Société pour la publication des documens originaux de l’histoire de France

La bibliothèque libre.


SOCIÉTÉ
POUR
LA PUBLICATION DES DOCUMENS ORIGINAUX


DE L’HISTOIRE DE FRANCE.

Les Français, qui, depuis trois siècles, ont élevé tant de monumens admirables dans toutes les parties du domaine des lettres et des sciences, attendent encore une véritable histoire de leur pays ; cependant aucune nation ne possède des Annales à la fois plus riches et plus anciennes.

Depuis Grégoire de Tours, c’est-à-dire à peu près depuis la fondation du royaume de France, il n’est point de siècle, il n’est guère de génération même, qui n’ait enfanté chez nous son annaliste, son chroniqueur. Les âges les plus stériles en productions de l’esprit, les temps enveloppés dans la plus épaisse barbarie, le dixième, le onzième siècle, ont eu leurs historiens : arides, ignorans, grossiers, mais contemporains, et témoignant par leurs défauts mêmes, de l’état de la société quand ils écrivaient. Plus tard, à mesure que la culture des esprits va croissant, le nombre des narrateurs se multiplie ; leurs ouvrages deviennent plus substantiels, plus instructifs ; on sent poindre peu à peu la critique dans les auteurs ; la diversité des témoignages en permet le contrôle ; les sources de l’histoire deviennent abondantes, agréables, fécondes : chaque règne, chaque événement considérable, chaque personnage important, est illustré par des biographies, des relations, des mémoires.

On a dit que c’était peut-être à cette multiplicité même des sources de notre histoire qu’il fallait attribuer le manque d’un bon historien qui les résumât ; on a dit que la vie d’un homme ne saurait suffire à tout lire, tout explorer, tout apprécier, tout extraire, et à rédiger en outre un corps complet d’Annales à la manière de Tite Live ou d’Hume. On nous condamnerait, par cette opinion, à n’avoir l’histoire de France qu’en deux parties bizarrement partagées : les livres des érudits, inaccessibles à tout autre qu’aux érudits, hérissés de discussions et de digressions ; et des histoires oratoires, agréables aux gens du monde et d’un facile accès, mais qui font sourire l’érudition.

On doit dire avec plus de justesse que si nous n’avons point encore de bon historien, c’est faute à ceux qui se sont chargés d’écrire notre histoire d’en avoir assez profondément étudié les sources, de s’être assez consciencieusement voués à leur mission, de s’être éprouvés dans un assez long commerce avec les documens originaux. La force de tête nécessaire à ces études pénibles peut se joindre au talent d’écrire, à la haute sagacité, à l’art d’intéresser : Hume, Jean de Muller, des exemples plus récens encore, suffiraient à le prouver.

Quoi qu’il en soit, on se propose de suppléer, autant qu’il est possible, au manque qui se fait sentir d’un corps d’Annales françaises dues à un seul homme et écrites d’un seul esprit, en publiant un corps général de documens originaux relatifs à l’histoire de France. Il est certain aujourd’hui, pour tous ceux qui veulent l’étudier et la connaître, que rien ne peut remplacer l’étude de ces documens ; c’est là qu’il faut aller chercher la science des temps écoulés ; là chacun trouve sur l’objet particulier de sa curiosité, une multitude de données, d’éclaircissemens, de traits de lumière, que les ouvrages de seconde main font toujours plus ou moins disparaître ; de telle sorte qu’eussions-nous dès à présent l’Histoire de France le mieux faite, elle ne saurait nous tenir lieu des histoires contemporaines, et ne nous dispenserait point d’y recourir.

L’importance d’une collection comme celle que nous annonçons s’est dès long-temps fait sentir : l’illustre Congrégation de Saint-Maur, de savans critiques et d’habiles historiens qui devancèrent son zèle ou se formèrent à son exemple, ont dès longtemps recueilli, mis au jour un très grand nombre de documens de notre histoire. Dès le commencement du seizième siècle l’autorité royale se fit un devoir et un honneur d’encourager et de récompenser ces inappréciables recherches. Il existe donc déjà de vastes collections historiques dont la France s’enorgueillit à bon droit, et qui rendent à présent plus facile la tâche que la Société se propose de remplir.

Ce qui doit distinguer la Collection que nous annonçons, de celles qui l’ont précédée, c’est que, s’il nous est donné d’en voir l’exécution telle que nous l’avons conçue, elle réunira deux avantages importans :

1o. Elle sera accessible aux gens du monde et à tous ceux qui, n’étudiant l’histoire que dans un but étranger à l’érudition, n’ont pas le temps ou la volonté de descendre dans la critique des textes, et de lutter contre les difficultés d’un langage obscur ; nous mettrons pour la première fois à leur disposition, et, nous pouvons le dire, à leur portée, des livres qu’ils n’avaient pu jusqu’à présent connaître que de nom ;

2o. À ceux qui font des textes mêmes l’objet de leur étude, à ceux qui travaillent sur les détails de la critique historique, nous donnerons une Collection qui pourra rivaliser, en autorité et en crédit, avec celle des Bénédictins, sans offrir les inconvéniens qui résultent dans cette dernière du morcellement des ouvrages.

