Aller au contenu

Sous le signe du quartz/03

La bibliothèque libre.
Texte établi par Édition Bernard Valiquette,  (p. 47-63).

LE ROCHER D’ONOBATONGA



Longtemps, très longtemps, la vallée de l’Outaouais fut ignorée des colons, comme d’ail­leurs bien d’autres parties du pays. C’est que, suivant un usage qui a longtemps nui à la colo­nisation, les cultivateurs riverains du Saint-Laurent, au lieu d’encourager leurs enfants à aller se battre contre les bois francs, à l’inté­rieur, préféraient morceler et épuiser leurs ter­res plutôt que de voir leurs fils s’éloigner du clocher natal qui se mirait dans les eaux du fleuve.

Aussi bien les grandes compagnies de com­merce de pelleteries, comme la Compagnie du Nord-Ouest et celle de la Baie d’Hudson, ne te­naient en aucune façon à voir envahir par les défricheurs, l’habitacle des bêtes dont elles ti­raient leurs richesses, pas plus qu’elles ne désiraient voir les commerçants de bois et les prospecteurs. Elles avaient intérêt à cacher la vérité sur les richesses en forêts, en bonne terre arable et en minerais que récelaient les domaines qu’elles gardaient si jalousement.

De sorte que ces immenses forêts du nord-ouest de la province de Québec, jusqu’à il y a cent ans, ne furent sillonnées que par les chasseurs, sauvages et blancs, ces derniers qui remplaçaient les aventureux coureurs de bois d’autrefois.

Et c’est ainsi que les vallées du Saguenay, du Saint-Maurice et de l’Outaouais furent si longtemps fermées à la colonisation et à l’exploitation forestière et minière.

Mais en ce qui regarde le territoire arrosé par la rivière des Outaouais, Philémon Wright, fils de cultivateurs du comté de Kent, Angleterre, venu tout jeune au Canada pour s’établir, ayant décidé d’exploiter des terres neuves et les forêts vierges de son pays d’adoption, d’une endurance peu commune et d’une volonté de fer, n’était pas homme à fléchir devant les difficultés que les compagnies dressaient devant ceux qui tentaient de violer leurs domaines.

Philémon Wright avait décidé de ne tenter un établissement sur un point quelconque de la rivière Outaouais qu’au début d’octobre 1799. Parti de Montréal, il entreprit de monter aussi haut qu’il pourrait. Accompagné de deux compatriotes et au prix de difficultés sans nombre, après vingt jours d’un trajet pénible, il parvint, le 20 octobre, à l’endroit où s’élève aujourd’hui la ville de Hull dont il fut le fondateur.

Les explorateurs firent l’inspection du township qui s’étend en arrière de Hull. Afin d’avoir une idée du pays et des alentours, ils escaladèrent une haute colline et montèrent à la cime altière des plus grands arbres qui poussaient sur ces hauteurs. De là, à perte de vue, ils promenèrent leurs regards sur des espaces sans fin.

« La scène qu’ils contemplèrent du haut de cet observatoire », raconte Joseph Tassé dans la biographie qu’il a écrite de Philémon Wright, « est semblable à celle que vit du Mont-Vision un héros des PIONNIERS de Fenimore Cooper. Les feuilles étaient tombées en partie, les sommets des montagnes voisines étaient dénudés et on y remarquait seulement le feuillage de quelques arbres toujours verts ou plus lents à quitter leur manteau de verdure. Partout, s’étendait la forêt immense serpentée par quelques cours d’eau… Pas d’éclaircies, pas de hutte, pas de sentier, pas de traces de la présence de l’homme. Ils examinèrent longtemps cette solitude silencieuse puis, satisfaits de leurs observations, ils descendirent le cours de l’Outaouais. »

Un peu plus tard, Philémon Wright put trouver autant d’hommes qu’il voulait pour l’accompagner dans sa tentative de coloniser ce coin obscur de la vallée outaouaisienne.

La courte description que l’on vient de lire de cette partie de l’Outaouais pourrait être celle de toute la vallée de l’historique rivière. Depuis les aventureuses expéditions des de Troyes, des d’Iberville et des de Maricourt, la vallée outaouaisienne avait jalousement gardé les mystères de sa farouche solitude. Pendant plus d’un siècle et demi, aucune trace de civilisation. Le bruit solennel des chutes, comme celles de la Chaudière, les hurlements du vent dans les frondaisons, le concert perpétuel des oiseaux, les cris et les appels des bêtes fauves avaient seuls troublé l’écho sauvage de ces lieux.

