Souvenirs de la Sicile/Aperçu des événemens survenus en sicile en 1820

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Impr. royale (p. 227-247).

APERÇU
DES ÉVÉNEMENS SURVENUS EN SICILE
EN 1820.




La révolte éclatait en Sicile, au moment où je quittais Messine. Avant de parler de cet événement, il est indispensable de remonter plus haut et d’indiquer des faits qui peuvent en avoir été la cause ou le prétexte. J’y joindrai un aperçu de la population de la Sicile, ainsi que de l’état du clergé et de son influence sur les barons et sur le peuple.

D’après le dernier recensement, fait en 1812, la population de la Sicile s’élevait à un million huit cent mille âmes environ ; et les impôts, outre les communaux, selon le dernier parlement de 1815, étaient évalués à la somme de 5,700,000 ducats napolitains.

Un ancien préjugé fort accrédité a fait croire long-temps que le roi Roger avait partagé la Sicile en trois portions égales, dont il avait assigné la première au clergé, connu sous le nom de braccio ecclesiastico, classe ecclésiastique ; la seconde à la noblesse braccio militare ou baronale, classe militaire ou seigneuriale ; et la troisième à lui-même. Cette prétendue division, contraire à tout principe de société, n’exista jamais en Sicile. Trois ou quatre couvens, les Bénédictins de Catane, de Monréale, de Saint-Martin, possédaient des revenus considérables ; le reste du clergé était à peine au-dessus du besoin. Les évêques de Monréale, de Palerme, de Catane, les chapitres de Catane, de Girgenti et quelques abbayes, jouissaient seuls des richesses de cet ordre. Le roi actuel réunit à la couronne l’évêché de Monréale, qui avait 90,000 écus de Sicile de rente, et il assigna à cet évêque un revenu de 8000 piastres. Il donna au prince Léopold l’abbaye de la Magione, qui rend environ 60,000 écus. Les autres biens du clergé ont été grevés d’un droit de dix pour cent.

On peut croire qu’il y a dans ce moment en Sicile quinze mille prêtres, moines, religieux, &c. Les couvens de femmes y sont en si grand nombre, qu’on ne craint pas d’affirmer que ces monastères renferment environ douze mille religieuses.

Le roi de Naples s’est réfugié deux fois en Sicile, en 1799 et en 1806. Son premier séjour fut de quelques mois seulement ; et le second, de dix années environ. La Sicile fut moins enrichie la seconde fois par la présence de la cour que par celle des Anglais, qui laissèrent beaucoup d’argent dans cette île. Le roi y dépensait forcément une partie des subsides qui lui étaient payés par l’Angleterre, et qui s’élevaient alors à la somme de 120,000 livres sterling. Le commerce et l’agriculture prirent un grand essor, les fermiers s’enrichirent, et la valeur des terres fut presque doublée.

La Sicile, livrée à elle-même depuis la paix, éprouve les embarras et la détresse qui la menacent depuis 1750. À présent, la concurrence des blés d’Odessa est entièrement au désavantage de cette île, ainsi que la balance commerciale. Quelques étrangers y forment de grands établissemens ; mais ces établissemens ne sont avantageux que pour les entrepreneurs, qui vont dépenser ailleurs des profits considérables. Le peuple cultive pour les autres, et cultive mal. L’absence totale de grandes routes rend l’intérieur du pays peu sûr, et le commerce impossible. Les Siciliens ont déjà payé cinq fois le capital nécessaire pour établir par-tout des chemins aussi beaux que ceux dont on leur a montré quelques échantillons aux environs de Palerme et sur quelques points de l’île.

La Sicile avait, sous la domination aragonaise, un parlement qui, dans le siècle dernier, se rassemblait trois fois par an. Ce parlement, composé de trois ordres, le clergé, la noblesse, et le braccio domaniale [classe des hommes du domaine], était, en définitive, soumis à la volonté du roi ; mais il avait conservé, avec le droit de remontrance, celui de voter ou de consentir, enfin de répartir l’impôt. La noblesse et le clergé faisaient peser cet impôt sur le peuple ; mais les mandataires de celui-ci profitaient des besoins pressans des barons pour stipuler ses intérêts et obtenir des concessions avantageuses aux communes.

