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Sous le signe du quartz/07

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Texte établi par Édition Bernard Valiquette,  (p. 129-153).

AU SEUIL DE L’OPHIR ABITIBIEN


Le canot remontait à force d’aviron la rivière Kinojévis. L’eau coulait sournoisement le long des rives couvertes de sapins. On voyait parfois de grands arbres pencher leurs cimes sur le courant… Pays désert où la vie ne se manifestait que très rarement. L’embarcation glissait, silencieuse et rapide, longeant les bords. Le silence régnait partout en plénitude. On y sentait l’âme de ce pays nouveau dont la solitude insoupçonnée et la grandeur sévère provoquaient presque la frayeur. Et ce silence, il semblait monter des eaux profondes, se dégager de la forêt, s’appesantir du ciel sur la terre. Obsédant à la fin, il évoquait comme une idée de mort et d’éternité… Quand on fouillait du regard l’épaisseur des fourrés de résineux de la rive, on finissait par deviner, au milieu de l’ombre dense de la brousse, des murailles abruptes de rochers… Au seuil de ces dénivellations, on se plaisait à imaginer des colons se dispersant çà et là, munis de haches, d’un paqueton de farine et de lard salé, étudiant le terrain, tâchant de deviner sous ses plaies, à travers le fouillis des ferdoches et l’eau des marécages, ce qu’il pourrait bien, plus tard, fournir en « graines de pain »…

Et le canot glissait toujours, silencieusement.

Les spectacles, de chaque côté de la rivière, apparemment uniformes, sont sans cesse inattendus, forcent l’attention ; et le moindre détail revêt un caractère saisissant. Au loin, tant que la vue peut porter, quand la rivière file droite, l’horizon s’estompe dans une impression poétique entraînant l’imagination sur la pente de la rêverie. C’est ainsi qu’on voit défiler, embuées, de hautes croupes au profil arrondi en dôme, boisées, masses sombres où la lumière, comme en se jouant, imprime des traces d’un vert plus clair, légèrement cendré…

On était dans l’été de 1911, au mois d’août.

Trois hommes montaient le canot : Maurice Bénard et les frères Philippe et Sylvain Boissonnault. Trois rudes gaillards bien plantés, lestes d’allure dans leur équipement de voyageurs-forestiers ; les manches de leurs chemises, relevées, on eût dit de leurs biceps des paquets de cordages. Des yeux brillants dans des faces cuivrées se promenaient, vifs et fureteurs, de chaque côté de la rivière, cherchant les endroits où ils pouvaient avoir raison de soupçonner de la « couleur ». Car tous trois s’en allaient prospecter certaines régions de l’Abitibi où ils avaient entendu dire qu’il y avait de l’or et du cuivre, comme autrefois, quatre siècles auparavant, les sauvages d’Hochelaga, du haut du Mont Royal, montrant à Jacques Cartier le delta de l’Outaouais, lui avaient dit que là commençait le chemin d’un pays plein d’or, de cuivre et de pierres précieuses.

Jusqu’en 1911, ce pays de l’Abitibi était comme un livre fermé ; aussi inconnu que l’est aujourd’hui le territoire plus au nord de l’Ungava. Seuls, jusqu’alors, quelques arpenteurs, des chasseurs et des indiens avaient foulé quelques coins de cette contrée. Ici et là toutefois, on avait tenté une coupe de bois. Mais c’était à peine si le pays était indiqué sur la carte. On le disait glacial, inaccessible. Toutefois, des légendes laissaient entendre qu’il était riche en mines d’or et de cuivre. On parlait même de pierres précieuses, que sais-je ; comme autrefois. Des explorateurs avaient signalé d’excellente terre argileuse qui devait être fertile. Quoiqu’il en soit, il était visible que la forêt abondait en riches essences et que le gibier y pullulait. Tout ce territoire s’accompagnait d’un écheveau de ruisseaux, de rivièrettes et de lacs qui, apparaissant soudain, dans de belles châsses boisées, lançaient des lueurs de métal…

Mais voici l’année 1911. L’Abitibi entrait soudain dans la civilisation non seulement par la voie fluviale de l’Outaouais et des grands lacs qui sont des élargissements de la rivière, mais grâce à la construction d’une voie ferrée qui partait du Transcontinental à Cochrane, dans l’est, et s’en allait jusqu’à la jonction de la rivière Bellefeuille entre, aujourd’hui, Authier et Taschereau, soit une pénétration de cent vingt milles au cœur de cette partie du territoire québécois.