Mais, au commencement du siècle dernier, à ces concerts éternels de la nature vint s’ajouter le bruit des coups redoublés de la cognée des hommes que Philémon Wright était allé chercher un peu partout pour ouvrir à l’industrie ce formidable massif forestier qui s’étendait, peut-on dire, des portes de Montréal à la poche immense que forme la Baie James, fin nord.

Puis, plus tard, beaucoup plus tard, et plus loin dans la vallée, au son de la hache frappant les arbres séculaires, dont la chute faisait trembler le sol, s’ajouta celui du pic du prospecteur creusant la terre rocheuse.

Ce fut encore sous la poussée audacieuse d’un Wright que le sol outaouaisien dut s’entr’ouvrir pour laisser échapper ses premières richesses minéralogiques. Philémon Wright commença l’exploitation du sol et de la forêt de l’Outaouais ; un de ses descendants, E. V. Wright, un demi-siècle plus tard, entreprit l’exploitation de son sous-sol.

Et ce fut à la mine de l’enthousiaste Coignac, que nous n’avons pas oublié, que l’on s’attaqua en tout premier lieu…

Qu’est-ce que ce sauvage, que nous appellerons l’Ours Gris, avait derrière la tête quand, un jour de l’année 1826, il alla proposer à Tiberius Wright, fils de Philémon Wright, de le conduire à une mine dont lui et les siens connaissaient l’existence dans le haut de la Gatineau ?

Philémon Wright avait appris que tout le territoire qui s’étend entre la Gatineau et la rivière des Outaouais, récélait des minerais de grande variété : or, cuivre, fer, plomb, et qu’il se trouvait, entre autres, de nombreuses couches de plombagine plus haut sur l’Outaouais, sur les rives de la Gatineau et autres affluents de la Grande Rivière.

D’ailleurs, au temps de l’établissement de Hull, les sauvages de la région apportaient souvent aux Wright de riches échantillons de substances minérales. Et cela, eut-on dit, mettait l’eau à la bouche de ces hommes avides des richesses du sol canadien. On offrit aux sauvages de riches présents pour conduire les blancs à ces gisements. Mais les indiens, finauds, refusaient.

Un jour, l’Ours Gris se présenta à Tibérius Wright et, acceptant une carabine qu’on lui offrait, il s’engagea à le conduire à l’une des mines qu’il connaissait.

« Moi, dit-il, sait la mine… pas loin… deux flèches… fer, beau, beau, beaucoup… »

On comprit qu’il s’agissait d’une mine de fer à deux portées de flèche. M. Wright accepta. Mais au moment où il allait partir en compagnie du sauvage, les squaws du campement indien, par des manifestations de toute nature, s’opposèrent énergiquement à leur départ. Ces femmes obéissaient à une superstition qui existait dans leur tribu où l’on croyait que les bêtes des bois fuiraient loin de leur territoire de chasse dès que l’un des leurs dévoilerait aux blancs l’existence des roches précieuses. Tibérius Wright dut abandonner à regret son projet.

Mais son père était plus énergique et plus entêté. Il résolut de se passer de l’Ours Gris et de ses semblables et de chercher lui-même les mines dont les indiens avaient apporté des échantillons qu’il avait jugés très riches en fer.

Usant de toutes les circonlocutions nécessaires dans les conversations des blancs avec les sauvages, Wright avait cru comprendre que quelques-uns de ces gisements de fer se trouvaient dans les montagnes abruptes dont la crête élancée dentelle l’horizon en arrière de Hull. Il organisa une expédition formée de lui-même, de John MacTaggart, ingénieur, de Thomas MacKay et d’un autre compagnon. Ils partirent à cheval, chargés de vivres, de tentes, de haches, de marteaux et d’autres instruments.

Le voyage ne fut pas tout à fait une excursion de plaisir. On avait à parcourir une impénétrable forêt de pins et d’érables aux troncs serrés les uns contre les autres et dont les branches inférieures s’entrecroisaient ; puis des clairières de broussailles et d’arbres renversés par la tempête.

MacTaggart surtout, peu habitué à voyager à cheval dans de pareils fourrés, fut loin d’éprouver les jouissances dont parle Byron : « A pleasure in the Pathless woods ». Il fut la victime de maintes mésaventures dont s’amusèrent ses compagnons plus aguerris que lui contre ces obstacles.

