Souvenirs poétiques de l’école romantique/La Pie de la Prison

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Souvenirs poétiques de l’école romantique 1825 à 1840Laplace, Sanchez et Cie, libraires-éditeurs (p. 173-174).
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LA PIE DE LA PRISON


Du grain qu’ils ont semé laissez la fleur éclore ;
Allez, Margot, la loi leur a permis des fleurs.
Eh quoi ! méchant oiseau, vous revenez encore
De ce triste jardin becqueter les primeurs.

N’en privez pas, au moins, leurs jours que rien n’abrège ;
Les ans laissent ici de bien longues saisons,
Margot ! et de l’hiver ils n’ont eu que la neige ;
N’allez pas du printemps leur ôter les bourgeons ;

Et qu’au moins du soleil un bouquet les console ;
Demain, le savez-vous, ils attendraient en vain
Ce printemps qu’aujourd’hui votre audace leur vole.
Margot ! les prisonniers vous donnent de leur pain.

Comme cet oiseau noir il est une pensée
Qu’ici le malheureux apporte avec ses jours,
Qu’il nourrit en son âme, et qui, toujours chassée,
Dés qu’il voudrait sourire, hélas ! revient toujours.

C’est le deuil qui le suit, c’est la voix qui le raille,
C’est le regret qui vit de son moindre bonheur ;
Tourment qui de son lit a remué la paille,
Et dont le bec aigu lui cherche au fond du cœur.

C’est la faim d’être libre. Un oiseau mord sa cage ;
Vous vouliez à la vôtre attacher ce rameau,
Souvenir des jardins dont vous aimiez l’ombrage,
Amis, et vous coupez les ailes d’un oiseau.