Le parlement sicilien, comme on vient de le voir, était la réunion de trois chambres, la chambre militaire, la chambre ecclésiastique et la chambre domaniale.

La chambre militaire se composait des anciens commilitones, ou grands barons et vassaux de la couronne : on y avait joint successivement tous les propriétaires qui pouvaient fonder sur leurs terres un bourg de quarante feux. Le même individu avait une ou plusieurs voix, selon qu’il possédait un ou plusieurs bourgs de quarante feux. Les prérogatives attachées à la qualité de membre de la chambre militaire étaient transmises héréditairement de mâle en mâle par ordre de primogéniture.

La chambre ecclésiastique comprenait tous les évêques, prélats et abbés commendataires : la suppression de l’emploi entraînait celle du droit de prendre séance dans cette chambre.

La troisième chambre était formée de tous les fondés de pouvoir des villes incorporées et terres domaniales : les délégués étaient élus par le sénat ou conseil municipal de chaque bourg.

En 1810, la reine, qui avait la prépondérance dans le conseil, ayant besoin d’argent pour faire la guerre aux Français, alors maîtres de Naples, voulut, malgré le parlement, exiger un nouvel impôt d’un pour cent sur chaque objet de commerce [ogni contrattazione]. On a cru que cette idée avait été suggérée à la reine par le chevalier Medici. Le parlement s’en plaignit hautement : le roi menaça ; le parlement refusa l’impôt et fut soutenu par la nation. La cour exila cinq des principaux barons, les princes d’Iaci, de Villafranca, de Belmonte, de Castelnuovo, et le duc d’Angio. Cet acte d’autorité porta le parlement à réclamer l’intervention anglaise. Sir William Bentinck, commissaire britannique, vint en Sicile, et fut nommé par le roi généralissime du royaume ; il délivra les cinq barons, en composa un ministère, et, sous la protection britannique, il convoqua, en 1812, un nouveau parlement, divisé, comme en Angleterre, en chambre haute et en chambre des communes. Le roi et la reine, retirés à leur maison de la Ficuzza, nommèrent le prince héréditaire vicaire du royaume, et approuvèrent la nouvelle constitution : mais, malgré les prières et les menaces de sir William Bentinck, le roi repoussa avec beaucoup de fermeté la proposition qu’on lui fit d’abdiquer. Cependant la constitution était exécutée, et la Sicile jouissait, sous la garantie de l’Angleterre, d’un ordre de choses obtenu sans effusion de sang et sans commotion violente.

On a pu croire que la reine, outrée de la conduite des Anglais, négociait secrètement avec la France ; mais il serait impossible d’apporter la moindre preuve de ce fait. À peine cette princesse se fut-elle rendue à Vienne par Constantinople, que Medici et Ascoli furent exilés par les Anglais, et le roi, pour ainsi dire, retenu et surveillé par eux à la Ficuzza.

Les choses changèrent bientôt de face ; la chute de Napoléon amena de nouvelles combinaisons politiques. Le roi se hâta d’en profiter, ressaisit le pouvoir, sanctionna la constitution de 1812, et le prince royal se démit de la régence. L’époque des cent jours, le traité de Paris, le renversement de Joachim, remirent le roi sur le trône de Naples. Avant son départ pour cette ville, et après avoir obtenu un don gratuit de 100,000 onces, il cassa le parlement qui venait de le voter, et annulla la constitution par un décret rendu à Messine, à bord du bâtiment qui devait le transporter à Naples.

