Souvenirs de 1848/2/11

La bibliothèque libre.
Calmann Lévy, éditeur (p. 371-374).



XI

PRÉFACE
AUX
QUATORZE STATIONS DU SALON DE 1889


PAR
ZACHARIE ASTRUG


Ce résumé rapide, original et hardi du Salon de 1859 a été publié dans le Quart d’heure, Gazette des gens à demi sérieux, une jeune revue courageuse et fraîche d’idées, forte de sentiments. C’est l’œuvre de trois jeunes gens dont l’union consolide l’énergie. Des motifs de reconnaissance personnelle que nous ne voulons pas nier et d’autant plus vifs que ces jeunes gens nous sont inconnus, ne nous aveuglent cependant pas, et c’est avec impartialité et liberté entière de la conscience que nous applaudissons des tendances généreuses, soutenues par le travail, le cœur et le talent : trois belles choses qui font grandir vite et que Von ne rencontre pas souvent d’accord. L’un de ces jeunes gens a entrepris de parler peinture. Sous une forme neuve, pleine d’allure et d’entrain, il a jeté là sa sève, comme il l’eût jetée ailleurs. Nous partageons beaucoup de ses idées sur l’art. Comme lui, nous avons chéri et admiré, au Salon de cette année, les œuvres de Delacroix, de Corot, d’Hébert, de Fromentin, de Pasini et de plusieurs autres maîtres déjà consacrés ou nouvellement acclamés : mais, comme, sauf les œuvres capitales, nous n’avons pas eu le loisir de voir attentivement cette exposition, nous n’avons pas le droit d’endosser la responsabilité de tous les jugements de M. Zacharie Astruc. Notre mission n’est d’ailleurs pas de parler peinture ici et de discuter quoi que ce soit. Appelé à apprécier le mérite littéraire de cette critique, nous avons à dire qu’elle nous paraît surtout une œuvre de sentiment. Nous l’avons lue avec un très grand intérêt, parce que nous y avons trouvé de l’esprit, de la grâce, de la gaieté, du sang, des nerfs, de la poésie, de la vie enfin. Et que veut-on de plus et de mieux ? Il y a là l’exubérance du bel âge et du tempérament méridional, un peu d’enivrement de soi-même qui ne déplaît pas, et beaucoup de zigzags pleins d’humour qui réjouissent et reposent.

L’écrivain est artiste de la tête aux pieds. Il juge avec son émotion propre, avec son imagination chaude, avec son appréciation personnelle qui ne redoute rien et personne, avec son ardeur et sa franchise d’intentions. C’est un littérateur qui se passionne et qui n’affecte pas les connaissances techniques. Il compare surtout ce que la réalité des êtres et des objets lui fait éprouver avec l’interprétation que l’art met sous ses yeux. Ne faisons-nous pas tous comme lui quand nous ne sommes pas praticiens dans l’art qui nous charme ? et où trouverons-nous de plus aimables ciceroni que ceux qui voient et sentent vivement. Quand même nous ne serions pas toujours de leur avis sur la chose jugée, n’aurions-nous pas, en revanche, un plaisir extrême à nous promener en rêve dans ces tableaux que leur fantaisie nous trace ?

C’est un déshérites frappants du livre de M. Zacharie Astruc. Un monde de couleurs, de formes, d’idées, de compositions, tourbillonne dans son style et déborde ses discussions. Que le peintre dont il nous parle le ravisse ou le fâche, il lui arrache sans façon sa palette, et le voilà de peindre à sa place. C’est-à-dire qu’à l’aide d’un autre art, la parole, il explique ou refait à sa guise le sujet traité par le pinceau. Ses tableaux sont charmants, donc on les accepte ; charmants aussi les dialogues qu’il établit entre les personnages, et même entre les objets représentés sur la toile. On sent là une heureuse prodigalité de talent et l’amour du beau poussé jusqu’à l’enthousiasme.

Nohant, 19 août 1859.