Soleils d’Hiver/16

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A. Lemerre (p. 54-57).

LE RAYON VERT



Là-bas, à l’horizon splendide,
Le soleil déjà descendu
Allonge sur la mer sans ride
Un dernier rayon d’or fondu.

Et malgré la nuit qui s’avance,
L’œil demi-clos, les bras croisés,
La belle fille de Provence
Regarde les cieux embrasés.

La tête, sans chapeau ni voile,
Porte un casque de lourds cheveux ;
La chemise de grosse toile
Moule un buste svelte et nerveux ;

Sous la pauvre jupe, ternie
Par le mistral et les embruns,
Se dresse, en sa double harmonie,
L’humble fierté de ses pieds bruns.



— « Belle fille, quel est ton rêve ?
À cette heure, en ce lieu désert,
Que viens-tu chercher sur la grève ?
— Je viens chercher le Rayon vert. »

Une légende provençale
— Il m’en souvient — dit qu’on peut voir
Parfois une lueur vert pâle
Parmi les derniers feux du soir,

Et que le souhait, à cette heure,
S’envolant de tout cœur blessé,
De toute pauvre âme qui pleure
Par le ciel est vite exaucé.

— « Belle fille, pour être heureuse,
Quel est ton souhait si pressant ? »
Elle dit : « Je suis amoureuse,
Et celui que j’aime est absent.

« Il est au loin, à bien des lieues,
Comme matelot de l’État ;
Il parcourt les grandes mers bleues
Sous l’ardent soleil qui l’abat ;


« Loin, bien loin de celle qui l’aime
Et rêve tout le long du jour,
Tout le long de la nuit, de même,
À l’heure heureuse du retour.

« Rayon vert, rayon d’espérance,
Apparais-moi, rien qu’un instant,
Et ramène au pays de France
Celui que mon cœur aime tant ! »



Mais au couchant toujours plus sombre
Le dernier éclat s’est voilé ;
La nuit rapide étend son ombre,
Et tout espoir s’en est allé.

La belle fille, lente et lasse,
Me fait un adieu de la main,
Et je l’entends, à voix très basse,
Dire : « Je reviendrai demain ! »

Oui ! reviens demain, pauvre amante !
Que demain, propice à tes vœux,
En ce chagrin qui te tourmente,
T’accorde enfin ce que tu veux !


Que ton œil inquiet le voie
Ce rayon longtemps attendu
Qui t’apportera tant de joie
Et tout le bonheur qui t’est dû !

Mais, alors que sur cette rive,
En regardant le rayon clair,
Tu pourras, croyante naïve,
Former le vœu qui t’est si cher,

Sois charitable, ô belle fille !
Songe, dans ton ardente foi,
À toute l’humaine famille
Qui souffre et pleure comme toi,

Et que ton souhait solitaire
S’augmente, en arrivant au ciel,
D’un peu des souhaits que sur terre
Forme notre Rêve éternel !