Les Siciliens protestèrent et en appelèrent vainement à la garantie de l’Angleterre, qui les abandonna en blâmant et désavouant un peu tard la conduite de sir William Bentinck. Le 8 décembre 1816 le roi prit le titre de Ferdinand I.er, et déclara la Sicile province du royaume de Naples ; cette île perdit alors ses privilèges, ses lois, son antique bannière. On appropria le moins mal possible le code Napoléon aux habitudes siciliennes, et ce pays fut soumis pour la première fois à la conscription, et aux impôts du timbre et de l’enregistrement.

On ne peut douter que ces mesures n’aient aigri le peuple et augmenté la haine des Siciliens contre la domination napolitaine. La misère, suite de l’encombrement des denrées, vint encore ajouter au mécontentement général. On peut donc en quelque sorte excuser la sédition qui éclata en Sicile, et dont le signal fut donné par le royaume de Naples, à la prospérité duquel cette île avait pu se croire sacrifiée. Les Siciliens virent leurs efforts oubliés et leur fidélité méconnue ; il fut assez facile de leur persuader que le silence et la soumission ne pouvaient qu’empirer leur condition. Ce peuple ardent, exaspéré, se trouvait ainsi placé entre la misère et la révolte.

Les premiers troubles éclatèrent dans la ville de San-Cataldo, où les registres de la carta bollata[1] avaient été brûlés par le peuple. À Girgenti et à Calta Nisetta, les conscrits furent arrachés des mains des soldats. La Bagaria, près de la capitale, devint le théâtre des scènes les plus sanglantes entre le peuple et les troupes napolitaines. Ainsi tout faisait prévoir que, dans l’état de fermentation où étaient les esprits à Palerme et dans le reste du royaume, la plus petite étincelle produirait un grand embrasement. Telle était la situation de la Sicile le 1.er juillet 1820.

Cependant la révolte de Naples éclata le 2 du même mois : quelques troupes qui désertèrent sur le monte Forte, se réunirent aux carbonari des deux provinces de Salerne et d’Avellino. Bientôt cette force armée prit un tel accroissement, que, le 6 juillet, le roi se vit contraint d’octroyer la constitution d’Espagne. Le nouveau gouvernement provisoire de Naples soit indécision, soit imprévoyance, soit enfin habitude de considérer la Sicile comme une dépendance nécessaire de ce royaume, n’expédia personne, ne donna aucun avis à Palerme de tout ce qui était survenu à Naples, et la révolte y fut ignorée jusqu’au 15 juillet. Vers le milieu de cette journée, un petit bâtiment anglais fit connaître à Palerme le changement opéré dans la monarchie, et jusqu’aux couleurs de la rébellion. Cette nouvelle fut reçue et connue au milieu du mouvement ocasionné par la foule réunie pour célébrer la fête de Sainte-Rosalie. Quatre cents soldats du régiment des gardes se précipitèrent sur le Cassero, portant les couleurs des carbonari ; le peuple se réunit à eux en poussant les cris de Vive le roi constitutionnel, et tout se passait avec une sorte d’unanimité et de modération. Le soir du 15, le général Church, Anglais au service de Naples, indigné de l’indiscipline des troupes, rencontre un soldat avec le ruban des carbonari ; il le lui arrache, et lui ordonne de se rendre aux arrêts. Ses camarades se réunissent et veulent s’emparer de Church ; il prend la fuite, et le général Coglitore reçoit une blessure au bras en sauvant cet officier de la fureur populaire. Le général Church parvint à se rendre chez le lieutenant général Naselli, qui facilita son évasion. Le peuple, voulant venger l’insulte faite au soldat, se porte à la maison de Church, s’empare de ses meubles, et les brûle sur la place publique avec un désintéressement remarquable. Le 16 juillet, ie même peuple brûle également le mobilier de la maison des jeux publics et celui du ministre Ferreri, depuis long-temps suspect à la nation sicilienne.

