Souvenirs de la Basse Cornouaille/Livraison 2/04

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IV

Plogastel Saint-Germain

Deux mois après la prise de l’île Tristan et la ruine de la ville de Douarnenez, la terreur se mettait partout… De force, les habitants avaient été employés aux travaux des fortifications dont La Fontenelle avait pris la direction générale. Tanguy et Kermélec de Vannes activaient… et le tout fébrilement, mais à demeure. Kervel, le farouche lieutenant, commandant l’avant-garde sans respect pour sa ville natale Douarnenez, surveillait et nous avons dit combien il était cupide et avide.

Les capitaines royaux n’osaient s’aventurer qu’à une certaine distance, et les communes avoisinantes épouvantées, consternées, voyaient avec terreur l’achèvement des fortifications, menaces permanentes pour elles.

Alors, notables, paysans des environs de Quimper, de Pont-l’Abbé, de Pont-Croix, d’Audierne, résolurent d’aller attaquer le commencement des travaux à l’île Tristan, de tout détruire, de forcer La Fontenelle à abandonner la place… D’un commun accord, ils choisirent un chef pour la direction d’une attaque collective, et leur choix tomba à l’unanimité sur le jeune Du Granec, fils du comte de Pratmaria, habitant le château du Laz, près Châteauneuf.

Les confédérés paysans firent choix de Plogastel St-Germain comme lieu de concentration.

Plogastel était autrefois le seul point fortifié du pays. Le nom du bourg dérive de ce premier Castel qui fut élevé par les romains pour surveiller les velléités de révolte des clans voisins (plebs castelli, plogastel).

D’autres ont prétendu que la redoute que l’on voit encore datait du moyen-âge, quand l’éternelle lutte pour la domination se traduisait par des prises d’armes incessantes… On avait des fortifications dans la lande… Les talus écroulés d’une redoute circulaire, surveillent inutilement depuis des siècles, les anciennes routes de Quimper et de Douarnenez se dirigeant sur Plogastel.

La nouvelle de cette prise d’armes parvint au partisan par l’entremise de quelques soudards au retour de maraudes, La Fontenelle ne fit qu’en rire et aucune crainte ni émoi ne se manifesta, et cependant ses fortifications n’étaient pas achevées. « Les communes ont donc oublié mes dernières leçons, dit-il à ses lieutenants, j’atteindrai cette paysantaille et pas un n’échappera au fer de mes soldats, et il ajouta en riant, je vais leur jouer un petit tour de ma façon, et il ne cacha pas qu’il irait lui-même les prendre au gîte, à Plogastel même, et nous rirons en les voyant courir les hautes landes de ce pays.

Les paysans étaient nombreux, mais pas armés, quelques fourches, des faulx, des coutres de charrues, voilà quels étaient leurs engins de guerre, comme plus tard nos mobilisés au camp de Conlie. Eux aussi pauvres conscrits pris un peu partout, dans les petits bourgs, dans les hameaux, dans les villages, furent rassemblés sans cohésion, sans autres armes que quelques mauvais fusils, la plupart sans baïonnette et cela pour arrêter un ennemi victorieux, aguerri, armé, parfaitement outillé… L’affolement du moment fit perdre la tête à nos gouvernants. Au camp de Conlie la gaieté française sut encore prendre son parti, parlant de ces simulacres de fusils, de ces manches à balais qui servaient aux exercices, le chansonnier gaulois disait encore :

Ce sont là nos engins, nos machines de guerre
Et vraiment nous trouvons
Ces mousquetons
Fort bons
Pour ce qu’ils nous font faire…

Aussi plus éclairés, ceux-ci mieux que nos gouvernants d’alors crièrent-ils vite… d’ar guer, potred, d’ar guer…

À Plogastel ce n’était pas la même chose : les pauvres paysans d’alors confiants dans leur nombre, dans leurs Pen bas déro, (matraques en chêne) dans quelques vieux mousquets amenés par quelques anciens ligueurs, transfuges de l’armée de Mercœur, se croyaient sûrs de la victoire, et cependant ces ligueurs transfuges n’étaient pas les plus vaillants, ni les plus valides, ils n’étaient pas non plus, les plus expérimentés.