Bref, on arriva au sommet des montagnes. La crête couvrait une étendue de plusieurs milles. Les rochers étaient couleur de rouille, ce qui indiquait, à n’en pas douter, la présence du fer. Il sembla aux explorateurs qu’on pouvait facilement établir en cet endroit des usines. L’accès pouvait en être rendu facile grâce à un chemin qui escaladerait facilement les montagnes. Et il y aurait non loin de là les chutes de la Gatineau qui pouvaient fournir l’énergie nécessaire. Enfin, tout alentour, on remarquait des bosquets de bois dur qui devait fournir du bon charbon de bois.

Quand les explorateurs arrivèrent à Hull, ils avaient des sacs remplis de spécimens divers de minerai de fer et de pierre calcaire, des morceaux de marbre veiné de vert et de blanc, des masses de cristaux cubiques qui faisaient naître les plus belles espérances.

Quelques semaines plus tard, on fondait la « Hull Mining Company » qui avait pour objet d’exploiter les minerais de fer, de plomb, de marbre et de granit que récélaient les montagnes de l’Outaouais et de la Gatineau. Philémon Wright était le président de cette compagnie qui fut probablement la première compagnie minière de la province de Québec.

Une autre compagnie s’organisa plus tard pour exploiter ces mines des montagnes de Hull et la première fonte de minerai eut lieu le 18 janvier 1867 ; des forges s’établirent dans la région dont le produit commandait un bon prix sur le marché…

Mais tous ces événements se passaient dans l’Outaouais inférieur… Alors, on n’osait, ou on n’avait pas les moyens de remonter plus haut la rivière qu’avaient pourtant affrontée avec tant de courage, en 1686, le chevalier de Troyes et ses compagnons.

Seuls les sauvages continuaient de sillonner la vallée de l’Outaouais et seuls aussi continuaient-ils de posséder le secret des mines dont les filons, à partir des montagnes de Hull jusqu’à la Baie James, veinaient en tous sens ce riche territoire.

Et dans cette séculaire solitude, un petit point indiqué depuis près de deux siècles sur les bords du lac Témiscamingue : la mine de Coignac qui, dans sa tombe ignorée, devait se demander ce que faisaient les hommes qui n’avaient fait encore jusqu’ici que détacher, du rocher que lui indiquèrent les sauvages, quelques grossiers fragments…

Qu’est-ce qu’ils attendaient donc, ces Wright du commencement du siècle dernier, Philémon, Tibérius, Ruggles et Christopher, McTaggart et Thom MacKay, et les autres, pour pousser leurs recherches jusqu’au lac Témiscamingue ? Pourquoi n’allaient-ils donc pas plus loin que ces montagnes de Hull ?… Eh ! ce n’est pas sous les chutes de la Gatineau qu’ils trouveront des trésors, que diable !

Et ces sauvages, déjà amollis, gâtés par la civilisation, ont-ils jamais remonté l’Outaouais plus haut que le Rocher Fendu ou le Rapide des Chats ? Ne connaissent-ils donc que ces misérables filons de fer qui veinent les abords de la Grande Rivière ? Ou bien auraient-ils abandonné les aventureuses randonnées de leurs ancêtres dans les solitudes sauvages des lacs Témiscamingue et Abitibi ?… Ignoraient-ils totalement l’existence de la mine du Témiscamingue découverte par les anciens ?

Mon pauvre Coignac, il faudra attendre à 1850. C’est long, cent soixante-quatre ans ; mais la patience est illimitée. Voici venir un autre Wright… Décidément, ces Anglais, qu’on allait chasser des redoutes de la Baie d’Hudson en 1686, sont tenaces. — Ce Wright ne tient qu’à un fil… de parenté à Philémon, le fondateur de Hull. Il est marchand de bois, comme lui, à Ottawa. Une fortune de famille lui a permis d’acquérir d’immenses limites forestières dans la vallée de l’Outaouais. Il ose même aller entreprendre des chantiers de coupe de bois sur les bords du lac Témiscamingue. Quelle audace ! Et c’est un Anglais, un compatriote de ce Johan Bridgar, gouverneur du Fort Nelson en Baie d’Hudson en 1686 et qui donna tant de fil à retordre aux chefs de Coignac et à ses compagnons ; c’est un Anglais, mon pauvre Coignac, qui, un jour de 1850, « redécouvre » et commence à exploiter ta chère mine où, le 24 mai 1686, tu conduisais ton valeureux chef, Pierre de Troyes, passablement incrédule, à la vérité… tu t’en souviens, Coignac… Et toi aussi, — tu doutais un peu de la valeur de ta mine lorsque ton chef et toi retourniez à votre canot où de bons sauvages vous épargnaient la faim en vous faisant cadeau d’un bon quartier d’orignal… Mais tu n’en désirais pas moins voir ta mine exploiter, un jour, n’est-ce pas ?

