Souvenirs de la Basse Cornouaille/Livraison 2/01

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I

La Fontenelle dévastateur de la Cornouaille

PROLOGUE

Auprès des générations du XVIe et du XVIIe siècle la terreur inspirée par le nom de la Fontenelle, se maintint vivace, les légendes et Guerz de l’époque sont là, pour le dire.

Les tristes désastres occasionnés par la ligue s’effacèrent devant la figure de ce génie du mal, du meurtre, de la rapine et de la cruauté. Cette ombre s’obscurcit elle-même, dès le XVIIIe siècle, pourquoi ? Parce que la fin du XVIIe siècle eut aussi de déplorables excès, la Terreur, la chouannerie dans ses mauvais jours, firent confondre des faits, des actes de cruauté, de vengeance personnelle souvent, qui en somme ne furent que la répétition des mêmes cruautés.

Cependant la mémoire de La Fontenelle est restée : c’était, qu’on me permette l’expression, l’histoire de Croquemitaine, notre enfance a été bercée par ces histoires. Mais, conséquence inéluctable de tout ici bas, les années, trois siècles, je puis le dire, ont amené confusion dans les événements intéressant la Basse Cornouaille, le théâtre de cette vie de sang, de duplicité, de rapine et d’audace, un travail nouveau s’imposait, pour éliminer des faits, pour scruter avec soin la vie si courte du partisan qui mourut à 28 ans. J’ai communiqué mes hésitations à un écrivain de grand talent… ses ouvrages ont eu plusieurs éditions qu’ils méritaient… Monsieur A. Le Braz, auquel je communiquais mes hésitations (on n’ignore pas que les travaux sur la Bretagne ont dirigé ses études) comprit bien les difficultés du sujet. Avec la plus grande courtoisie il me dit : Je vais vous mettre en rapport avec un lettré dont la vie s’est passée à compulser les archives…

Un simple billet d’introduction, me conduisit vers un excellent homme, un vénéré savant que nous avons eu le malheur de perdre il y a quelques mois. Monsieur Luzel, archiviste à Quimper… il est mort regretté de tous dans tous les partis.

Ce vrai savant breton, m’accueillit avec la plus grande bienveillance, et après quelques mots sur l’importance du sujet : Avez-vous, me dit-il, les loisirs et le temps d’un bénédictin. Je veux vous parler franchement, il faudrait lire, Dom Morice, Dom Taillandier, Dom Lobineau, d’Argentré, etc., et ceux-ci eux-mêmes n’ont fait que commenter la chronique sèche, aride de votre compatriote, le chanoine Moreau, qui fut en quelque sorte Curé de Pont-Croix.

Ils ont bien puisé dans le procès de 1602, mais vous ne l’ignorez pas, ce procès ne fut pas exempt de passion.

Dans la Basse Cornouaille, on ne rencontre que des souvenirs d’actes cruels, atroces, tandis que dans le pays des Côtes-du-Nord, à Paimpol, à Tréguier, à l’île Bréhat, en un mot dans tout ce pays que je connais si bien, on ne trouve que des louanges à la mémoire de Guy Éder.

Il y a donc eu deux phases dans sa vie, vie si courte cependant.

Son histoire en Basse Cornouaille est obscure, eh bien ! faites comme les autres, brodez un roman ; et je vois encore le bon rire du vieillard qui me parlait, m’avouant que je ne trouverais rien dans les archives, et que personne ne pourrait me contredire…

Il est bien facile de donner ce conseil : faites un roman ! Mais pour fabriquer un roman sur un sujet obscur, il faut deux choses essentielles… d’abord du style et de l’imagination.

Du style ! mais tout le monde peut en avoir quand on veut rester simple… un bon point pour moi, qui sans ambages, prétends à la simplicité et qui m’en fais un titre de gloire… Quant à l’imagination… n’en a pas qui veut… et le style, si simple qu’il soit, s’arrête devant des phrases qui ne veulent pas venir…

Je me contenterai donc de ce que j’ai pu glaner, dans la Basse Cornouaille ; si je réussis à intéresser les lecteurs, si j’en ai, en me tenant à la réalité des faits, je serai heureux et mon but sera atteint.

Un style simple obtient une indulgence que n’obtient pas le style prétentieux.

Et s’il est vrai de dire, que le style c’est l’homme, on aura bien jugé.

Je pourrais là-dessus citer quelques vers d’Horace, mais alors ! alors on dirait que je donne un démenti à ma plume, et je n’y tiens pas.

Seulement je dois faire remarquer qu’aucune liaison ne peut avoir lieu, ne peut se rencontrer, je veux bien le dire, dans une narration de cette vie d’aventure. On le peut dans un roman, on le peut dans l’histoire, mais alors, on a des données précises, parce que les faits s’enchainent… Je ne présenterai donc que des tableaux en suivant des données historiques.

Jour de la Pentecôte, 2 Juin 1895.
Nous sommes en 1895 : Trois cents ans nous séparent de ces époques troublées, qui virent le triste gouvernement du Valois et la Ligue… Les événements se passent de 1590 à 1602.

La bonne Duchesse était regrettée en Bretagne, on aimait encore ces Ducs tout puissants qui avaient du sang Breton dans les veines… Le Français n’était pas encore l’ami… Dans bien des cœurs un antagonisme secret existait… Quelques villes seules avaient quelques rares adhérents à la réforme, qui ne s’était pas étendue dans la province.

