Sous le masque/Paroles à la Mort

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Sous le masqueBibliothèque Internationale d'Édition, Edward Sansot (p. 201-204).


Paroles à la mort


Je disais à la mort avant de te connaître,
Ma sœur, quelque beau jour tu viendras me chercher,
J’ouvrirai sur le soir ma porte et ma fenêtre
Pour te voir approcher.


Le bruit sourd de tes pas, parmi les feuilles mortes
Me semblera plus doux que le plus tendre chant,
Et le vent jettera jusqu’au seuil de ma porte
Les roses du couchant.

Ton voile ayant traîné pendant ce long voyage
Vers la demeure froide où mon cœur t’attendait.
Il me rapportera le parfum des rivages
Et l’odeur des forêts.

J’aurai tout préparé dans la maison de l’âme,
L’âtre paisible aura sa couronne de feu,
Tu chaufferas tes deux mains pâles à la flamme,
Nous parlerons de Dieu.

Puis calme, ayant éteint la lampe familière
Dédaigneuse du monde, indifférente au sort,
Je suivrai dans la nuit, ta forme de lumière
Ô merveilleuse mort !


Voici ce qu’avant toi je disais en mes rêves !
Mais à présent que j’ai pour charmer mon désir
Ta caresse infinie et cependant si brève,
Oui ! J’ai peur de mourir.

Je ne veux sur ma bouche où ta bouche se pose
Avec tant de langueur, de frissons et d’émoi,
Que ton baiser plus doux que le cœur de la rose,
Que ton baiser à toi.

Je ne veux dans mes mains que tes mains effilées,
Dont les ongles parfois me labourent le cœur,
Tes mains qui sur les draps de dentelle posées
L’ornent mieux que des fleurs.

Je ne veux que tes yeux aux profondes prunelles,
Si vastes que les miens ne sauraient les combler,
Que ta voix qui sachant murmurer comme une aile
Frémit comme les blés.


J’ai peur d’une autre voix, j’ai peur d’une autre bouche
Qu’on détourne de moi la mort que j’appelais,
Et j’ai fermé ce soir d’un grand geste farouche
Ma porte et mes volets.

Couvrant les sombres voix d’une clameur plus forte
Je veux vivre ! Viens sur mon cœur, tends-moi les bras
Et si jamais la mort frappe et crie à ma porte
Je ne répondrais pas !