Les pauvres laboureurs naïfs et crédules avaient bien bonne volonté ; en somme trois à quatre mille pauvres diables se préparaient à une lutte qu’ils ne croyaient pas si prochaine, contre un ennemi rusé aguerri, que rien ne ferait reculer.

La Fontenelle, n’avait que 22 ans c’est vrai, et c’est ici le cas de dire… « chez les âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années »… Mais il était habile, cruel et rusé, sachant diriger son opération, mieux que des vieux capitaines, et je l’ai déjà fait remarquer, il mettait son talent, sa gloire à couvrir ses soldats, nul n’a su plus que lui, être avare du sang de ses compagnons.

Dès la veille au soir, secrètement il partait à la tête de 400 cavaliers armés jusqu’aux dents, laissant les travaux et la surveillance du fort à un lieutenant, La Boule.

Reportons-nous à cette époque, suivons cette troupe de cavaliers lourdement chargés et équipés… C’est par petits groupes qu’ils avancent à travers des chemins impraticables, des routes à peine frayées dans un pays presque désert, passant près des chaumières vides ou abandonnées… quelques prisonniers furent retenus pour qu’ils ne puissent donner l’alarme.

Le plan d’attaque était des plus simples, le stratagème enfantin, arriver à l’improviste au jour naissant, entourer le camp des confédérés, presque à cerner… une fois biens postés, une dizaine de cavaliers devaient se détacher de la troupe, s’avancer à découvert comme des soudards égarés à l’aventure… Ils devaient se faire reconnaître des paysans déjà levés, une fois reconnus, le mot d’ordre était de feindre la peur, de revenir lentement sur leurs pas, pour attirer le gros de la troupe qui ne manquerait pas d’être tout le camp en éveil, et ces pauvres niais enserrés dans un cercle de fer devaient infailliblement se faire égorger et écraser… Stratagème d’une naïveté primitive que les sauvages emploient encore dans les pays ou les fauves pullulent encore… On les enserre dans des traquenards, alors quelques personnes peuvent les larder et de piques et de pieux durcis au feu.

Ce que Guy Eder avait prévu arriva.

Les confédérés de la place étaient déjà tous en mouvement, quand les dix soudards soi-disant égarés font leur apparition dans la lande… quand les routiers se furent bien montrés, un grand émoi se lève dans le camp des paysans qui se rassemblent, mais quand les soudards feignirent d’avoir peur, quand ils firent montre de reculer lentement, à la hâte on prévint du Granec qui arrive, jeune lui même il est dupe du stratagème : « ce sont des maraudeurs égarés dans la lande, ce sont les soldats de l’île Tristan qui ont perdu la route ». À la hâte il s’arme et donne l’ordre de fondre sur les dix soldats… Les paysans se précipitent sans ordre, sans cohésion, et comme par un filet, 3 000 paysans à peine armés, se voient cernés par 400 soudards bardés de fer, ricanant sous casques de la naïveté de la paysantaille… en un moment 1 500 et plus sont couchés dans les landes.

On dit que la vue de ces infortunés campagnards, dont il n’avait jamais eu à se plaindre inspira au partisan un moment de pitié.

Hélas faut-il y croire ? alors ça ne fut qu’un éclair, car nul ordre ne fut donné pour faire cesser le massacre, et à perte de vue, on entendit des tueries, en ricanant les fauves égorgeaient des victimes, comme le crocodile, qui dit-on, pleure quand il croque un enfant… Peu s’échappèrent, on ne poursuivit pas le reste… La leçon était complète, la leçon suffisante… La Fontenelle toujours avisé, avait donné l’ordre de prendre Du Granec vivant… Il pensait à tout, le rusé partisan, et son but nous le découvrirons un jour à venir.