La France se trouvait livrée au mauvais vouloir des royaux, des ligueurs des huguenots, des espagnols et surtout des moines et chanoines, qui avaient une voix prépondérante dans les affaires du temps… Un mot plus tard fut inventé, qui résumera ma pensée, et ce mot ne fut inventé qu’un siècle plus tard… une pétaudière

Comme une propriété divisée par les escrocs et la justice, incendies, surprises, pillages, viols et félonies, tout était moyen de persuasion, par lesquels, on ramenait le peuple à la fidélité à son prince et à son Dieu.

La contrée était infestée de brigands de toutes armes, sous toutes bannières, égorgeant, criant, Lorraine ou Henri, Navarre ou Jésus… purs prétextes… religion et royalisme, comme en beaucoup d’autres temps étaient des moyens de faire valoir des prétentions ambitieuses, ou des prétextes pour les déguiser…[1] La Bretagne montra beaucoup de modération. Avec beaucoup de résistance, la Bretagne entra dans la ligue. Avec beaucoup de répugnance plusieurs villes entrèrent dans le parti, et si plus tard, on la vit une des dernières se ranger sous les lois de Henri IV, c’est qu’un prince ambitieux, Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, était parvenu à force d’adresse à lui faire un devoir de sa rébellion… ne leur disait-il pas : La conservation du culte de vos pères, doit être plus sacrée à vos yeux, que les droits de Henri de Navarre, huguenot… Âgé de 24 ans, beau-frère de Henri III, il fut nommé gouverneur de Bretagne… Il était jeune, il était ardent, n’était-ce pas assez pour voir germer dans son âme des pensées ambitieuses ? Ne pouvait-il pas arriver premier ? D’abord fidèle à Henri III, il soutint l’attaque des huguenots. Mais ensuite le mauvais état des affaires de la ligue faiblement dirigée, ne permettant plus ni d’espérer ni de craindre la domination du pouvoir légitime, ne valait-il pas mieux agir pour son propre compte ? Logique d’un homme ambitieux et hardi.

En somme sans l’avouer, chacun conservait son but secret… Crimes, pillages, dès lors qu’il n’y avait plus d’autorité, se perpétraient en Bretagne.

De pâles récits jusqu’ici ont été faits sar cette division d’ambition… Souvenirs restés dans l’état vague, et beaucoup confondent dans leur esprit, des faits, des légendes, des épisodes, des crimes, que l’on met au compte de 1793… les buts n’étaient pas les mêmes cependant.

La ligue eut un prétexte religieux. Lisez les écrivains de l’époque. Il fallut la main de Dieu pour sauver la vieille France.

Les vertus des ligueurs n’y furent pour rien. La Révolution vit les excès : on ne saurait le nier, le réveil du peuple fut terrible, bien pardonnable somme toute… Que de passe-droits à venger, que de droits à acquérir, que d’injustices à réparer, que de situations à niveler… Le vent soufflait à la liberté : pouvait-on y parvenir sans quelques écarts… pour obtenir la liberté, l’unité dans l’ordre suivant les expressions de Lacordaire, des éliminations étaient nécessaires.

Dans notre pays, on se tairait sur la ligue si le nom de La Fontenelle n’était pas là, bien obscure il est vrai son histoire, puisqu’elle n’a su que donner quelques romans historiques… Mais combien dans ce mode, il est difficile d’atteindre le talent de Walter Scott, maitre de genre, Il sait nous faire revivre aux temps qu’il dépeint, il dessine les mœurs de l’époque… ajoutez-y le langage, et vous croirez vivre au milieu d’eux.

Ici les matériaux ne manquent pas… Dom Morice, St-Luc, Dom Lobineau, Ogée, d’Argentré, le chanoine Moreau ont laissé des détails… Le chanoine Moreau, enfant du pays, est le plus à même de nous renseigner… Aussi est-ce chez lui que les écrivains ont tous puisé… autrement fallait-il recourir à de grandes compétitions qui n’ont plus le style de notre temps. Restons donc à notre pays, nous retrouverons des localités que nous connaissons, les noms de quelques familles connues. Quand La Fontenelle disparut à la suite de l’amnistie, plusieurs ligueurs sont restés parmi nous, dans nos campagnes et ont fait souche… Allez donc, ethnographes, chercher une homogénéité dans les races… Sans aller plus loin, à l’époque de la Révolution, à l’époque des guerres de l’Empire, le même fait s’est reproduit, et je connais tels et tels de ma ville natale qui ont leur origine à Lyon, en Auvergne, en Picardie. Toujours est-il que ces faits moins nombreux autrefois, se produisirent à la suite de la ligue.

Je suis témoin d’un exemple récent qui donne raison à ma thèse. Il y a une dizaine d’années. deux cultivateurs fort âgés l’un et l’autre avaient une chaude discussion d’intérêt et de voisinage.

Ils allaient presqu’en venir aux coups… À bout d’invectives, avec un geste de souverain mépris, l’un d’eux lança à son adversaire ce suprême dédain en langue bretonne… Race Fontenellet… descendants des ligueurs de La Fontenelle… Ce fut assez pour faire abandonner la place, et la paix ne fut pas faite… Quelques jours après, je demandais explication de cette injure.

