Souvenirs d’une cocodette/Amie Lectrice
AMIE LECTRICE
i, d’aventure, tu étais bégueule, ou
seulement tant soit peu prude, garde-toi,
comme de la peste, d’ouvrir ce
livre et d’en parcourir une ligne. Il n’est pas
fait pour toi. Tu n’y comprendrais rien. Mais
si, comme je l’espère et le souhaite, tu es une
femme charmante, douée d’autant d’intelligence
que de bon sens, ayant l’expérience du monde,
et connaissant au moins les plus mignons
des secrets de la vie, si, de plus, tu ne recules
pas, pour te distraire, devant quelques heures
passées en tête-à-tête avec un auteur dont toutes
les actions, tous les travaux, toutes les pensées
n’ont jamais eu d’autre but que de plaire à
ton sexe… oh ! alors, ne crains pas de lire, et
même de relire le récit attachant que je place
ici sous tes yeux. J’ose te promettre qu’il te rappellera
plus d’une émotion de ta jeunesse, et te
présentera le miroir fidèle des sentiments, des
sensations, des émotions, peut-être même de
quelques-uns des événements qui ont dû traverser
ta vie.
Et si, cette fois, malgré l’esprit dont tu es douée, tu t’étonnes de trouver dans cette peinture un peu plus de liberté qu’on n’en accorde de nos jours aux malheureux auteurs, ne te scandalise pas, je te prie. Considère d’abord que la nature de cet ouvrage commandait certaines privautés de style ; ensuite souviens-toi que les plus beaux génies de la langue française : Montaigne, Montesquieu, Voltaire, Molière, La Fontaine, et tant d’autres ! n’ont pas plus reculé, pour doter l’Univers de leurs impérissables chefs-d’œuvre, devant la hardiesse du langage que devant la licence des sujets.