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Soliloques sceptiques/Soliloque II

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SECOND SOLILOQUE.


J
’Avoüe que le deſir d’apprendre & de ſçavoir eſt naturel à l’homme, omnes homines ſcire deſiderant, dit le maiſtre de l’eſchole. Mais j’adjouſte à cét axiome, que ce meſme deſir ne nous diſtingue pas moins des autres animaux, que la raiſon, dont nous faiſons noſtre preciput ; lorſque nous les nommons tous deſraiſonnables, comme s’il n’y avoit que l’homme qui ſceuſt bien diſcourir, & tirer de bonnes & raiſonnables conſequences. Si eſt-ce que ceux qui ont pris la peine d’obſerver ces meſmes animaux, ont apperceu en beaucoup d’entre eux des eſtincelles d’vne raiſon que nous avons voulu nommer imparfaite, bien que Galien, & aſſez d’autres Philoſophes n’aient pas fait difficulté de prononcer, qu’elle ne differe de la noſtre que ſelon le plus & le moins, qui par la doctrine des Colleges ne change point l’eſpece, plus & minus non mutant ſpeciem. Il n’en eſt pas de meſme de ce deſir ardent de s’inſtruire, tout particulier à l’homme ; ſans qu’il ſe remarque aucun veritable ſigne d’vne pareille envie aus animaux. Au lieu donc de definir l’homme vn animal raiſonnable, je trouverois moins d’inconvenient à le nommer vn animal deſireux de ſçavoir, & je penſerois former par ces termes vne plus juſte definition. Mais ſi la Nature n’imprime point dans nos ames de vains deſirs, & qui ne puiſſent reüſſir, comme quelques-vns l’ont ſouſtenu, il s’enſuivroit que la ſcience nous ſeroit comme naturelle, & que nous pourrions tous l’acquerir ; ce qui n’eſt peut-eſtre pas vrai, l’ignorance, ſelon beaucoup des plus ingenus Philoſophes, paroiſſant eſtre bien plûtoſt de l’appennage de noſtre humanité, que la ſcience, comme je m’en ſuis ſouvent aſſez expliqué ailleurs. En verité, ſi nous y prenons garde de prés, & ſi nous voulons reconnoître franchement ce qui en eſt, l’homme n’eſt pas capable de ſçavoir la raiſon d’autre choſe, que de ce qu’il execute à ſa mode, ni comprendre d’autres ſciences, que celles dont il fait ſoi-meſme les principes ; ce qui ſe peut facilement prouver en conſiderant de bonne ſorte les Mathematiques. Ô la belle maxime d’État, qui fait, ce ſemble, ſubſiſter cette grande Monarchie de Moſcovie ! d’eſtre dans l’ignorance de ce que nous appellons les belles lettres, ſelon que toutes les relations qui en parlent le font voir. Hors ce que l’auteur de noſtre eſtre nous a revelé, & que la Foi Chrétienne nous oblige de tenir pour tres-certain, il n’y a rien que l’eſprit humain ne rende douteux & problematique. C’eſt ce qui a fait dire ſi excellemment à Saint Paul écrivant aus Corinthiens[1], qu’il ne ſçavoit rien ſinon Jesus Christ crucifié.

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  1. Ep. 1, c. 2.