Quoi, vous ignorez, me dit l’insulteur ? Je tiens de mon père que vous avez connu et qui est mort fort âgé, cette famille est de la lie de La Fontenelle, race de brigands… Ne voyez-vous pas comme ils sont querelleurs dans cette famille, combien tous ils sont vindicatifs, combien ils ne sont pas bretons… Ensuite il me fit une énumération de quelques maisons connues dans le pays, et dont je n’avais songé à scruter l’origine… Jamais je n’avais remarqué qu’ils fussent plus processifs que les autres gens du Cap Sizun. Les noms seulement différaient, avaient une terminaison française… Ceci me prouvait cependant que malgré les années, les souvenirs n’étaient pas entièrement effacés.

Les archives restant muettes pour certains faits, donnons malgré tout, une biographie de La Fontenelle, mais exacte celle-ci.

En 1589, un jeune gentilhomme breton, âgé de 15 ans, s’échappe du Collège de Boncourt, troque avec les juifs sa robe de chambre et ses livres de classe, contre un poignard et une épée. Il part seul à pied pour Orléans où se trouvait le duc de Mayenne soutenant le parti de la ligue… Peu de mois après, cet enfant de 15 ans, commandait à plus de 3,000 hommes, son nom devenait cri de guerre, il ruine les campagnes de la haute Bretagne, puis il termine par celles de la Basse Cornouaille.

La ligue éteinte, il disparaît un instant pour reparaître accusé faussement dans la conspiration du Duc de Biron. Il est jugé, condamné, exécuté à Paris en 1602.

La courte biographie que je donne de ce dévastateur de la Cornouaille, est celle de… Guy Éder de Beaumanoir de Lavardin, Baron de La Fontenelle… Cet homme qui en si peu d’années, dans une carrière si étrange, partout déploya une énergie indomptable : on le connait sous le nom de La Fontenelle.

Parti de Paris pour Vannes, c’est ici que nous le prendrons. À un quart de lieue de Vannes, il existait une colline dominant cette ville antique. Cette cité a une grande histoire… n’est-ce pas de son sein que partirent sous la conduite de Bellovèse, ces hardis marins qui s’en furent fonder Venise, 950 ans avant J.-C. ? Longtemps elle résista aux légions de César… Terribiles sunt britonnes, quando dicunt, Torrebenn.

Reportons-nous à cette colline, à une nuit du 8 août 1589… Un grand nombre d’hommes sont réunis sous un bouquet de sapins, tous plus ou moins armés, plus ou moins équipés. Il y avait complot évidemment. Des éléments hétérogènes le composent. Tous ils sont de divers endroits de la Bretagne bretonnante, et de dialectes plus ou moins différents.

Kermélec, mercier de Vannes se présente introduisant un jeune homme, mieux équipé que les autres. Son costume est plus brillant, sa toque est surmontée d’une aigrette rouge, une épée pend à son côté, à une ceinture qui dessine une taille svelte et élégante… Cependant le costume paraît usé, fatigué par un long chemin. Le jeune homme prit l’attitude d’un spectateur indifférent. Son visage, malgré son extrême jeunesse, exprime un sentiment profond de réflexions, dominées par une pensée aventureuse, hardie. — Kermélec se faisant place, vivement entre au centre du groupe, et dit d’une voix forte… Henri de Valois, est mort assassiné par un F. Jacobin, Jacques Clément… le 1er août au matin, il laisse sa couronne à Henri de Navarre, qu’il a salué roi de France… On savait que Kermélec revenait de Paris.

Ces quelques paroles laconiques imposèrent un moment de silence.

Tout allait donc finir pour eux, voilà le résultat.

Aussitôt un homme d’une trentaine d’années, ayant la tournure d’un marin d’allures décidées, prend la parole.

Il se nommait Jérôme Kervel, était de Douarnenez. Sa première profession avait été la pêche, il s’était jeté dans la ligue, sans avoir de convictions religieuses, comme les autres qui l’accompagnent il était pillard et débauché.

Les hobereaux de campagnes, les fins bourgeois étaient en grande partie restés chez eux. La masse des ligueurs était formée d’un ramassis de Douarnenez, Quimper, et des campagnes environnantes.

Jérome Kervel avait la voix forte, dominant la foule, et dans un langage moitié breton, moitié français il dit :

Ah merci, Kermélec, la mort de Valois met fin à nos incertitudes… vides sont nos bourses par suite des mauvaises affaires des princes, et ceux-ci sont toujours funestes au pauvre peuple.

La ligue au profit de Mercœur n’est plus une bonne source, nous le savons tous, puisque nous allions l’abandonner. Si le Duc triomphe, serons nous plus riches, non, nous resterons toujours aussi pauvres aussi malheureux (paoul ato) nous resterons ses vassaux, s’il est battu ce sera la même histoire… nous serons les vassaux du vainqueur (paoul ato).

Eh bien, notre sûreté l’exige, restons ligueurs, puisque nous le sommes, mais soyons ligueurs pour notre propre compte comme nous en avons formé le projet.

Seigneurs huguenots, seigneurs catholiques, tous boivent, mangent, s’engraissent, s’enrichissent au dépens du pays, et le pauvre pays est ruiné et ne peut suffire à notre industrie.

Faisons comme eux et pillons… Le roi de France est loin, et si un jour il vient à nous, nous serons forts et riches, alors nous ne céderons qu’aux promesses d’argent et d’amnistie.