Lorsque notre grand Laurier, appuyé par le Parlement canadien, fit construire cette gigantesque voie transcontinentale, il dut avoir les yeux plongés dans l’avenir. Ce nouveau chemin de fer, serpentant en pleine solitude, des centaines de milles au nord des avant-postes de la civilisation, devait non seulement faciliter les échanges commerciaux entre l’est et l’ouest du Canada, diriger vers les ports de l’est les grains des prairies de l’ouest, faciliter l’essor industriel du Canada français, mais aussi développer les territoires sauvages qui s’étendaient en bordure de cette immesurable bande d’acier qui fut la route définitive des pionniers du Nord-Ouest québécois. Par l’étroite avenue qu’elle ouvrit à travers la forêt nordique s’acheminèrent les colons, les bûcherons, les prospecteurs, armée silencieuse et pacifique, vaillante, sans peur, qui accomplit des merveilles. En moins de vingt années elle ouvrit des perspectives insoupçonnées dans les domaines agricoles et industriels.

Aidée du feu, tout d’abord, la hache du colon se mit à déblayer, en de fulgurants éclats d’acier, ce lit très probablement d’une ancienne mer que recouvrait maintenant la forêt millénaire. Dans de grasses clairières, on découvrit de la terre glaiseuse où le trèfle rouge poussait à l’état sauvage en attendant la poussée des céréales, pendant que la forêt fournissait aux usines à papier ses précieux conifères… Et voilà que derrière le colon, même avant lui en certaines parties du territoire, vint le prospecteur, mystérieux et nomade, obstiné et courageux.

Des semaines et des mois, il erre à travers les brûlés et sur les collines qui dominent, ici et là, la plaine abitibienne, cherchant les effleurements du bienheureux quartz. Et subitement, des rumeurs circulent dans toute l’Amérique que la sauvage et froide vallée de la rivière Bell, non seulement peut faire pousser les blés d’or, mais fournit de l’or tout court. On fit d’abord, en certains milieux, sur ces propos, des gorges chaudes. Non, le bois et la terre sont de ce territoire les seules richesses. De l’or, du cuivre ?… à d’autres ! Qu’espèrent donc ces hallucinés qui croient en la « couleur » dans ce sous-sol ?…

En ce vingtième siècle tumultueux autant que stupide, l’aventure est de tous les coins de la terre, et les prospecteurs, gens aventureux, sont toujours un peu bons chiens de chasse. Ils ont flairé au nord-ouest de Québec un nouveau Tanezrouft de la couleur ; et ils n’hésitèrent pas à se lancer dans cette vie difficile, implacable, du mineur ; vie à laquelle il faut se donner tout entier, âme et corps ; vie douloureuse souvent, parce qu’elle réclame une présence toujours active qu’elle oblige à d’incessants sacrifices ; vie d’aventures constantes que l’avènement de la machine, dont rêvèrent Léonard de Vinci et Jules Verne, il est vrai, a modifié sensiblement en la revêtant d’une défroque scientifique qui lui a fait perdre beaucoup de sa sauvage grandeur où la soif de l’or le disputait à l’attrait invincible de l’inconnu… Mais elle existe quand même, plus directe encore que moins romanesque…

Maurice Bénard et les frères Philippe et Sylvain Boissonnault étaient partis de Haileybury, via Cochrane. Ils arrivaient, quatre jours après leur départ, à la rivière Bellefeuille qu’ils remontèrent jusqu’au lac Robertson puis la traversèrent pour arriver, après un difficile et long portage, à la rivière Villemontel. De là, ils entreprirent la descente de la rivière Kinojévis dont ils voulaient étudier certains endroits des berges.

C’est sur cette rivière, dont leur canot fend si délicatement les eaux, que nous les voyons en août 1911. Jusqu’à la Bellefeuille, le voyage sur le Transcontinental avait été fatigant, les voyageurs cahotés pendant plus de cent milles dans d’inconfortables wagons « colonistes ». Puis ils avaient rencontré des rivières cascadeuses, traversé des lacs pleins de bas-fonds, dans un canot manœuvré à force d’avirons. Mais le temps les avait favorisés encore que sur le coup du midi, certains jours, ils eussent à souffrir d’une chaleur que les fourrés de résineux montaient à une température de haut fourneau. Et, à la suite de ces coups de chaleur, les nuits étaient plutôt froides. Ils avaient eu aussi à affronter de brusques coups de vent dont l’un, une après-midi, renversa leur canot. Heureusement, ils étaient près du rivage qu’ils avaient pu gagner sains et saufs en nageant.