Et ce jour arriva.

Ce jour-là, en 1850, des hommes d’Edward V. Wright qui bûchaient, au bord du Témiscamingue, du « grand bois carré », parvinrent à un rocher où ils aperçurent comme des pierres concassées ; ici, des roches fracturées, là, comme une tentative de forage dans le rocher… partout, des cristaux en masses saccharoïdes, en masses grenus ou compactes, d’un gris métallique bleuâtre… Diable. Qu’est-ce ? On est pourtant les premiers, ici !…

Le « boss » était alors au campement de la Grosse-Île. Le soir, les hommes lui racontèrent leur découverte à Onobatonga.

En vertu, sans doute, des mystérieuses transmissions fluidiques de l’atavisme, le « boss » avait quelques gouttes de sang de prospecteur dans les veines. Il les sentit bouillonner.

Le lendemain matin, en compagnie de ses bûcherons, il se rendit au rocher d’Onobatonga… De la roche rouillée ; pas de doute possible. Il y a du fer ici, à moins que ce soit de l’argent, ou simplement du plomb… cette couleur ! des roches micacées !… Il creuse. Plus de doute, c’est de la galène. Edward Wright ne prétend pas s’y connaître beaucoup dans la science du chercheur de minéraux, mais après avoir creusé davantage, il pensa sérieusement au plomb argentifère. À la richesse des essences de ses concessions forestières allait peut-être s’ajouter celle d’un riche minerai. Veine alors !

Edward Wright était entreprenant. Il organisa aussitôt une équipe d’hommes qu’il mit à forer le rocher en tous sens. Il fit venir de Montréal un ingénieur en mines qui confirma sa découverte. La mine devait être fort riche en sulphure naturel de plomb. Et l’on creusa davantage. On expédia aux États-Unis des échantillons de ces roches pour en faire l’examen ; le rapport ne permettait plus aucun doute. La galène pouvait même fort bien être mélangée avec des sulphures d’argent. Un riche filon, quoi !… se composant entièrement de conglomérat de la série de Cobalt…

Et après ?

On n’exploite pas une mine avec un cure-dents. De pareilles expériences exigent un outillage, des provisions, des fonds d’avance qui permettront d’attendre le coup de pioche heureux. Il ne faut pas seulement le flair, le courage, la ténacité, l’endurance, l’audace, la prudence ; il faut l’or, l’argent, pour extraire l’or, l’argent, le cuivre, le fer, le plomb ; il faut « faire la mine », c’est-à-dire l’exploiter en surface d’abord, décaper, faire les tranchées, les forages au diamant ; il faut procéder aux analyses des échantillons, forer des puits, creuser les souterrains… Et pour tout cela, un outillage coûteux, choisi avec soin, transporté souvent de très loin, installé avec minutie, d’après des études et des calculs de techniciens payés chers… Et puis, par-dessus tout, une vie terrible pour les mineurs : un soleil qui grille et, deux heures après, un air nordique qui frigorifie ; et quand par hasard le temps devient quelque peu favorable, des armées de moustiques qui dévorent vivants les hommes et les bêtes…

En 1850, E.-V. Wright n’était pas plus outillé que ne l’étaient, en 1686, Pierre de Troyes et Coignac pour tirer parti de la mine argentifère d’Onobatonga. La coupe des grands pins de la vallée n’exigeait que de bonnes haches d’acier et l’eau aidait singulièrement au transport des grumes.

L’exploitation de la forêt payait plus que celle du sous-sol.

Bref, E.-V. Wright, lui aussi, abandonna la mine, du moins pour cette année-là. La galène d’Onobatonga va-t-elle aller s’accumuler aux greniers des vieux minéraux ?…

Pas encore. Voilà qu’en 1870, E.-V. Wright revint à la charge et attaqua pour de bon la vieille mine. Coups de pioche et de pic pendant quelques années. Les foreuses se mettent de la partie et creusent un commencement de puits. On extrait de 2,500 à 3,000 tonnes de minerai qu’on fait soigneusement analyser.

Les rapport des techniciens soulèvent l’intérêt. Peu après, E.-V. Wright, J.-M. Carrier et M. Eustis, de Boston, creusent un puits, mais de douze pieds seulement, duquel on extrait une dizaine de tonnes de minerai qu’on expédie à Ottawa. On ne donne nulle part le résultat de ce « shipment ». On en fait un second sur un radeau qui se brise malheureusement dans les rapides des Deux-Rivières. Après quoi, pendant quelques années encore, la mine entre dans le silence de la vallée.

