Sous le masque/Leurs masques

La bibliothèque libre.
Sous le masqueBibliothèque Internationale d'Édition, Edward Sansot (p. 15-17).
◄  Méconnue
Courtisane  ►


Leurs Masques


à la Marquise de D…


On dirait que leurs traits sont pétris dans la cire,
Tant ils sont froids, et durs, et faits de pureté ;
Rien ne pourrait troubler le calme du sourire,
Et la candeur, flottant dans leurs yeux sans clarté.


Elles n’ont que mépris, pour celles, que l’amour
De sa fièvre et de sa chaleur aura brûlées,
Elles ont l’air d’avoir la même horreur, toujours,
Des cœurs trop grands ouverts, des formes dévoilées.

Mais ces visages sont trop purs : ce sont des masques !
Et si l’on soulevait la cire, l’on verrait
Les désirs imprévus, les caprices fantasques,
La flamme des espoirs et des plaisirs secrets.

L’on y verrait le goût des lèvres étrangères,
Les désirs si profonds, qu’ils font plier les corps,
L’on y verrait la trahison et l’adultère,
Les baisers si puissants, qu’ils chassent les remords !

Alors, pourquoi jeter la pierre à vos semblables ?
À celles qui, sentant le parfum de la chair,
Qui les baigne et les prend comme une onde admirable,
S’en vont sur ce parfum, comme on va sur la mer.


Pourquoi tant de mensonge et tant d’hypocrisie ?
Quoi ! vous cachez ce dont il faut s’enorgueillir ;
Et quand vous possédez la richesse infinie
De l’amour, vous pouvez ainsi l’ensevelir !

Ah ! comme j’aime mieux celles qui se dévoilent !
Toute l’âme ! et qui vont tendant leur cœur blessé
Aux clartés du soleil, aux rayons des étoiles,
Avec un goût d’aimer qui n’est jamais lassé !

Elles ont plus d’orgueil que vous, plus de courage,
Ayant semé le grain à la face des deux !
Dans la prairie, elles récoltent davantage ;
Elles souffrent bien plus : elles aiment bien mieux !