Mais tous ces inévitables inconvénients du voyage n’empêchaient pas nos voyageurs de jouir du plaisir d’emplir leurs yeux des spectacles grandioses qui, chaque jour, se déroulaient de tous côtés. Parfois, le pays se faisait solennel et hautain. Le Nord se drapait dans son imposante dignité. En fond de scène, de grands monts dans un lointain bleuté, reposaient dans une immense sérénité. Des arbres, en rangs serrés, gravissaient des pentes qui plongeaient sur l’autre versant dans l’inconnu. Mais, de chaque côté de la rivière, sur les rives boisées, des myriades d’oiseaux, petites créatures sans prétention toujours, savaient ramener vers les voyageurs un peu de cette mobilité du paysage qui ne semblait les supporter qu’à la condition de ne pas troubler trop bruyamment les êtres vivants qui se sentaient à son contact comme des intrus. D’immenses vols semblaient se hâter, s’arrêtant, ici et là, aux bords de la rivière, juste le temps de donner un concert. Certains escarpements étaient hérissés de massifs très denses, non pénétrés encore, refuge admirable pour les ours, pensaient les hommes.

De temps en temps, dans une vaste clairière, apparaissaient les tons ternes et neutres de rocs et de blocs erratiques. Alors, les voyageurs, en quelques coups d’aviron, abordaient le rivage, descendaient, cachaient le canot dans un buisson, montaient leur tente, déballaient les paquetons à provisions, mangeaient, se reposaient un brin en fumant une pipe, puis, si la lumière du jour le permettait, se mettaient au travail. C’est-à-dire que de leurs pics, ils frappaient de coups rudes et rapides les roches qui apparaissaient à fleur de terre et dont ils détachaient des fragments qu’ils examinaient longtemps et que parfois ils enfouissaient dans des sacs de toile ; ou bien ils creusaient un peu des nappes de sable brun. Il y avait dans ces premiers piquetages des coups de pic qui leur semblaient heureux. Mais le hasard est capricieux. Et le voyage se continuait, calme et sans histoire.

Le hasard !

Maurice Bénard, pendant qu’il pique et repique les pierres, pense à ce compatriote, Fred Larose, à qui un caprice de ce hasard a fait découvrir, quelques années auparavant un des plus riches gisements du Canada. Un jour Larose, prospectant d’arrache-pied au milieu d’un terrain rocailleux, voit tout à coup passer non loin de lui un renard rouge. Le temps de l’apercevoir et Larose lançait de toute sa force son marteau vers la bête qui continua de filer et… court encore. Mais l’instrument, manquant son but, frappa un bout de roche dont quelques éclats se détachèrent. Larose, ramassant son marteau, vit briller sous un rayon de soleil ces fragments de roche. Il les examina attentivement. C’était de l’or presque à l’état natif. Fred Larose avait découvert la riche mine de Cobalt. Oh ! l’heureux coup de marteau dont cependant dans la suite le pauvre Larose ne profita guère. « Sa » mine tomba entre les mains de syndicats plus fortunés que lui qui l’exploitèrent, on sait avec quel profit.