Tout avait été calme jusqu’à midi. Les Palermitains apprirent alors que les troupes se réunissaient dans les casernes avec des intentions hostiles. On se porte chez le lieutenant général pour connaître les ordres qu’il a donnés. Naselli se trouble et craint pour sa personne ; le peuple lui demandant des armes, il cède et livre l’arsenal de Castel-a-mare. Les citoyens s’armèrent et sortirent sans commettre aucun excès. Cependant un régiment de cavalerie, dont un Sicilien, le prince de Campofranco, était colonel, se trouvait rangé en bataille vers la porte Felice. On ignore de qui cet officier supérieur avait reçu l’ordre de charger le peuple dans la rue du Cassero. Le colonel dit, pour sa défense, que, trois cents insurgés étant venus de la Bagaria pour ouvrir les prisons et délivrer les forçats, il avait cru devoir remédier à ce désordre en opérant une puissante diversion. D’autres personnes assurèrent que l’ordre venait de Naselli lui-même. Ce régiment tua ou blessa deux à trois cents personnes ; mais il fut détruit en partie, soit par la populace qui débouchait des rues adjacentes, soit par les citoyens qui, des fenêtres et des balcons, tiraient sur les soldats. Enfin la garnison et le reste de ce régiment furent contraints de se réfugier à la Bagaria. Naselli voulut s’embarquer sur le paquebot qui était en rade, protégé par le château, et sur lequel, cinq jours auparavant, il avait fait transporter une partie de son mobilier. Ce projet fut exécuté et le gouverneur, abandonnant son poste, revint à Naples.

Le peuple, après s’être rendu maître du château, cherchait, dans la journée du 17, le prince de la Cattolica, qui avait fait tirer sur la foule ; on l’atteignit à la Bagaria, et il y fut tué. Le prince d’Iaci et l’officier Lanza subirent le même sort, parce qu’ils étaient parvenus à faire enclouer deux canons que les révoltés traînaient après eux. Il est triste d’être obligé de dire qu’on vit dans les rangs de la plus vile populace, et à côté des forçats, des nobles, des prêtres et jusqu’à des religieuses qui prenaient part à la sédition. Le 18 juillet, les troupes furent désarmées, les soldats consignés, et les officiers mis dans une maison à part ; ils y furent nourris aux dépens du public. Cependant, par une sorte de justice qui ne désignait que les chefs à la vengeance populaire, les Napolitains ou les étrangers n’eurent à craindre ni pour leurs biens, ni pour leur personne ; et, après cinq ou six jours de détention, ils furent libres de retourner dans leur patrie avec leurs familles et leurs effets. Une junte de gouvernement fut élue à Palerme ; elle essaya de rétablir l’ordre, et le fit avec assez de succès jusqu’au 28 juillet. Une députation partit de Palerme le 2 août, et se rendit à Naples pour demander au roi l’indépendance de la Sicile et renouveler aux pieds du trône le serment de fidélité.

À Naples, cependant, on nourrissait la secrète espérance d’opposer la Sicile à elle-même, en déclarant Messine capitale de cette île. Il est nécessaire de dire que la population de Messine passe pour être entièrement dévouée aux Anglais, et pour avoir été de tout temps jalouse de la prépondérance de Palerme.

Le gouvernement napolitain pensait que les chefs des barons siciliens avaient organisé et dirigé les troubles de Palerme des 16 et 17 juillet ; ils furent même hautement accusés d’avoir fait crier Vive la constitution de 1812, excitant ainsi le peuple à redemander la chambre des pairs et celle des communes. On ajoutait que les barons siciliens coloraient leur révolte du prétexte spécieux que le roi avait juré et sanctionné le maintien de la constitution de 1812, et que l’influence napolitaine leur avait seule arraché ce bienfait.

Quoi qu’il en soit, l’exemple de l’Espagne entraîna tous les esprits, et les jeta dans cet abîme de maux auxquels la sagesse et la fermeté n’ont encore pu apporter que de bien légers palliatifs. On peut dire, pour la défense des barons siciliens ; que leur renonciation aux droits de la pairie suivit immédiatement la nouvelle de l’acceptation de la constitution espagnole. Ainsi la question ne saurait se compliquer par les prétentions de la noblesse, qui ne se sépara jamais du reste de la nation, et qui seconda seulement de tout son pouvoir l’ancienne et constante aversion des Siciliens contre les Napolitains.