Pour satisfaire à la première condition, la nouvelle Collection paraîtra dans un format commode et portatif ; les textes écrits en langues étrangères seront accompagnés de traductions ; ceux d’un français difficile seront éclaircis par des notes et des glossaires, et au besoin même traduits pareillement.

Quant à la seconde partie de notre engagement : les textes seront reproduits avec la plus scrupuleuse fidélité ; ils seront collationnés sur les manuscrits, épurés, discutés, par la recension des variantes et par des notes critiques.

Histoires générales et particulières, chroniques, mémoires, lois politiques, chartes des provinces et des communes, lettres et extraits historiques, tous les documens jugés dignes d’entrer dans cette Collection y seront admis : aux ouvrages déjà publiés, nous joindrons les morceaux et les ouvrages encore inédits que des recherches récentes ont fait découvrir.

Enfin, rien de ce qui peut assurer le succès de la vaste entreprise que nous formons ne sera négligé par la Société.


Les Membres fondateurs de la Société de l’Histoire de France, réunis en comité, ont posé les bases de leur association dans le Règlement provisoire qui suit.


RÈGLEMENT PROVISOIRE.

Art. 1er.

Une Société Littéraire est instituée pour la publication des Documens originaux de l’Histoire de France.

Art. 2.

Elle prend le nom de Société de l’Histoire de France.

Art. 3.

Le nombre de ses Membres est illimité.

Art. 4.

Elle est dirigée par un Conseil d’administration nommé par la Société.

Art. 5.

Les Membres de la Société contribuent à ses dépenses par une souscription annuelle de trente francs.

Art. 6.

Les fonds provenant de ces souscriptions seront affectés à la publication des documens relatifs à l’histoire nationale et aux dépenses générales d’administration.

Art. 7.

Le choix des documens à publier, et l’ordre de leur publication, seront déterminés par le Conseil.

Art. 8.

Les Membres souscripteurs auront droit à un exemplaire, au prix de fabrication, de tous les ouvrages publiés par la Société ; le surplus des volumes sera mis dans le commerce ; le produit des ventes sera versé dans la caisse de la Société.

Art. 9.

Il sera publié un Recueil périodique relatif à l’objet des travaux de la Société ; ce Recueil sera adressé gratuitement à tous les Membres.

Art. 10.

Un Règlement général sera ultérieurement rédigé et discuté dans la première assemblée de la Société.

Cette assemblée aura lieu dès que le nombre des Membres inscrits s’élèvera à cent.

Art. 11.

En attendant, le Comité des fondateurs restera chargé de l’administration ; ce Comité pourra appeler à concourir à ses travaux préparatoires autant de nouveaux Membres qu’il le jugera nécessaire, lesquels seront pris parmi les souscripteurs inscrits.

Art. 12.

Après la formation de la Société, il y aura chaque année une assemblée générale dans laquelle il sera rendu compte des travaux du Conseil, de la recette et de l’emploi des fonds, et de tout ce qui intéresse la Société.

Art. 13.

D’autres assemblées générales auront lieu toutes les fois que les intérêts de la Société l’exigeront.

Art. 14.

Les Membres de la Société auront droit de séance à toutes les réunions du Conseil d’administration.

Délibéré à Paris, le 27 juin 1833, par les Membres composant le Comité des Fondateurs :

Guizot, membre de l’Institut, ministre de l’Instruction publique.
Thiers, membre de l’Institut, ministre du Commerce et des Travaux publics.
Baron Pasquier, président de la Chambre des Pairs.
Baron de Barante, membre de l’Institut, pair de France.
Comte Molé, pair de France.
Aug. Périer, pair de France.
Vicomte Arth. Beugnot, membre de l’Institut.
Ed. Bertin, inspecteur des Beaux-Arts.
Champollion-Figeac, conservateur au département des Manuscrits de la Bibliothèque du Roi.
Crapelet, membre de la Société Royale des Antiquaires.
Fauriel, professeur à la Faculté des Lettres de Paris.
Marquis de Fortia d’Urban, membre de l’Institut.
Guérard, membre de l’Institut.
Letronne, membre de l’Institut, directeur de la Bibliothèque du Roi.
Marquis Le Ver, membre de la Société des Antiquaires de Normandie.
Mignet, membre de l’Institut.
De Monmerqué, membre de l’Institut.
Raynouard, membre de l’Institut.
Teulet, ancien élève pensionnaire de l’École des Chartes.
Vitet, inspecteur des Monumens historiques et Antiquités nationales.

Avis. Les personnes qui désireront être admises dans la Société, devront s’adresser par écrit à l’un des Membres du Comité des Fondateurs.

Le montant des souscriptions sera reçu, à Paris, par

MM. Castel, notaire, rue Neuve-des-Petits-Champs, no 61.

MM: Clairet, notaire, boulevard des Italiens, no 18.

MM: Fremyn, notaire, rue de Seine Saint-Germain, no 53.




DE L’IMPRIMERIE DE CRAPELET,
RUE DE VAUGIRARD, No 9.