Maurice Bénard et ses compagnons prospectèrent, ici et là, jusqu’à l’endroit où se trouve aujourd’hui Rouyn. Ils n’eurent pas la chance de Fred Larose. Ils remontèrent d’autres rivières, traversèrent encore des lacs, frappant toujours de leurs instruments de mineurs les roches qui s’avéraient receler de la « couleur ». Ils arrivèrent au grand lac Kewagama où ils durent faire un portage long et difficile qui les conduisit au lac Lamothe. De là, remontant la rivière Akegouash, ils parvinrent au lac de Montigny. Là, en face de l’Île Siscoe, ils trouvèrent du quartz qui contenait d’encourageantes veines d’or. Ils piquetèrent une certaine étendue de terrain. Mais là, ils s’aperçurent que, quelques semaines auparavant, le 4 juillet exactement, des claims avaient été enregistrés par Hertel Authier et James J. Sullivan qui avaient découvert là de l’or natif. En effet, la première découverte d’or natif dans la région abitibienne fut faite par Hertel Authier sur le terrain de la Mine Sullivan d’aujourd’hui. Le 10 octobre suivant, James J. Sullivan plantait un poteau qui marquait une découverte qu’il venait de faire à l’endroit où se trouve la Mine Shawkey. Il est vrai que Sullivan fut devancé dans le piquetage par Fred Lapalme, associé d’Alphège Leblanc. Et c’est à l’endroit où s’exploite aujourd’hui la Mine Shawkey que devait se faire plus tard la première extraction mécanique de l’or dans la province de Québec. En effet, en 1918, la « Martin Gold Mining Co » réussit en cet endroit l’extraction de quelques onces d’or au moyen d’un léger appareil de traitement installé de fortune à titre d’essai. Cette mine Martin est la Shawkey de nos jours dont les moulins traitent une moyenne de 180 tonnes de minerai par jour.

Mais revenons à nos trois prospecteurs, Maurice Bénard et les Boissonnault. Ils arrêtèrent là leur randonnée de l’été de 1911. S’ils n’avaient pas fait fortune, ils avaient eu le plaisir d’être parmi les premiers à confirmer la théorie d’une ceinture aurifère partant du Nouvel Ontario et se continuant dans le Nouveau Québec jusqu’à la rivière Bell. Cette bande minéralisée dont la région de Kirkland n’était qu’une partie et qui s’étend vers l’est dans le Québec avait été pour la première fois prospectée en 1906 par Auguste Renault, officiellement reconnu comme le premier découvreur de dépôts miniers du Nord-Ouest du Québec.

Après le passage des Authier, des Sullivan, des Bénard et autres, les découvertes se multiplièrent dans l’Abitibi minière. En 1912, un M. Smith, associé à M. Bernard, fit la troisième découverte du coin et, cette année-là, un groupe de chercheurs de diamants se rendit en haut de la rivière Nattaway ; mais ce fut sans résultat. Enfin, cette année-là encore, Joseph Tremblay piqueta une veine de cuivre à trois milles au nord d’Amos, faisant aujourd’hui partie de la « Jay Copper ».

J. Austin Bancroft, dans un rapport publié à cette époque, indique plusieurs gisements non commerciaux d’amiante découverts en 1912 au nord de la rivière Lemoyne, sur les bords du lac Kietrawisik — canton Dubuisson — et au sein de l’étroite péninsule que l’on voit à l’ouest de l’Harricana.

Encore une fois, suivons nos trois prospecteurs. Encore que légèrement moins agités par la fièvre jaune, Maurice Bénard et les deux Boissonnault avaient en vain espéré en quelques heureux coups du hasard si complaisant parfois pour les mineurs. Mais il fut jusques-là pour eux plutôt avare de ses heureux caprices. Et pourtant, au cours de cette première randonnée, ils avaient effleuré le sol de Noranda. N’importe, à leur retour, ils étaient quand même contents. Ils étaient riches de magnifiques espérances.

Un mois plus tard, Maurice Bénard céda encore, sans plus tarder, à l’irrésistible attrait de ce pays abitibien. Il y retourna avec son frère. Cette fois, il descendit la rivière Harricana jusqu’au tracé du Transcontinental, à l’endroit où devait s’élever la ville d’Amos, chef-lieu de l’Abitibi. Alors, on ne voyait là que quelques cabanes de rondins qui abritaient les ingénieurs et les entrepreneurs du chemin de fer qui descendait des vastes plaines de l’Ouest vers Québec. Ils rencontrèrent là aussi les frères Jos. et Ernest Turcotte. C’était là tout Amos en novembre 1911 : une vingtaine d’hommes et deux femmes, l’épouse de M. Bishop, ingénieur résident, et celle d’un des frères Turcotte. Mais une ville se dessinait là.