Don Diego Naselli, noble sicilien, alors âgé de soixante ans, était peu propre à gouverner la Sicile dans un moment de révolution. Toute sa conduite porte l’empreinte de la faiblesse et de l’irrésolution ; mais il ne mérite pas les reproches odieux dont il a été l’objet. Sa plus grande faute, celle qu’on peut regarder comme la cause de tous les événemens qui suivirent, fut d’armer le peuple : dès-lors aucune barrière ne put arrêter ce torrent impétueux ; et certes l’état de l’Europe depuis trente ans offrait pourtant à ce gouverneur de grandes et terribles leçons, qui furent perdues pour lui et pour la Sicile.

On aurait sans doute assoupi les premières convulsions de ce mouvement par une grande fermeté et une juste sévérité ; peut-être aussi fallait-il mettre plus de franchise et de promptitude dans la communication des nouvelles de Naples. Telle fut enfin la révolution de Palerme, dont l’explosion fut déterminée et rendue plus terrible par l’ignorance du peuple et le silence timide du gouvernement.

Terminons ce précis des événemens dont la Sicile a été le théâtre. Le prince de Villafranca arriva de Naples à Palerme le 24 juillet. Il fut porté en triomphe par le peuple, et immédiatement investi de la présidence de la junte. On refusa l’entrée du port à deux frégates napolitaines et à deux brigantins qui sollicitaient la liberté des soldats napolitains emprisonnés depuis les 16 et 17 juillet. Cette réclamation fut repoussée. La junte de Palerme adressa une circulaire à toutes les municipalités siciliennes. Messine, toujours rivale de Palerme, restait unie aux intérêts napolitains. L’opposition de Calta Nisetta fut punie par les Palermitains de la manière la plus cruelle. Les villes de Cefalu, Bisacquino, Carini, Calta Girone, Ficarra, Aidone, Licata, Marsalla, Traina, Mistretto, s’empressèrent de nommer des représentans à la junte paiermitaine. Cette junte, investie de l’autorité nationale, constitua la force militaire, recueillit les dons patriotiques, et chercha à établir une sorte de régularité dans la perception des impôts. Elle épura les autorités, enrôla les citoyens, et déclara que tous les employés faisaient partie de la force militaire.

Pendant que tout se passait ainsi en Sicile, la députation envoyée à Naples y recevait une réponse propre à calmer les esprits, et le prince vicaire général choisit bientôt don Florestan Pépé pour traiter avec la junte palermitaine. La députation, revenue de Naples à Palerme le 8 septembre, annonça aux Siciliens que l’indépendance de l’île serait accordée par Sa Majesté napolitaine, pourvu qu’il fût prouvé que cette indépendance était le vœu de la majeure partie de la population. Ainsi le roi de Naples aurait gouverné deux peuples indépendans l’un de l’autre et régis par des constitutions différentes.

Le général Pépé débarque à Milazzo, le 15 septembre, à la tête de quatre mille hommes environ ; il refuse de traiter avec huit députés de la junte, et manifeste l’intention de marcher immédiatement sur Palerme. Cette ville se prépare à soutenir un siège. Les gens sages sentaient tout le danger de confier la défense d’une capitale à une populace plus disposée au pillage qu’au combat. Le président de la junte et sept autres membres partent pour Termini, et veulent régler avec Pépé les conditions d’une capitulation. Une tempête violente empêcha la députation de retourner par mer à Palerme et de faire connaître à cette ville les termes du traité. Le peuple de Palerme s’assembla tumultueusement, et l’approche des troupes du général Pépé fut regardée comme une trahison de la junte, soupçonnée de vouloir livrer tous les chefs et les fauteurs des événemens des 16 et 17 juillet. Bientôt tous les postes de la garde civique furent assaillis, l’autorité de la junte fut entièrement méconnue, le palais de Villafranca forcé et pillé.

