Souvenirs de ma jeunesse au temps de la Restauration/Avertissement

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AVERTISSEMENT


Les premières pages de ce livre, en faisant connaître dans quelles circonstances il fut écrit, constatent le caractère tout personnel que je me proposais alors de lui conserver. Si je me détermine aujourd’hui à communiquer à d’autres les pensées où j’avais cherché pour moi seul un allégement à de grandes douleurs, c’est qu’il peut être utile de réveiller la mémoire de jours meilleurs en un temps où l’esprit reste accablé sous le poids des déceptions, où le cœur est « lassé de tout, même de l’espérance. »

J’ai déféré au conseil de mes amis, acteurs pour la plupart dans les scènes de notre jeunesse, en donnant au public le volume où je me suis efforcé de les décrire, sorte d’album fort incomplet, où l’on trouvera des impressions plutôt que des jugements, des esquisses plutôt que des tableaux. C’est une feuille détachée dans l’histoire du long voyage qui, d’écueil en écueil, a conduit notre génération, ballottée par tant d’orages, du pays des beaux rêves à celui des plus sévères réalités.

À la suite de ces Souvenirs qui s’arrêtent en 1831, après le premier effort tenté pour associer la cause de la religion à celle de la liberté politique, j’ai cru pouvoir placer mon discours de réception à l’Académie française, prononcé trente-quatre ans plus tard. C’est le point d’arrivée mis en regard du point de départ dans une carrière à la fin de laquelle je me sens autorisé à me prévaloir devant le public, comme je le fis devant mes nouveaux confrères, d’une inviolable fidélité aux mêmes espérances et aux mêmes idées. N’avoir point changé en un temps et dans un pays où tout change, ce n’est ni un avantage ni peut-être un mérite ; c’est un accident heureux déterminé par le milieu dans lequel se formèrent mes convictions et se nouèrent mes premières amitiés : milieu dont je voudrais, au sein de la nuit qui nous enveloppe, pouvoir évoquer la fortifiante image, en la rendant pour mes lecteurs aussi présente qu’elle l’est encore pour moi.