Les frères Bénard s’arrêtèrent en cet endroit. Ils décidèrent d’y centraliser leurs travaux de prospecteurs. À prix d’or, les constructeurs de la voie ferrée leur élevèrent la charpente d’une maison au bord de la rivière, côté nord-ouest. Ce fut la première maison en planches érigée à Amos. Elle s’élevait tout près d’un pan de forêt qui avait échappé à l’incendie. En attendant qu’elle fut terminée, ses propriétaires allèrent hiverner au « Peter Brown Creek » — canton Landrienne — où les constructeurs du chemin de fer avaient établi leurs quartiers généraux. Ce fut un rude hiver. D’un abri de planches et de gros carton goudronné qu’ils s’étaient construit, les deux frères partaient, parfois, pour plusieurs jours. Ils prospectaient ici et là, du sud à l’est de la région. Durant tout cet hiver, pas une seule semaine où ne sévit pas un froid de trente à soixante degrés au-dessous de zéro. La nuit, couchés sur un lit de branches de sapin, ils grelottaient, enroulés dans des couvertures disposées en sac de couchage, pendant que très souvent les rafales griffues du blizzard menaçaient à tout instant d’emporter le toit plat de leur abri. Quand, le matin, ils se levaient, les pieds à demi gelés, pour se réchauffer, ils allaient courir dans la neige. Mais on était en bonne santé.

Au printemps, les deux Bénard allaient définitivement s’installer à Harricana, Amos. Et ce fut cette année-là que naquit le chef-lieu de l’Abitibi. Rapidement, les constructions s’érigèrent. Puis, arrivèrent les premiers agents des terres de la Couronne ; puis les premiers colons : des trains entiers remplis de Jean Rivard en puissance qui s’en venaient à la conquête de la forêt, puis de la terre.

Mais, hélas ! voici août 1914. La guerre, là-bas, de l’autre côté, il est vrai, de la « grande tasse », mais qui n’en eut pas moins immédiatement ici de fatales répercussions. Arrêt momentané dans l’exploitation de la forêt, du sol et du sous-sol du territoire abitibien.

Tout de même, en 1915, les prospecteurs, que rien n’arrête, ayant continué, encore qu’avec beaucoup moins d’enthousiasme, leurs recherches, c’est près d’Amos que fut faite la première découverte de cuivre dans l’ouest de Québec. Elle fut faite, sur le lot 42, Rang 71 du Canton Dalquier, par un Canadien français du nom de Joseph Tremblay qui demeurait à Amos. Des travaux assez considérables furent faits sur ce lot, ainsi que sur les lots voisins, en 1918, par les Syndicats Campbell et Forbes, et par la « Jay Copper Gold Mines Co Ltd », en 1926, et en 1927…

Et c’est ainsi que sous le signe du quartz, jaillit, comme sous le coup de la baguette de Merlin l’Enchanteur, la jolie ville d’Amos, perle de l’Abitibi, qui, née de l’immensité déserte où l’humanité semblait à peine tolérée par la Nature, de nos jours anime de sa fébrile et prospère activité les plaines fécondes dissimulées, naguère, sous une double carapace de roc et de mousse, et sur lesquelles ont surgi près de cent villages développés avec une prodigieuse activité…

Maurice Bénard et son frère avaient été assez heureux de faire la première prospection dans le district de l’Abitibi. Les premières trouvailles étaient faites par des Canadiens français. Bien mieux, ce fut l’un des nôtres qui, le premier, aperçut dans le rocher abitibien le bienheureux filet jaune. C’était dans le haut de l’Harricana, plus précisément au lac Kienawisik — devenu le lac de Montigny — où fut, peut-on dire, le berceau de l’industrie minière de la province de Québec.

On a attribué ce mérite des premières découvertes d’or en Abitibi à James J. Sullivan qui, avec Stanley Siscoe, John Beattie et Edmund Horne, fut parmi les pionniers de l’industrie minière en territoire abitibien. James Sullivan était plutôt un intellectuel et on pourrait l’apparenter à ces écrivains nordiques dont notre « wild » a inspiré la plupart des ouvrages si populaires et qui ont été traduits en plusieurs langues en Europe : Jack London, Oliver Curwood, Stuart White, et d’autres. James J. Sullivan a parcouru pendant des années notre grand nord dont, à l’instar des indiens qu’il connaissait et qui furent ses amis, il savait tous les secrets. Dans ses randonnées, il apportait ses livres favoris que sous sa tente il dévorait comme, lorsque la faim le talonnait, le « corn beef » de son baluchon à provisions. Il s’était même inventé une sorte de pupitre mobile qui lui permettait, pendant qu’il était allongé sur son lit de camp, de lire et de prendre des notes. Il s’était fait à tous les métiers de la forêt ; il fut garde-chasse, garde-feu, chasseur, trappeur et prospecteur. C’était un homme d’action qui observait par goût, qui avait la curiosité et l’amour de la vie. C’est sous le signe, oserions-nous dire, du piquetage qu’il acquit la renommée. Après avoir participé aux premières découvertes d’or de l’Abitibi, il se construisit un « camp » à l’endroit où est aujourd’hui la mine qui porte son nom et où il vécut pendant plusieurs années. Il réside aujourd’hui à Montréal et on espère que, comme tous les grands prospecteurs, voyageurs, navigateurs, il nous fera un jour, déguster le régal de ses mémoires.