Du Granec fut fait prisonnier, conduit à Douarnenez, et quelques jours renfermé à l’île Tristan.

Trois jours après on le relâchait, et Guy Eder lui disait… Allez, baron du Granec, retirez-vous, soyez prudent désormais, car si le chef de l’union vous pardonne aujourd’hui, une autre fois, il sera inexorable.

Du Granec se le tint pour dit, et s’en fut sans rançon.

Les pauvres diables dupes de l’échauffourée, au nombre d’au moins deux mille, restèrent sans sépultures. Les loups nombreux à cette époque eurent plusieurs journées de ripaille.

Ces évènements lamentables ont-ils complètement disparu dans la mémoire des habitants ? hélas oui… aucune légende ne paraît s’y rapporter, le nom du bandit est resté inconnu, c’est même quelque chose d’extraordinaire, mais quand le soir tombe, tout dans la région se peuple d’êtres indéfinissables et terribles, d’êtres morts dont l’idée jette l’épouvante dans les cœurs les plus braves… et cependant c’est une race vaillante, toujours prête à se jeter au milieu de dangers réels, et elle recule devant des périls imaginaires.

Cette terreur superstitieuse des esprits errants dans la nuit, n’est nulle part plus développée qu’en Basse-Bretagne, a-t-elle sa source dans ces temps qui sont déjà loin dans le passé, ou bien encore, la ferons nous remonter à cette époque inconnue, où d’après une hypothèse récemment émise, certaines parties de la péninsule n’étaient aux âges préhistoriques de la pierre polie, qu’une simple nécropole, cimetière de tout un grand peuple.

Pour suivre l’ordre chronologique, mais rien que pour cela je dirai quelques mots d’une attaque, qui ne fut qu’une simple escarmouche sans importance… quelques mois après le massacre de Plogastel.

Un capitaine Depré, ou Després avait commandé les royaux à Quimper, alors que Guy Eder passait non loin des murailles qu’il bravait impunément pour se rendre à l’île Tristan : il ne s’était pas opposé au passage des ligueurs… Personne n’en connut le motif, toujours est-il qu’on lui en fit un crime, oui quand le massacre de Plogastel fit du bruit… Il fut mandé à Paris pour ce fait, passa en jugement et cela va sans commentaire, la peine capitale était la conséquence. Pourquoi, demandait-on, tant d’apathie, pourquoi ne s’était-il pas opposé à la construction des forts, pourquoi ne s’était-il pas opposé, n’avait-il pas prévu le massacre des pauvres paysans confédérés, sans expérience. Probablement les plaintes et les raisons de Du Granec humilié ne furent-elles pas étrangères à son arrestation.

Toujours est-il que le châtiment allait avoir son exécution.

Des amis influents furent ses avocats, qui plaidèrent avec bonnes raisons à l’appui, l’ignorance et la surprise.

Després, vaillant capitaine, put revenir, mais à la condition expresse de s’emparer de l’île Tristan ou de s’y faire tuer… Il accepta la mission, car sa bravoure ne pouvait faire l’ombre d’un doute. Il se prépara donc à une expédition… La Fontenelle, nous le savons avait des émissaires dans la place de Quimper, qui nous l’avons dit n’était qu’à moitié pour le Béarnais.

L’île était déjà fortifiée ou à peu près quand Després parut à la tête d’un millier de combattants, qui ne connaissaient pas assez les ruses du chef ligueur.

Hardiment, Després s’avance à marée basse… et des soldats embusqués, postés par avance firent feu, et le chef des royaux désarçonné tombe sur le sable… Il avait promis de se faire tuer, il tint sa parole, mais l’épouvante se met parmi les siens.

Bonne leçon dit La Fontenelle, ils sauront désormais à qui ils ont affaire, et je saurai prendre mes précautions à l’avenir.

La terreur du nom s’en accrut d’autant et ce nom était la terreur des royaux, le nom de Guy Eder valait une compagnie.