Mais il y a des Mécènes pour les mines comme il y en a pour les institutions de charité. En 1885, Georges Goodwin et G.-T. Brophy avancent l’argent nécessaire pour creuser un puits de cinquante pieds, faire l’installation d’un petit bocard de cinq tonnes avec outillage mécanique, creuser quelques tranchées. Hélas ! peu après le feu détruisait cette primitive installation. Fut-il extrait du minerai du nouveau puits ? Aucun rapport ne l’indique.

Ce ne fut pas encore la fin de la mine d’Onobatonga qui avait la vie dure.

Vers 1890, Robert Chapin, alors président de la « Ingersoll Rock Drill Co, » de New-York, acheta la mine en faisant un paiement, avec droit de priorité pour l’achat final, sur la base de $125,000. Il installa en cet endroit la première foreuse à air comprimé qu’il y ait eu dans le pays, construisit un moulin de soixante tonnes et creusa le puits existant jusqu’à 250 pieds de profondeur. On extraya des quantités considérables de concentrés dont la valeur ne pouvait être déterminée à cette époque. Mais M. Chapin, à la suite de placements malheureux, dut abandonner l’exploitation de la mine du Témiscamingue qui retourna aux Wright.

En 1895, Wright vend sa mine à la « Petroleum Oil Trust Co », de Londres, Angleterre, qui continue de creuser le puits en même temps que de nombreuses tranchées. Elle mit de nouveau le moulin en opération et tira plusieurs tonnes de concentrés qu’elle expédia à Swanzea, pays de Galles. Il semble que la nouvelle exploitation ne fut pas de longue durée. Le 18 juin 1921, les membres de la « Ontario Mining Association » sur l’invitation de la « Temiskaming Mine Ménagers Association » visitèrent la mine du Chevalier de Troyes, comme on l’appelait encore parfois. On n’y travaillait plus. Mais le moulin et toutes les bâtisses adjacentes étaient encore debout et en bon étât malgré que la plupart des pièces de la machinerie eussent été enlevées. On constata que la « Petroleum Co » n’avait rien épargné pour faire une installation moderne. Les bâtisses étaient avenantes, d’un style agréable, et durent être fort bien entretenues, pendant qu’on y travaillait.

Enfin, quelques années plus tard, en 1905, la mine Wright fut acquise par la Cie Timmins McMartin, de Montréal, qui en fut la dernière propriétaire. Il ne semble pas que cette compagnie en ait fait même la moindre tentative d’exploitation. Elle fut totalement désaffectée vers cette époque…

La géologie de surface autour de cette mine a été minutieusement étudiée en 1899, par A. E. Barlow, de la Commission Géologique du Canada, par W. G. Miller, en 1905, et par M. E. Wilson, en 1910. À cause du mauvais état des puits, ils n’ont pu examiner l’exploitation souterraine. Ils ont pu constater qu’à un mille environ au sud-est, il se trouve une colline élevée de quartzite et d’arkose en couches horizontales qui peuvent appartenir soit à Gowganda, soit à la formation lorraine de Cobalt. À environ un quart de mille au sud de la mine, des calcaires paliozoïques en plature affleurent sur le rivage du lac. Bref, le minerai de la mine d’Onobatonga est une brèche formée de fragments de conglomérat de Cobalt cimentés avec de la calcite blanche à gros grains, de la galène et de la blende.

Mais, hélas ! plus on creusa, plus on s’aperçut que le minerai était pauvre, peu rémunérateur en regard de ce que coûtait son exploitation. En définitive, on livra la mine d’Onobatonga à la solitude séculaire des lieux. Elle entrait dans l’histoire après une existence de 229 ans dont un siècle et demi dans le calme de la sauvagerie.

Et depuis, la lèpre des abandons a conquis l’historique rocher d’Onobatonga ; l’herbe pousse en toute liberté dans ses anfractuosités, les broussailles recouvrent les débris des travaux jadis exécutés, l’eau de pluie croupit dans les creux ; et les oiseaux sauvages continuent en sécurité leurs concerts dans les cimes qui s’élèvent ici et là parmi les clairières du chantier. Règne là, depuis plus d’un quart de siècle, la tristesse des choses abandonnées…

Mon pauvre Coignac, tu peux le voir, aujourd’hui, ce n’est pas une très grosse fortune qui, en 1686, passait au nez du Roi de France…