Avant de reprendre le récit que nous avons commencé, ne serait-il pas à propos de connaître quelque peu les résultats, nous dirions directs, des découvertes définitives de James Sullivan en Abitibi, comme nous ferons connaître plus tard celles de Stanley Siscoe à l’occasion de sa mort tragique et celles des découvreurs du Témiscamingue minier.

À la vérité, la mine Sullivan n’est pas au premier rang des mines d’or du Nord-ouest de Québec, mais elle n’en est pas moins importante depuis qu’on l’exploite sérieusement et avec profit — 1936. Sa production sérieuse ne date que d’avril 1934 alors que le moulin qu’on y avait construit ne traitait que tout au plus cinquante tonnes de minerai par jour. Mais deux ans plus tard, on avait augmenté sa production à cent quinze tonnes et, en 1937, à cent cinquante. Le minerai n’était alors extrait que des cinq premiers étages des puits. Les ingénieurs de la mine, en 1938, affirmaient que la réserve du minerai localisé suffisait pour une exploitation régulière d’au moins deux années à venir, à cent cinquante tonnes par jour. En juin 1938, on terminait le creusage du puits principal à 1,150 pieds, ce qui justifiait les directeurs de la compagnie d’augmenter la production des moulins à 250 tonnes, deux cents de plus que sa capacité initiale. James Sullivan, selon son dernier rapport, a payé trois dividendes de 2½ par part, deux en 1937 et le dernier le 15 juin 1938.

Beaux résultats encourageants pour l’avenir ; et l’avenir s’annonce, en effet, sous des couleurs de rose…

C’est par la rivière Kinojévis que remontèrent les deux premières familles blanches établies à demeure en Abitibi. C’était la route suivie par les sauvages dans leurs incursions vers l’Harricana et la Baie James. À leur suite, des missionnaires, des chasseurs, des géologues et des prospecteurs battirent les mêmes sentiers pour se rendre aux mêmes lieux…

Et ce siècle avait dix ans quand, dans le haut de l’Harricana, des ingénieurs établirent leurs cabanes de tôle ondulée pour continuer, comme on l’a vu plus haut, la construction du chemin de fer Transcontinental, destiné selon les vastes vues de Sir Wilfrid Laurier à relier Québec aux provinces de l’Ouest. Aux rôdeurs et aux chasseurs succédèrent des hommes de peine, des terrassiers, puis des colons attirés par la bonne qualité du sol. Enfin arrivèrent les prospecteurs.

Nous avons vu Maurice Bénard et ses compagnons, les Boissonnault, remonter en 1911 la Kinojévis et l’Harricana pour aller prospecter le canton Cadillac d’aujourd’hui. À son tour, cette année-là, en juin, James J. Sullivan partit lui aussi d’Haileybury, en voyage de prospection pour le compte d’un petit syndicat minier où il était intéressé. Il était accompagné d’Hertel Authier, cousin de l’ancien député de l’Abitibi, ministre de la Colonisation dans le dernier cabinet Taschereau, M. Hector Authier, qui fut aussi premier agent des terres de la Couronne pour l’Abitibi. En canot, Sullivan et Authier montèrent au lac Kienowisik, puis par les lacs Kewagaura et Seal’s Honie — aujourd’hui Malartic. Ce n’était pas la première remontée de l’Harricana que faisait James J. Sullivan. En 1907, revenant d’une expédition d’arpentage dans les parages de la Baie d’Hudson, il avait parcouru cette rivière jusqu’à un dépôt de provisions que tenaient pour les terrassiers du Transcontinental, Josaphat Lapierre, à l’endroit où se trouve aujourd’hui, à Amos, le moulin de Frank Blais. Sullivan était sorti de la forêt par le Kienawisik. Il avait observé, aux environs de ce lac, la formation géologique du terrain. Il avait même poussé l’optimisme jusqu’à y soupçonner de la « couleur ». N’ayant pas le temps de s’attarder à des recherches, il avait, non sans répugnance, car un prospecteur dormait en lui, passé outre, se promettant toutefois de saisir la première occasion qui se présenterait à lui pour revenir en ces lieux, cette fois en qualité de prospecteur.