L’arrivée des troupes de Pépé aux portes de Palerme contraignit ces bandes indisciplinées à ne plus songer qu’à leur défense : elles se portèrent avec violence contre les troupes napolitaines, les attaquèrent sur tous les points, et obligérent Pépé de reculer jusqu’aux eaux du Corsaire. La flotte de Naples n’avait pu venir au secours de son armée de terre, parce que la forteresse et les barques canonnières de Palerme firent sur elle pendant quatre jours un feu continuel, si bien soutenu, qu’elle fut obligée de s’éloigner de la côte.

La position de Pépé devenait d’autant plus critique, que les attaques des Palermitains étaient appuyées par les mouvemens des petites villes voisines, qui ne cessaient de harceler ses troupes pendant la nuit. Un renfort de mille hommes qui lui venait de Trapani, fut mis en déroute à Monréale. Ces revers engagèrent le général napolitain à envoyer des parlementaires à Palerme. Le major Cianciulli, chargé de cette mission, trouva cette ville livrée à la plus horrible anarchie. Le prince de Paterno, fort aimé des Siciliens, prit dès ce moment sur lui la direction des affaires. Après plusieurs conférences, un traité signé à bord de la goélette anglaise the Razor rendit le général Pépé maître de la ville, et garantit aux Siciliens l’exécution de plusieurs conditions stipulées dans les limites de ses pleins pouvoirs. Palerme ouvrit ses portes ; Pépé occupa les forts, plaça le prince de Paterno à la tête d’une junte provisoire, consolida l’ordre public dans la ville et dans les vallées voisines, désarma le peuple, et nomma le général Campana gouverneur de Palerme. Dès que le parlement de Naples fut instruit de cet événement, il déclara nulle et non avenue la convention militaire que le général Pépé et le prince de Paterno venaient de faire entre eux. L’annulation du traité porta le mécontentement de la Sicile à son comble. Florestan Pépé fut rappelé, et le parlement napolitain le remplaça par le général Coletta : celui-ci partit pour Palerme avec un nouveau renfort de troupes, et prit les mesures les plus sévères contre toutes les classes de citoyens. Beaucoup de propriétés furent séquestrées, et l’imposition d’une contribution de 90,000 onces réduisit la Sicile au désespoir.

Le parlement napolitain déclara Messine capitale de la Sicile ; mais cette mesure ne fit qu’exalter davantage l’esprit d’opposition et de rivalité qui existait entre Messine, Catane et Girgenti, d’une part, et Palerme et tout le reste de la Sicile, de l’autre. Le désordre augmentait avec la faiblesse et l’incertitude du gouvernement napolitain. Mis hors de la loi des nations par le congrès de Laybach, préparant avec activité la défense de son territoire, le parlement napolitain abandonna la Sicile à ses propres fureurs. L’anarchie était à son comble dans cette belle contrée, lorsque les Autrichiens s’emparèrent de Naples, occupèrent le royaume, et, sous la conduite du général Walnoden, débarquèrent à Palerme, le 31 mai 1821, au nombre de six mille hommes. Une seconde expédition autrichienne, abordant à Messine, fut disséminée sur la côte orientale de la Sicile.

Des bandes habituées au désordre, et formées de tous les forçats, qui, à la faveur des derniers troubles, sont parvenus à rompre leurs chaînes et à s’échapper des bagnes où ils étaient renfermés, se sont réfugiées dans les parties les plus désertes du pays : on poursuit ces brigands ; mais une fuite précipitée les transporte loin de l’endroit où l’on croyait les atteindre, et ils reparaissent sur un autre point. Il n’existe aucune sûreté intérieure en Sicile, et tout y est provisoire. Cependant un décret du roi de Naples rétablit le siège du gouvernement à Palerme. Un conseil suprême doit régir ce pays ; il ne règne jusqu’à présent que sur des haines, sur des cendres, enfin sur une misère générale et profonde.



  1. Papier timbré.