Choisissons un chef, un capitaine parmi nous (a dus tu), et en guerre aussitôt, il n’est que temps vous le savez bien.

Il paraît que c’était dans les projets du complot, car ils furent unanimes… oui un chef, un capitaine qui guerroiera au nom de Mercœur.

Sans attendre, Kervel ajouta… Ce chef sera moi, si vous le voulez… Il paraît que le marin n’était pas aimé, car un murmure significatif fut la réponse… C’était un refus. Ah dit un gaillard déterminé… Qui es-tu, Jérome Kervel, pour nous commander, nous voulons bien marcher mais pas sous tes ordres… Tu connais ta baie, tu connais tes côtes, tes salaisons… tu portes un poignard, tu as une arquebuse, et après ? Qui de nous n’en a pas ? Tu n’auras pas ma voix.

Vraiment, Michel Tanguy, crie le pêcheur : Pour toi, tu ne comptes pour rien ici… Le premier, tu devrais faire silence (peoc’h, peoc’h) toi, ton père était huguenot, et ta mère ne t’a fait catholique que pour vivre de l’église par la ligue… Il fallut séparer les deux ligueurs jaloux, car ennemis depuis longtemps ils allaient en venir aux mains… L’assemblée surexcitée cria de nouveau… un chef, un maître auquel nous obéirons tous.

Le jeune homme à plumet rouge, resté jusque-là impassible lève la tête, et tirant son épée du fourreau, repoussa un des assistants, et se mettant au milieu du cercle : Ce sera moi, votre chef compagnons.

À la surprise que causa cette exclamation, tous le regardèrent étonnés… néanmoins un peu d’admiration se manifesta. L’air audacieux et ferme de Guy Eder parlait en sa faveur. Kervel ambitieux déçu, ricana… Jeune page, qui es-tu ? Tu ne portes les couleurs, ni de France ni de Bretagne, peut-être, es-tu pour les espagnols, et don Diego Brochers est-il débarqué au Blavet ? T’envoie-t-il prévenir Nicolas Aradon, gouverneur de Vannes, qu’il est temps d’aller reprendre Hennebont ? allons, parle donc… veux-tu nous enrôler sous les bannières espagnoles ?

Kervel ne fut pas interrompu par un rire bruyant, car la tenue du beau cavalier avait fait impression, aussi ajouta-t-il simplement… Kermélec, tu es un brave de vieille date, ligueur endurci, incapable d’une trahison : Quel est cet étranger que tu amènes, et qui veut de suite commander à des Bretons… Il faut un Breton pour des Bretons, et tous nous sommes Bretons ici… Guy Eder, s’était croisé les jambes, restant immobile appuyé sur son épée dont la pointe était à terre.

Le mercier répond sans hésiter.

Je revenais de Paris, comme vous le saviez tous. Depuis Rennes cet étranger a fait route avec moi, jusqu’à Vannes, où il venait pour rejoindre les troupes du Duc… Pendant une nuit, trois soldats royaux nous ont surpris, attaqués, en nous barrant le passage insolemment, je me croyais perdu forcé d’abandonner rançon… mon jeune homme a dégainé, j’ai entendu le heurt d’une épée, ce ne fut que l’affaire d’un instant… et mon compagnon m’a dit sans porter secours aux royaux… Mes armes sont bonnes, j’en remercierai les juifs qui me les ont vendues… partons ! la route est libre… Nous nous sommes éloignés à la hâte, et mon compagnon m’a demandé l’état des affaires, et l’hospitalité, il est digne de nous je vous assure, audacieux et brave entre tous… je lui ai parlé de notre rendez-vous sur la colline, et il m’a accompagné… Et se retirant, Kermélec s’en fut prendre place près du beau jeune homme.

La troupe impatientée, criait toujours… Nommons un capitaine pour nous commander, et ils regardaient le beau gaillard de 15 ans, car ils avaient reconnu en lui un homme supérieur, digne d’être à la tête des ligueurs hardis comme eux, déterminés comme eux à tout… Ce chef ce sera moi, vous dis-je, dit Guy Eder. Je suis Breton, je me nomme Guy Eder de Beaumanoir de Lavardin, baron de La Fontenelle, je vous promets la victoire, le pillage, la fortune, moi aussi je veux vivre, je saurai mourir pour vous, si vous savez mourir pour votre chef, et ce chef je veux l’être : je le serai.

L’assemblée était électrisée, spontanément, trente épées, autant de poignards se lèvent, au cri de vive le baron de La Fontenelle. Kervel lui-même subit l’ascendant général, car déjà ils avaient promis de prendre un chef, mais on n’en trouvait aucun d’assez influent ni d’assez imposant pour donner des garanties à un bon commandement.

Guy Eder savait parler à des ligueurs, ou prétendus tels, car tous ils étaient gens de sacs et de corde, néanmoins il s’agenouille, tous l’imitèrent… Se relevant, il brandit son épée, sus sus ! soldats de l’union, et que Dieu nous protège. Ce fut toujours son cri de guerre, auquel il joignit le nom de Mercœur… Il ne l’avait jamais vu, et s’en souciait peu, mais c’était un pavillon couvrant la marchandise.

Le lendemain, on incendiait un hameau, aux environs de Carnac… Les habitants affolés fuyaient entendant retentir derrière eux, le cri, vive Guy Eder.

