. Lemaître a traduit cette pièce intéressante à la suite du Traité des Banques de M. Condy-Raguet.
  33. On en compte neuf dans nos principales places de commerce : Bordeaux, Rouen, Nantes, Lyon, Marseille, Lille, le Hâvre, Toulouse et Orléans. Plusieurs autres villes sollicitent vivement des priviléges.
  34. 2,730,000 francs sont demandés par le budget de 1841 pour les frais de transport et d’emballage de fonds, pour les commissions, courtages, etc. Ces dépenses doivent disparaître à mesure que les banques étendront leurs ramifications.
  35. Supposons, par exemple, la réunion des professions qui se rapportent aux arts typographiques, librairie, papeterie, imprimerie, reliure, estampes, etc.