Sous le masque/Un jour viendra

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Sous le masqueBibliothèque Internationale d'Édition, Edward Sansot (p. 93-95).
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Un jour viendra


À Suzanne Parisis.


Dire qu’un jour viendra, je ne t’aimerai plus ;
Dans l’éparpillement des rêves et des choses
Le beau feu s’éteindra, le livre sera lu,…
J’aurai laissé tomber le miroir et la rose.


Que toi, tu sois cruel avec moi, sans raison
Où que ton égoïsme ait trompé ma tendresse,
Où que j’apprenne un jour, même ta trahison,
Ah ! qu’importe, en moi seule, est la grande tristesse

Ne plus sentir ma main, sur la tienne, frémir,
N’avoir plus, me serrant contre toi, chaud à l’âme,
Perdre la faculté d’attendre et de souffrir,
Sentir l’indifférence emplir ma chair de femme !

Retrouver le trésor, que j’avais fait le tien,
Être riche soudain de toutes mes caresses,
Ne pouvoir rien donner ayant tant de richesses ;
Voilà le plus grand mal auquel on ne peut rien.

Dire qu’un jour viendra, dans un autre visage,
Je scruterai l’espoir, la crainte et le désir,
Je recommencerai le merveilleux voyage,
J’aurai la volupté charnelle de souffrir.


Je mordrai tendrement au pain que sont les lèvres,
Et je m’enfoncerai dans l’océan des yeux,
Si vaste et si profond et qui roule des fièvres
Des charmes, des douceurs et des soirs orageux.

J’aurai tous les frissons et toutes les angoisses,
Les baisers morts seront follement refleuris ;
Je serai le bouquet qu’on saisit et qu’on froisse ;
Et tout cela sera sans toi… que je chéris !

Se peut-il que la vie ait de telles puissances,
Que le bienfait, subtil et rare, soit perdu ?
Que le bonheur change de nom, et d’apparence ?
Se peut-il qu’un jour vienne, — où je ne t’aime plus ?