Il n’est pas difficile de comprendre l’état de ces désespérés… l’instinct commun de la conservation, le besoin les avait réunis… Comment vivre désormais après une vie de rapines qu’ils avaient menée à la suite du Duc de Mercœur, qu’ils abandonnaient, parce qu’ils prévoyaient la fin des beaux jours, le Duc pouvait se soumettre, et tout prendrait fin.

Reprendre le travail, impossible ! la pêche, la côte, impossible ! pouvait-on rentrer dans les familles elles-mêmes ruinées.

Qu’arriva-t-il en 1871… Nous sommes en siècle de progrès, et cependant, y a-t-il eu plus de sagesse, plus de lumière. C’était la conséquence des privations endurées en commun, l’oubli du travail, le manque de discipline… Ils allaient être obligés cependant de se plier à une main de fer, car Guy Eder nomma immédiatement ses lieutenants qui furent Kervel et Tanguy.

Kermélec resta le conseiller et l’ami, et son influence s’exerçait visiblement sur la troupe.

Guy Eder avait dit… d’autres compagnons viendront et nous deviendrons maîtres de la Bretagne. Temps de pesantes ténèbres, époques agitées, une main invisible bouleverse les peuples, les font rouler les uns sur les autres… D’autres fois, une action plus lente est le moteur invisible… C’est quand sans rien déplacer, les événements se bornent à changer la face des nations… Ces catastrophes laissent les peuples méconnaissables.

La ligue participant de ces deux actions, emporte un double intérêt par là-même.

Toutes ces considérations ne paraitront pas superflues, avant d’arriver aux atrocités commises en Basse Cornouaille. Elles ne les excuseront pas, mais elles les feront prévoir.

Considérons la ligue, comme première révolution des temps modernes en France.

1789 n’est pas un second acte, pas plus que la prétendue anticipation de l’écrasement de la féodalité par les rois n’en fut le premier. La ligue est une révolution, 1789 en est une autre, et ces deux réactions n’ont rien de commun entr’elles, l’enchainement de l’histoire est le seul lien qui les unit.

Henri IV pose les fondements d’une société nouvelle, Louis XIV doit en achever le faîte.

La noblesse ne consiste plus que dans quelques titres fastueux. Les provinces représentées par de grands vasselages vinrent se fondre dans une concentration, seule l’armée perdit la dernière sa physionomie féodale. Le pouvoir se dépouilla de ses vieux freins, un lien inconnu lui est imposé, celui-ci plus puissant que les autres, l’Opinion. Despotique dans ses institutions, le gouvernement devient moderne dans ses effets.

La Bretagne réunie à la France nous occupera désormais. Le chanoine Moreau sera notre guide.

Ce chanoine est né à Beuzec, Cap-Sizun, dans un village dont je ne trouve le nom que dans une paroisse voisine, mais limitrophe, et peut-être même ce même village pouvait-il être jadis de la juridiction de Beuzec : à Kergadou, il fut pourvu de la prébende importante de Beuzec en 1595, et celle-ci était vacante par la mort de Henri de Haffonds.

Je dois le dire, les archives de Beuzec ont été brûlées il y a environ un siècle… manière bien simple d’écrire l’histoire, mais regrettable pour les chercheurs. Il m’a donc été impossible, malgré mon vif désir, d’y puiser… Moreau était auparavant, conseiller au présidial de Quimper, nommé le 14 décembre de cette année, fabrique de la cathédrale, il fut député à Rennes pour défendre les intérêts du chapitre de Quimper. Dans un voyage à Paris il fit la connaissance de La Fontenelle, au collège de Boncourt.

Ce chanoine Moreau, habitait à la tour du Chastel (place Saint-Corentin) à la maison prébendale, vis-à-vis de l’une des portes septentrionales de la cathédrale, où il est enterré.

Il était de l’époque, il est donc plus à même que qui que ce soit de nous dire que Guy Eder naquit au château de Beaumanoir-Eder, commune du vieux Quintin, dans la trève de Leslay.

Le nom de Beaumanoir illustra le combat des trente. Ce n’est cependant pas de la famille de ce brave chevalier, que descend Guyon.. petit nom qu’il se donnait. L’écusson armorié placé aux portes du vieux manoir, porte cependant les armes de la famille, nous dit M. Le Bastard de Mesmeur qui l’a visité… Guy Eder prit le titre de baron de La Fontenelle d’une maison noble de son patrimoine… Moi-même j’ai rencontré dans les environs de Plestin-les-Grèves, des De Beaumanoir habitant la campagne et en portant le costume.

Voici le portrait de La Fontenelle, tel que je l’ai trouvé décrit dans un auteur ancien.

Craint plutôt qu’aimé de ses condisciples, il n’exerçait sa terrible influence sur eux, que dans les occasions où une offense était dirigée contre lui, ou contre ceux pour lesquels il avait du penchant… Adroit, supérieur à tous dans les jeux, il n’y mettait aucune malveillante animosité mais dans l’emploi de ses forces, et lorsqu’il s’agissait d’une répression, on remarquait un développement de facultés au-dessus de son âge.

Physique régulier, pouvant faire deviner le moral. Les mouvements de son corps n’étaient pas sans grâce, leur souplesse avait quelque chose de rapide, d’instantané, dont l’allure se trouve dans les animaux de l’espèce la plus cruelle… Visage d’une grande beauté. Les yeux étaient bleus. Les sourcils noirs contrastaient avec une chevelure blonde ; une bouche bien dessinée s’ouvrant rarement pour sourire, le serrement de ses dents qui se montraient à découvert, décelait une contraction nerveuse intérieure.