C’est ce qu’il fit en 1911, comme on l’a vu, avec Hertel Authier qu’il avait rencontré un peu auparavant à Cobalt. Le 4 juillet, alors que leur canot longeait la rive est du lac Kienowisik, leur attention fut soudainement attirée par un caillou qui, sous les rayons d’un beau soleil d’été, jetait, tout au bord d’une petite baie, des reflets hallucinants dans l’esprit du prospecteur. Ayant mis pied à terre et jeté quelques coups de pic ici et là, ils découvrirent un filon de quartz d’à peu près un pied de largeur et qui leur paraissait présenter toutes les apparences d’une prometteuse veine aurifère. Ils dressèrent aussitôt leur tente sur la pointe du lac où se trouvent aujourd’hui les principales bâtisses de la mine Sullivan. Le lendemain, 5 juillet…

Nous laissons, ici, la parole à M. Sullivan lui-même qui, dans une lettre qu’il écrivait à M. Hector Authier, raconte les circonstances de cette première découverte d’or en Abitibi :

« Le lendemain, 5 juillet », écrit-il, « pendant que je taillais un poteau de découverte, Hertel Authier, cassait de la roche dans la veine et y trouvait de l’or natif ; de sorte que c’est à Hertel Authier, aujourd’hui de Boston Creek, Ont., que revient l’honneur d’avoir, le premier, trouvé de l’or dans ce district. »

Voilà, certes, de la part de James J. Sullivan, un acte de franchise, de justice, de « fair play » britannique qui lui fait honneur…

Quelques semaines plus tard, en septembre, on a vu Maurice Bénard et ses amis piqueter un claim sur la pointe du lac de Montigny — Kienawisik — à l’est de la partie nord de l’Île Siscoe, et y faire la deuxième découverte d’or en Abitibi.

Mais… il y a toujours des « mais » ; mais les Authier, les Sullivan, les Benard, les Boissonnault furent-ils bien les tout premiers découvreurs des mines aurifères de l’Abitibi ? Il y aurait à émettre, ici, un toujours troublant point d’interrogation.

« Larose » — Fred Larose auquel nous avons plus haut fait allusion, « Larose », écrit Émile Benoist dans « L’Abitibi, pays de l’Or » « avait à peine découvert, en 1904, la mine célèbre à laquelle il donnait son nom, dans la région de Cobalt — on se rappelle le marteau et le renard rouge, — Porcupine, Larder Lake et Kirkland Lake commençaient à peine d’être connus que des prospecteurs canadiens-français de Ville-Marie, capitale du Témiscamingue, notamment Olier et Ranault, — Auguste — faisaient des découvertes dans les Cantons de Beauchatel et de Dasserat, pas loin de Rouyn. À cause des difficultés de communications, de la pauvreté des moyens de transport, cela n’eut pas de suite, pas plus que d’autres découvertes du temps, dans le voisinage du lac Fortune, près de la mine « Arnfield » d’aujourd’hui. »

Nous verrons, plus loin, le mérite des découvertes « témiscaminguennes », oserions-nous dire, d’Auguste Renault, le pionnier de l’industrie minière du Témiscamingue…

Mais il est indiscutable que c’est Hertel Authier qui fut le premier découvreur de la « couleur » en territoire abitibien…

« Tout cela indique toutefois », écrit encore Émile Benoist, « que les Canadiens français ne furent pas lents à se mettre à l’exploration du Nord-ouest québécois. Ils furent de ceux qui coururent les anciennes routes du bassin de la rivière des Outaouais ».

Revenons en Abitibi avec James J. Sullivan qui n’a pas fini ses piquetages. Toujours en l’année 1911, le 16 octobre, il plantait un autre piquet de découverte, cette fois sur le terrain qui fut dans la suite la propriété de la « Martin Mine » devenue aujourd’hui la « Mine Shawkey », la première à posséder dans la province de Québec, ses ateliers.

