Soleils d’Hiver/29

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A. Lemerre (p. 99-101).


JOURNÉE DE PLUIE



Temps affreux cette nuit et toute la journée.
Il faut, l’esprit dolent, la mine chagrinée,
Demeurer à l’hôtel sans sortir un moment :
Quand il pleut, il pleut bien en ce pays charmant !
Devant cette eau tombant en fine baïonnette
On a, bon gré mal gré, l’impression très nette
D’un serment mal tenu, d’un contrat violé…
Le Midi sans soleil : on sent qu’on est volé !

Et, du matin au soir, ce sont traînasseries
En l’hôtel encombré de monde ; flâneries
Au billard, au salon de lecture, au fumoir,
En bas de l’escalier immense, où l’on peut voir
Les nouveaux arrivants, ahuris du voyage,
Happés comme serins au rebord d’une cage
Par l’ascenseur puissant et doux, qui mollement
Les enlève et les jette à leur appartement.

Fatigué de ce bruit inutile, on remonte
Pour écrire… une lettre au moins. C’est une honte

D’avoir été depuis si longtemps paresseux !
On s’installe à sa table, on rêve, on pense à ceux
De là-bas, aux amis qui sont restés at home
N’ont-ils pas eu raison ? Imperceptible atome
Pour qui tout est effort, anxiété, danger,
L’homme, au fond, n’est-il pas un sot de voyager ?
De s’en aller courir les cités étrangères,
Se barbouiller l’esprit d’images passagères,
Quand il peut, au logis, tranquille près du feu,
Rien qu’en regardant vivre, en lisant quelque peu,
Apprendre autant, savoir autant et, sans secousse,
Mener parmi les siens une existence douce ?

Que triste est cette chambre avec ses carreaux gris
Tout ruisselants de pluie, et ses rideaux flétris
Par tant et tant de mains, et depuis tant d’années !
Triste, avec son lit mince, aux courtines fanées,
Avec ses meubles las du contact répété
D’une cosmopolite et terne humanité ;
La chambre à tout le monde, enfin, la chambre vague
Où, telle qu’une vague après une autre vague,
Succède, d’un élan qui n’est jamais lassé,
Le voyageur qui passe au voyageur passé…
Chambre mélancolique où l’on n’est plus soi-même ;
Où, loin des bibelots familiers que l’on aime,
On se sent seul, perdu, vulgaire numéro
Selon l’étage pris s’augmentant d’un zéro ;
Molécule que suit une autre molécule ;
Pauvre être détraqué qui circule, circule
Toujours, pour fuir l’ennui de vivre, ennui fatal…


L’Hôtel est le cousin germain de l’Hôpital !
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Ce matin, ciel d’azur, soleil qui vous convie
À la joie, au bonheur… Hurrah ! Vive la vie !