Lorsqu’il se livrait à sa nature, lorsque les passions pour lesquelles il se montrait organisé se mettaient en jeu, il n’y avait pas de termes pour rendre l’effet terrible que produisait l’ensemble de sa personne.

Il en est ainsi dans la nature… Les types qui rappellent l’oiseau de proie, le félin, le fauve ne devraient pas vous tromper… ils le font, hélas ! cependant… l’avenir vous dira qu’ils agissent avec des instincts mauvais, quand le sentiment religieux, l’éducation première ne vient pas corriger ces défauts. Ils sont bons quelquefois, mais aussi ne faut-il pas que leurs intérêts soient en cause… Souvent ils sont nés pour de grandes actions, mais alors il faut qu’ils soient dans un milieu propice, et alors ils feront tout pour y arriver… Je dis tout ceci pour les hommes qui font une étude spéciale des tempéraments.

Le chanoine Moreau qui se rendit à Paris en 1589, eut l’occasion de pronostiquer la vie du célèbre ligueur, c’est peut-être à cela que nous devons l’histoire de la ligue en Bretagne.

Le Collège de Boncourt venait d’être rebâti ; c’était le rendez-vous des jeunes Bretons… Le principal du Collège s’appelait Pierre Galland. Dans les célèbres et regrettés Collèges de la Cie de Jésus, on les appelait, pères Recteurs.

Il n’y avait rien d’étonnant dans la visite du chanoine, rien d’extraordinaire non plus, si le P. Galland ou bien des auditeurs, ont conservé la mémoire ou la relation de l’incident relatif à Guy Eder enfant ou plutôt adolescent — il avait 15 ans. —

Reportons-nous à ce vieux temps, à ces vieux collèges dans lesquels l’instruction et l’éducation étaient loin d’être ce qu’elles sont aujourd’hui.

L’entrevue eut lieu au réfectoire. Il y avait fête, et le livre de lecture devait être abandonné, n’attendait-on pas la visite de la députation de la Basse Cornouaille ? Les élèves alignés autour des tables, étaient debout, on n’entendait que le bruit traînard des pas des valets, alors appelés cuistres.

Le Père Recteur, homme sévère, craint des élèves, introduisit les invités. Comme on le pense, les jeunes écoliers n’avaient de regards que pour les députés de la Cornouaille. Sans donner grand temps à mettre chacun à sa place, la voix du père Galland, toujours sérieuse, se lève et appelle… Guy Eder de Beaumanoir.

L’écolier étonné, dresse brusquement son front pâle et pensif. D’un pas lent et fier il traverse le réfectoire, il s’arrête devant le groupe avec une inclination de tête hautaine… vrai salut de gentilhomme, et attend, silencieux et droit, sans manifester aucune émotion comme si cet incident ne l’avait pas rejeté dans un monde extérieur.

« Messire de la Fontenelle, dit le P. Recteur, voici un noble clerc de l’évêché de Cornouaille, ses talents lui ont mérité l’honneur d’être choisi pour défendre les us et coutumes de votre pays… Je suis désolé de n’avoir à lui rendre de vous que triste compte d’insubordination. »

Le visage d’Eder resta froid… Cette manière peu flatteuse le froissait cependant, car une contraction des traits indiqua le contre-coup d’un effort produit par ces paroles sévères bien que justes, tendant à éloigner de lui un homme de sa Bretagne, pour laquelle tous les vrais Bretons ont un culte.

L’écolier pâlit légèrement.

Le chanoine lui dit : « Je suis peiné de ne pas vous voir suivre les traces glorieuses de ces hommes dont notre Bretagne s’honore, de n’avoir rien de flatteur à dire à votre frère ainé, Amaury, loyal et brave gentilhomme.

» Cependant, si vous voulez m’engager votre parole de Breton, de chercher désormais à réparer vos fautes, je n’apporterai à votre famille que la nouvelle de votre résolution. » Le chanoine Moreau, on le voit était un excellent homme, mais le P. Galland qui, nécessairement, avait prémédité cette leçon, interrompit avec le même air sévère.

« Si vous voulez lui épargner un sacrilège, faites lui plutôt jurer de ne plus lâchement écraser les enfants, qui n’ont ni son âge ni sa force, de ne plus fatiguer ses maîtres contraints de lui infliger des punitions, devant lesquelles son orgueil ne peut fléchir, et qui pour lui ne sont pas des leçons, car il reste indifférent à toutes, c’est avec dédain qu’il les subit. »

L’adolescent fièrement, la figure colorée d’un rouge pourpre : « J’écrase ce qui me gêne, et je ne regarde pas si c’est un ver ou un serpent… je l’écrase, c’est plutôt fait. »

Un grand silence d’attention se fit… Guy Eder lève le front et sans regarder le P. Recteur, il s’adresse à Moreau :

« Voulez-vous que je vous parle en homme, de vous à moi, comme si nous étions seuls, et il paraissait tout à fait indifférent aux autres professeurs et condisciples — ils n’étaient rien pour lui.

» La vie est chose de Dieu, dans laquelle il a marqué à chacun sa destinée. Croyez-vous que les prudences humaines puissent changer l’œuvre du maître… Sa volonté est là… j’ai foi à mon destin. »

Moreau souriant d’abord devint soucieux aux dernières paroles.