La « Shawkey Mine » est l’une des plus anciennes mines de Québec. On l’exploita toujours avec difficulté mais en définitive avec un certain succès puisque, d’après le dernier rapport qui nous en est parvenu, on y annonçait une production d’or de $800,000 depuis 1936, date de sa mise en sérieuse exploitation. Alors, on estimait que cette mine avait franchi la période difficile. Les difficultés de son exploitation souterraine n’avaient pas jusqu’alors permis de bénéficier d’aucun profit. À la fin de juin 1938, la teneur du minerai qui était de $7.50 permettait d’alimenter le moulin pendant plus d’un an.

Revenons encore à notre sympathique James J. Sullivan. Comme c’est le cas de maints prospecteurs, il se fit, un jour, jouer un assez mauvais tour. Peu de temps après avoir planté son poteau de découverte à la mine Shawkey, il partit pour un voyage de chasse au lac Long. La chasse était, si l’on peut dire, son violon d’Ingres. À son retour, il apprit qu’un Monsieur Lapalme, prospecteur de Porcupine, était venu à son « campe » et, à la suite de certaines informations qu’il obtint d’un nommé Charlebois, employé de M. Sullivan, avait piqueté à son tour ; puis il réclama le terrain. M. Sullivan dut abandonner la place. On jugea qu’il n’avait pas au préalable suffisamment piqueté son claim. Lapalme était alors associé à Alphonse Leblanc à qui, un peu plus tard, il vendit sa part. Leblanc fut le premier à effectuer des travaux sur cette propriété qu’il vendit, peu après, à Paul Martin et à ses associés.

C’est sur ce « placer » que fut faite la troisième découverte d’or natif en Abitibi ; et rappelons, en passant, que cette troisième trouvaille en territoire abitibien, à un mille environ de la mine Sullivan, fut faite par M. Smith, qui était alors associé à Maurice Benard dont nous connaissons les randonnées…

L’élan était donné dans cette partie de l’Abitibi. Ce ne fut pas, à la vérité, une répétition de la ruée alaskienne de 1898, mais les prospecteurs ne manquèrent pas qui suivirent les pionniers et firent vite grandir les entreprises minières. Dans l’hiver de 1913, une partie de l’Île connue sous le nom de Siscoe fut piquetée par deux Allemands du nom de Gehert et Hasa. L’été suivant, un M. Yorrick, de Cobalt, et Stanley Siscoe, de Gehert et Hasa, entreprirent des travaux d’exploitation sur cette île. Mais ce n’est que deux ans plus tard que la bonne veine du lac de Montigny, celle qui fut exploitée, fut découverte par Stanley Siscoe et quelques-uns de ses compatriotes polonais.

Toutes les autres découvertes d’or, dans cette région de la vallée de l’Harricana, furent faites après celles que nous venons de rapporter, excepté peut-être celle de la propriété Saint-Germain Sale qui date de 1913.

Jusque là, on peut dire que les nôtres ont tenu bon dans cette course pacifique aux placers de l’Abitibi. Un peu partout ils furent les pionniers et ce furent eux qui, découvrant les anciennes routes de la vallée de l’Outaouais, les montrèrent aux autres, à ceux qui, grâce au nerf de la guerre qu’ils possédaient, eurent vite fait surgir des villes où les nôtres avaient découvert les premiers effleurements. En territoire abitibien, ces premières trouvailles du minerai de couleur constituaient une heureuse conquête de l’homme sur la forêt ; et de la part des prospecteurs, ce fut un rôle d’une importance capitale. Il n’y a pas que la poésie qui jaillit du sol ; il n’y a pas non plus que la « graine de pain », la première, il est vrai, celle qui, d’abord, commence par nourrir l’Humanité. Il y a aussi, dans le riche sous-sol canadien, l’or qui n’aura peut-être jamais assez de poids pour acheter ce qui se dégage de la grande nature laurentienne de charmes poétiques, quand les rayons du soleil chantent en chœur sur la terre un éternel motif d’une harmonie très douce, mais qu’il faudra, coûte que coûte, avoir, nous dirions, sous la main, des pauvres comme des riches ; qui manque d’ampleur ; qui n’a probablement pas le souffle de l’épopée, le charme du poème, mais qui constitue tout de même notre joie de vivre et de jouir aussi de tous les charmes de notre complexe vie humaine.