« Comment donc enfant de 15 ans, remplissez-vous les heures du jour avec pareilles pensées ? Quel sommeil est le vôtre ? L’ennui doit vous dévorer… Vous croiserez donc les bras, avant de vous livrer à de glorieux travaux ? Vous attendrez donc l’heure de Dieu ? Enfant, vous êtes sur une pente glissante, vous faites erreur.

— Non, répond La Fontenelle, sans hésitation, c’est vous qui errez, on voit que vous n’avez pas entendu la voix du destin…… Et avec une énergie hautaine : « Malgré vous, malgré tout le monde, je marcherai le front haut seul et libre, toujours en avant, jamais je ne reculerai. Si j’écrase quelques hommes, tant pis pour eux, je fermerai l’oreille et je ne reculerai pas.

Et les yeux de l’adolescent s’illuminèrent d’un éclat subit et dominant la foule, comme indifférent, il va reprendre sa place.

Pauvre enfant, dit maître Moreau hochant la tête, prends garde, prends garde à toi… Et il resta un instant soucieux quand le P. Galland l’invita à s’asseoir pour prendre place au festin qui les attendait… Personne ne riait.

Ceci se passait un dimanche de mai 1589… Quelques jours après, Guy Eder s’évadait du collège, vendait ses livres, ses effets d’écolier, achetait un poignard et une épée. Il voulait rejoindre le Duc de Mayenne, mais il fut dévalisé en route par une troupe nombreuse ; il ne put se défendre car il avait été surpris. Forcé de revenir au Collège, il n’y resta pas longtemps.

Quelques jours après il abandonnait le Collège de Boncourt, pour toujours ; il se dirige cette fois vers la Bretagne pour aller voir le Duc de Mercœur, qu’il voulait rejoindre cette fois-ci : c’est à ce moment précis que je vous le dépeins arrivant à Vannes, avec un compagnon qu’il avait fait en route, Kermélec, ligueur aussi mais réfractaire et associé à une bande à part, gens lassés de se battre sans grand profit : J’ai raconté comment il se fit nommer chef…

À la tête de la troupe qu’il sut rendre disciplinée et soumise à ses ordres, il se mit à commettre des rapines, sans trop examiner s’il avait affaire à de vrais ennemis de l’union. Il savait trouver quelques prétextes pour trouver quelques motifs. Il arborait bien le pavillon de Mercœur, mais c’était plutôt pour son propre compte…

Son frère Amaury était bien pour la ligue, mais il n’était pas militant, fit désapprouver la conduite de son cadet. Celui-ci n’écouta rien, et lui enleva ses domestiques qui vinrent avec d’autres compagnons des environs de Quintin, grossir la troupe du partisan qui n’avait que quinze ans.

Aussitôt qu’il se vit à la tête d’une troupe plus nombreuse, car d’abord il allait avec prudence, se contentant de piller quelques hameaux isolés, chez quelques seigneurs partisans avoués de l’autorité royale, il se mit à piller les châteaux des environs, partout il répandait la terreur, avec une préméditation stratégique si je puis m’exprimer ainsi, voulant terroriser au point que son nom (peut-être ce fut lui qui le fit répandre), devint celui-ci répandu par les campagnes à son approche : ar bleï ! ar bleï !… le loup ! le loup !

Il étendit ses ravages dans les évêchés de Tréguier, de St-Brieuc simulant d’abord le respect des églises. Il n’y voyait pas encore son intérêt, plus tard il ne les respectait plus.

Se sentant plus fort, il se mit en tête de s’emparer de Guingamp. Sa bande était un ramassis de Bretons auxquels se joignirent quelques Espagnols, et tous étaient pleins d’audace, et ne reculaient devant rien, car ils ne redoutaient rien. Il avait su inspirer une grande confiance… Il se jeta sur le château de Coëtfrec, à quelque distance de Lannion… Cette place surprise, La Fontenelle s’y fortifia, en faisant sa principale résidence, on devrait dire son repaire si l’on voulait exprimer une idée juste.

Lannion pillée, Paimpol ensuite, il revint sur ses pas, alla jusqu’à Landerneau… Tristes époques, vraiment sans autorité, sans autres lois que celle du brigand.

Arrivé dans le Bas-Léon, il fut forcé de s’arrêter par crainte des troupes de Sourdéac, gouverneur de Brest, il retourna de nouveau sur ses pas, rentra dans les Côtes-du-Nord, toujours impunément.

Toujours au nom de Mercœur qu’il ne connaissait même pas… le Duc avait bien conclu une trêve, mais combien la trêve importait peu à Guy Eder qui ne prenait conseil que de lui-même.

Enfin la garnison de Tréguier, outrée de tous ces brigandages, vint attaquer le repaire de Coëtfrec, où il avait laissé des troupes… Celles-ci furent forcées de capituler, et d’abandonner la place… La Fontenelle à cette nouvelle qui lui parvint par un soldat échappé au massacre, n’en devint que plus furieux, plus audacieux, et sa bande partageait ses sentiments… Alors il donna le nom de représailles à ses cruautés.

Kermélec, de Vannes, prudent et de bon conseil, lui était dévoué… Il ralliait par son influence les plus turbulents de la bande… Tanguy, choisi pour Lieutenant à Vannes, ainsi que Jérôme Kervel, maintenaient le fanatisme qu’inspirait la vue du panache rouge toujours porté par le chef… Celui-ci avait adopté casque et visière historique qu’il ne relevait jamais… La troupe ne pouvait donc se rendre raison de son jeune âge.

Sans posséder un grade bien distinct dans la troupe, un troisième avait une réelle autorité sur les ligueurs indociles… il s’appelait Rheunn, René. Il était natif de Poullan, près Douarnenez. De haute taille, âgé de 28 ans, ses longs cheveux noirs flottaient sur les épaules, comme aux vieux celtes. Les traits de son visage basané, avaient une inconcevable expression d’audace et de finesse.

Jamais il n’avait abandonné le costume de son village, une armure ne lui allait pas, par-dessus ses braies bouffantes. On voyait simplement qu’il faisait partie de la troupe, par une longue épée qu’il portait à sa ceinture de cuir… Celle-ci soutenait en même temps un large coutelas, qui lui tenait lieu de poignard.

Guy Eder l’aimait beaucoup, l’estimait fort pour son dévouement surtout pour son audace.

« Si dans une mêlée, mon brave Rheunn, tu sentais une lame s’appuyer sur ta gorge, sois sans crainte et appelle ton chef, il te répondra. »

Ces paroles, La Fontenelle les avait dites un jour, où il avait dû la vie à Rheunn dans un moment critique.

Jusqu’au dernier moment, Rheunn restera fidèle à la cause… il dénonçait les traîtres que l’on punissait illico.

Les pertes éprouvées à Coëtfrec avaient été réparées, plus de 2,000 hommes marchaient sous les ordres de l’adolescent de Boncourt… Celui-ci avait savamment enrégimenté ses recrues, il avait nommé de nouveaux lieutenants.

Chaque jour on viendra vous dire, et je l’entends moi-même dire à des gens bien intentionnés qui n’ignorent pas les recherches faites pour ce travail :

Dans tel endroit il y avait un camp de La Fontenelle, une autre personne dira la même chose, indiquant un endroit différent, un château plus éloigné… Oui, mais il faut s’entendre… Devenu chef de quelques milliers d’hommes le partisan disséminait ses troupes, avait différents lieutenants et par des ramifications savantes, en vrai stratège, il les tenait sous la main, les poussant, les dirigeant quand il fallait.

Kervel, rapace, avide, ne donnait jamais à sa troupe le moindre repos, aussi était-il à l’avant-garde, toujours en maraudes funestes aux malheureux… Il faisait fuir en jetant le cri d’’alarme que nous avons dit : ar bleï, ar bleï (le loup, le loup).

Un autre souvenir est encore resté, c’est celui du son de corne de La Fontenelle… Celui-ci devait donc un peu relever la visière pour donner ce son aigu, strident, qui se répercutait au loin… Malgré tout, La Fontenelle a laissé dans quelques pays, des souvenirs presque romanesques… Il en est de même dans les histoires de banditisme… Dans les pays de Tréguier, des chants sont à sa louange. Qu’est-ce à dire et comment expliquer cela ? Je me le demande : faut-il l’appliquer à la seconde phase de sa vie ? Il n’en voulait donc pas d’abord aux pauvres paysans et ses pillages n’allaient-ils qu’aux châteaux ? Enfin donnait-il ses ordres ?… On est forcé de le reconnaître, il existe toujours de grandes qualités réunies à de grands défauts. C’est souvent la conséquence. Les unes n’excusent pas les autres.

Quoi qu’il en soit, dans toutes ces marches, dans toutes ces contremarches, le jeune chef sut déployer une grande tactique, une grande ruse, surtout un grand talent à couvrir ses compagnons, ce fut toujours son but, ménager le sang des siens, au détriment de l’ennemi, ce fut même on le verra plus tard, un des grands motifs de ses représailles sanglantes… Les chefs de la ligue semblaient compter avec lui… et lui ne se gênait pas pour dire : « Nous arriverons à être les maîtres de la Bretagne, alors nous ferons ce que nous voudrons. »

J’ai donné succinctement toutes ses prouesses dans le Léon, dans le pays de Tréguier, dans les Côtes-du-Nord. Je n’y attachais pas grande importance, puisque mon but n’est que de peindre le dévastateur de la Cornouaille seul. Ceci n’est donc que comme une première couche de peinture, sur laquelle je vais tâcher d’appliquer la teinte vraie, ses prouesses en Basse Cornouaille.

Nous laisserons le partisan après tous ces méfaits arrivant dans les environs de Carhaix… Là il prend possession de l’église Saint Trémeur… C’est là qu’il établit ses magasins, son arsenal, son château fort… À cette époque beaucoup d’églises étaient fortifiées.

Avant d’arriver à son campement à l’île Tristan, d’où il opéra si cruellement, je parlerai de l’incident que je vais raconter, La Fontenelle fait prisonnier à Vannes.

C’est en 1592 qu’il s’installa à Carhaix, mais ce n’est plus la Basse Cornouaille pour laquelle seule je désire écrire.

Je dois avouer que l’incident de Vannes est toute l’histoire de la conduite antérieure, parce qu’il narre toutes ses cruautés multiples, qui sont les chefs d’accusation.

  1. Que d’exemples pourrions-nous citer de nos jours… que de conversions à gauche, que de conversions à droite… on suit le courant des intérêts.